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10/01/2023 | FRANCE | N°22/00878

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-1ère sect, 10 janvier 2023, 22/00878


ARRÊT N° /2023

SS



DU 10 JANVIER 2023



N° RG 22/00878 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E6U5























































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE

SECTION 1









APPELANT :



Monsieur [E] [R]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représenté par Me Cédric DE ROMANET DE BEAUNE de la SELA

RL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS





INTIMÉE :



S.A. [8] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Stéphane PENAFIEL de la SELARL PENAFIEL & ASSOCIE, substitué par Me Aymeric W...

ARRÊT N° /2023

SS

DU 10 JANVIER 2023

N° RG 22/00878 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E6U5

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE

SECTION 1

APPELANT :

Monsieur [E] [R]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représenté par Me Cédric DE ROMANET DE BEAUNE de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

S.A. [8] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Stéphane PENAFIEL de la SELARL PENAFIEL & ASSOCIE, substitué par Me Aymeric WOLF, avocats au barreau de PARIS

PARTIE INTERVENANTE :

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE MEURTHE ET MOSELLE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentée par Mme [T] [P], regulièrement munie d'un pouvoir de représentantion

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats, sans opposition des parties

Président : M. HENON

Siégeant en conseiller rapporteur

Greffier : Madame TRICHOT-BURTE (lors des débats)

En présence de Madame COPIN, greffier stagiaire

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 06 Décembre 2022 tenue par M. HENON, magistrat chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric HENON, président, Dominique BRUNEAU et Catherine BUCHSER-MARTIN, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 10 Janvier 2023 ;

Le 10 Janvier 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

Faits, procédure, prétentions et moyens :

M. [E] [R], né le 22 février 1958, a travaillé pour le compte de la société [8] en qualité d'agent de maintenance du 21 octobre 1985 au 27 novembre 2013, date de son licenciement.

Par décisions des 26 décembre 2011 et 6 février 2012, la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle (ci-après dénommée la caisse) a pris en charge au titre du tableau 57 des maladies professionnelles les affections périarticulaires des deux épaules qu'il a déclarées selon certificats médicaux du docteur [S] du 15 octobre 2010 (épaule droite) et du docteur [U] du 9 septembre 2011 (épaule gauche).

Il s'est vu reconnaître pour l'épaule droite un taux d'IPP de 2 % à la date du 20 juin 2011, porté à 17 % après rechute du 14 décembre 2012 consolidée le 27 mai 2013.

Pour l'épaule gauche, après consolidation fixée au 11 juin 2013, son taux d'IPP a été fixé à 22 %.

Après échec de la tentative de reclassement suite à deux avis d'inaptitude du médecin de travail, il a été licencié pour inaptitude physique d'origine professionnelle avec impossibilité de reclassement par courrier du 27 novembre 2013.

Après échec de la procédure de conciliation introduite devant la caisse par M. [R], par courrier du 16 juin 2014, il a saisi le tribunal des affaires de la sécurité sociale, alors compétent, aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son ancien employeur, la société [8], dans l'apparition de ses maladies professionnelles.

Au 1er janvier 2019, le dossier a été transmis en l'état au pôle du tribunal de grande instance ' devenu tribunal judiciaire ' de Nancy, nouvellement compétent.

Après radiation et réinscription de l'affaire au rôle, par jugement du 16 mars 2022, le tribunal a :

- débouté la SA [8] de sa demande reconventionnelle tendant à contester le caractère professionnel des pathologies de M. [E] [R] prise en charge par la CPAM de Meurthe et Moselle les 26 décembre 2011 et 6 février 2012,

- débouté M. [E] [R] de sa demande tendant à voir reconnaître une faute inexcusable de la part de la société [8] ;

- dit n'y avoir lieu à octroyer à M. [E] [R] le bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [E] [R] aux entiers frais et dépens de la procédure.

Par acte du 5 avril 2022, M. [E] [R] a interjeté appel de ce jugement, les chefs de jugement critiqués étant expressément indiqués.

*

Suivant conclusions reçues au greffe le 7 septembre 2022, M. [E] [R] demande à la Cour de :

- confirmer le jugement du Pôle social du Tribunal judiciaire de NANCY en date du 16 mars 2022 en ce qu'il a :

Débouté la SA [8] de sa demande reconventionnelle tendant à contester le caractère professionnel des pathologies de Monsieur [R] ;

Subsidiairement :

- ordonner avant dire droit la désignation d'un CRRMP pour avis sur le lien direct entre les pathologies des épaules dont il est atteint et ses conditions de travail au sein de la société [8] ;

- le réformer pour le surplus et, statuant de nouveau :

- ordonner la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [8] à l'origine des deux maladies professionnelles dont il est atteint ;

En conséquence :

- ordonner la majoration des rentes servies à leurs taux maximums quel que soit l'évolution de ses taux d'IPP ;

- avant dire droit sur l'indemnisation de ses préjudices personnels, commettre tel expert qu'il plaira à la Cour de désigner, avec pour mission de décrire, pour chacune des deux pathologies professionnelles dont il est atteint :

' le déficit fonctionnel temporaire ;

' le préjudice esthétique temporaire et permanent ;

' les souffrances physiques endurées, en quantifier la nature et l'intensité ;

' les souffrances morales endurées, en qualifier la nature et l'intensité ;

' le préjudice d'agrément ;

' le préjudice sexuel ;

' déterminer si l'assistance d'une tierce personne était nécessaire avant consolidation;

' déterminer si véhicule ou le logement nécessitent ou ont nécessité une adaptation ;

- lui allouer une provision de 20.000 € à valoir sur les indemnités définitives dont la CPAM fera l'avance ;

- ordonner à la CPAM de faire l'avance de la provision ;

- ordonner en outre à la société [8] de lui verser la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile en cause d'appel.

*

Suivant conclusions d'intimé avec appel incident reçues au greffe par voie électronique le 7 septembre 2022, la société demande à la Cour :

Sur l'imputabilité des maladies professionnelles déclarées respectivement le 15 octobre 2010 et le 9 septembre 2011 :

A titre principal :

- constater que dans les cadres des deux déclarations professionnelles formées par le demandeur respectivement le 15 octobre 2010 et le 9 septembre 2011, les conditions tenant à la liste des travaux limitativement énumérés au tableau 57-A n'étaient pas réunies, de sorte qu'aucune présomption d'imputabilité ne saurait être établie,

En conséquence,

- ordonner la saisine d'un autre comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles que celui préalablement saisi dans le cadre de la maladie professionnelle déclarée le 15 octobre 2010 à l'effet de dire si les deux pathologies présentées par Monsieur [R] (et la rechute prise en charge 12 décembre 2012) ont été directement causées par le travail habituel de ce dernier,

- dire qu'en application de l'article R.142-24-2 du code de la sécurité sociale, applicable à la cause et depuis lors abrogé par décret n° 2018-928 du 29 octobre 201, il y a lieu de surseoir à statuer dans l'attente de l'avis motivé du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles qui sera saisi, auquel il sera remis l'ensemble du dossier de Monsieur [R] et qui aura pour mission de :

- dire par un avis motivé si les affections aux épaules droite et gauche dont était atteint Monsieur [R] ont été directement causées par son travail habituel au sein de la Manufacture de [8] ;

A titre subsidiaire :

Si par extraordinaire votre Cour considérait que dans le cadre de la demande de reconnaissance du caractère professionnelle de la maladie déclarée le 9 septembre 2011, les

conditions de prise en charge étaient réunies :

- constater que les conditions de prise en charge n'étaient cependant pas réunies concernant la maladie professionnelle déclarée le 15 octobre 2010, de sorte qu'aucune présomption d'imputabilité ne saurait être établie,

En conséquence,

- ordonner la saisine d'un autre comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles que celui préalablement saisi à l'effet de dire si les pathologies présentées par Monsieur [R] ont été directement causées par le travail habituel de ce dernier ;

- dire qu'en application de l'article 12.142-24-2 du code de la sécurité sociale, applicable à la cause et depuis lors abrogé par décret n° 2018-928 du 29 octobre 201, il y a lieu de surseoir à statuer dans l'attente de l'avis motivé du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles qui sera saisi, auquel il sera remis l'ensemble du dossier de Monsieur [R] et qui aura pour mission de :

- dire par un avis motivé si l'affections à l'épaule droite dont était atteint Monsieur [R]

et sa rechute prise en charge 12 décembre 2012 a été directement causée par son travail habituel au sein de la Manufacture de [8] ;

En tout état de cause :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle tendant a contester le caractère professionnel des pathologies de Monsieur [R] prises en charge par la CPAM de Meurthe et Moselle les 26 septembre et 6 février 2012,

Statuant à nouveau :

- juger que les pathologies aux épaules déclarées par Monsieur [R] en tant de maladies professionnelles en date respectivement du 15 octobre 2010 (ainsi que sa rechute déclarée en date du 12 décembre 2012) et du 9 septembre 2011, sont sans lien avec son activité professionnelle,

Sur les demandes tenant à la reconnaissance de sa faute inexcusable ;

- constater que Monsieur [R] ne démontre aucun lien de causalité entre ses maladies aux épaules et une quelconque faute de la société [8] qui ne pourrait être qu'antérieure à la date de première constatation de ses maladies,

En conséquence,

- confirmer le jugements entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur [R] de l'ensemble de ses demandes.

*

Suivant conclusions récapitulatives reçues au greffe le 1er décembre 2022, la caisse demande à la Cour :

- constater la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable engagée par Monsieur [E] [R] s'agissant de maladie professionnelle du 15/10/2010 touchant l'épaule droite,

- dire si la ou les maladies professionnelles de Monsieur [E] [R] résulte(nt) ou non d'une faute inexcusable commise par son ancien employeur, la société [8],

Dans l'affirmative,

- fixer les réparations correspondantes après la mise en place éventuelle d'une expertise médicale,

- condamner la société [8] à lui rembourser toutes les sommes revenant à Monsieur [E] [R] du fait de cette faute inexcusable, de même que les frais de l'expertise médicale susceptible d'être ordonnée,

- condamner la société [8] à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour l'exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l'audience.

Motifs :

1/ Sur la prescription de la demande au titre de l'épaule droite':

Il convient de rappeler qu'en application des articles L. 431-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale, les droits de la victime ou de ses ayants droit au bénéfice des prestations et indemnités prévues par la législation professionnelle se prescrivent par deux ans à compter soit de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle, soit de la cessation du travail en raison de la maladie constatée, soit de la cessation du paiement des indemnités journalières, soit encore de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie (civ.2e 12 juillet 2012, pourvois n° 11-17.663 et 11-17.442, Bull II n° 136).

La caisse soutient que la demande concernant la pathologie affectant l'épaule droite est atteinte par la prescription dans la mesure où les indemnités journalières afférentes ont cessé d'être versées le 20 juin 2011 et que la demande en reconnaissance de faute inexcusable a été formée le 11 avril 2014, de l'organisme de sécurité sociale aux fins de conciliation.

Le salarié soutient que s'agissant de l'épaule droite, il a perçu des indemnités journalières jusqu'au 10 mai 2012.

Il convient de constater qu'à la suite d'un certificat médical initial du 25 octobre 2010, des arrêts de travail de prolongation ont été prescrits les 30 octobre 2010, 25 novembre 2010, 24 décembre 2010, 21 janvier 2011, 21 février 2011, 20 mai 2011, ce dernier certificat prescrivant un arrêt jusqu'au 20 juin 2011.

Il résulte des pièces produites aux débats qu'une première date de consolidation a été fixée à cette dernière date puisqu'il résulte d'une notification de la caisse du 10 aout 2012 qu'il a été attribué au salarié un capital à compter du 21 juin 2011 sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle de 2%.

Il est certain que des indemnités journalières ont bien été servies postérieurement à cette date, il reste qu'elles l'ont été dans le cadre d'une rechute prise en charge par la caisse, aboutissant après consolidation à l'attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle de 17%.

S'il est certain que lorsqu'il a été reconnu que l'accident initial ou la maladie professionnelle était dû à la faute inexcusable de l'employeur, l'indemnisation complémentaire s'étend aux dommages subis à la suite de la rechute, laquelle fait courir un nouveau délai de prescription pour l'action en réparation de ces dommages (Civ. 2ème ., 22 janv. 2015, no 14-10.584), il reste que ce nouveau délai ne s'applique qu'à l'indemnisation complémentaire des conséquences de la rechute et qu'il importe préalablement que soit établie la reconnaissance d'une faute inexcusable afférente à la maladie professionnelle elle-même, supposant par conséquent qu'une action en reconnaissance de faute inexcusable fondée sur la maladie professionnelle ait été engagée dans le délai biennal de prescription.

Dans ces conditions le service d'indemnités journalières postérieures au 20 juin 2011 ne saurait être pris en compte pour la détermination du point de départ du délai de prescription susmentionné.

La décision de reconnaissance du caractère professionnel de cette pathologie est intervenue le 26 décembre 2011.

Il s'ensuit que la prescription a commencé à courir à compter de cette dernière date, en sorte qu'en l'état d'une saisine intervenue le 11 avril 2014, soit plus de deux ans après, la demande concernant la pathologie l'épaule droite se trouve atteinte par la prescription.

Il convient en conséquence de dire irrecevable la demande tendant à juger que la maladie professionnelle affectant l'épaule droite est due à la faute inexcusable de l'employeur.

2/ Sur le caractère professionnel de la maladie affectant l'épaule gauche :

Il résulte des articles L. 452-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale que, pour engager la responsabilité de l'employeur, la faute inexcusable doit être la cause nécessaire de la maladie professionnelle dont est atteint le salarié (civ.2e 4 avril 2013 pourvoi n°12-13.600 Bull II n° 69). A cet égard, l'employeur reste fondé à contester, pour défendre à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie (civ.2e 5 novembre 2015, pourvoi n° 13-28.373, Bull. 2015, II, n° 247 ; dans le même sens civ.2e., 8 novembre 2018, pourvoi n° 17-25.843).

Il résulte du tableau n° 57 A des maladies professionnelles, dans sa rédaction issue du décret n° 91-877 du 3 septembre 1991 applicable en l'espèce compte tenu des date de certificat médical initial et de demande de reconnaissance, que la liste des travaux susceptibles de provoquer la maladie concernant les épaules est constituée des travaux comportant habituellement des mouvements répétés ou forcés de l'épaule.

L'employeur qui conteste le caractère professionnel de la pathologie présentée par le salarié, après avoir soulevé les incohérences de l'instruction menée par la caisse ayant notamment conduit à la saisine d'un CRRMP dans un cas et pas l'autre, soutient que dans le cadre de l'enquête menée par la caisse, il ne saurait être mis en évidence la réalisation de gestes de façon prolongée ou répétitives affectant les épaules. Il précise que les travaux demandés au salarié étaient variés.

Le salarié expose que si le médecin du travail ne réalisait pas de gestes répétés, la description du poste par ses anciens collègues établit qu'il réalisait des gestes forcés. A défaut, il conviendrait de saisir un CRRMP.

Au cas présent, il convient de constater au regard du questionnaire adressé par la caisse à l'employeur, dont il semble qu'il ait été renseigné par le médecin du travail, qu'il apparait que l'intéressé exerce des fonctions de maintenance des ateliers à chaud comportant des opérations de montage/démontage des machines, dépannée sur différents types de matériels impliquant des gestes variés mais ne présentant pas de caractère répétitif ou prolongé. L'employeur quant à la partie du questionnaire relatifs au mouvement de rotation de l'épaule, travaux en hauteur bras levés, de mouvements forcés et porte de charges er mouvements répétés de l'épaule, admet la réalisation de tels gestes mais de façon non prolongée et répétitive. Ces éléments d'appréciation sont différents de ceux repris par le salarié qui pour chaque posture énonce en regard la partie de travail concernée et précise en fin de compte par son courrier d'accompagnement que le port de charges lourdes ou légères faisait partie de son quotidien.

Il convient de constater que si l'employeur remet en cause le caractère répétitif ou prolongé des travaux sollicitant l'épaule, il reste que ces explications ne remettent pas en cause la réalisation habituelle de mouvements forcés de l'épaule en particulier s'agissant du port de charges lourdes qui se trouve confirmé par les attestations produites par les anciens collègues de l'intéressé qui font également état de contraintes posturales et d'efforts physiques importants.

En l'état de ces éléments et sans qu'importe les conditions d'instructions de ces demandes par la caisse, il convient de rejeter la contestation opposée par l'employeur quant au caractère professionnelle de la pathologie affectant l'épaule gauche du salarié.

3/ Sur la faute inexcusable :

Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.021 ; civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-26.677). Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié mais qu'il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage (Cass . Ass plen, 24 juin 2005, pourvoi n°03-30.038).

Il est de jurisprudence constante qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (civ.2e 8 juillet 2004, pourvoi no 02-30.984, Bull II no 394 ; civ.2e 22 mars 2005, pourvoi no 03-20.044, Bull II no 74). Cette preuve n'est pas rapportée lorsque les circonstances de l'accident dont il a été victime sont indéterminées. (Soc., 11 avril 2002, pourvoi n° 00-16.535).

Le salarié après rappel de l'existence d'une législation réglementant le port de charge lourde entrainant une obligation de formation incombant à l'employeur ainsi que les termes du tableau n°57 des maladies professionnelles existant depuis 1972, expose que l'employeur aurait dû avoir conscience du danger représenté par le port de charge lourde et alors qu'avant même les déclarations de maladies professionnelles, le médecin du travail avait formulé un certain nombre de réserves qui ne se sont pas traduites par des aménagements de poste.

L'employeur soutient qu'il a scrupuleusement respecté les préconisations du médecin du travail et que la maladie a été constatée peu de temps après les préconisations du médecin du travail et les témoignages ne portent que sur la période postérieure à la déclaration de maladie. Le salarié ne produit aucun postérieur à la déclaration de maladie et il ne saurait y avoir de conscience du danger et de faute inexcusable s'agissant de la réalisation de taches qui ne relevaient pas de la liste des travaux du tableau n° 57A.

Il convient de rappeler ainsi qu'il a été précisé que les tâches confiées au salarié comportaient des contraintes posturales importants ainsi que des ports de charge lourdes présentant un caractère habituel.

Dans ces conditions, compte tenu de la nature des travaux réalisés au sein de l'entreprise en ce compris au sein du service de maintenance et au regard des énonciations du tableau n° 57 des maladies professionnelles institué par un décret n° 72-1010 du 2 novembre 1972, l'employeur avait ou devait avoir conscience du danger ce que viennent du reste confirmer les procès-verbaux des années 2011 et 2012 mettant en évidence le caractère récurent de constat de troubles musculo-squelettiques se rapportant aux différentes prévisions du tableau n° 57 des maladies professionnelles.

En ce qui concerne les mesures prises par l'employeur pour préserver le salarié du danger auquel il était exposé, s'il apparait que les réserves d'aptitudes formulées par le médecin du travail sont contemporaines des déclarations de maladies et qu'il n'est produit d'élément antérieur à cette période émanant de la médecine du travail par le salarié, il reste que les attestations produites par les anciens collègues confirment les assertions de salarié sur le caractère habituel de port et de manutention de charges lourdes sans faire état de mesures prises par l'employeur à ce sujet alors que la réglementation sur le port de charge issue des articles R. 4541-1 et suivants du code du travail, constituant la transposition des règles invoquées par le salarié, fait peser sur l'employeur des obligations d'évitement autant que possible des opérations de manutention, d'évaluation des risques de celles nécessaires, d'organisation en conséquence des poste de travail, de prévention et d'information, dont ce dernier n'a nullement fait état.

Il convient dans ces conditions de dire que la maladie professionnelle affectant l'épaule gauche du salarié reconnue par décision du 6 février 2012 est due à la faute inexcusable de l'employeur.

4/ Sur les conséquences de la faute inexcusable :

Dès lors qu'il n'est ni établi ni allégué de faute inexcusable commise par le salarié, il y a lieu d'ordonner la majoration à son taux maximum de la rente servie à ce dernier au titre de l'épaule gauche (Cass Ass. Plen. 24 juin 2005, pourvoi n° 03-30.038).

Il résulte de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Il résulte du dernier alinéa de ce texte que les frais de l'expertise ordonnée en vue de l'évaluation des chefs de préjudice subis par la victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur, sont avancés par la caisse qui en récupère le montant auprès de celui-ci .

Le salarié demande d'ordonner la mise en 'uvre d'une expertise.

Au regard des éléments produits aux débats et compte tenu des conséquences envisageables de l'accident, l'expertise portera, sur les chefs de préjudice énoncés au dispositif du présent arrêt, aux frais avancés de la caisse qui en récupérera le montant auprès de l'employeur.

En ce qui concerne la demande de provision, compte tenu des circonstances de l'espèce qui restent à évaluer, il n'apparait nécessaire de l'ordonner en l'état.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Réforme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Nancy du 16 mars 2022;

Statuant à nouveau,

Déclare irrecevable la demande de M. [E] [R] la demande tendant à juger que la maladie professionnelle affectant son épaule droite est due à la faute inexcusable de l'employeur';

DIT que la maladie professionnelle affectant l'épaule gauche du salarié et reconnue par décision du 6 février 2012 est due à la faute inexcusable de l'employeur, la société [8] ;

ORDONNE la majoration de la rente afférente à la pathologie reconnue le 6 février 2012 servie à M. [E] [R] à son taux maximum .

DIT que cette majoration sera versée à M. [E] [R] par la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle qui en récupérera la montant auprès de l'employeur, la société [8] ;

ORDONNE une expertise médicale confiée au docteur Dr [F] [B], [Adresse 2], [Localité 5], avec pour mission de:

- entendre contradictoirement les parties et leurs conseils dans le respect des règles de déontologie médicale ou relatives au secret professionnel

- recueillir les renseignements nécessaires sur l'identité de la victime et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son statut exact, son mode de vie antérieure à l'accident et sa situation actuelle

- se faire communiquer par la victime tous documents médicaux la concernant notamment ceux consécutifs à l'accident litigieux et à son état de santé antérieur

- procéder, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime

- d'évaluer la réparation liée au déficit fonctionnel temporaire antérieur à la consolidation ou la guérison fixée dans le cadre de la législation professionnelle (décision de la caisse ou juridictionnelle sur recours)

- d'évaluer la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales

- d'évaluer le préjudice esthétique

- d'évaluer le préjudice d'agrément

- d'évaluer le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de possibilités de promotion professionnelle

- d'évaluer le préjudice sexuel,

- d'évaluer les éventuels frais d'assistance pat une tierce personne à titre temporaire

DIT que l'expert devra préciser contradictoirement aux parties et au magistrat chargé du contrôle de l'expertise la méthodologie, le coût et le calendrier prévisible de ses opérations et qu'il devra, en cas de difficultés ou de nécessité d'une extension de la mission en référer au magistrat chargé du contrôle de l'expertise qui appréciera la suite à y donner ;

DIT que l'expert désigné pourra, en cas de besoin, s'adjoindre le concours de tout spécialiste de son choix, dans un domaine distinct du sien, après en avoir simplement avisé les conseils des parties et le magistrat chargé du contrôle des expertises ;

DIT que l'expert adressera un pré-rapport aux conseils des parties qui, dans les quatre semaines de la réception, lui feront connaître leurs observations auxquelles il devra répondre dans son rapport définitif ;

DIT que l'expert devra déposer son rapport au greffe du tribunal dans les QUATRE MOIS à compter de l'acceptation de sa mission, sauf prorogation dûment sollicitée auprès du juge chargé du contrôle des opérations d'expertise, et en adresser une copie aux conseils des parties,

FIXE à 900 euros (neuf cents euros) la consignation des frais à valoir sur la rémunération de l'expert ;

DIT que ces frais seront avancés par la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle qui en récupérera le montant auprès de l'employeur, la société [8] ;

RESERVE les autres chefs de demandes et les dépens ;

RENVOIE l'affaire à l'audience de la cour du 27 juin 2023, à 13h30, la notification du présent arrêt valant convocation des parties à cette audience;

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Guerric HENON, Président de Chambre, et par MadameClara TRICHOT-BURTÉ, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en onze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-1ère sect
Numéro d'arrêt : 22/00878
Date de la décision : 10/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-10;22.00878 ?
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