ARRÊT N° /2023
SS
DU 07 FEVRIER 2023
N° RG 22/01520 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FACJ
Pole social du TJ de NANCY
21/150
01 juin 2022
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANTE :
Société [5] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentée par Me Antony VANHAECKE de la SELARL CEOS AVOCATS, avocat au barreau de LYON
Dispensée de comparaitre
INTIMÉE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE MEURTHE ET MOSELLE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Mme [H] [R], régulièrement munie d'un pouvoir de représentation
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président : Mme BUCHSER-MARTIN
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier : Madame TRICHOT-BURTE (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 04 Janvier 2023 tenue par Mme BUCHSER-MARTIN, magistrat chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric HENON, président, Dominique BRUNEAU et Catherine BUCHSER-MARTIN, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 07 Février 2023 ;
Le 07 Février 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
FAITS ET PROCÉDURE :
Monsieur [U] [I] était salarié de la SAS [5] à compter du 4 février 1990. Il a été embauché en qualité de mécanicien poids lourds et a occupé ensuite les postes de chef d'équipe, chef de garage, chef d'atelier puis responsable parc et atelier du 1er juillet 1995 au 29 mai 2020.
Le 27 avril 2020, il a transmis à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle (ci-après dénommée la caisse) une déclaration de maladie professionnelle, accompagnée d'un certificat médical initial établi le 28 janvier 2020 par le docteur [G] faisant état notamment d'une « surdité dont l'origine traumato-sonore est quasi certaine ».
La caisse a instruit la demande dans le cadre du tableau n° 42 des maladies professionnelles.
Le 19 mai 2020, elle a transmis à la SAS [5] la déclaration de maladie professionnelle, a invité l'employeur à compléter le questionnaire disponible en ligne, lui a indiqué qu'elle aura la possibilité de consulter en ligne les pièces du dossier et de formuler ses observations du 17 au 28 août 2020, que la décision sera rendue au plus tard le 7 septembre 2020 et que le dossier restera consultable jusqu'à sa décision.
Le 29 mai 2020, la SAS [5] a complété en ligne le questionnaire employeur.
Par courrier du 31 août 2020, la caisse a informé la SAS [5] de la transmission de la demande de monsieur [U] [I] au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) au motif que la maladie ne remplit pas les conditions lui permettant de la prendre en charge directement, de sa possibilité de consulter et compléter son dossier en ligne jusqu'au 1er octobre 2020, de la possibilité de transmettre ses observations sans joindre de nouvelles pièces jusqu'au 12 octobre 2020, et de la transmission de la décision après avis du CRRMP au plus tard le 30 décembre 2020.
Par avis du 13 novembre 2020, ledit comité a émis un avis favorable à la prise en charge de la pathologie au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par courrier du 23 décembre 2020, la caisse a informé la SAS [5] de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de monsieur [U] [I].
L'état de santé de monsieur [U] [I] a été déclaré consolidé au 28 janvier 2020.
Par courrier du 9 février 2021, la caisse a fixé le taux d'incapacité permanente partielle de monsieur [U] [I] à 18 % pour une « hypoacousie bilatérale ».
Le 26 février 2021, la SAS [5] a saisi la commission de recours amiable aux fins de voir prononcer l'inopposabilité à son égard de la décision de la caisse de prise en charge de la maladie de monsieur [I] au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par décision du 30 mars 2021, la commission de recours amiable a rejeté son recours.
Le 26 mai 2021, la SAS [5] a saisi le tribunal judiciaire de Nancy aux fins de se voir déclarer inopposable la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie professionnelle déclarée par monsieur [U] [I].
Par jugement RG 21/150 du 1er juin 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Nancy a :
- déclaré le recours de la société [5] recevable
- débouté la société [5] de sa demande d'inopposabilité de la maladie de monsieur [I] du 24 janvier 2020 pour violation du principe du contradictoire dans l'instruction du dossier par la CPAM de MEURTHE et MOSELLE
- sursis à statuer sur le surplus des demandes
- ordonné la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région Hauts de France - Picardie sis CPAM - [Adresse 4] qui devra donner son avis sur la reconnaissance de la maladie « surdité » du 24 janvier 2020 dont souffre monsieur [D] [I] au titre de la législation professionnelle, et dire s'il existe un lien direct de causalité entre la maladie et le travail habituel de la victime
- dit que l'affaire sera rappelée à une nouvelle audience une fois réceptionné cet avis et les parties avisées de la date
- réservé les dépens.
Par acte du 30 juin 2022, la SAS [5] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement en ce qu'il a débouté la société [5] de sa demande d'inopposabilité de la maladie de monsieur [I] du 24 janvier 2020 pour violation du principe du contradictoire dans l'instruction du dossier par la CPAM de MEURTHE et MOSELLE.
L'affaire a été plaidée à l'audience du 4 janvier 2023, à laquelle la SAS [5] a été dispensée de comparaître.
PRETENTIONS DES PARTIES :
Par conclusions reçues au greffe le 23 décembre 2022, la SAS [5] a sollicité ce qui suit :
- déclarer son appel partiel recevable et bien fondé ;
- infirmer le jugement de première instance du 1er juin 2022 du tribunal judiciaire de NANCY en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'inopposabilité de la maladie professionnelle du 24 janvier 2020 déclarée par Monsieur [I] pour violation du principe du contradictoire par la CPAM de Meurthe et Moselle
Statuant à nouveau,
- lui déclarer inopposable la prise en charge, au titre des risques professionnels, la maladie déclarée par monsieur [I] en raison du non-respect au principe du contradictoire
En tout état de cause,
- condamner la CPAM de MEURTHE-ET-MOSELLE aux entiers dépens de l'instance.
La caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle, dument représentée, a repris ses conclusions reçues au greffe le 4 janvier 2023 et a sollicité ce qui suit :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 1er juin 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Nancy
- débouter la société [5] de l'ensemble de ses demandes,
A défaut,
- ordonner une consultation médicale afin de dire si la condition médicale de la pathologie déclarée le 27 avril 2020 par monsieur [U] [B] [I] telle que visée par le tableau 42 des maladies professionnelles est remplie.
Pour l'exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l'audience.
L'affaire a été mise en délibéré au 7 février 2023 par mise à disposition au greffe par application des dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
Sur l'opposabilité de la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle :
Aux termes de l'article L461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Aux termes de l'article R441-14 du même code, le dossier mentionné aux articles R 441-8 et R461-9 constitué par la caisse primaire comprend 1°) la déclaration d'accident du travail ou de maladie professionnelle ; 2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse ; 3°) les constats faits par la caisse primaire ; 4°) les informations communiquées à la caisse par la victime ou ses représentants ainsi que par l'employeur ; 5°) les éléments communiqués par la caisse régionale ou, le cas échéant, tout autre organisme. Il peut, à leur demande, être communiqué à l'assuré, ses ayants droit et à l'employeur. Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l'autorité judiciaire.
-oo0oo-
En l'espèce, la SA [5] fait valoir que la caisse doit démontrer que le constat de la maladie a été fait dans les conditions du tableau n°42. Elle ajoute que l'audiogramme, qui est un élément constitutif de la pathologie, doit nécessairement figurer au dossier constitué par la caisse, qui ne peut se retrancher derrière le secret médical. Elle indique que seule sa communication au stade de l'instruction est valable, au plus tard lors de la consultation du dossier par l'employeur. Elle précise qu'elle doit être en mesure de s'assurer des conditions dans lesquelles l'audiogramme a été réalisé et des résultats de cet examen.
La caisse fait valoir que l'audiogramme est un document de nature médicale qui est couvert par le secret médical et n'a pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la caisse. Elle ajoute qu'il ne fait pas partie des éléments consultables listés par l'article R441-14 du code de la sécurité sociale. Elle indique que le certificat médical initial fait état de ce que le bilan auditif a été effectué selon les conditions du tableau 42.
Elle fait également valoir que les services administratifs de la caisse ne disposent pas de cet audiogramme et qu'elle ne peut être contrainte de faire parvenir à l'employeur des informations médicales concernant son salarié. Elle ajoute que le droit au respect du secret médical et le droit à une procédure contradictoire doivent coexister de manière à ce qu'aucun ne soit atteint dans sa substance, cet équilibre étant réalisé lorsque l'employeur peut solliciter du juge la désignation d'un médecin expert indépendant à qui sera remis le dossier médical du salarié. Elle précise que l'employeur n'a pas montré sa volonté de consulter l'audiogramme et n'a pas demandé sa communication par l'intermédiaire d'un médecin.
-oo0oo-
Monsieur [I] a déclaré la maladie « surdité » et la caisse a instruit cette maladie au titre du tableau n°42 des maladies professionnelles intitulé « atteinte auditive provoquée par les bruits lésionnels ».
La maladie prévue par ce tableau est décrite ainsi qu'il suit : « Hypoacousie de perception par lésion cochléaire irréversible, accompagnée ou non d'acouphènes. Cette hypoacousie est caractérisée par un déficit audiométrique bilatéral, le plus souvent symétrique et affectant préférentiellement les fréquences élevées. Le diagnostic de cette hypoacousie est établi :
- par une audiométrie tonale liminaire et une audiométrie vocale qui doivent être concordantes ;
- en cas de non-concordance : par une impédancemétrie et recherche du reflexe stapédien ou, à défaut, par l'étude du suivi audiométrique professionnel.
Ces examens doivent être réalisés en cabine insonorisée, avec un audiomètre calibré.
Cette audiométrie diagnostique est réalisée après une cessation d'exposition au bruit lésionnel d'au moins 3 jours et doit faire apparaître sur la meilleure oreille un déficit d'au moins 35 dB. Ce déficit est la moyenne des déficits mesurés sur les fréquences 500, 1 000, 2 000 et 4 000 Hertz.
Aucune aggravation de cette surdité professionnelle ne peut être prise en compte, sauf en cas de nouvelle exposition au bruit lésionnel ».
La fiche colloque médico administratif établie le 29 juillet 2020 par le médecin conseil de la caisse indique que les conditions médicales réglementaires sont remplies et précise que l'examen prévu au tableau, à savoir un audiogramme du docteur [G] du 24 janvier 2020, a été réceptionné le 24 février 2020.
La caisse ne conteste pas l'absence de communication de cet audiogramme à l'employeur dans le cadre de l'instruction du dossier de maladie professionnelle, alors même que les modalités de constat du déficit audiométrique sont un élément constitutif de la maladie inscrite au tableau 42 et qu'il appartient à la caisse de démontrer que la pathologie déclarée est conforme à celle décrite au tableau (civ. 2e 19 septembre 2019 n° 18-19993 P), et que l'audiogramme étant un élément constitutif de la maladie au même titre que le certificat médical initial, il n'est pas soumis au secret médical (civ 2e 11 octobre 2018 n° 17-18.901).
Par ailleurs, le certificat médical initial du docteur [G], ORL, du 28 janvier 2020 précise que « le bilan auditif effectué au moyen d'un audiogramme calibré dans une cabine insonorisée chez un patient n'ayant pas été exposé au bruit depuis plus de 72 heures nous permet de mettre en évidence une surdité perceptionnelle bilatérale importante avec une perte calculée selon le barème officiel de 36% au niveau de l'oreille droite et de 30% au niveau de l'oreille gauche. L'audiométrie vocale confirme les données de l'audiométrie tonale »
Il en résulte que le diagnostic d'hypoacousie a été réalisé dans des conditions conformes aux exigences du tableau n° 42 des maladies professionnelles.
Néanmoins, la perte auditive est évaluée en pourcentage, alors que le tableau n° 42 prévoit qu'elle doit être mesurée en décibels et en fonction de diverses fréquences.
En conséquence, le certificat médical initial ne permet pas de vérifier que les conditions du tableau relatives à la maladie sont remplies.
Enfin, la caisse, sur laquelle pèse la charge de la preuve de la réunion des conditions du tableau, ne produisant pas l'audiogramme à l'instance, elle est mal fondée à solliciter une expertise médicale aux fins de déterminer que la maladie de monsieur [I] est bien celle visée au tableau n°42 des maladies professionnelles, une telle mesure ne pouvant suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve.
En conséquence, la décision du 23 décembre 2020 de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de monsieur [U] [I] du 28 janvier 2020 sera déclarée inopposable à la SAS [5] et le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
La caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle succombant, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME le jugement RG 21/150 du 1er juin 2022 du pôle social du tribunal judiciaire de Nancy en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
DIT que la décision du 23 décembre 2020 de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie du 28 janvier 2020 de monsieur [U] [I] est inopposable à la SAS [5],
Y ajoutant,
CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Guerric HENON, Président de Chambre, et par Madame Clara TRICHOT BURTE, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
Minute en sept pages