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23/02/2023 | FRANCE | N°21/00321

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 23 février 2023, 21/00321


ARRÊT N° /2023

PH



DU 23 FEVRIER 2023



N° RG 21/00321 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EWXD







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

18/00771

28 janvier 2021











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANT :



Monsieur [C] [E]

[Adresse 3]>
[Localité 2]

Représenté par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY substituée par Me SEBBAN, avocate au barreau de METZ









INTIMÉE :



S.A. ELECTRICITE DE FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 1]

...

ARRÊT N° /2023

PH

DU 23 FEVRIER 2023

N° RG 21/00321 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EWXD

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

18/00771

28 janvier 2021

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANT :

Monsieur [C] [E]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY substituée par Me SEBBAN, avocate au barreau de METZ

INTIMÉE :

S.A. ELECTRICITE DE FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Marine CHOLLET, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Président : HAQUET Jean-Baptiste,

Conseiller : STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

DÉBATS :

En audience publique du 24 Novembre 2022 ;

L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 26 Janvier 2023 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ; puis à cete date le délibéré a été prorogé au 23 Février 2023 ;

Le 23 Février 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Monsieur [C] [E] a été engagé sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE à compter du 01 avril 1994, en qualité d'assistant de gestion affecté à la direction immobilière.

Le statut national du personnel des industries électriques et gazières s'applique au contrat de travail, ainsi que la circulaire PERS 846 en matière de sanctions disciplinaires et de procédures applicables.

Le salarié exerçait principalement ses fonctions à domicile en télétravail.

Au dernier état de ses fonctions, il occupait le poste d'assistant de gestion et contrôle de gestion.

Par courrier du 18 mai 2017, Monsieur [C] [E] a été convoqué à un entretien préalable à sanction disciplinaire fixé au 01 juin 2017.

Par courrier du 26 juin 2017, Monsieur [C] [E] s'est vu notifier la décision de mise en 'uvre de la procédure disciplinaire préalable à sa mise en retraite d'office, avec convocation devant la commission secondaire du personnel exécution maîtrise siégeant en conseil de discipline, en séance du 05 octobre 2017 à [Localité 5].

Monsieur [C] [E] ne s'est pas présenté devant ladite commission de discipline, le salarié évoquant un arrêt de travail pour maladie avec restriction de déplacement.

Par courrier du 22 novembre 2017, Monsieur [C] [E] a été convoqué à un deuxième entretien préalable à sanction disciplinaire fixé au 08 décembre 2017 à [Localité 5], dans le cadre de la 2nd phase de la procédure disciplinaire préalable, auquel il ne s'est pas présenté toujours pour raisons médicales.

Par courrier du 21 décembre 2017, Monsieur [C] [E] a été mis à la retraite d'office applicable au 01 janvier 2018.

Par requête du 23 avril 2018, Monsieur [C] [E] a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Nancy, aux fins :

- de condamnation de la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE à lui verser les sommes suivantes :

- 8 131,26 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis,

- 813,12 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 22 662,00 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- d'ordonner, sous astreinte de 100,00 euros par jour de retard passé le 3ème jour de la notification de l'ordonnance de référé à intervenir, la communication du procès-verbal de la commission de discipline du 05 octobre 2017,

- de condamner la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE à lui payer la somme de 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

- d'ordonner l'exécution provisoire.

Vu l'ordonnance de la formation de référé du conseil de prud'hommes de Nancy rendue le 04 juin 2018, laquelle a :

- dit n'y avoir lieu à référé,

- renvoyé Monsieur [C] [E] à mieux se pourvoir s'il le souhaite devant le juge du fond,

- mis les dépens à la charge de chacune des parties.

Vu l'arrêt de la chambre sociale de la Cour d'appel de Nancy rendue le 28 février 2019, suite à l'appel interjeté par Monsieur [C] [E] à l'encontre de l'ordonnance de référé du 04 juin 2018, lequel a :

- confirmé l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes en paiement à titre d'indemnité de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité de licenciement formées par Monsieur [C] [E],

- infirmé pour le surplus,

*

Statuant à nouveau dans cette limite :

- ordonné à la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE de délivrer à Monsieur [C] [E] une copie du procès-verbal de la réunion du conseil de discipline du 5 octobre 2017,

- dit n'y avoir lieu d'assortir cette mesure d'une astreinte,

*

Y ajoutant :

- débouté Monsieur [C] [E] de sa demande de paiement de frais irrépétibles,

- condamné la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE aux dépens.

Sur le fond, Monsieur [C] [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Nancy par requête du 28 décembre 2018, aux fins :

- de dire son licenciement irrégulier en raison de vices de procédure,

- de dire, au fond, son licenciement nul car faisant suite à une dénonciation d'une situation de harcèlement moral,

- de condamnation de la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE à lui verser les sommes suivantes :

- 60 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 8 131,26 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 22 662,00 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement,

- 15 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 28 janvier 2021, lequel a :

- débouté Monsieur [C] [E] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la S.A ELECTRICITE DE FRANCE de sa demande reconventionnelle au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur [C] [E] aux entiers frais et dépens de l'instance en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Vu l'appel formé par Monsieur [C] [E] le 05 février 2021,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de Monsieur [C] [E] déposées sur le RPVA le 28 juin 2022, et celles de la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE déposées sur le RPVA le 06 septembre 2022,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 05 octobre 2022,

Monsieur [C] [E] demande :

- de recevoir l'appel,

- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

*

Statuant à nouveau :

- de déclarer nul et non avenu le procès-verbal de séance du 5 octobre 2017 par application de la PERS 846,

- de déclarer nulle et non avenue la sanction de mise en retraite d'office par application de la PERS 846,

- de déclarer nulle et non avenue le licenciement par application des articles L1152-2 et L1152-3 du code du travail,

- de réintégrer Monsieur [C] [E] à son poste de travail avec tous ses droits à compter du 1er janvier 2018,

- de condamner la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE à payer en denier ou quittance à Monsieur [C] [E] la somme totale de 89 074,11 euros au titre de ses rappels de salaire, de congés payés, de 13ème mois, de primes, d'intéressement et d'écrêtement et ce du 1er janvier 2018 au 30 avril 2021,

- de condamner la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE à payer à Monsieur [C] [E] la somme 15 000,00 euros pour préjudice moral résultant de ses conditions de travail indignes et du harcèlement moral dont il faisait l'objet,

- de débouter la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE de toutes ses demandes fins et conclusions,

*

A titre subsidiaire :

- de déclarer la rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE à payer à Monsieur [C] [E] les sommes suivantes :

- 8 131,26 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 813,12 euros au titre des congés payés y afférents,

- 22 662,00 euros nets d'indemnité de licenciement,

- 60 000,00 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE aux entiers dépens,

- de condamner la société SA ELECTRICITE DE France à la somme de 5 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société S.A ELECTRICITE DE FRANCE demande :

A titre principal :

- de constater que le procès-verbal de la séance de la commission secondaire du personnel du 5 octobre 2017 n'est entaché d'aucune irrégularité le rendant nul,

- de constater que la procédure disciplinaire statutairement prévue a été respectée,

- de constater que Monsieur [C] [E] n'a fait l'objet d'aucun harcèlement moral, ni d'aucune discrimination,

- de constater que les fautes reprochées à Monsieur [C] [E], non contestées par lui, rendaient impossible le maintien du salarié dans l'entreprise,

- en conséquence, de dire et juger que la mise à la retraite d'office, rupture immédiate du contrat de travail, n'est ni nulle, ni dépourvue de cause réelle et sérieuse, et est fondée sur une faute grave,

*

- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy en date du 28 janvier 2021 en ce qu'il a :

- débouté Monsieur [C] [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamné Monsieur [C] [E] aux entiers dépens de l'instance.

*

- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy en date du 28 janvier 2021 en ce qu'il a débouté la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE de sa demande d'indemnisation au titre des frais irrépétibles,

**

A titre subsidiaire :

Si, par extraordinaire, la Cour de céans devait considérer que les fautes reprochées à Monsieur [C] [E] ne sont pas suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, il constatera qu'elles constituent une cause réelle et sérieuse

- de débouter Monsieur [C] [E], alors en arrêt de travail, de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis,

- de juger que l'indemnisation prévue par l'article L.1235-3 du Code du travail ne pourrait qu'être comprise entre 8 131,26 et 46 077,14 euros,

- de débouter Monsieur [C] [E] de ses demandes d'indemnisation, au titre du harcèlement moral et de la rupture du contrat de travail, l'appelant ne démontrant pas la réalité des préjudices allégués,

- de juger que l'indemnité de licenciement ne peut s'élever qu'à 15 339,67 euros,

*

En tout état de cause :

- de condamner Monsieur [C] [E] à verser à la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE la somme de 5 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner Monsieur [C] [E] aux entiers dépens de l'instance.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières conclusions de Monsieur [C] [E] déposées sur le RPVA le 28 juin 2022, et de celles de la société S.A ELECTRICITE DE FRANCE déposées sur le RPVA le 06 septembre 2022.

Sur le harcèlement moral :

En l'espèce,Monsieur [C] [E] fait valoir qu'il a « été mis au placard », son employeur lui ayant imposé de télétravailler 4 jours sur 5 et ainsi coupé de tout contact avec ses collègues, précisant que lorsqu'il venait physiquement sur son lieu de travail, les bureaux étaient vides et qu'il n'était invité à aucune réunion ; que la direction a fait vainement pression sur un médecin du travail, le docteur [J], pour qu'elle le déclare inapte au travail ; que sa carrière a été « stoppée » à compter de 2011 ; qu'à deux reprises en 2013 et 2017, EDF lui a réclamé indument le paiement de charges locatives (annexes 31 à 34) ; que ses bulletins de salaires sont systématiquement erronés (annexes 35 et 36) ; que mis à la retraite d'office à partir du 1er janvier 2018, il n'a commencé à percevoir sa pension qu'au mois de décembre suivant.

Monsieur [C] [E] fait aussi valoir que les courriels qui ont motivé sa sanction ne faisaient que dénoncer ses conditions de travail et que la direction, en la personne de Monsieur [R], voulait le faire quitter l'entreprise à tout prix.

L'employeur nie tout fait de harcèlement.

Motivation :

Aux termes des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

1) Sur la matérialité de l'isolement au travail de Monsieur [C] [E] :

L'employeur ne conteste pas que depuis 2011, l'organisation du travail de Monsieur [C] [E] implique qu'il reste chez lui 4 jours sur 5, n'est plus convié aux réunions de travail et qu'il n'a plus de contact physique avec ses collègues, y compris durant son jour de présence dans l'entreprise.

Dès lors, la matérialité de ce fait est établie par Monsieur [C] [E].

2) Sur la matérialité des demandes infondées de rappels de charges :

Monsieur [C] [E] produit un courrier non daté lui réclamant un rappel de charges pour l'année 2009-2010 et sa réponse. Il produit également un courrier du 18 janvier 2017 lui réclamant un apurement de 4 426,47 euros des charges pour les années 2013 à 2015, sa réponse et un courriel d'EDF lui indiquant que l'apurement est annulé (annexes 31 à 34).

L'employeur indique, sans autre précision, que Monsieur [C] [E] ne démontre pas l'atteinte à ses avantages acquis.

Au vu des pièces produites par Monsieur [C] [E] , la matérialité de ces faits est établie.

3) Sur la matérialité des bulletins de salaire erronés :

Monsieur [C] [E] produit un courriel qu'il a adressé à son employeur faisant état d'erreurs nombreuses figurant sur ses bulletins de salaire.

L'employeur fait valoir que Monsieur [C] [E] ne produit aucune pièce justifiant ses dires.

La seule production d'un courriel de réclamation est insuffisante pour démontrer la matérialité de bulletins de salaires systématiquement erronés.

Les fait matériellement établis, pris dans leur ensemble, font présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral, la mise à l'écart physique de ses collègues présentant notamment un caractère répété, en raison de sa durée sur une période de 6 ans.

Il revient donc à l'employeur de démontrer notamment que cette mise à l'écart était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société EDF fait valoir que la mise en télétravail de Monsieur [C] [E] résulte d'une convention signée entre les deux parties, ce, à la demande du médecin du travail.

Elle produit un certificat médical rédigé le 4 février 2011 du docteur [J], donnant un « avis favorable » à la reprise du travail de Monsieur [C] [E] « dans un poste aménagé en télétravail, avec une présence sur le lieu de travail « a minima une fois par semaine » et prévoyant une visite médicale le 3 mars 2012 (pièce n° 45).

La société EDF ne produit aucun autre document médical que le certificat initial de 2011 du docteur [J] démontrant que le placement en télétravail de Monsieur [C] [E] 4 jours par semaine était nécessaire compte-tenu de son état de santé, pour les années postérieures à 2011.

A cet égard, la mention dans le procès-verbal de la commission des propos rapportés du Docteur [Z] selon lesquels elle aurait déclaré en 2016 Monsieur [C] [E] apte au travail dans le contexte d'une convention de télétravail de 4 jours, est insuffisante en l'absence de la production de l'avis d'aptitude qu'elle aurait rédigé.

L'employeur produit le PV d'audition du Docteur [V], médecin du travail, qui a suivi Monsieur [E] de 2010 à 2014 ; elle indique n'avoir jamais eu d'inquiétude sur l'état de santé de Monsieur [C] [E] et que « la convention de télétravail qui a été mise en place (4 jours au domicile et 1 jour au bureau) a été décidée afin d'apaiser les tensions internes dans son service ». Le médecin ne fait pas état de nécessité médicale (pièce n° 25).

Il résulte en outre du témoignage de Monsieur [U] devant la commission que la convention de télétravail avait été imposée à Monsieur [C] [E] en 2011, sur avis du médecin du travail.

La cour constate que l'employeur ne produit pas de convention de télétravail signée par Monsieur [C] [E] et que celle que ce dernier produit dans ses pièces ne porte aucune signature (annexe n° 42).

La société EDF produit l'audition d'une ancienne supérieure hiérarchique de Monsieur [C] [E] par la commission faisant état du comportement agressif de Monsieur [E] envers ses collègues et notamment envers une salariée qui a été placée en arrêt maladie et en invalidité 1ère catégorie de 2009 à 2014 (pièce n°22).

Il résulte de l'ensemble des pièces produites que Monsieur [C] [E] n'a pas signé de convention de télétravail, qu'après 2011, l'employeur ne produit aucune pièce justifiant l'isolement de Monsieur [C] [E] 4 jours par semaine pour des raisons médicales.

Il ressort également des pièces produites par EDF que la décision de le maintenir en télétravail après 2011 a été prise notamment en raison du comportement passé de Monsieur [E] vis-à-vis de ses collègues, comme l'a indiqué une cadre de l'entreprise, Madame [N] à la commission de discipline et non principalement pour des raisons médicales (pièce n° 22).

Dès lors, en l'absence de raisons médicales après 2011 pour maintenir Monsieur [C] [E] en télétravail et sans preuve de son consentement à cette situation, sa mise à l'écart de ses collègues de travail pendant plusieurs années, qui est attentatoire à sa dignité, constitue un harcèlement moral.

La société EDF sera en conséquence condamnée à verser à Monsieur [C] [E] la somme de 15 000 euros, le jugement du conseil de prud'hommes étant infirmé sur ce point.

Sur la nullité de la sanction de mise à la retraite d'office :

Monsieur [C] [E] fait valoir que la sanction est la conséquence de la dénonciation de sa situation de harcèlement moral.

L'employeur fait valoir que Monsieur [C] [E] a été sanctionné en raison de ses courriels insultant et diffamant.

Motivation :

L'employeur motive sa sanction en ces termes :

« Avoir procédé à des envois répétés de mails comportant des propos dénigrants, parfois menaçants et des insinuations mettant en cause l'honnêteté, la réputation et la considération en particulier de sa ligne hiérarchique directe et plus globalement ses collègues de la DIG. Un de ces mails a même été adressé à un très grand nombre de personnes parfois extérieures à son établissement. Direction voire entreprise.

Avoir remis en cause l'autorité hiérarchique de ses managers, illustrée notamment par ces messages. »

En l'absence d'autre précision, il y a lieu de se reporter aux courriels de Monsieur [C] [E] produits par l'employeur à la commission de discipline pour justifier cette sanction (pièce n° 20).

Il ressort de ces courriels, émis en 2017, que Monsieur [C] [E] a mis en cause l'honnêteté d'une partie de son encadrement et notamment Monsieur [R], qui a présidé la commission de discipline et les accusant de malversations financières ; a accusé une salariée, Madame [N] d'avoir falsifié un de ses arrêts de travail ; a menacé cette dernière de poursuites judiciaires pour harcèlement.

Cependant, la cour relève que dans son courriel du 27 mars 2017, il indique « avoir été mis au placard par la direction de l'immobilier depuis plusieurs années » ; « actuellement Madame [N], Monsieur [F] et Madame [K] me retirent depuis plusieurs années des tâches qui me sont subordonnées. C'est-à-dire, je me retrouve dans un placard ».

Ainsi, l'employeur, pour motiver sa sanction, a fait notamment grief à Monsieur [C] [E] de dénoncer la situation de harcèlement moral dont il était l'objet, ce qui, en application de l'article 1152-2 et 1152-3 du code du travail, rend nulle la décision de le mettre à la retraite d'office.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera infirmé sur ce point.

Sur les conséquences de la nullité de la mise à la retraite d'office :

Monsieur [C] [E] demande sa réintégration à son poste à compter du 1er janvier 2018 date d'effet de la sanction et réclame et réclame la somme de 89 074,11 euros.

La société EDF demande le rejet de la demande d'indemnisation compte-tenu de l'absence de nullité de la sanction, mais ne conteste pas à titre subsidiaire les modalités de calcul de la somme demandée.

Motivation :

Il résulte des pièces produites par Monsieur [C] [E] , que ce dernier a fait valoir ses droits à pension de retraite en décembre 2018, date à laquelle il a commencé à la percevoir (annexes n° 21 et 22).

En conséquence sa réintégration est exclue, la liquidation de ses droits à pension supposant que soient rompus tous liens avec l'employeur, rendant ainsi impossible une réintégration.

Dès lors, il y a lieu de statuer sur la demande d'indemnisation de Monsieur [C] [E] en faisant application de l'article L. 1235-11 du code du travail, qui prévoit une indemnité minimale égale à 6 mois de salaire en cas d'annulation de la décision de l'employeur de rompre le contrat de travail.

Compte tenu de l'ancienneté de Monsieur [C] [E] , des pièces qu'il a produites concernant sa situation financière, la société EDF devra lui verser la somme de 40 000 euros.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :

La société EDF devra verser à Monsieur [C] [E] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles et sera déboutée de sa propre demande.

La société EDF sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy du 28 janvier 2021 en ses dispositions soumises à la cour ;

STATUANT A NOUVEAU

Condamne la société EDF à verser à Monsieur [C] [E] la somme de 40 000 euros (quarante mille euros) au titre de la nullité de la mise à la retraite d'office,

Condamne la société EDF à verser à Monsieur [C] [E] la somme de 15 000 euros (quinze mille euros) au titre du harcèlement moral,

Condamne la société EDF aux dépens de première instance ;

Y AJOUTANT

Condamne la société EDF à verser à Monsieur [C] [E] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société EDF de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société EDF aux dépens.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en dix pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 21/00321
Date de la décision : 23/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-23;21.00321 ?
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