ARRÊT N° /2023
SS
DU 28 FEVRIER 2023
N° RG 22/02039 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FBGI
Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CHARLEVILLE-
MÉZIERES
21/190
02 août 2022
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANTE :
S.A.S. [4] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me William IVERNEL de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de REIMS
INTIMÉE :
CPAM [Localité 5] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Madame [K] [J], régulièrement munie d'un pouvoir de représentation
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président : M. HENON
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier : Madame TRICHOT-BURTE (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 31 Janvier 2023 tenue par M.HENON, magistrat chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric HENON, président, Dominique BRUNEAU et Catherine BUCHSER-MARTIN, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 28 Février 2023 ;
Le 28 Février 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
Faits, procédure, prétentions et moyens
M. [P] [V] a été embauché par la société [4] (ci-après dénommée la société) le 16 avril 2019 en qualité de tourneur.
Le 10 décembre 2020, la société a transmis à la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 5] (ci-après dénommée la caisse) une déclaration d'accident du travail sans réserves le concernant pour une « douleur dos, jambe droite » survenue la veille en desserrant les mors, lors d'une opération de changement d'un cylindre.
Le certificat médical initial du docteur [X] [N], médecin au centre hospitalier de [Localité 6] du 9 décembre 2020 fait mention d'une « lombosciatique aigüe », avec arrêt de travail.
Par courrier du 28 décembre 2020, la caisse a informé la société de la prise en charge de cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
Le 6 mai 2021, la société a saisi la commission médicale de recours amiable de la caisse, afin de contester l'imputabilité de l'ensemble des arrêts de travail qui lui ont été prescrits au titre de l'accident de travail du 9 décembre 2020.
Par courriel du 3 juin 2021, la société a effectué un signalement employeur auprès de la caisse, M. [P] [V], en arrêt de travail depuis son accident, étant prolongé jusqu'au 30 juin 2021.
Cet accident a été inscrit au compte employeur de la société du 15/07/2021 à hauteur de 229 jours d'arrêts de travail.
M. [P] [V] a bénéficié d'indemnités journalières ininterrompues au titre de cet accident jusqu'au 25 juillet 2021, date de consolidation de ses lésions, avec fixation d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5 %, puis a été indemnisé au titre de l'assurance maladie à compter de cette date.
Par décision du 27 août 2021, la commission de recours amiable a confirmé l'imputabilité de l'ensemble des arrêts de travail prescrits au titre de l'accident du 9 décembre 2020.
Le 7 septembre 2020, la société a contesté cette décision devant le tribunal judiciaire de Charleville Mézières en sollicitant avant dire droit une mesure d'expertise ou de consultation sur pièces du dossier médical de M. [P] [V].
Par jugement 2 août 2022, le tribunal a :
- débouté la SAS [4] [Localité 6] de son recours
- déclaré opposable à la SAS [4] [Localité 6] la totalité des soins et arrêts de travail prescrits à M. [P] [V] ensuite de l'accident du travail dont M. [P] [V] a été victime du 9 décembre 2020,
- condamné la SAS [4] [Localité 6] à payer à la CPAM [Localité 5] la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS [4] [Localité 6] au paiement des entiers dépens.
Par acte du 6 septembre 2022, la société a interjeté appel de l'ensemble des dispositions de ce jugement.
*
Suivant conclusions reçues au greffe le 20 janvier 2023, la société demande à la Cour de :
- déclarer recevable et fondé son appel,
Y faisant droit,
- infirmer la décision entreprise et, statuant à nouveau :
Par arrêt avant dire droit :
- ordonner une expertise ou une consultation sur pièces du dossier médical de Monsieur [P] [V],
- commettre à cet effet tout médecin-expert ou consultant qu'il plaira à la Cour de désigner,
- rappeler que, par application de l'article L 142-10 du CSS, le praticien-conseil ou l'autorité compétente pour examiner le recours préalable transmet à l'expert ou au médecin consultant désigné par la juridiction compétente, sans que puisse lui être opposé l'article 226-13 du code pénal, l'intégralité du rapport médical ayant fondé sa décision,
- ordonner à la CPAM de remettre à l'expert ou au consultant nommé les pièces en sa possession, le rapport d'évaluation des séquelles détenu par le praticien-conseil ainsi que tous les éléments ayant participé à sa rédaction ainsi que le rapport de la CMRA sous pli confidentiel,
- prendre acte qu'elle désigne le Docteur [T] - [Adresse 2] afin de recevoir les éléments médicaux et ordonner à la CPAM de transmettre audit médecin les éléments communiqués à l'expert/ au consultant désigné, par application de l'article R 142-16-3 alinéa 2 du CSS, ce dans le délai de 20 jours suivant la notification de l'arrêt avant dire droit à intervenir,
- dire que l'expert ou le consultant pourra également se faire remettre les éléments médicaux détenus par le ou les médecin(s) avant prescrits les arrêts de travail de Monsieur [P] [V] ainsi que le dossier médical professionnel détenu par le médecin du travail, en tant que de besoin, sur simple sollicitation et présentation du jugement avant dire droit à intervenir,
- dire que la mission de l'expert ou du consultant consistera en :
o Prendre connaissance des éléments médicaux et administratifs communiqués par les parties.
o Retracer les arrêts de travail de Monsieur [P] [V] et dire si l'ensemble des lésions ou la pathologie de celui-ci est en relation directe et unique avec l'accident du travail du 09/12/2020.
o Dire si l'évolution des lésions de Monsieur [V] est due à un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte, à un nouveau fait accidentel ou à un état séquellaire.
o Déterminer quels sont les arrêts de travail directement et uniquement imputables à l'accident du travail du 09/12/2020 dont a été victime Monsieur [V] [P].
o Fixer la date de consolidation des lésions dont a souffert Monsieur [V] suite à l'accident du travail du 09/12/2020.
o Etablir un pré-rapport, et transmettre celui-ci au docteur [T] désigné par l'employeur, afin de recueillir ses éventuelles observations,
o Etablir ensuite un rapport définitif et remettre celui-ci au greffe de la Cour de céans dans un délai de 3 mois à compter de sa saisine.
- ordonner l'exécution provisoire par application de l'article R. 142-10-6 du Code de la Sécurité Sociale,
- dire que les frais d'expertise ou de consultation seront aux frais avancés de la société [4] [Localité 6],
- renvoyer l'affaire à une prochaine audience afin qu'il soit statué au vu du rapport de l'expert ou du consultant désigné.
En tout état de cause
- débouter la CPAM [Localité 5] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la CPAM [Localité 5] à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du CPC
*
Suivant conclusions reçues au greffe le 8 décembre 2022, la caisse demande à la Cour de:
A titre principal,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Troyes le 2 août 2022 en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire,
- rejeter la demande d'expertise médicale,
En tout état de cause,
- condamner la société SAS [4] à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société SAS [4] aux entiers dépens de l'instance.
Pour l'exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l'audience ou invoquées par les parties dispensées de comparution.
Motifs
Il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que la présomption d'imputabilité au travail des soins et arrêts s'étend pendant toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète soit la consolidation de l'état de la victime (en ce sens Civ. 2ème, 17 février 2011, no10-14.981, Bull., II, no49 ; Civ. 2ème, 16 février 2012, no 10-27.172, 2 Civ., 15 février 2018, n 16-27.903 ; 4 mai 2016, n 15-16.895, Bull. 2016, n 119).
Il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire, peu important la continuité des soins et symptômes et arrêts qui n'est pas de nature à remettre en cause les conditions de cette présomption. (2e Civ., 9 juillet 2020, pourvoi n° 19-17.626, arrêt PBI, 2e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 19-21.94, dans le même sens 2e Civ., 12 mai 2022, pourvoi n° 20-20.655)
A cet égard, s'il appartient au juge du fond de rechercher si la présomption d'imputabilité est ou non utilement combattue par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve produits devant eux (Civ. 2ème, 20 décembre 2012, no 11- 20.173) et peut à cet égard ordonner une mesure d'expertise( 2e Civ., 16 juin 2011, pourvoi n° 10-27.172), il n'en demeure pas moins que la faculté d'ordonner une telle mesure relève de son pouvoir souverain d'appréciation (Civ 2ème 18 novembre 2010, no 09-16.673, 2e Civ., 16 février 2012, pourvoi n° 10-27.172,28 novembre 2013, no 12-27.209).
La société après rappel des principes et des textes qu'elle estime applicables, expose que le médecin du travail l'a contacté afin d'évoquer la situation du salarié et a précisé que son arrêt de travail était imputable à un état pathologique antérieur et non à l'accident du travail. Le médecin mandaté par la société a souligné la nécessité d'organiser une expertise, afin le cas échéant de pouvoir confirmer l'existence d'un état antérieur. La durée d'arrêt est manifestement excessive.
La caisse, invoquant la présomption d'imputabilité expose que l'employeur ne rapporte pas la preuve d'un état antérieur de l'intéressé et que la cour n'a pas à pallier la carence de l'employeur par la mise en 'uvre d'une expertise.
Il convient de relever que, contrairement aux allégations de l'employeur, les dispositions de l'article R. 142-16 du code de sécurité sociale dans sa rédaction issue du décret du 29 octobre 2018, qui font état à titre indicatif des mesures de consultation, rappellent uniquement la possibilité pour la juridiction de sécurité sociale d'ordonner toute mesure d'instruction, sans pour autant déroger aux principes résultant de l'application de l'article 232 du code de procédure civile, ni à ceux qui ont été précédemment rappelés.
Par ailleurs, l'employeur ne saurait se prévaloir d'une atteinte à l'égalité des armes au sens de l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme, alors , d'une part, qu'il résulte de ses explications et des pièces produites aux débats qu'elle a pu dès la phase de recours préalable accéder aux pièces médicales du dossier par le biais du médecin mandaté par ses soins, d'autre part, qu'il est de jurisprudence constante que les exigences d'un procès équitable n'imposent pas au juge de mettre en 'uvre une expertise (en ce sens CEDH,27 mars 2012 , Eternit/ France req. 20041/10 ; civ2°, 11 juillet 2013, no 12-20.708, Bull II no 166) sans que l'entrée en vigueur des dispositions issues de la loi du 23 mars 2019 et du décret du 29 octobre 2018 ne vienne remettre en cause l'application de ces principes aux situations correspondant au présent litige ( rappr. Cass. 2e civ., 17 juin 2021, avis n° 15009).
En ce qui concerne l'imputabilité des soins et arrêts litigieux à l'accident du travail, il apparait que si l'employeur fait état d'un avis du médecin du travail en faveur d'un état antérieur présenté par le salarié au cours d'un contact de ce dernier quant à la situation du salarié, il reste qu'il n'en justifie pas et ne précise pas les conditions dans lesquelles il aurait été réceptionnaire de cette information, lesquelles ne sont au demeurant pas sans interroger au regard des dispositions des articles L. 1110-4 et R. 4127-4 du code de la santé publique.
Par ailleurs, l'employeur ne produit aucun élément de nature à objectiver un tel état antérieur, les explications du médecin mandaté par l'employeur, qui déplorent la faiblesse des éléments médicaux, apparaissant reposer en fin de compte sur de simples suppositions.
Il s'ensuit que l'allégation d'un état antérieur sans aucun élément de nature à l'objectiver et d'une disproportion de la durée des arrêts au regard des conséquences de l'accident, n'apparait de nature à renverser la présomption d'imputabilité qui a été rappelée.
Il convient dans ces conditions, et sans qu'il ne soit besoin d'ordonner d'expertise en l'état de ces éléments, de confirmer le jugement entrepris.
La société qui succombe sera condamnée aux dépens, sans qu'il n'y ait lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Charleville Mézières du 2 août 2022';
Condamne la société [4] aux dépens.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Guerric HENON, Président de Chambre, et par MadameClara TRICHOT-BURTÉ, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
Minute en six pages