ARRÊT N° /2023
PH
DU 09 FEVRIER 2023
N° RG 21/02956 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E4NW
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EPINAL
20/00113
17 novembre 2021
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2
APPELANTE :
S.A.S. [4] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 8]
[Localité 3]
Représentée par Me Olivier GIRARDOT de la SELARL SENTINELLE AVOCATS, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
Madame [X] [E]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Barbara VASSEUR de la SCP VASSEUR PETIT, avocat au barreau de NANCY, substituée par Me MARTINET, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président : WEISSMANN Raphaël
Conseiller : STANEK Stéphane
Greffier : RIVORY Laurène (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 08 Décembre 2022 tenue par WEISSMANN Raphaël, Président, et STANEK Stéphane, Conseiller, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en ont rendu compte à la Cour composée de Raphaël WEISSMANN, Jean-Baptiste HAQUET, présidents,et Stéphane STANEK, conseiller, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 02 Février 2023; puis à cette date le délibéré a été prorogé au 09 Février 2023 ;
Le 09 Février 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES
Madame [X] [E] a été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société [7] du groupe [5] à compter du 08 février 2008 avec une prise de poste au 28 avril 2008, en qualité de conseillère financier et déléguée vente aux entreprises.
La convention collective nationale des services de l'automobile s'applique au contrat de travail.
A compter de mars 2018, la société [7] a été racheté par le groupe [4] sous le nom commercial S.A.S [4].
Madame [X] [E] a été placé en arrêt de travail à compter du 01 décembre 2017, renouvelé de manière continue.
Par décision du 01 août 2019 du médecin du travail, dans le cadre d'une visite de reprise, la salariée a été déclarée inapte à son poste de travail, avec dispense pour la société [4] de toute recherche de reclassement dans la société et les succursales du groupe [4].
Par courrier du 11 octobre 2019, la société S.A.S [4] a proposé sept postes de reclassement à la salariée, qu'elle a refusé.
Par courrier du 24 octobre 2019, elle a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 08 novembre 2019, auquel elle ne s'est pas présenté.
Par courrier du 14 novembre 2019, Madame [X] [E] a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
Par décision du 26 octobre 2020, la CPAM des Vosges a reconnu l'origine professionnelle de la pathologie de la salariée et de sa prise en charge au titre de la législation des risques professionnels.
Par requête initiale du 23 juillet 2020, Madame [X] [E] a saisi le conseil de prud'hommes d'Epinal aux fins :
** A titre principal :
- de dire et juger que son licenciement pour inaptitude est en lien avec le harcèlement moral et/ou le harcèlement sexuel qu'elle a subi,
- de dire et juger que son licenciement pour inaptitude est nul,
- de condamner la société S.A.S [4] à lui payer la somme de 51 670,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
** A titre subsidiaire :
- de dire et juger que son licenciement pour inaptitude est dû aux agissements fautifs de son employeur ou de son représentant,
- de dire et juger que son licenciement pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse,
- de condamner la société S.A.S [4] à lui payer la somme de 45 211,63 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*
En tout état de cause :
- de dire qu'elle a été victime d'actes de harcèlement moral et /ou sexuel au sein de la société S.A.S [4],
- de condamner la société S.A.S [4] à lui verser les sommes suivantes :
- 20 000,00 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral et/ou sexuel,
- 10 715,18 euros de reliquat d'indemnité spéciale de licenciement,
- 14 917,23 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires du fait de la nullité de la convention de forfait jours,
- 1 491,72 euros de congés payés afférents au rappel d'heures supplémentaires,
- 1 979,50 euros au titre des repos compensateurs obligatoires afférents aux heures supplémentaires,
- 25 835,22 euros pour travail dissimulé,
- 3 500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal rendu le 17 novembre 2021, lequel a :
- dit et jugé recevables et bien fondées les demandes formulées par Madame [X] [E],
- dit et jugé que le licenciement pour inaptitude est en lien avec le harcèlement moral et le harcèlement sexuel subis par Madame [X] [E],
- dit et jugé que le licenciement pour inaptitude de Madame [X] [E] est nul,
- condamné la société S.A.S [4] à verser à Madame [X] [E] les sommes suivantes :
- 51 670,44 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 10 715,18 euros nets au titre du reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement,
- dit que Madame [X] [E] a été victime de harcèlement moral et sexuel au sein de la société,
- condamné la société S.A.S [4] au paiement de la somme de 20 000,00 euros à titre de dommages et intérêts,
- dit que la convention de forfait jours de Madame [X] [E] est nulle,
- condamné la société S.A.S [4] à verser à Madame [X] [E] les sommes suivantes :
- 14 917,23 euros bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,
- 1 491,72 euros bruts à titre de congés payés sur heures supplémentaires,
- 1 979,50 euros nets au titre du repos compensateur obligatoire du au titre des heures supplémentaires pour l'année 2017,
- débouté Madame [X] [E] de sa demande au titre du travail dissimulé,
- condamné la société S.A.S [4] à remettre à Madame [X] [E] l'attestation Pôle Emploi et le solde de tout compte rectifiés et le bulletin de paie afférent au solde de tout compte,
- dit qu'il n'y a pas lieu à astreinte,
- condamné la société S.A.S [4] au paiement de la somme de 3 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement à venir suivant l'article 515 du code de procédure civile,
- rappelé qu'en application des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaires pour les sommes visées à l'article R.1454-14 du code du travail, calculés sur la moyenne des trois derniers fixée à 3 882,11 euros,
- dit qu'il n'y a pas lieu à capitalisation des intérêts légaux,
- ordonné en application de l'article L.1235-4 du code du travail le remboursement par la société [4] fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, en l'espèce 2 mois,
- débouté la société S.A.S [4] de l'ensemble de ses demandes,
- dit qu'il appartient à la société S.A.S [4], employeur actuel, de poursuivre la société [7] du groupe [5], ancien employer, à relever et garantir intégralement pour obtenir toutes condamnations en principal, frais et intérêts, mises à sa charge par le présent jugement,
- condamné la société S.A.S [4] aux entiers dépens.
Vu l'appel formé par la société S.A.S [4] le 17 décembre 2022,
Par conclusions d'incident déposées sur le RPVA le 30 mai 2022, Madame [X] [E] a sollicité la radiation de l'instance pour défaut d'exécution du jugement.
Vu l'ordonnance d'incident rendue le 08 septembre 2022, laquelle a :
- constaté le désistement d'incident de la part de Madame [X] [E],
- laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens, sauf meilleur accord,
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 21 septembre 2022 pour les conclusions de la société S.A.S [4].
Vu l'article 455 du code de procédure civile,
Vu les conclusions de société S.A.S [4] déposées sur le RPVA le 20 septembre 2022, et celles de Madame [X] [E] déposées sur le RPVA le 30 mai 2022,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 09 novembre 2022,
La société S.A.S [4] demande :
- d'infirmer le jugement rendu le 17 novembre 2021 par le conseil de prud'hommes d'Epinal en ce qu'il a :
- dit et jugé recevables et bien fondées les demandes formulées par Madame [X] [E],
- dit et jugé que le licenciement pour inaptitude est en lien avec le harcèlement moral et le harcèlement sexuel subis par Madame [X] [E],
- dit et jugé que le licenciement pour inaptitude de Madame [X] [E] est nul,
- condamné la société S.A.S [4] à verser à Madame [X] [E] les sommes suivantes :
- 51 670,44 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 10 715,18 euros nets au titre du reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement,
- dit que Madame [X] [E] a été victime de harcèlement moral et sexuel au sein de la société,
- condamné la société S.A.S [4] au paiement de la somme de 20 000,00 euros à titre de dommages et intérêts,
- dit que la convention de forfait jours de Madame [X] [E] est nulle,
- condamné la société S.A.S [4] à verser à Madame [X] [E] les sommes suivantes :
- 14 917,23 euros bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,
- 1 491,72 euros bruts à titre de congés payés sur heures supplémentaires,
- 1 979,50 euros nets au titre du repos compensateur obligatoire du au titre des heures supplémentaires pour l'année 2017,
- condamné la société S.A.S [4] à remettre à Madame [X] [E] l'attestation Pôle Emploi et le solde de tout compte rectifiés et le bulletin de paie afférent au solde de tout compte,
- condamné la société S.A.S [4] au paiement de la somme de 3 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement à venir suivant l'article 515 du code de procédure civile,
- rappelé qu'en application des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaires pour les sommes visées à l'article R.1454-14 du code du travail, calculés sur la moyenne des trois derniers fixée à 3 882,11 euros,
- ordonné en application de l'article L.1235-4 du code du travail le remboursement par La société [4] fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, en l'espèce 2 mois,
- débouté la société S.A.S [4] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société S.A.S [4] aux entiers dépens,
- de confirmer le jugement rendu le 17 novembre 2021 par le conseil de prud'hommes d'Epinal en ce qu'il a :
- débouté Madame [X] [E] de sa demande au titre du travail dissimulé,
- dit qu'il n'y a pas lieu à astreinte,
- dit qu'il n'y a pas lieu à capitalisation des intérêts légaux,
*
Statuant à nouveau :
- de dire et juger que le licenciement de Madame [X] [E] est fondé,
- de débouter Madame [X] [E] de l'ensemble de ses prétentions et demandes,
- de condamner Madame [X] [E] à verser une somme de 1 500,00 euros à la société S.A.S [4] par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Madame [X] [E] aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
Madame [X] [E] demande :
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal du 17 novembre 2021,
En conséquence :
*
Sur le licenciement
** A titre principal :
- de dire et juger que le licenciement pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement est en lien avec le harcèlement moral et/ou le harcèlement sexuel subis par Madame [X] [E],
- de dire et juger que le licenciement pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement de Madame [X] [E] est nul,
- de condamner la société S.A.S [4] au paiement de la somme de 51 670,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
** A titre subsidiaire :
- de dire et juger que le licenciement pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement de Madame [X] [E] est dû aux agissements fautifs de La société [4] ou de son représentant,
- de dire et juger que le licenciement pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement de Madame [X] [E] est sans cause réelle et sérieuse,
- de condamner la société S.A.S [4] au paiement de la somme de 45 211,63 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*
En tout état de cause :
- de condamner la société à verser à Madame [X] [E] la somme de 10 715,18 euros au titre du reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement,
- de dire et juger que Madame [X] [E] a été victime d'actes de harcèlement moral et/ou sexuel au sein de la société de la part de ses supérieurs hiérarchiques,
- de condamner la société S.A.S [4] au paiement de la somme de 20 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral/sexuel,
- de dire et juger que la convention de forfait jours sur l'année de Madame [X] [E] est nulle,
- de condamner la société S.A.S [4] au paiement des sommes suivantes :
- 14 917,23 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,
- 1 491,72 euros à titre de congés payés y afférents,
- 1 979,50 euros nets au titre du repos compensateur obligatoire du au titre des heures supplémentaires pour l'année 2017,
- 25 835,22 euros au titre du travail dissimulé,
- de condamner la société S.A.S [4] à remettre à Madame [X] [E] l'attestation Pôle emploi et le solde de tout compte rectifiés et le bulletin de paie afférent au solde de tout compte sous astreinte de 20 euros par document et par jour de retard,
- de condamner la société S.A.S [4] au paiement de la somme de 3 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- d'ordonner la capitalisation des intérêts légaux,
- de condamner la société aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR
Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières conclusions de société S.A.S [4] déposées sur le RPVA le 20 septembre 2022, et à celles de Madame [X] [E] déposées sur le RPVA le 30 mai 2022.
Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et sexuel :
Madame [X] [E] fait valoir que les faits de harcèlement moral et sexuel qu'elle a subis ont entraîné son arrêt de travail à compter du 1er décembre 2017 (pièce n° 19) et son affection a été reconnue comme maladie professionnelle par la CPAM (pièces n° 19, 20 et 22).
Madame [X] [E] indique qu'elle a subi de la part de la direction, incarnée par ses supérieurs hiérarchiques, Messieurs [H] et [M] « une violence psychologique constante, des brimades quotidiennes ainsi que des humiliations récurrentes devant tous les collègues de travail ».
Elle indique que la direction a exercé sur elle et ses collègues une pression incessante et disproportionnée pour l'accomplissement des objectifs commerciaux ; que cette pression s'est traduite par de continuelles demandes, notamment par courriels, d'explications sur ces objectifs, des réprimandes, des critiques et des menaces (pièces n° 4 à 17).
Elle indique également que les salariés, dont elle-même, étaient soumis à des « enquêtes mystères » menées par des sociétés externes se faisant passer pour des clients (pièce n° 59).
Madame [X] [E] explique que cette pression continue l'a amenée à réaliser des heures de travail au-delà du seuil légal et à renoncer à une partie de ses congés, notamment en 2013 et 2014 (pièce n° 10).
Cet état de fait l'a conduite à un état de stress ayant finalement entraîné son arrêt maladie (pièces n° 18 et 59).
Madame [X] [E] produit des attestations d'anciens collègues faisant état de conditions de travail très dégradées en raison du management (pièces n° 31 et 32).
Madame [X] [E] fait également état de harcèlement sexuel subi de la part de l'un de ses supérieurs, Monsieur [H].
Elle produit des attestations d'anciens collègues en ce sens (pièces n° 31 à 33) et indique qu'une autre ancienne salariée, Madame [Y] a également été victime de harcèlement sexuel et a dû quitter la société (pièces n° 34).
Elle demande la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.
La société [4] précise que « par acte en date du 08 janvier 2018, les titres détenus par la Société [4] anciennement dénommée [7] ont été cédés de sorte que l'actionnariat de la Société a été modifié ainsi que la direction de la société ».
La société [4] fait valoir que l'arrêt de travail initial de Madame [X] [E] et ses prolongations ne mentionnaient pas de caractère professionnel de sa maladie ; que ce n'est qu'en août 2019 que la salariée a demandé la reconnaissance de ce caractère professionnel (pièce n° 18) ; que la décision en ce sens du 26 octobre 2020 (pièce n° 19) ne s'impose pas la cour ; qu' aucun document produit par Madame [E] ne relie de manière objective ladite maladie professionnelle au harcèlement invoqué.
Il fait valoir que la motivation de Madame [X] [E] est « de battre monnaie » ; que si ses accusations étaient vraies elle aurait porté plainte contre Monsieur [M] et Monsieur [H] ; que ses accusations sont mensongères ; qu'en 9 ans de collaboration, elle n'a jamais lancé d'alerte et notamment pas auprès de son employeur ; que les courriels qu'elle produit ne lui ont pas été personnellement adressés et ne concernent que des fautes professionnelles et des dérives relevées par la direction (pièces n° 12 et 13) ; que Madame n'en produit qu'un nombre limité sur une période de trois ans.
La société [4] fait également valoir que les pièces médicales produites par Madame [X] [E] ne peuvent être retenues, les médecins les ayant rédigés n'ayant pu constater sur le lieu de travail les faits de harcèlement et ayant ainsi manqué à leur déontologie professionnelle.
Motivation :
Aux termes des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si la société [4] prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si la société [4] prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il ressort de l'analyse des courriels de la direction, produits par Madame [X] [E], que leur contenu était de nature à exercer une pression indue sur l'ensemble des vendeurs, par leur nature menaçante, cassante, discourtoise et comminatoire (pièces n° 6, 7, 8, 11, 12, 13, 14, 15, 16 et 17).
A cet égard, la cour relève l'utilisation, dans des messages, dont Madame [X] [E] figurait parmi les destinataires, d'expressions telles que « le téléphone n'est pas un outil vénéneux donc il n'y aucun risque à le décrocher (') C'est l'affaire de toutes et tous. Je ferai des contrôles tout l'été, même depuis mon lieu de vacance » ; « je me passerai de tous vos commentaires » ; « comme d'habitude c'est l'entreprise qui paie. Donc MOI » ; « c'est totalement débile » ; « mais à priori je me suis mal exprimé ou certains ne me prennent pas encore au sérieux » ; « faites juste preuve de courage et non de lâcheté » ; « je n'accepterai pas de ne pas atteindre ce critère. A vous de respecter NOS demandes. Salutations » ; « je commence à en avoir marre » ; « si les conditions de travail ne vous correspondent plus alors la porte est ouverte » ; « je n'accepterai plus une telle désorganisation. Il n'y a pas de climat vosgien (') JE ne supporte pas pour ma part de chantage » ; « c'est INSOUTENABLE de lire de tels propos de clients ('). Je vais finir par installer un algeco ou vous irez à tour de rôle assurer une permanence. C'est le dernier message de ce genre que le lis » ; « je pense que votre attitude à l'égard de l'entreprise et donc de moi-même fait preuve d'un profond manque de respect. C'est juste inacceptable et une honte pour la marque que vous représentez, une honte de travailler pareillement ( '). De retour à [Localité 6] je consulte notre avocat pour savoir quelles sanctions financières je peux mettre en place dès lundi matin à votre encontre et croyez-moi je mettrai tous les moyens en 'uvre ».
Il ressort des attestations d'anciens salariés de la concession y ayant travaillé entre 2015 et 2017, que les conditions de travail étaient « très difficiles et éprouvantes » en raison de la pression exercée par la hiérarchie, des horaires de travail, des moqueries et des dévalorisation en présence de collègues et de confrères (pièce n° 31), faisant état d'« énormément de stress, de pression, de peur de la direction » et d'horaires de travail « très soutenus » (pièce n° 32).
S'agissant des faits de harcèlement sexuel, Monsieur [B] témoigne avoir vu Madame [X] [E] être victime « d'attouchements à caractère sexuel » de la part de Monsieur [H], l'avoir entendu prononcer à son égard les paroles suivantes : « chienne vient dans mon bureau ; j'ai envie de toi » et l'avoir entendu à un collègue « je vais me la faire » (pièce n° 31) ; Monsieur [D] indique que « Monsieur [H] n'arrêtait pas d'embêter [X], il lui demandait de monter dans son bureau et c'est là que j'ai vu lui mettre une main aux fesses. J'ai entendu [R] [H] dire à [W] [I] que [X] [E] était sa chienne et de la traiter de pute ». Il ajoute qu'après avoir appris son arrêt maladie, Monsieur [H] a déclaré « la connasse, elle a fait exprès » (pièce n° 32) ; Monsieur [C] [L] atteste que Monsieur [H] avait harcelé sexuellement une autre salariée, [K] [Y] qu'il avait ensuite harcelé Madame [X] [E] et qu'il l'avait vu « venir se frotter et avoir des mains baladeuses » sur elle. Il précise que Monsieur [M] lui avait demandée « de nier toute forme de harcèlement sexuel auprès de Madame [K] [Y] en cas d'enquête (pièce n° 33) ; Madame [K] [Y] atteste avoir subi des propos irrespectueux et déplacés à caractère sexuel de la part de Monsieur [H] (pièce n° 34).
Il ressort également de la pièce n° 10 de l'intimée que cette dernière a renoncée à prendre des congés à la demande de sa direction.
Madame [X] [E] produit des certificats d'arrêt de travail de 2017 à 2019 faisant état « d'épuisement professionnel », de « dépression », d'« épuisement psychique », d'«humeur dépressive, anxiété massive, troubles du sommeil, troubles cognitifs, anticipation anxieuse consécutif à un stress post-traumatique » et de traitement par anxiolytique et antidépresseur (pièce n° 19).
Elle produit également des fiches d'aptitude rédigées par le médecin du travail faisant état de la nécessité d'une « prise en charge psychothérapeutique +++ » et de son orientation « en psychologie du travail » (pièce n° 21), indiquant : « initiation de mise en affection longue durée justifiée ainsi que déclaration en maladie professionnelle » (pièce n° 22).
Il résulte de deux attestations rédigées en 2019 du médecin psychiatre traitant Madame [X] [E], « que son état de santé psychologique ne lui permet pas la reprise de son activité professionnelle » et que cet état « peut être mis en relation avec un état de stress post-traumatique » (pièces n° 35 et 36) ; d'un certificat médical de son médecin traitant que Madame [X] [E] est suivie depuis le 1er décembre 2017 pour un « épuisement psychique professionnel » (pièce n° 38).
Madame [X] [E] produit aussi un examen psychiatrique réalisé par un expert psychiatre agréé par la cour d'appel et la Cour de cassation, lequel note ses propos sur sa souffrance au travail et conclut à « l'évolution active de troubles dysthymiques de nature dépressive et surtout anxieuse de son économie intrapsychique. Madame [X] [E] se trouve dans l'incapacité de se projeter dans une quelconque forme d'avenir, tout au plan personnel que professionnel, décrivant et déplorant un vécu de marasme existentiel, de pénibilité affective, rencontrant de surcroît des difficultés pour se concentrer et fixer durablement son attention. L'appareil psychique se trouve effectivement parasité et compromis par l'évolution de sentiment actif et douloureux de culpabilité et de honte, affect négatif habituellement rencontré dans la dynamique psychique des victimes de violences sexuelles. On observe également un effondrement de l'estime de soi. L'expert conclut à une déclaration de maladie professionnelle avec un taux d'IPP résiduelle susceptible d'atteindre 25 % » et impossibilité de reprendre une quelconque activité professionnelle sur son lieu de travail (pièce n° 39).
Madame [X] [E] produit enfin l'avis de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie, rendu par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles rendues, notamment à la suite de cet examen (pièce n° 64 et 65).
Ces faits, pris dans leur ensemble, ainsi que les pièces médicales produites font présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral et sexuel dont Madame [X] [E] a été victime.
La société [4] ne justifie par aucun fait précis le management de la direction de la concession, contraire à la dignité des salariés et fondé sur la peur, se contentant d'indiquer généralement que les courriels « ne concernent que des fautes professionnelles et des dérives relevées par la direction ».
Elle ne démontre pas non plus le respect de l'obligation qu'avait l'employeur d'assurer la sécurité de la santé de la salariée, notamment par la mise en place de mesures de prévention du harcèlement moral et sexuel.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que Madame [X] [E] a été victime de harcèlements moral et sexuel.
En conséquence la société [4] sera condamnée à verser à madame [X] [E] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement nul :
Il résulte de ce qui précède que le harcèlement moral et sexuel subi par Madame [X] [E] est à l'origine de son inaptitude professionnelle, en conséquence de quoi son licenciement sera déclaré nul, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.
Madame [X] [E] fait valoir qu'elle est chargée de famille, sans emploi dans un secteur géographique de chômage, qu'elle est dans l'impossibilité psychologique de travailler à nouveau dans le secteur automobile, qu'elle est âgée de 55 ans et qu'elle a perdu une partie importante de son revenu (pièces n° 43 à 46 de l'intimée).
Elle réclame en conséquence une indemnisation d'un montant de 51 670,44 euros, correspondant à 12 mois de salaire.
La société [4] fait valoir que Madame [X] [E] ne justifie d'aucun préjudice, qu'elle exerce une activité de vente à domicile depuis 2016 et qu'elle est vice-présidente d'une association culturelle depuis janvier de 2020 (pièces n° 25 à 28 de l'appelante).
Motivation
Compte-tenu de la situation matérielle et psychologique de Madame [X] [E], de son ancienneté et de son âge, la société [4] devra lui verser la somme de 51 670,44 euros à titre d'indemnisation pour licenciement nul. Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé sur ce point.
Sur le reliquat d'indemnité spéciale de licenciement :
Madame [X] [E] fait valoir que son inaptitude étant la conséquence d'une maladie professionnelle, ce dont la société [4] avait connaissance au moment de son licenciement, lui ouvre le droit à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité légale de licenciement.
Elle indique qu'elle avait ainsi droit à une indemnité de 24 060,18 euros, calculée sur la base d'un salaire de référence de 3882,11 euros ; que la société [4] ne lui ayant versé que la somme de 13 345 euros, il lui reste redevable d'un reliquat de 10 715,18 euros.
La société [4] ne conclut pas sur cette demande.
Motivation :
C'est par une juste appréciation des faits et du droit que le conseil de prud'hommes, dont la cour adopte les motifs, a condamné la société [4] à verser à Madame [X] [E] la somme demandée de 10 715,18 euros.
Sur la nullité de convention de forfait en jours sur l'année :
Madame [X] [E] fait valoir qu'elle n'a jamais bénéficié d'entretien individuel sur sa charge de travail.
La société [4] ne conclut pas sur ce point.
Motivation :
La société [4] ne conteste pas l'existence d'une convention de forfait en jours sur l'année.
Elle ne conteste pas non plus qu'aucun entretien individuel d'évaluation de la charge de travail de Madame [X] [E] n'a été organisé pendant le durée de son emploi au sein de la société, contrevenant ainsi aux dispositions de l'article 4.06 de la convention collective nationale des services de l'automobile selon lesquelles « les entreprises sont tenues d'assurer un suivi individuel régulier des salariés concernés et sont invitées à mettre en place des indicateurs appropriés de la charge de travail ».
En conséquence la convention n'est pas opposable, de sorte que le décompte de la durée du travail doit être fait selon les règles de droit commun, soit 35 heures par semaine.
Sur la demande de rappel de paiement d'heures supplémentaires :
Madame [X] [E] produit un décompte de ses horaires de travail de novembre 2016 à décembre 2017, duquel il résulte qu'elle a accompli 342,50 heures supplémentaires ouvrant droit à une majoration de 25% et 65 heures supplémentaires ouvrant droit à une majoration de 50% (pièce n° 48). Elle réclame en conséquence le paiement de 14 917,23 euros, outre 1419,17 euros au titre des congés payés.
La société [4] fait valoir qu'il n'a jamais été demandé à Madame [X] [E] de travailler en dehors de ses heures de travail et que le décompte produit par Madame [E] est faux, notamment en ce que Madame [X] [E] demande le paiement d'heures de travail les dimanches 18 juin 2017 et 17 septembre 2017, alors qu'elles lui ont été réglées, comme le démontre ses bulletins de salaire (pièces n° 23 et 24).
Motivation :
Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1 du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
La cour constate que Madame [X] [E] a fourni, sous forme de tableaux récapitulatifs, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle dit avoir accomplies (pièce n° 48 de l'intimée).
Ils permettent à la société [4] d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments, étant rappelé qu'en tant qu'employeur elle a l'obligation de mettre en place un système permettant de comptabiliser les heures de travail accomplies par chacun de ses salariés.
En l'espèce, la cour constate que la société [4] ne produit aucun décompte de la durée de travail de Madame [X] [E] pendant la période considérée.
En conséquence, la société [4] sera condamnée à verser à Madame [X] [E] les sommes de 14 917,23 euros, outre 1491,72 euros au titre des congés payés.
Sur le repos compensateur obligatoire au titre de l'année 2017 :
Madame [X] [E] indique avoir réalisé 359,50 heures supplémentaires au cours de l'année 2017, alors que le contingent annuel est de 220 heures. Elle réclame en conséquence le versement d'une somme de 1979,50 euros au titre des repos compensateurs qu'elle n'a pu prendre.
La société [4] ne conclut pas sur cette demande.
Motivation :
Il résulte du tableau récapitulatif produit par Madame [X] [E], qu'elle a accompli 359,50 heures supplémentaires au cours de l'année 2017, le contingent annuel d'heures supplémentaire étant de 220 heures
La société [4] ne contestant pas à titre subsidiaire les modalités de calcul de la somme demandée au titre du repos compensateur, elle devra verser à Madame [X] [E] la somme de 1979,50 euros, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.
Sur la demande d'indemnisation pour travail dissimulé :
La cour constate que si dans les motifs de ses conclusions, Madame [X] [E] réclame à ce titre la somme de 25 835,22 euros, elle demande dans le dispositif la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes « en toutes ses dispositions ». Or le conseil de prud'hommes l'a déboutée de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé.
En conséquence, le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé sur ce point.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :
La société [4] devra verser à Madame [X] [E] la somme de 3500 euros au titre des frais irrépétibles et sera déboutée de sa propre demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'EPINAL le 17 Novembre 2021 en ses dispositions soumises à la cour en ce qu'il a condamné la SAS [4] à rembourser à Pôle Emploi 2 mois d'indemnités chômage versées à Madame [X] [E] ;
CONFIRME pour le surplus le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'EPINAL le 17 Novembre 2021 en ses dispositions soumises à la cour,
Y AJOUTANT
Condamne la société [4] à verser à Madame [X] [E] la somme de 3500 euros (trois mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société [4] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société [4] aux entiers dépens.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
Minute en quinze pages