RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
------------------------------------
COUR D'APPEL DE NANCY
CINQUIEME CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT N° /23 DU 22 FEVRIER 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 22/01651 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FAMH
Décision déférée à la Cour :
jugement du Tribunal de Commerce de Nancy, R.G. n° 2021.005425, en date du 30 juin 2022,
APPELANTE :
S.A. BNP PARIBAS, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social [Adresse 2] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 662 042 449
Représentée par Me Marie-laurence FOLMER, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉ :
Monsieur [F] [M], née le [Date naissance 1]/1951 à [Localité 5] demeurant [Adresse 3] (PORTUGAL)
Représenté par Me Maxime JOFFROY de la SCP JOFFROY LITAIZE LIPP, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 11 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice BOURQUIN, Président de Chambre et Monsieur Olivier BEAUDIER, conseiller, chargé du rapport ;
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Patrice BOURQUIN Président de Chambre,
Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller,
Monsieur Jean-Louis FIRON Conseiller
Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL.
A l'issue des débats, le Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 22 Février 2023, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 22 Février 2023, par Monsieur Ali ADJAL, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur Patrice BOURQUIN, Président de chambre, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier ;
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------
FAITS ET PROCEDURE
Le 12 avril 2011, la société 'l'Orée du bois' a ouvert un compte courant professionnel dans les livres de la société BNP Paribas.
Par acte sous seing privé en date du 28 mars 2013, M. [F] [M] a souscrit un engagement de caution au profit de la société BNP Paribas, en garantie de l'ensemble des engagements de la société 'l'Orée du bois', dans la limite de la somme de 60 000 euros, pour une durée de 10 ans.
Suivant jugement en date du 25 juin 2013, le tribunal de commerce de Fréjus a ouvert une procédure de sauvegarde à l'encontre de la société 'l'Orée du bois'.
Le 5 novembre 2014, La société BNP Paribas a déclaré sa créance au passif de la société l'Orée du bois' à hauteur de la somme de 47 663,49 euros
Par jugement en date du 2 mai 2017, le tribunal de commerce de Fréjus a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société l'Orée du bois, procédure clôturée pour insuffisance d'actif le 16 janvier 2020.
Suivant courrier recommandé en date du 2 juin 2021, la société BNP Paribas a mis en demeure M. [F] [M] d'avoir à lui payer la somme de 38 885,82 euros, au titre de son engagement de caution.
Par exploit d'huissier en date du 18 octobre 2021, la société BNP Paribas a assigné devant M. [F] [M] devant le tribunal de commerce de Nancy.
Suivant jugement rendu le 30 juin 2022, le tribunal de commerce de Nancy a :
- constaté le caractère disproportionné de l'engagement de caution signé par Monsieur [F] [M] le 28 mars 2013,
en conséquence,
- déclaré que la société BNP Paribas ne peut se prévaloir de l'engagement de caution souscrit à son profit par M. [F] [M] le 28 mars 2013,
- déclaré M. [F] [M] mal fondé en sa demande de dommages intérêts pour préjudice moral,
- l'en a débouté,
- condamné la société BNP Paribas aux dépens de l'instance,
- condamné la société BNP Paribas à payer à M. [F] [M] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé le caractère exécutoire de plein droit du présent jugement.
Suivant déclaration en date du 13 juillet 2022, la société BNP Paribas a interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy le 30 juin 2022 .
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 3 novembre 2022, la société BNP Paribas demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau,
- condamner M. [F] [M] à payer à la société BNP Paribas la somme de 38 978,89 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2021, date de l'arrêté de compte, sur le fondement des dispositions des articles 2288 et Suivants du code civil,
- condamner M. [F] [M] à payer à la société BNP Paribas la somme de 1 500 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, concernant la procédure de première instance et 2 000 euros pour la procédure d'appel,
- le condamner aux entiers frais et dépens de première instance et d'appe1,
- débouter M. [F] [M] de ses demandes,
- pour le surplus,
- confirmer le jugement entrepris.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 11 octobre 2022, M. [F] [M] demande à la cour de :
- juger mal fondé l'appel interjeté par la société BNP Paribas,
- débouter par conséquent la société BNP Paribas de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples et contraires,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy le 30 juin 2022, sous le numéro RG 2021 005425, en ce qu'il a débouté la société BNP Paribas de sa demande, au titre de l'engagement de caution souscrit le 28 mars 2013, et condamné la société BNP Paribas à verser à M. [F] [M] une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- juger recevable et bien fondé l'appel incident formé par Monsieur [M] sur les dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- infirmer par conséquent le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy le 30 juin 2022 sous le numéro RG 2021 005425 en ce qu'il a débouté M. [F] [M] de sa demande de dommages et intérêts,
statuant à nouveau,
- condamner la société BNP Paribas à verser à M. [F] [M] une indemnité de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- condamner la société BNP Paribas à verser à Monsieur [M] une indemnité de 2 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel ;
- condamner la société BNP Paribas aux entiers dépens, en ce compris les frais de signification et d'exécution forcée.
Pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties la cour renvoie expressément à leurs conclusions visées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 7 décembre 2022 ;
MOTIFS :
- Sur la disproportion du cautionnement en date du 28 mars 2013 :
En application de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa version applicable au présent litige, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Il appartient à la caution qui invoque le caractère disproportionné de son engament d'en rapporter la preuve.
En l'espèce, il est établi à la lecture des informations figurant dans les deux fiches de renseignements, respectivement datées du 14 février 2013, que M. [F] [M], retraité, a déclaré percevoir un revenu mensuel de 4 900 euros (ou 52 800 euros par an). Il a indiqué supporter la charge jusqu'en 2016 les échéances d'un crédit souscrit auprès de la société Banque Cic, à hauteur de la somme de 7 000 euros par an. S'agissant de son patrimoine financier, M. [F] [M] a précisé disposer d'une épargne d'un montant global de 220 000 euros (20 000 euros + 200 000 euros) et posséder des valeurs mobilières estimées à 70 000 euros.
En ce qui concerne son patrimoine immobilier, l'intimé a déclaré être propriétaire de l'immeuble, lui servant de résidence principale, qu'il a estimé à la somme de 700 000 euros. Il ressort en outre des renseignements portés sur les deux fiches d'informations susvisées que M. [F] [M] a déclaré être propriétaire d'un hôtel, situé à [Localité 4], d'une valeur estimée à 3 500 000 euros. Il a précisé qu'il restait dû sur l'emprunt contracté pour le financement de ce dernier bien la somme de 1 400 000 euros, ce dernier étant amortissable en 2022.
Aux termes de ses conclusions d'intimé, M. [F] [M] conteste être propriétaire de l'hôtel situé à [Localité 4], mentionné dans les deux fiches de renseignements produites aux débats par la banque. A l'appui d'un relevé des formalités publiées du 1er janvier 1972 au 16 mars 2021, il justifie que cet immeuble appartient effectivement à la société Kani, aujourd'hui en liquidation judiciaire.
M. [F] [M] soutient que les fiches de renseignements, dont se prévaut la société BNP Paribas pour justifier l'absence de disproportion du cautionnement, n'ont aucune valeur probante. Il prétend en effet que celles-ci contiennent des anomalies apparentes que la banque aurait dû déceler, et sur lesquelles elle avait l'obligation recueillir au préalable les explications de son client, s'agissant en particulier de celles relatives à la propriété de l'hôtel de [Localité 4].
S'agissant des anomalies alléguées, l'intimé observe que la première fiche de renseignements a été complétée par la banque, qu'elle contient des renseignements différents de ceux portés sur la seconde fiche remplie par ses soins. Il relève ainsi que la seconde fiche ne précise pas si le cautionnement donné engage ou non son épouse, à la différence de la première fiche, de sorte qu'il existe selon lui un doute sur 'l'assiette de l'engagement'.
L'intimé note par ailleurs que sur les deux fiches de renseignements produites, l'hôtel situé à [Localité 4], est inscrit dans son patrimoine immobilier avec la case cochée suivante : 'emprunteur/caution'. Il estime que cette mention laisse un doute sur le fait de savoir si ce bien est effectivement sa propriété ou celle d'une caution qui n'est pas désignée, ou encore si le bien litigieux fait l'objet d'une caution immobilière. En l'absence de précisions complémentaires, il considère qu'il convient d'exclure l'hôtel de [Localité 4] de son patrimoine déclaré à la société BNP Paribas.
Toutefois, si M. [F] [M] conteste avoir rempli lui-même la première fiche de renseignements, il ne conteste pas avoir signé cette dernière, et ce, après avoir personnellement certifié l'exactitude des renseignements y figurant. L'absence de précision sur la seconde fiche des cautions ('M. et Mme - Monsieur ou Madame') est sans emport sur la nature et l'étendue du cautionnement donné par M. [F] [M] seul, conformément à l' acte sous seing privé en date du 28 mars 2013. Les autres renseignements communiqués par la société BNP Paribas sont identiques d'une fiche à l'autre, s'agissant en particulier de ceux concernant le patrimoine immobilier de la caution. La discordance alléguée entre les deux fiches de renseignements n'est donc pas fondée.
M. [F] [M] conteste être propriétaire de l'hôtel de [Localité 4] au jour de son engagement. Il ressort néanmoins des informations précises et concordantes, fournies à la société BNP Paribas, au travers des deux fiches de renseignements signées, qu'il a déclaré être propriétaire de cet immeuble d'une valeur estimée à 3 500 000 euros. Il est établi par exclusion des autres options figurant sur les fiches de renseignements ('Conjoint', 'Couple', 'indivision' ou 'SCI') , qu'en cochant la case 'emprunteur/caution', l'intimé a déclaré être seul propriétaire de ce bien, acquis au moyen d'un prêt qu'il remboursait personnellement jusqu'en 2022, et sur lequel il restait devoir la somme de 1 400 000 euros.
Ainsi, l'intimé ne justifie de l'existence d'aucune anomalie apparente, s'agissant des renseignements qu'il a fournis sur son patrimoine au jour de son engagement. Au vu de ces derniers, la société BNP Paribas n'était pas tenue de procéder à des investigations complémentaires ou de solliciter de son client des éclaircissements ou précisions sur sa propriété de l'hôtel de [Localité 4], dont elle pouvait légitiment penser que M. [F] [M] en était personnellement propriétaire, au vu des renseignements précis communiqués par ce dernier.
Il résulte de ce qu'il précède que M. [F] [M] a sciemment fait une déclaration mensongère à la société BNP Paribas, en affirmant qu'il était propriétaire d'un hôtel situé à [Localité 4], d'une valeur de 3 500 000 euros, alors qu'il savait que celui-ci appartenait à la société Kani, comme en atteste les documents qu'il produit lui-même aux débats. L'appelant ne pouvait se méprendre sur le sens et la portée de cette dernière déclaration, compte tenu de sa clarté et de l'absence de toute mention de la société Kani en qualité de propriétaire de cet hôtel.
Il convient dans ces conditions d'apprécier la disproportion du cautionnement en date du 28 mars 2013, au regard des seules informations fournies par M. [F] [M] à la société BNP Paribas au moyen des fiches de renseignements susviées, en retenant qu'il est propriétaire d'un hôtel situé à [Localité 4], conformément à ses déclarations.
Il ressort des fiches de renseignements que M. [F] [M] a déclaré s'être précédemment porté caution en 2007 en faveur de la société Kani, au titre d'un prêt immobilier contractée par celle-ci auprès de la société HSBC, dans la limite de 1 800 000 euros pour une durée de cinq ans.
Au vu de ce qui précède, M. [F] [M] ne rapporte pas la preuve que le cautionnement donné le 28 mars 2013, dans la limite de 60 000 euros, serait disproportionné à ses biens et revenus. Il apparaît en effet que son patrimoine mobilier et immobilier, déduction faite du solde de l'emprunt déclaré pour le financement de l'hôtel de [Localité 4] (1 400 000 euros) s'évalue au total à 3 090 000 euros. Celui-ci lui permet de faire face, en cas de défaillance du débiteur principal, tant au présent cautionnement limité à 60 000 euros, qu'à celui donné précédemment au profit de la société HSBC, à hauteur de 1 800 000 euros.
Il convient par conséquent d'infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté la société BNP Paribas de sa demande en paiement, après avoir considéré que le cautionnement litigieux présentait un caractère disproportionné aux biens et revenus de l'intimé.
- Sur la demande de dommages-intérêts formée par M. [F] [M] :
M. [F] [M] étant déboutée de sa demande formée au titre de la disproportion du cautionnement, sa demande de dommages-intérêts formée au titre de la réparation d'un préjudice moral qui serait né des poursuites judiciaires exercées par la société BNP Paribas à son encontre en vue du recouvrement de sa créance née de son engagement de caution ne peut prospérer.
- Sur la créance de la société BNP Paribas :
Conformément au un décompte arrêté au 8 octobre 2021 qui n'est pas contesté par l'intimé, la créance de la société BNP Paribas, au titre du cautionnement en date du 28 mars 2013, s'élève à la somme justifiée de 38 978,89 euros, se décomposant comme suit :
- principal : 37 549,60 euros
- intérêts : 1 429,29 euros.
En conséquence M. [F] [M] est condamné à payer à la société BNP Paribas la somme principale de 38 978,89 euros, majorée des intérêts au taux légal courant à compter du 8 octobre 2021 (dans la limite de 60 000 euros).
- Sur les demandes accessoires :
M. [F] [M] est condamné aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel. Il est débouté de ses demandes formées au titre des frais irrépétibles de procédure exposés devant le tribunal de commerce de Nancy et la cour.
M. [F] [M] est condamné à payer à la société BNP Paribas la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure exposés en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté M. [F] [M] de sa demande de dommages-intérêts ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant :
Déboute M. [F] [M] de sa demande tendant à la disproportion du cautionnement en date du 28 mars 2013 ;
Condamne M. [F] [M] à payer à la société BNP Paribas la somme principale de 38 978,89 € (trente huit mille neuf cent soixante dix huit euros et quatre vingt neuf centimes), majorée des intérêts au taux légal courant à compter du 8 octobre 2021 (dans la limite de 60 000 euros) ;
Déboute M. [F] [M] de ses demandes formées au titre des frais irrépétibles de procédure exposés en première instance et en cause d'appel ;
Condamne M. [F] [M] à payer à la société BNP Paribas la somme 3 000 € (trois mille euros) au titre des frais irrépétibles de procédure exposés en première instance et en cause d'appel ;
Condamne M. [F] [M] aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrice BOURQUIN Président de Chambre, à la Cour d'Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en huit pages.