ARRÊT N° /2022
PH
DU 08 DECEMBRE 2022
N° RG 21/02798 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E4CQ
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERDUN
20/00023
08 novembre 2021
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2
APPELANT :
Monsieur [R] [V]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Elisabeth PERCEVAL de la SCP DEMANGE & ASSOCIES, avocat au barreau de la MEUSE
INTIMÉE :
S.A.S.U. SCHREIBER FRANCE pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Nicolas CAPILLON de la SELARL CAPILLON ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré,
Président : WEISSMANN Raphaël,
Président : HAQUET Jean-Baptiste,
Conseiller : STANEK Stéphane,
Greffier lors des débats : RIVORY Laurène
DÉBATS :
En audience publique du 06 Octobre 2022 ;
L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 08 Décembre 2022 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
Le 08 Décembre 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES
Monsieur [R] [V] a été engagé sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société FROMAGERIE BEL dont la société SCHREIBER FRANCE a racheté les établissements, à compter du 30 janvier 2007, en qualité de conducteur de quai.
Par courrier du 28 juin 2019, Monsieur [R] [V] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 05 juillet 2019, avec notification de sa mise à pied à titre conservatoire prenant effet au 01 juillet 2019.
Par courrier du 09 juillet 2019, Monsieur [R] [V] a été licencié pour faute grave.
Par requête du 17 juillet 2020, Monsieur [R] [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Verdun, aux fins de :
- de dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- de condamner la société SCHREIBER FRANCE à lui verser les sommes suivantes :
- 316,68 euros à titre de rappel de salaire pour les journées de mise à pied conservatoire outre celle de 31,66 euros au titre des congés payés y afférents
- 3 800,16 euros au titre de l'indemnité de préavis outre celle de 380 euros au titre des congés payés y afférents,
- 4 150,12 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 19 000,00 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
- 1 600,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Verdun rendu le 08 novembre 2021, lequel a :
- dit et jugé que le licenciement de Monsieur [R] [V] reposait sur une cause réelle et sérieuse, en l'espèce, une faute grave,
- débouté Monsieur [R] [V] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société SCHREIBER FRANCE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'appel formé par Monsieur [R] [V] le 26 novembre 2021,
Vu l'article 455 du code de procédure civile,
Vu les conclusions de Monsieur [R] [V] déposées sur le RPVA le 15 juin 2022, et celles de la société SCHREIBER FRANCE déposées sur le RPVA le 05 septembre 2022,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 07 septembre 2022,
Monsieur [R] [V] demande :
- de dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par Monsieur [R] [V],
- en conséquence, d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Verdun en ce qu'il a :
- dit et jugé que le licenciement de Monsieur [R] [V] reposait sur une cause réelle et sérieuse et en l'espèce une faute grave,
- débouté Monsieur [R] [V] de l'ensemble de ses prétentions,
*
Statuant à nouveau :
- de condamner la société [R] SCHREIBER à payer à Monsieur [R] [V] les sommes suivantes :
- 316,68 euros à titre de rappel de salaire pour les journées de mise à pied conservatoire outre celle de 31,66 euros au titre des congés payés y afférents,
- 3 800,16 euros au titre de l'indemnité de préavis outre celle de 380,00 euros au titre des congés payés y afférents,
- 4 150,12 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 19 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
- 2 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- de condamner la société SCHREIBER FRANCE aux entiers dépens.
La société SCHREIBER FRANCE demande :
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Verdun rendu le 8 novembre 2021,
*
En conséquence :
- de dire et juger Monsieur [R] [V] non fondé en l'intégralité de ses demandes,
- de débouter Monsieur [R] [V] de ses demandes, totalement,
- de recevoir la société SCHREIBER FRANCE en sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Monsieur [R] [V] au paiement à ce titre de la somme de 2 000,00 euros,
- de condamner Monsieur [R] [V] aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR
Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures Monsieur [R] [V] déposées sur le RPVA le 15 juin 2022, et de celles de la société SCHREIBER FRANCE déposées sur le RPVA le 05 septembre 2022.
Sur le licenciement pour faute grave :
La lettre de licenciement, qui circonscrit les faits, est ainsi rédigée :
« Nous vous avons convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, qui s'est déroulé le 5 juillet 2019. Vous étiez assisté de Monsieur [N] [U], représentant du personnel. ; j'étais moi-même accompagné de Madame [K] [T], Responsable Ressources Humaines. Au cours de cet entretien, nous vous avons exposé les motifs de la sanction envisagée et avons recueillis vos explications. Pour rappel les fais sont les suivants : Depuis le 1er février 2007, vous occupez le poste de Conducteur de Quai au service Achats Lait de la société. Votre responsable hiérarchique vous a proposé de passer le permis poidslourd et de suivre les formations adaptées afin de vous faire évoluer professionnellement au sein du service achats Lait vers des fonctions de chauffeur-ramasseur.
Après acceptation de votre part, Madame [T] s'est entretenue avec vous afin d'échanger sur vos motivations, de vous informer des enjeux de la formation et de la confiance que l'entreprise portait envers vous et ce malgré les problématiques passées que vous avez pu avoir dans l'entreprise. J'ai eu également un entretien avec vous. Votre cursus de formation a démarré par l'examen du permis poids-lourd, qui vous a été délivré le 29 mars 2019. La formation initiale obligatoire (FIMO module de base transport public de marchandises) a ensuite pris le relai. Cette formation se déroulait du 13 mai 2019 au 11 juin 2019 (soit 20 jours de formation), au centre City Pro situé à [Localité 6]. Préalablement à cette formation, vous avez reçu une avance de frais de 500 euros afin de couvrir les frais de transport et de repas du midi (d'un montant maximum de 30 euros TTC).
A l'issue de la FIMO, vous avez transmis au service Formation de l'entreprise vos notes de frais. Les notes de frais sont remboursées sur justificatif détaillé et recevable. Or, nous nous sommes interrogés sur la véracité des factures émises. En effet, vous avez produit 20 factures de 30 euros TTC chacune, toutes émises par la Boulangerie Fadel située [Adresse 2]. Vous auriez donc, au vu de ces factures mangé chaque midi, dans une même boulangerie et ce pour un montant de 30 euros tout rond, soit un tarif déjeuner qui au regard des formules standards de la boulangerie semblait excessif (en moyenne 10 euros). Nous avons noté également que certaines factures étaient des photocopies en ton des feuillets originaux du facturier, seuls la date et le numéro changeaient, le montant étant identique et le corps de la facture ne précisant pas ce qui avait été consommé. Par ailleurs aucun ticket de caisse n'était joint. Cette boulangerie se situe à environ 8 minutes en voiture du centre de formation. Vous avez donc pris le véhicule de service tous les midis pour vous y rendre. Ce faisant, vous avez accroché le véhicule avec une pierre sur le parking du centre de formation alors que vous démarriez pour aller à la boulangerie (constat d'assurance daté du 17 mai 2019, 12 heures 05). La voiture d'entreprise a subi des réparations pour un coût total de 2728,55 euros et une immobilisation de plus d'un mois et demi. Cet incident est dommageable car vous auriez pu éviter de prendre la voiture tous les midis et manger sur place. Un restaurant « Le Delko » se situait justement à côté du centre de formation, pour un coût moyen de 14 euros (tarif affiché pour une formule complète le midi) et qui proposait des burgers et sandwichs (comme à la boulangerie). Au cours de l'entretien, vous avez reconnu avoir demandé au boulanger de vous établir ces factures «je lui ai demandé », pour un montant de30 euros. Le 26 juin 2019, le boulanger a lui-même confirmé à Madame [T], l'avoir fait à votre demande et avoir utilisé des photocopies pour ne pas « user » son facturier compte tenu du montant toujours identique. La boulangère a informé que des tickets étaient délivrés à tous les clients, a chaque vente, pour la bonne tenue comptable de la caisse de la boulangerie. Vous les avez donc reçus. Le boulanger a informé que vos dépenses journalières étaient de 9 euros. Afin de pouvoir vous rembourser vos dépenses à leur juste valeur, la boulangerie a envoyé par voie postale une nouvelle facture globale d'un montant de180 euros, soit une différence de 420 euros par rapport au montant que vous avez réclamé à plusieurs reprises à votre manager, y compris par SMS.
Vous nous avez indiqué, lors de l'entretien, être allé à la boulangerie également les matins pour y prendre un petit-déjeuner. Nous aurions tout à fait pu admettre une telle pratique et vous rembourses les sommes versées pour le petit-déjeuner. Cependant, vous n'en avez pas informé le service Formation, ni votre manager. Pour justifier de votre passage le matin à la boulangerie, nous vous avons demandé les tickets mais vous déclarez ne pas les avoir conservés. Vous n'êtes donc pas en mesure de justifier de ces dépenses. Par ailleurs, outre l'absence de justificatifs de dépenses, il a été mentionné lors de l'entretien un cout d'environ 5 euros pour le petit-déjeuner, soit un total journalier de 14 euros alors que vos demandes de remboursement portent sur 30 euros.
Ces événements ayant été portés à ma connaissance, j'ai, en tant que Directeur Usine, perdu toute la confiance que j'avais en vous. Il en est de même pour le responsable du service achats Lait, Monsieur [S] [W], qui estime avoir perdu confiance en vous. Or, le poste de Chauffeur- Ramasseur nécessite d'avoir une pleine et entière confiance. De plus, des événements similaires s'étaient déjà produits dans le passé. Une enquête avait été menée par la gendarmerie pour vol de lait et non de pousse à lait comme vous l'avez prétendu. A l'issue nous vous avons laissé une chance. Aucune sanction n'avait été prise mais votre attention avait été attirée sur la nécessité de revenir à un comportement irréprochable. Manifestement, vous n'avez toujours pas compris vos obligations contractuelles.
Le 29 juin 2019, vous avez remis un arrêt de travail daté du 28 juin pour une durée d'un mois, et probablement plus puisque vous avez mentionné à votre collègue de travail un arrêt prévisionnel de trois mois. L'intention sous-jacente évoquée était de vous soustraire à la procédure disciplinaire en cours puisque vous pensiez que la procédure serait suspendue du fait de votre arrêt de travail Force est de constater que la confiance que le groupe Schreiber Foods portait à votre égard est désormais rompue.
Ces nouveaux faits constituent une falsification de notes de frais afin d'en tirer un avantage financier et s'analyse comme une fraude. Ils constituent par ailleurs une violation du règlement de l'entreprise. Vos explications lors de l'entretien préalable ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation. Aussi, nous considérons que vous avez gravement manqué à vos obligations professionnelles. Votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible et, compte tenu d la gravité des faits qui vous sont reprochés, nous sommes amenés à prononcer à votre égard un licenciement pour faute grave' » (pièce n° 4 de l'intimée).
La société SCHREIBER FRANCE indique que Monsieur [R] [V] a suivi une formation obligatoire du 13 mai au 11 juin 2019 sur le site City Pro à [Localité 6] ; qu'elle lui avancé la somme de 500 euros pour ses frais de bouche, avec une limite de remboursement de 30 euros par repas ; que les justificatifs de frais que lui a remis le salarié à la suite de sa formation sont faux ; que ce dernier a présenté 20 factures, sans aucun détail, émanant d'une seule et même boulangerie FADEL située à 8 km du lieu de la formation, d'un montant de 30 euros chacune.
L'employeur fait valoir que le responsable de la boulangerie FADEL lui a indiqué avoir remis à Monsieur [R] [V] des photocopies de factures vierges ; que la formule déjeuner était facturée 9 euros ; que Monsieur [R] [V] a payé en réalité un total de 180 euros pour l'ensemble de ses repas (pièces n° 7 de l'intimée).
Il fait également valoir que le salarié a reconnu au cours de l'entretien préalable avoir demandé à la boulangerie de lui remettre des factures de 30 euros, expliquant la différence de 21 euros par le coût de la formule petit déjeuner, alors que son coût était de 5 euros et ne pouvait donc expliquer, même ajoutée au coût de la formule repas, le montant des frais que Monsieur [R] [V] prétend avoir exposé.
Monsieur [R] [V] fait valoir que la seule obligation qui lui était faite était de rester dans la limite du budget quotidien de 30 euros ; que son employeur ne démontre pas qu'il lui aurait remis de fausses factures ; que la facture récapitulative des repas pris par Monsieur [V] remise à l'employeur par la boulangerie ne correspond pas à la réalité.
Motivation :
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve
L'employeur produit une facture récapitulative et signée émanant de la Boulangerie FADEL mentionnant « 20 repas déjeuner x 9,00 euros TTC », pour un total de 180 euros pour la période du 13 mai au 27 juin 2019 (pièce n° 7 de l'intimée).
Cet établissement étant tiers par rapport aux parties et le salarié ne démontrant, ni ne prétendant, que ce document ne provient pas de la Boulangerie FADEL, il n'y a aucun élément permettant de douter des informations y figurant, ledit établissement étant tiers par rapport aux parties.
Il en résulte que les mentions de 30 euros par repas portées sur les factures remises par le salarié, non signées et non détaillées, en contradiction avec les préconisations de la société (pièce n° 8 de l'intimée) et qui ne font pas état de petit-déjeuners, ne correspondent pas à la réalité.
Enfin, Monsieur [R] [V] fait mention de petit déjeuners qu'il aurait pris dans le même établissement, mais ne produit aucun justificatif à ce titre.
Il résulte de ces éléments que Monsieur [R] [V] a produit de fausses factures afin d'obtenir un remboursement de frais supérieur à ceux qu'il a effectivement exposés.
Ces faits sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement sans préavis ; le jugement du conseil de prud'hommes, dont la cour adopte également les motifs, sera donc confirmé.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :
Les parties seront déboutées de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles.
Monsieur [R] [V] sera condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;
Y AJOUTANT
Déboute Monsieur [R] [V] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société SCHREIBER FRANCE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Monsieur [R] [V] aux dépens.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
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