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16/01/2023 | FRANCE | N°21/01756

France | France, Cour d'appel de Nancy, 1ère chambre, 16 janvier 2023, 21/01756


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile



ARRÊT N° /2023 DU 16 JANVIER 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01756 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EZY7



Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de VAL-DE-BRIEY,

R.G.n° 16/00343, en date du 31 mai 2021,



APPELANTE :

S.E.L.A.R.L. SYNERGIA, prise en la personne de son représentant légal, pour ce d

omicilié au siège social, sis [Adresse 1]

Représentée par Me Stéphanie GERARD, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant

Plaidant par Me Damien GRAYO, a...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2023 DU 16 JANVIER 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01756 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EZY7

Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de VAL-DE-BRIEY,

R.G.n° 16/00343, en date du 31 mai 2021,

APPELANTE :

S.E.L.A.R.L. SYNERGIA, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 1]

Représentée par Me Stéphanie GERARD, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant

Plaidant par Me Damien GRAYO, avocat au barreau de METZ

INTIMÉE :

Madame [C] [M], épouse [X]

domiciliée [Adresse 3]

Représentée par Me Wilfrid FOURNIER, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant

Plaidant par Me Vincent GUISO, avocat au barreau de METZ

INTERVENANTE suite à son assignation en appel provoqué :

Madame [W] [I] [B]

domiciliée [Adresse 5]

Représentée par Me Stéphanie GERARD, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant

Plaidant par Me Damien GRAYO, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Octobre 2022, en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, chargé du rapport,

Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 28 Novembre 2022, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. A cette date, le délibéré a été prorogé au 05 Décembre 2022, puis au 16 Janvier 2023.

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 16 Janvier 2023, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Monsieur FIRON, Conseiller, en remplacement de Madame CUNIN-WEBER, Président, régulièrement empêchée, et par Madame PERRIN, Greffier ;

EXPOSÉ DU LITIGE

La SELARL Synergia, dont le siège social est situé [Adresse 1], est une société constituée de médecins spécialistes en cardiologie qui exercent leur activité et administrent la société en plusieurs établissements :

- [Adresse 1],

- [Adresse 2],

- [Adresse 4]).

Madame [C] [M] épouse [X] a intégré la société en qualité d'associée en son établissement de [Localité 8] le 21 juin 2010.

Elle a cessé d'exercer son activité au sein de la société pour s'installer depuis le 1er mars 2014 à moins d'un kilomètre de l'établissement de [Localité 8].

Par ordonnance du 20 avril 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Briey a constaté l'existence d'une contestation sérieuse quant à la validité de la clause de non rétablissement votée par les associés.

Par acte d'huissier en date du 6 avril 2016, la SELARL Synergia a fait assigner Madame [X] devant le tribunal de grande instance de Briey aux fins notamment de :

- condamnation de Madame [X] à cesser toute activité professionnelle de nature médicale qui ne serait pas exercée dans le cadre de la SELARL Synergia et au bénéfice de cette dernière, et ce, sous peine d'une astreinte provisoire de 1000 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir,

- condamnation de Madame [X] à lui payer la somme de 758940,45 euros, à parfaire jusqu'à complète cessation d'activité par Madame [X], majorée des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir, et avec capitalisation des intérêts,

- condamnation de Madame [X] aux dépens et à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 18 mai 2017, le tribunal de grande instance de Metz a notamment prononcé l'annulation partielle de la clause litigieuse en ce qu'elle interdit à Madame [X] de s'intéresser à l'exploitation d'une clientèle médicale en dehors du domaine de la cardiologie ainsi que sur le territoire de Synergia en dehors des seules localités de Hagondange, Mont-Saint-Martin et Forbach, devant constituer le seul périmètre de l'interdiction, sans qu'il y ait lieu à remise en cause de la durée de deux années et du rayon de 20 kilomètres.

Par acte d'huissier en date du 1er juin 2017, Madame [X] a fait assigner en intervention Madame [W] [I]-[B] devant le tribunal de grande instance de Briey, au visa des articles 1988 et 1992 du code civil, aux fins notamment de condamnation de cette dernière à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre elle au titre de la violation de la clause de non-concurrence votée lors de l'assemblée générale du 9 avril 2013 de la SELARL Synergia.

Par ordonnance du 12 juin 2017, cette instance a été jointe à l'instance principale.

Par arrêt du 27 septembre 2018, la cour d'appel de Metz a infirmé le jugement du tribunal de grande instance de Metz du 18 mai 2017 en ce qu'il a prononcé l'annulation partielle de la clause de non réinstallation, au motif qu'il est dans l'intérêt légitime de la société à la fois de dissuader un ancien associé gérant de se réinstaller à proximité de l'un de ses établissements afin d'éviter un risque de concurrence élevé entre spécialistes en cardiologie et de ne pas dissuader un confrère de venir rejoindre la société après le départ d'un associé gérant.

Par jugement contradictoire du 31 mai 2021, le tribunal judiciaire de Val-de-Briey a :

- condamné Madame [X] à payer à la SELARL Synergia la somme de 4507,53 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- débouté la SELARL Synergia du surplus de ses prétentions,

- rejeté l'appel en garantie formé à l'encontre de Madame [I]-[B],

- débouté Madame [I]-[B] de sa demande de dommages et intérêts,

- condamné la SELARL Synergia à payer à Madame [X] la somme de 4000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamné la SELARL Synergia aux dépens de la procédure.

Concernant tout d'abord la clause de non réinstallation, les premiers juges ont rappelé qu'en application de l'ancien article 1134 du code civil, les conventions doivent être exécutées de bonne foi. Ils ont relevé l'imprécision des termes employés dans la convocation à l'assemblée générale du 9 avril 2013 pour en conclure que Madame [X] s'était vue imposer une clause de non rétablissement. Ils ont retenu la révocation de ses fonctions de gérante, la privation de toute rémunération au titre de son activité professionnelle, des accusations infondées de destruction des fichiers informatiques de la SELARL Synergia, une mise à l'écart et un détournement de ses moyens d'exercice professionnel pour en conclure que la SELARL Synergia avait manqué à son obligation de bonne foi et avait obligé Madame [X] à se retirer avant la fin de son préavis. Ils ont donc décidé que la clause de non réinstallation devait être déclarée inopposable à Madame [X].

S'agissant ensuite de la concurrence déloyale alléguée, et en premier lieu du détournement de patientèle, le tribunal a considéré qu'il n'était pas démontré par les éléments avancés par la SELARL Synergia, en ce que le simple fait d'aviser les patients de son départ et de la création d'une nouvelle société n'était pas fautif puisque ces derniers étaient toujours libres de choisir leur cardiologue. Concernant en second lieu le débauchage allégué, les premiers juges ont décidé que les docteurs [T] et [L] n'avaient pas quitté la société à cause de Madame [X]. Ils ont de même considéré que les secrétaires avaient quitté la SELARL Synergia en raison d'une mutation pour Madame [K], d'un licenciement pour Madame [J] et d'une future suppression de son poste pour Madame [F]. Ils ont ajouté que l'emploi de man'uvres fautives susceptibles d'engendrer une désorganisation de la SELARL Synergia n'était pas démontré et que l'embauche des secrétaires n'était donc pas fautive.

Le tribunal a retenu la somme de 928,44 euros concernant les tiers payants pour lesquels il était démontré que Madame [X] avait perçu les honoraires correspondants, outre différentes sommes au titre des primes payées, non contestées par Madame [X], et l'a en conséquence condamnée à payer à la SELARL Synergia la somme de 4507,53 euros.

Il a débouté la SELARL Synergia de sa demande relative au manque à gagner résultant des actes gratuits du 10 février 2014, pour lesquels Madame [X] expliquait l'absence de facturation en raison d'un bug informatique, au motif que les éléments produits étaient insuffisants.

Concernant l'appel en garantie de Madame [I]-[B], ayant voté pour la mise en place d'une clause de non-concurrence au nom de Madame [X] lors de l'assemblée générale du 9 avril 2013, les premiers juges l'ont considéré sans objet pour le rejeter, en raison de l'absence de condamnation de Madame [X] sur le fondement de la clause de non réinstallation.

Ils ont débouté Madame [I]-[B] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive au motif qu'elle ne démontrait pas l'existence d'un acte de malice ou de mauvaise foi de Madame [X].

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 8 juillet 2021, la SELARL Synergia a relevé appel de ce jugement.

Par acte d'huissier du 3 décembre 2021, Madame [X] a fait assigner Madame [I]-[B] dans le cadre d'un appel provoqué.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour sous la forme électronique le 7 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SELARL Synergia et Madame [I]-[B] demandent à la cour, sur le fondement des articles 122 et suivants du code de procédure civile, de l'article 1143 ancien du code civil, de l'article 1833 du code civil, des articles 1343-1 et 1343-2 du code civil, de :

S'agissant de l'appel principal :

- dire et juger recevable et bien-fondé l'appel de la SELARL Synergia à l'encontre du jugement n° RG 16/00343 prononcé le 31 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Briey,

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il n'a accordé à la SELARL Synergia qu'une somme de 4507,53 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement et l'a déboutée du surplus de ses prétentions et demandes de dommages et intérêts ainsi que de celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, à l'encontre de Madame [X],

En conséquence, et par ailleurs statuant à nouveau,

- condamner Madame [X] à payer à la SELARL Synergia une somme de 1769478,97 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir,

- ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

En tout état de cause,

- débouter Madame [X] de l'ensemble de ses demandes,

S'agissant de l'appel provoqué :

- confirmer le jugement attaqué en ce que l'appel en garantie formé à l'encontre de Madame [I]-[B] par Madame [X] a été rejeté mais sans en adopter sa motivation en ce qu'il a fondé ce rejet sur le fait qu'il ait dit n'y avoir lieu à statuer sur cette demande au motif que la demande principale formée par la SELARL Synergia à l'encontre de Madame [X] sur le fondement de la clause de non-réinstallation a été rejetée,

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de Madame [I]-[B] ainsi que celle fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de Madame [X], outre les dépens,

En conséquence, et par ailleurs statuant à nouveau,

- dire et juger irrecevable et subsidiairement mal-fondé et en tout état de cause abusif l'appel en garantie de Madame [X] à l'encontre de Madame [I]-[B],

- débouter Madame [X] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Madame [X] à payer à Madame [I]-[B] une somme de 20000 euros à titre de préjudice pour procédure abusive,

En tout état de cause :

- condamner Madame [X] à payer à la SELARL Synergia et Madame [I]-[B], chacune, une somme de 6000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance outre 5000 euros au titre de ceux d'appel,

- condamner Madame [X] aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel, procédures principales et appels en garantie inclus.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour sous la forme électronique le 30 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [X] demande à la cour de :

Sur l'appel principal,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

Subsidiairement, en cas d'infirmation,

- débouter la SELARL Synergia de toutes ses demandes,

- condamner la SELARL Synergia à lui verser la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel,

- ordonner le partage des dépens au prorata des condamnations effectivement prononcées à son encontre,

Sur l'appel provoqué, sur le fondement de l'article 550 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Briey en ce qu'il a 'rejeté l'appel en garantie formé à l'encontre de Madame [I]-[B]' et ainsi rejeté la demande de Madame [X] tendant à la condamnation de Madame [I]-[B] à la garantir de toutes les condamnations qui seraient prononcées contre elle sur le fondement de l'application de la clause de non-concurrence votée le 9 avril 2013,

Statuant à nouveau,

Vu les articles 1988 et 1992 du code civil,

- condamner Madame [I]-[B] à la garantir de toutes les condamnations qui seraient prononcées contre elle sur le fondement de l'application de la clause de non-concurrence votée le 9 avril 2013,

- condamner Madame [I]-[B] à lui verser la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles à hauteur d'instance et la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles à hauteur d'appel,

Sur l'appel intimé à l'appel provoqué,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame [I]-[B] de ses demandes de dommages et intérêts et au titre des frais irrépétibles,

- débouter Madame [I]-[B] de l'ensemble de ses demandes.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 juillet 2022.

L'audience de plaidoirie a été fixée au 3 octobre 2022 et le délibéré au 28 novembre 2022, délibéré prorogé au 5 décembre 2022, puis au 16 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LES DEMANDES PRINCIPALES

Sur l'effet dévolutif de l'appel

Madame [X] fait valoir, sur l'absence d'effet dévolutif de l'appel principal, que dans le dispositif de ses conclusions, la SELARL Synergia sollicitait seulement l'infirmation du jugement de première instance, sans préciser les chefs de jugement critiqués et que dès lors, la cour ne peut que confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions.

La SELARL Synergia et Madame [I]-[B] rétorquent qu'il importe peu que les chefs de jugement attaqués, tels qu'ils figurent dans la déclaration d'appel, ne soient pas repris dans le dispositif des conclusions dès lors que celui-ci contient, à la fois, la volonté de voir le jugement attaqué et, d'autre part, une prétention formulée.

Dans le dispositif de ses conclusions, la SELARL Synergia demandait à la cour d'infirmer le jugement entrepris et formulait par ailleurs plusieurs prétentions. Elle n'était pas tenue d'y reprendre les chefs de dispositif du jugement dont elle demandait l'infirmation.

En conséquence, Madame [X] sera déboutée de sa demande de confirmation du jugement en toutes ses dispositions au motif que le dispositif des conclusions de la SELARL Synergia n'indiquait pas les chefs de jugement critiqués.

Sur la responsabilité de Madame [X]

Selon la cinquième résolution adoptée lors de l'assemblée générale du 9 avril 2013, les associés gérants s'interdisent pendant toute la durée de leurs fonctions de s'intéresser directement ou indirectement, en quelque qualité que ce soit, à l'exploitation d'une clientèle médicale sur le territoire des établissements de Synergia dans un rayon de 20 kilomètres.

En outre, à l'expiration de leurs fonctions, ils s'interdisent de s'intéresser directement ou indirectement, en quelque qualité que ce soit, à l'exploitation d'une clientèle médicale et ce pendant une durée de deux années à compter de la fin de leurs fonctions, et sur le territoire des établissements de Synergia dans un rayon de 20 kilomètres.

Par jugement du 18 mai 2017, le tribunal de grande instance de Metz a notamment rejeté la demande de Madame [X] de nullité de l'assemblée générale du 9 avril 2013, ainsi que sa demande de nullité de la cinquième résolution de cette assemblée. Il n'a prononcé l'annulation partielle de la clause litigieuse qu'en ce qu'elle interdit à Madame [X] de s'intéresser à l'exploitation d'une clientèle médicale en dehors du domaine de la cardiologie ainsi que sur le territoire de Synergia en dehors des seules localités de [Localité 7], [Localité 8] et [Localité 6], devant constituer le seul périmètre de l'interdiction, sans qu'il y ait lieu à remise en cause de la durée de deux années et du rayon de 20 kilomètres.

Par arrêt du 27 septembre 2018, la cour d'appel de Metz a confirmé ce jugement, sauf en ce qu'il a prononcé l'annulation partielle de la clause de non réinstallation, rejetant l'ensemble des demandes de Madame [X], au motif notamment qu'il est dans l'intérêt légitime de la société à la fois de dissuader un ancien associé gérant de se réinstaller à proximité de l'un de ses établissements afin d'éviter un risque de concurrence élevé entre spécialistes en cardiologie et de ne pas dissuader un confrère de venir rejoindre la société après le départ d'un associé gérant.

Or, avant même la fin de son préavis, Madame [X] s'est installée à moins d'un kilomètre de son ancien lieu d'exercice, en violation de la clause précitée, dont la validité est définitivement reconnue.

Les premiers juges ont rappelé qu'en application de l'ancien article 1134 du code civil, les conventions doivent être exécutées de bonne foi. Ils ont relevé l'imprécision des termes employés dans la convocation à l'assemblée générale du 9 avril 2013 pour en conclure que Madame [X] s'était vue imposer une clause de non rétablissement. Ils ont retenu la révocation de ses fonctions de gérante, la privation de toute rémunération au titre de son activité professionnelle, des accusations infondées de destruction des fichiers informatiques de la SELARL Synergia, une mise à l'écart et un détournement de ses moyens d'exercice professionnel pour en conclure que la SELARL Synergia avait manqué à son obligation de bonne foi et avait obligé Madame [X] à se retirer avant la fin de son préavis. Ils ont décidé en conséquence que la clause de non réinstallation devait être déclarée inopposable à Madame [X].

Pour conclure à l'inopposabilité de la clause de non-concurrence, Madame [X] rappelle la motivation du tribunal et fait valoir qu'elle a été contrainte de quitter la SELARL Synergia dans la mesure où elle a été privée de ses moyens d'exercice et de toute rémunération, après avoir demandé des explications sur la gestion financière du groupe et le constat de prélèvements disproportionnés. Elle affirme que le vote de la clause de non-rétablissement a été organisé à son insu alors que les associés connaissaient sa volonté de partir. Elle soutient que la société qui contraint un associé à se retirer dans la précipitation, en violation de son obligation de loyauté, ne saurait ensuite se prévaloir d'actes de concurrence déloyale.

Cependant, si ces agissements reprochés par Madame [X] à la SELARL Synergia pouvaient être de nature à expliquer un départ de la société avant la fin du délai de préavis, ils ne justifient pas le non-respect de la distance de réinstallation prévue par une clause dont la validité a été définitivement reconnue. Il résulte en effet des pièces du dossier que ce ne sont pas ces agissements critiquables qui sont à l'origine de la décision de Madame [X] de quitter la SELARL Synergia, ni de son choix de s'installer à moins d'un kilomètre de son ancien lieu d'exercice. En conséquence, il ne peut pas être considéré qu'un manquement de la SELARL Synergia à son obligation d'exécution de bonne foi des conventions aurait pour effet de rendre la clause de non réinstallation, dont la validité a été définitivement reconnue, inopposable à Madame [X]. La responsabilité de cette dernière est donc engagée au titre de la violation de cette clause.

Concernant son préjudice, la SELARL Synergia fait notamment valoir une diminution de son chiffre d'affaires en raison de la réinstallation de Madame [X] à proximité immédiate de ses locaux et sollicite à ce titre pour la durée de deux ans prévue par la clause la somme de 735933,84 euros.

Cependant, l'appréciation de ce préjudice nécessite l'examen des comptes de résultat de la SELARL Synergia, pour le site de [Localité 8] d'une part, pour l'ensemble de la société d'autre part, pour les années 2012 à 2015 incluses, la SELARL Synergia devant par ailleurs justifier de son taux de marge. Il y a donc lieu de rouvrir les débats afin que la SELARL Synergia produise ces pièces, les parties étant en outre invitées à conclure sur le préjudice subi au regard de la notion de perte de chance.

Sur la demande de garantie présentée par Madame [X] à l'encontre de Madame [I]-[B]

Concernant cet appel en garantie de Madame [I]-[B] ayant voté en son nom pour l'instauration d'une clause de non-concurrence lors de l'assemblée générale du 9 avril 2013, Madame [X] allègue un dépassement du mandat donné. Elle fait valoir qu'un mandat spécial est nécessaire pour un acte de disposition, ce à quoi est assimilée une clause de non-concurrence qui constitue une augmentation de l'engagement des associés. Elle soutient que Madame [I]-[B] ne prouve pas avoir reçu un mandat exprès pour voter cette clause de non-concurrence et qu'elle savait qu'elle souhaitait quitter la SELARL Synergia.

Les premiers juges ont considéré cet appel en garantie sans objet et l'ont rejeté au motif de l'absence de condamnation de Madame [X] sur le fondement de la clause de non réinstallation.

La responsabilité de Madame [X] étant retenue à ce titre, cet appel en garantie doit être examiné.

La SELARL Synergia et Madame [I]-[B] soutiennent, sur le fondement de l'article 28 des statuts, que faute d'avoir préalablement saisi le président du conseil départemental de l'ordre d'une tentative de conciliation préalable sur la question objet de la présente procédure, cette demande est irrecevable.

Madame [X] rétorque qu'une tentative de conciliation préalable a eu lieu le 22 décembre 2014 et que la mise en cause de Madame [I]-[B] n'est que la conséquence du dépassement de mandat, cette question ayant été examinée lors de cette conciliation.

Cependant, dans la présente procédure, Madame [X] sollicite la condamnation de Madame [I]-[B] à la garantir de toutes les condamnations qui seraient prononcées contre elle sur le fondement de l'application de la clause de non-concurrence votée le 9 avril 2013. Il est relevé que, s'agissant du seul manque à gagner de chiffre d'affaires pendant la durée de deux années prévue par la clause, la SELARL Synergia sollicite la somme de 735933,84 euros.

Or, dans son courrier du 14 novembre 2014 adressé au conseil départemental de l'Ordre des médecins de Moselle aux fins de conciliation préalable, Madame [X] évoque le dépassement de ses pouvoirs par Madame [I]-[B] lors du vote de la cinquième résolution afin que soit constatée la nullité de l'intégralité des délibérations adoptées lors de l'assemblée générale du 9 avril 2013. Elle ne mentionne pas une condamnation de cette dernière à lui verser des dommages et intérêts ni à la garantir des sommes auxquelles elle pourrait être condamnée.

Il résulte en outre du procès-verbal de la réunion de conciliation du 22 décembre 2014 que celle-ci concernait Madame [X] d'une part et la SELARL Synergia d'autre part, Madame [I]-[B], absente, n'y ayant été convoquée qu'en tant que représentante de la SELARL Synergia et non à titre personnel.

En outre, Madame [X] avait soumis à la conciliation la question de la licéité des délibérations adoptées lors de l'assemblée générale du 9 avril 2013 en faisant valoir une violation du mandat donné à Madame [I]-[B] s'agissant de la cinquième résolution.

Il en résulte que cette tentative de conciliation préalable ne concernait pas Madame [I]-[B] à titre personnel et ne portait pas sur son éventuelle obligation d'indemniser Madame [X] du préjudice allégué, ni de la garantir en cas de condamnation.

Compte tenu des développements qui précèdent, aucune tentative de conciliation n'a eu lieu entre Madame [X] et Madame [I]-[B] concernant les prétentions présentées par la première dans la présente procédure, contrairement aux stipulations de l'article 28 des statuts de la SELARL Synergia. L'appel en garantie sera donc déclaré irrecevable et le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par Madame [I]-[B] à l'encontre de Madame [X]

Au soutien de cette demande, Madame [I]-[B] allègue la mauvaise foi et l'intention de nuire de Madame [X].

L'exercice d'une action en justice ou d'une voie de recours constitue un droit et ne dégénère en abus qu'en cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol.

En l'espèce, Madame [X] estime que Madame [I]-[B] a outrepassé le mandat qu'elle lui avait donné en votant en son nom pour l'instauration d'une clause de non-concurrence lors de l'assemblée générale du 9 avril 2013. Il ne peut donc pas être considéré que ce serait de mauvaise foi ou dans l'intention de lui nuire qu'elle l'a attraite dans la présente procédure aux fins de garantie concernant les éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au titre de la violation de cette clause.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Madame [I]-[B] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Enfin, il y a lieu de réserver les autres demandes des parties et les dépens.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mixte et en dernier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,

Déboute Madame [C] [M] épouse [X] de sa demande de confirmation du jugement en toutes ses dispositions au motif que le dispositif des conclusions de la SELARL Synergia n'indiquait pas les chefs de jugement critiqués ;

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Val-de-Briey le 31 mai 2021 en ce qu'il a débouté Madame [W] [I]-[B] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Val-de-Briey le 31 mai 2021 en ce qu'il a :

- déclaré la clause de non réinstallation inopposable à Madame [C] [M] épouse [X] ;

- rejeté l'appel en garantie formé par Madame [C] [M] épouse [X] à l'encontre de Madame [W] [I]-[B] ;

Statuant à nouveau sur ces chefs de décision infirmés et y ajoutant,

Déclare la clause de non réinstallation opposable à Madame [C] [M] épouse [X] ;

Déclare Madame [C] [M] épouse [X] responsable du préjudice subi par la SELARL Synergia du fait de la violation de la clause de non réinstallation ;

Déclare irrecevable l'appel en garantie formé par Madame [C] [M] épouse [X] à l'encontre de Madame [W] [I]-[B] ;

Ordonne la réouverture des débats afin que la SELARL Synergia produise ses comptes de résultat, pour le site de [Localité 8] d'une part, pour l'ensemble de la société d'autre part, pour les années 2012 à 2015 incluses, la SELARL Synergia devant par ailleurs justifier de son taux de marge ;

Invite les parties à conclure sur le préjudice subi au regard de la notion de perte de chance ;

Réserve les autres demandes des parties et les dépens ;

Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du 7 mars 2023.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur FIRON, en remplacement de Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, régulièrement empêchée et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : J.-L. FIRON.-

Minute en onze pages.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/01756
Date de la décision : 16/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-16;21.01756 ?
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