ARRÊT N° /2022
SS
DU 29 NOVEMBRE 2022
N° RG 20/00776 - N° Portalis DBVR-V-B7E-ESBW
Pole social du TJ de NANCY
17/00474
25 mars 2020
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANT :
Monsieur [I] [E]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représenté par Me Emmanuelle LARRIERE, avocat au barreau d'EPINAL
INTIMÉES :
Société [11] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 3]
[Localité 9]
Représentée par Me Marilyne KUZNIAK, avocate au barreau de LILLE
Société [10] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Valéry ABDOU, avocat au barreau de LYON substitué par Me Frederique Morel, avocate au barreau de NANCY
PARTIES INTERVENANTES :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE MEURTHE ET MOSELLE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représentée par Mme [B] [Y], régulièrement munie d'un pouvoir de représentation
Mutuelle [12] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Me Valéry ABDOU, avocat au barreau de LYON substitué par Me Frederique MOREL, avocate au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président : Monsieur BRUNEAU
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier : Madame RIVORY (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 12 Octobre 2022 tenue par Monsieur BRUNEAU, magistrat chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric HENON, président, Dominique BRUNEAU et Catherine BUCHSER-MARTIN, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 29 Novembre 2022 ;
Le 29 Novembre 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
FAITS ET PROCEDURE :
M. [I] [E], né en 1988, a été salarié de la société d'intérim [10] à compter du 1er juillet 2013 en qualité de man'uvre et mis à disposition de la société [11] en qualité de maçon carreleur à compter du 30 novembre 2015.
Le 11 décembre 2015, il a été victime d'un accident du travail (chute sur un barreau d'une échelle qu'il était en train de fixer, qui lui a occasionné une contusion au genou droit), pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels par la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle (ci-après dénommée la caisse).
L'état de santé de M. [E] a été déclaré consolidé au 1er juin 2017 et son taux d'incapacité permanente partielle a été fixée à 15 % pour une « limitation de la flexion du genou droit en deça de 110°, flessum non réductible, instabilité du genou droit avec amyotrophie persistante ». Ce taux a été maintenu à 15 % après rechute du 27 octobre 2017, consolidée au 4 juin 2021 (gonalgies droites invalidantes).
Dès le mois d'août 2017, M. [E] a sollicité de la caisse la mise en 'uvre de la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Un procès-verbal de non-conciliation a été établi le 23 octobre 2017.
Par courrier expédié le 31 octobre 2017, M. [E] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nancy d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Au 1er janvier 2019, cette affaire a été transférée en l'état au pôle social du tribunal de grande instance - devenu tribunal judiciaire - de Nancy.
Par jugement du 25 mars 2020, le tribunal a :
- dit que l'accident du 11 décembre 2015 dont a été victime M. [I] [E] n'est pas dû à la faute inexcusable de son employeur la société [10],
- débouté M. [I] [E] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné M. [I] [E] aux dépens de l'instance,
- dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire du présent jugement.
Le 7 avril 2020, M. [E] a relevé appel de ce jugement en ce qu'il rejeté sa demande tendant à dire que l'accident dont il a été victime est dû à la faute inexcusable de la société [11] et [10] et rejeté l'ensemble de ses demandes concernant l'indemnisation de son préjudice.
Par un arrêt du 9 mars 2021, la Cour d'appel de Nancy a :
- infirmé le jugement rendu le 25 mars 2020 par le tribunal judiciaire de Nancy,
Statuant à nouveau,
- dit que M. [I] [E] a été victime de la faute inexcusable de son employeur la société [10],
- ordonné la majoration de la rente servie par la CPAM de Meurthe et Moselle à son maximum légal,
- sursit à statuer sur les demandes supplémentaires,
- ordonné une expertise médicale de M. [I] [E],
- l'a confiée au docteur [C] [O] qui aura pour mission de :
prendre connaissance du dossier médical de M. [E] et de se faire remettre tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission,
procéder à l'examen de M. [I] [E], décrire les lésions causées par l'accident du travail du 11 décembre 2015, leur évolution et leur état actuel,
décrire les éléments de préjudice fonctionnel temporaire, en précisant s'il a été total ou partiel, en précisant le taux et la durée,
indiquer si l'état de santé de M. [I] [E] a nécessité la présence d'une tierce personne à titre temporaire jusqu'à la date de consolidation et dans l'affirmative préciser, l'étendue et les modalités de l'assistance rendue nécessaire,
fournir tous éléments permettant d'apprécier, en les chiffrant sur une échelle de 1 à 7, les souffrances physiques et morales endurées des suites de l'accident ainsi que le préjudice esthétique, définitif et temporaire,
fournir tous éléments permettant d'estimer le préjudice d'agrément et, le cas échéant le préjudice sexuel subi du fait de l'accident du travail,
donner son avis motivé sur l'existence et l'étendue d'un préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle,
dire si l'état de M. [I] [E] nécessite des aménagements ou des adaptations de son logement et l'utilisation ou la mise à disposition d'un véhicule adapté à son état,
dire s'il a subi d'autres préjudices exceptionnels directement liés aux séquelles de l'accident et dans l'affirmative, les décrire et en quantifier l'importance,
- dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de la sécurité sociale et qu'il pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix dans une spécialité autre que la sienne,
- dit qu'il sera procédé aux opérations d'expertise en présence des parties ou celles-ci convoquées et que l'expert devra entendre leurs observations et y répondre dans son rapport définitif,
- fixé au 15 juin 2021 la date de dépôt du rapport d'expertise au greffe de la chambre sociale de la cour d'appel de Nancy,
- dit que la Caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle fera l'avance des frais d'expertise, qui seront versés directement à l'expert dès réception du rapport, et qu'elle les récupérera auprès de l'employeur la société [10],
- fixé à la somme de 1.000 euros le montant de provision due à M. [I] [E] sur la réparation du préjudice subi qui sera avancé par la Caisse primaire d'assurance maladie de Meurtre et Moselle et qui en récupérera le montant auprès de la société [10],
- condamné la société [11] à garantir la société [10] de toutes les condamnations qui seront prononcées contre elle, en principal, intérêts, article 700 du code de procédure civile et frais au titre des conséquences financières résultant de la reconnaissance de la faute inexcusable au titre des préjudices et de la majoration de la rente mais aussi des conséquences financières résultant de l'accident du travail limitées aux cotisations accident du travail provenant de l'imputation sur son compte employeur du capital représentatif de la rente,
- renvoyé l'affaire à l'audience du 14 septembre 2021 à 13h30, la notification du présent arrêt valant convocation des parties à l'audience.
Le docteur [O] a déposé son rapport le 16 février 2022.
Après plusieurs renvois, le dernier à la demande de la société [10] pour conclusions de l'entreprise utilisatrice, l'affaire a été évoquée à l'audience du 12 octobre 2022, à laquelle les parties s'en sont remises à leurs écritures.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Suivant des conclusions après expertise en réponse n° 1 déposées à l'audience du 12 octobre 2022, M. [I] [E] demande à la Cour de :
- fixer l'indemnisation de ses préjudices de la façon suivante :
Au titre du déficit fonctionnel temporaire 18.413,75 euros
Au titre de l'aide humaine temporaire 23.990 euros
Au titre des souffrances endurées 20.000 euros
Au titre du préjudice esthétique temporaire 15.000 euros
Au titre des frais de trajets 1.759,85 euros
Au titre des pertes de gains professionnels 18.546 euros
Au titre du préjudice esthétique permanent 15.000 euros
Au titre du préjudice d'agrément 3.000 euros
Au titre du préjudice sexuel 1.000 euros
Au titre de l'incidence professionnelle 3.000 euros
Au titre des frais médicaux futurs 37.339,50 euros
- juger que sera déduite de ces sommes la provision de 1.000 euros lui ayant été versée par la CPAM de MEURTHE-ET-MOSELLE suite à l'arrêt rendu par la Cour d'appel de NANCY le 9 mars 2021 ;
- juger qu'en application de l'article L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale, la CPAM de MEURTHE-ET-MOSELLE devra procéder à l'avance des sommes octroyées, à charge pour elle de les récupérer auprès de la SAS [10] ;
- condamner solidairement la SAS [10] et [12] à lui verser la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner solidairement la SAS [10] et [12] aux entiers dépens de l'instance ;
- rappeler que la SAS [11] est condamnée à garantir la SAS [10] de toutes les condamnations qui seront prononcées contre elle, en principal, intérêts, article 700 du Code de procédure civile et frais au titre des conséquences financières résultant de la reconnaissance de la faute inexcusable au titre des préjudices et de la majoration de la rente mais aussi des conséquences financières résultant de l'accident du travail limitées aux cotisations accident du travail provenant de l'imputation sur son compte employeur du capital représentatif de la rente.
*
Suivant des conclusions après expertise reçues au greffe la 10 octobre 2022, la société [10] et la [12] demandent à la Cour de :
- fixer l'indemnisation de [I] [E] au titre du déficit fonctionnel temporaire total et partiel aux sommes suivantes :
- 300 euros au titre du déficit temporaire total,
- 5.437,50 euros au titre du déficit temporaire à 75%
- 6.962,50 euros au titre du déficit temporaire à 50%
- 3.606,25 euros au titre du déficit temporaire à 25%
- fixer l'indemnisation au titre de l'assistance d'une tierce personne à 16.751 euros
- fixer l'indemnisation au titre des souffrances endurées à 12.000 euros ;
- fixer l'indemnisation au titre du préjudice esthétique temporaire à 3500 euros
- fixer l'indemnisation au titre du préjudice esthétique permanent à 4000 euros
- fixer l'indemnisation au titre de l'aménagement du véhicule à 4 §ll,72 euros ;
- débouter M. [E] de sa demande d'indemnisation au titre des frais de trajet
- débouter M. [E] de sa demande d'indemnisation au titre de la perte de gains professionnels
- débouter M. [E] de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice d'agrément
- débouter M. [E] de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice sexuel
- débouter M. [E] de sa demande d'indemnisation au titre de l'incidence professionnelle
- réduire la demande de M. [E] au titre des frais irrépétibles à de plus justes proportions et l'inclure dans la garantie due par la société [11], utilisatrice de la victime
*
Suivant des conclusions après expertise n° 2 déposées à l'audience du 12 octobre 2022, la société [11] demande à la Cour de :
- liquider les préjudices de Monsieur M. [E] des suites de son accident de travail du 11 décembre 2015 ;
- fixer l'indemnisation complémentaire des préjudices subis par M. [E] des suites de l'accident de travail dont il a été victime le 11 décembre 2015 et dû à la faute inexcusable comme suit :
- Au titre du DFT : 17.677,20 euros
- Au titre de l'assistance tierce personne temporaire : 17.992,50 euros
- Au titre des souffrances endurées : 12.000 euros
- Au titre du préjudice esthétique temporaire : 3.500 euros
Au titre du préjudice esthétique permanent : 4.500 euros
Au titre des frais d'adaptation du véhicule : 4.311,72 euros
- débouter Monsieur [E] de ses demandes liées :
- Au préjudice d'agrément
- Au préjudice sexuel
- A l'incidence professionnelle
- Aux frais de trajet
- Aux pertes de gains et salaires
- débouter M. [E] de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.
*
Suivant des conclusions après expertise déposées à l'audience du 9 mars 2022, la caisse demande à la Cour de :
fixer les réparations correspondantes au vu du rapport d'expertise du Docteur [O] et de la jurisprudence applicable en la matière, sauf en ce qui concerne les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle, lesquelles sont déjà indemnisées par la rente servie à M. [E]
condamner la société [10], garantie par la société [11], à lui rembourser le montant global des indemnisations complémentaires qu'elle sera amenée à verser du fait de la faute inexcusable reconnue,
- condamner la société [10], garantie par la société [11], à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
1 - Sur l'indemnisation des préjudices :
Selon l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale :
Indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
Il résulte de ce texte, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010, qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité.
Il en résulte que c'est sur le fondement de ces principes que la réparation des préjudices de la victime doit s'opérer.
La caisse demande à la cour de fixer les réparations correspondants aux préjudices au vu du rapport de docteur [O] et de la jurisprudence, à l'exception des préjudices de pertes de gains professionnels et l'incidence professionnel, déjà indemnisé par la rente servie à M. [I] [E].
L'employeur et son assureur, ainsi que l'entreprise utilisatrice, demandent la limitation des indemnisations, à l'identique ou quasiment à l'identique, et s'opposent aux indemnisations réclamées au titre du préjudice d'agrément, de l'incidence professionnelle, du préjudice sexuel, aux frais de trajet et aux pertes de gains et salaires.
Sur les préjudices visés à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale :
' Sur les souffrances endurées :
Il s'agit des souffrances physiques, psychiques et morales et troubles associés que doit endurer la victime du fait des atteintes à son intégrité, sa dignité et à son intimité et des traitements, interventions, hospitalisations avant consolidation.
L'expert a évalué les souffrances physiques et morales endurées par M. [I] [E] à 4,5/7 correspondant trois interventions chirurgicales, aux actes d'infiltrations et de visco-supplémentation, six blocs sympathiques et de nombreuses séances de rééducation.
M. [I] [E] réclame de ce chef la somme de 20.000 euros. Il indique qu'il convient de rajouter aux souffrances des actes qu'il a subis les douleurs chroniques de son genou droit.
La société de travail temporaire et son assureur soutiennent qu'eu égard à la jurisprudence, de la cour de céans, ce montant est excessif et demandent qu'il soit réduit à 12.000 euros.
L'entreprise utilisatrice soutient que ce montant est excessif, compte tenu du chiffrage de l'expert et de la jurisprudence de la cour de céans, et demande également de le réduire à 12.000 euros.
Compte tenu des éléments médicaux versé au dossier, de la nature des blessures, de l'âge de la victime au moment de l'accident du travail (27 ans) et de la durée de la période traumatique (plus de 5 ans avec la rechute), il sera fait droit à la demande.
' Sur le préjudice esthétique :
Ce poste de préjudice vise à indemniser l'altération de l'apparence physique de la victime avant et après consolidation, modulé en fonction notamment de l'âge, du sexe et de la situation personnelle et familiale de la victime.
L'expert a évalué son préjudice temporaire à 4/7 lorsqu'il se déplaçait à l'aide de cannes anglaises et d'un fauteuil roulant et à 3/7 lorsqu'il se déplaçait avec des cannes anglaises ; il a évalué son préjudice esthétique définitif à 3/7 correspondant à la cicatrice au niveau de son genou, du flexum irréductible (mobilité en flexion du genou limité à 40 °), de la boiterie et de l'utilisation permanente d'une canne anglaise.
M. [I] [E] demande 15.000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et 15.000 euros au titre du préjudice esthétique permanent.
Il précise qu'il était âgé de 27 ans au jour de l'accident, qu'il porte en permanence une genouillère et qu'il a pris 30 kilos depuis l'accident du fait de ses difficultés à se déplacer et à l'arrêt de ses activités sportives.
S'agissant d'un préjudice esthétique temporaire lié à l'utilisation d'un fauteuil roulant pendant près d'une année, puis en cannes anglaises, les sociétés proposent de fixer l'indemnisation de ce chef de préjudice à 3.500 euros.
S'agissant d'un préjudice esthétique permanent résultant d'une cicatrice au genou de 10 cm et de l'impossibilité de plier complètement le genou avec boiterie et usage d'une canne anglaise, elles proposent d'indemniser ce préjudice pour l'une à hauteur de 4.000 euros et pour l'autre à hauteur de 4.500 euros.
Sur le préjudice esthétique temporaire, l'utilisation par une personne jeune d'un fauteuil roulant et de cannes anglaises est générateur d'un préjudice d'image ; compte tenu de la durée de la maladie traumatique, il convient de faire droit à cette demande.
Sur le préjudice esthétique permanent, au regard des éléments du rapport de l'expert, s'agissant d'une cicatrice importante au niveau du genou avec boiterie, usage d'une canne sans laquelle il présente de très grandes difficultés pour marcher et impossibilité de plier complètement le genou, qui s'apparente à un préjudice d'image, il convient de faire droit à la demande à hauteur de 8.000 euros.
' Sur le préjudice d'agrément :
Le préjudice d'agrément consiste en l'impossibilité de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique de sport ou de loisir. Ce poste de préjudice inclut également la limitation de la pratique antérieure. Il appartient à la victime de justifier de cette pratique antérieurement à la maladie professionnelle.
M. [I] [E] demande à ce titre la somme de 3.000 euros. Il indique que suite à son accident, il a dû arrêter toutes ses activités sportives, notamment la course à pied, qu'il pratiquait deux fois par semaine et la musculation qu'il pratiquait quatre fois par semaine, son périmètre de marche étant limité à 300 mètres et la station debout ne peut être supérieure à 10 mn. Il précise également qu'il ne peut plus aller se promener avec ses trois enfants, ni effectuer aucune activité ludique ou sportive avec eux.
L'expert, comme souligné par les sociétés qui s'opposent à l'indemnisation de ce chef de préjudice pour absence de justificatifs d'une activité antérieurement pratiquée, reprend les doléance de M. [E] mais ne se prononce pas sur l'incapacité médicale de celui-ci à pratiquer les activités alléguées.
La Cour observe que M. [E] ne justifie pas de l'arrêt d'une pratique sportive ou de loisir antérieurement à son accident, les attestations de sa mère, qui indique qu'il « faisait plein de chose activité avec sa femme et ses enfants » et de Mme [F] [X] étant formulées de façon trop générale pour permettre l'indemnisation de ce chef de préjudice. La demande sera donc rejetée.
' Sur l'incidence professionnelle :
Pour prétendre à l'indemnisation par application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale de la perte ou de la diminution de possibilités de promotion professionnelle, la victime doit démontrer que de telles possibilités préexistaient, étant par ailleurs relevé que le préjudice professionnel se trouve indemnisé par la rente et sa majoration.
Les défenderesses s'opposent à cette demande, affirmant que ce préjudice est déjà indemnisé par la rente.
M. [I] [E] indique que suite à cet accident, intervenu le dernier jour de sa mission, son état de santé ne lui a plus permis d'effectuer des missions de man'uvre en intérim, qu'il a été obligé d'effectuer une reconversion professionnelle (diagnostiqueur immobilier), avec une perte de revenus (2.974 euros net contre 2.200 euros net avant son accident), avec une plus grande fatigabilité et une pénibilité de son travail.
A l'appui de sa demande, il cite des arrêts de la cour de cassation (Cass. Civ. 2ème 14 septembre 201 7 n °16-235 78 / Cass. Crim. 28 mai 2019 n°18-81035) rendus en matière d'accident de la circulation, inapplicable en matière d'indemnisation en matière de risques professionnels.
Ainsi, M. [I] [E] demande en réalité la réparation du déclassement professionnel résultant de l'accident qui est indemnisé par la rente et sa majoration. La demande à ce titre sera rejetée.
Sur les préjudices non visés à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale :
Sur le déficit fonctionnel temporaire :
Le déficit fonctionnel temporaire peut être défini comme l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique jusqu'à la consolidation. Il traduit l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle que va subir la victime jusqu'à sa consolidation. Il correspond à la période d'hospitalisation de la victime mais aussi à la perte de qualité de vie et celle des joies usuelles de la vie courante et inclut le préjudice temporaire d'agrément et éventuellement le préjudice sexuel temporaire.
Les périodes et le taux du déficit fonctionnel fixés par l'expert n'étant pas remis en cause, il convient de les retenir comme suit :
- gêne temporaire totale, qui correspond aux périodes d'hospitalisation :
les 16 et 17 mars 2016, le 27 septembre 2016, les 12 et 13 avril ''''' les 30 octobre, 9 novembre et 29 novembre 2018 et les 9 et 11 janvier et 14 février 2019, le 14 avril 2020, soit 12 jours
- gêne temporaire partielle
'' % du 14/04/2018 au 29/01/2019, période d'utilisation d'un fauteuil roulant, soit 291 jours
50 % du 11/12/2015 au 15/03/2016, du 18/03/2016 au 26/09/2016, du 28/09/2016 au 27/12/2016, du 30/01/2019 au 29/07/2019, soit 561 jours
25 % du 28/12/2016 au 30/05/2017, du 27/10/2017 au 11/04/2018, du 30/07/2019 au 13/04/2020, soit 580 jours
15 % du 01/06/2017 au 26/10/2017 et du 15/04/2020 au 04/06/2021, soit 564 jours.
Soit un déficit fonctionnel total pendant 12 jours et un déficit temporaire partiel de :
'' % pendant 291 jours
'0 % pendant 561 jours
'5 % pendant 580 jours
15 % pendant 564 jours
M. [I] [E] réclame la somme totale de 18.413,75 euros, sur la base de minimum 25 euros/jour, sans tenir compte du dernier jour du déficit fonctionnel temporaire partiel de chaque période dans son décompte.
Les défenderesses ne contestent pas le quantum retenu par l'expert.
L'employeur, ainsi que son assureur, omettent cependant le taux de DFT partiel de 15 % dans leurs écritures et ne contestent pas le taux journalier, généralement retenu par la Cour de céans alors que la société [11] soutient que ce tarif est légèrement au-dessus du barème applicable en la matière, de l'ordre de 24 euros et demande à la cour d'accorder à M. [E] une somme de 17.677,20 euros.
La Cour retient une somme de 25 euros par jour, de nature à indemniser intégralement ce préjudice, soit :
- 25 euros x 12 jours = 300 euros
- 25 euros x 291 jours x 75 % = 5 456,25 euros
- 25 euros x 561 jours x 50 % = 7 012,50 euros
- 25 euros x 580 jours x 25 % = 3 625 euros
- 25 euros x 564 jours x 15 % = 2 115 euros
soit un total de 18.508,75 euros. M. [I] [E] demandant 18.413,75 euros à ce titre, il sera fait droit à cette demande.
Sur l'assistance humaine temporaire :
Ce préjudice correspond à la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne pour la période antérieure à la consolidation.
L'expert évalue l'aide à 1 heure par jour (actes essentiels de la vie courante) du 11/12/2015 au 01/06/2017 (539 jours) et à 1 heure 30 par jour du 14/04/2018 au 29/06/2019 (442 jours).
M. [I] [E] indique que son épouse l'a aidé durant cette période à réaliser sa toilette, s'habiller et se déshabiller et demande l'indemnisation de ce préjudice sur la base d'un taux horaire de 20 euros, soit une somme de 23.990 euros.
L'employeur et son assureur ne contestent pas le quantum retenu par l'expert, dont il convient cependant de déduire 3 jours correspondant au DFTT sur cette période, mais demandent de calculer ce préjudice sur un taux horaire de 14 euros, soit une indemnisation de 16.751 euros.
La société [11] demande à la Cour de retenir un taux horaire de 15 euros dans la mesure où c'est l'épouse de M. [E] qui l'a aidé au quotidien durant cette période et qu'elle ne dispose d'aucune formation spécifique, soit une indemnisation de 17.992,50 euros.
S'agissant d'une aide active, il convient de retenir un taux horaire de 16 euros.
Partant, il sera accordé à M. [I] [E] une somme de 19.184 euros à ce titre (1 H pendant 536 jours compte tenu d'un DFTT les 16 et 17 mars 2016 et 27 septembre 2016 et 1 H ¿ pendant 442 jours).
' Sur le préjudice sexuel :
Ce préjudice comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle à savoir : le préjudice morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels, le préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir à l'accomplissement de l'acte sexuel qu'il s'agisse de la perte de l'envie ou de la libido, de la perte de capacité physique de réaliser l'acte ou de la perte de la capacité à accéder au plaisir ainsi que le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté de procréer.
L'expert indique que la perte du désir mentionné par M. [I] [E] est certainement lié à la prise de morphiniques.
M. [I] [E] précise qu'il s'est séparé fin 2021 de son épouse, qu'ils sont en instance de divorce et rend ses problèmes de santé en partie responsables de cette situation.
L'entreprise de travail temporaire et son assureur ainsi que l'entreprise utilisatrice s'opposent à cette demande, qui n'est étayée d'aucun document.
M. [E] ne produisant aucune pièces à l'appui de sa demande, la Cour rejette cette demande.
' Sur les frais de véhicule adapté (qualifiés à tort par M. [E] de frais médicaux futurs) :
Ce poste de préjudice prend en compte les dépenses nécessaires pour procéder à l'adaptation d'un ou de plusieurs véhicules aux besoins de la victime atteinte d'un handicap permanent.
L'expert retient la nécessité d'une adaptation du véhicule de M. [I] [E] du fait de ses difficultés à utiliser la pédale d'accélérateur.
Il appartient à la victime de justifier le préjudice qui sur le plan fonctionnel justifie l'achat d'un véhicule à boîte automatique.
M. [I] [E] produit un devis pour l'adaptation de son véhicule pour un montant de 4 311,72 euros TTC (achat et installation d'un accélérateur par cercle au volant et frein à baisser à main droite).
M. [E] demande l'indemnisation suivante :
[4311,72 euros / 5 ans (rythme de renouvellement moyen de la voiture)] x 43,300 euros (euro de rente viagère pour un homme de 33 ans) = 37 339,50 euros.
Les défenderesses demandent de limiter cette indemnisation à la somme de 4.311,72 euros correspondant à l'aménagement initial.
M. [E] ne justifiant pas du surcoût d'acquisition d'un véhicule aménagé, il sera fait droit à sa demande à hauteur de 4.311,72 euros correspondant à l'aménagement de son véhicule.
'Sur les frais de trajet avant consolidation :
M. [I] [E] indique qu'il a été contraint d'effectuer un nombre important de déplacements dans la cadre de ses soins et de sa rééducation et produit un décompte de ses trajets, faisant ressortir un nombre de kilomètres de 2 928,20 euros. Il demande une indemnisation de 1.759,85 euros à ce titre, calculé sur la base d'un véhicule de 7 chevaux fiscaux (0,601 euros/km).
Les sociétés défenderesses s'opposent à cette demande et indiquent que ces frais sont couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale et la société [11] soutient que les frais de déplacement en général sont couverts par la rente versée par la Caisse.
Il résulte de l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale figurant au chapitre I du titre III du livre IV de ce code qu'en cas d'accident du travail, les frais de transport et d'une façon générale, les frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation professionnelle et le reclassement de la victime sont pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie, de sorte qu'ils figurent parmi les chefs de préjudices expressément couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale dont la victime ne peut demander réparation à l'employeur en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété à la lumière de la décision n° 2010-8 QPC du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010. (Civ. 2ème, 4 avril 2012, n°11- 18.014)
Partant, M. [E] ne peut pas dans ces conditions demander, au visa de l'article L. 452-3 précité, l'indemnisation de ses frais de déplacement pour se rendre chez divers médecins et praticiens et sa demande sera rejetée.
' Sur la perte de gains professionnels:
M. [E] indique qu'en 2015, il a perçu un revenu annuel net de 26.642 euros (salaires imposables : l5.061,95 euros + indemnités grands déplacements non imposables : 8.144,l0 euros + indemnités chômage : 3.436 euros) et qu'il a subi des pertes de revenus sur les années suivantes, de 2016 à 2019, de 18.546 euros, dont il demande indemnisation.
La Caisse soutient que la rente qui lui est servie indemnise déjà les pertes de gains professionnels, de sorte qu'il ne peut obtenir une indemnisation complémentaire sur le fondement de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.
L'employeur, son assureur et l'entreprise utilisatrice soutiennent également que M. [E] est déjà indemnisé par la rente majorée.
Comme ci-dessus mentionné, M. [E] perçoit une rente accident du travail depuis le 2 juin 2016.
La rente servie indemnisant les pertes de gains professionnels, cette demande sera rejetée.
***
La Caisse versera à M. [I] [E] la somme totale de 84.909,47 euros se décomposant comme suit :
- souffrances endurées : 20.000 euros,
- préjudice esthétique temporaire : 15.000 euros.
- préjudice esthétique définitif : 8.000 euros.
- déficit fonctionnel temporaire : 18.413,75 euros,
- assistance humaine : 19.184 euros,
- frais de véhicule adapté : 4.311,72 euros
Soit un total de 83.909,47 euros, après déduction de la somme de 1.000 euros correspondant à la provision versée, à la charge de la caisse.
2 - Sur l'action récursoire de la caisse :
Conformément à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, l'employeur sera condamné à rembourser à la caisse les sommes qu'elle aura déboursées.
3 - Sur les autres demandes, frais et dépens :
La société [10] sera condamnée aux dépens de la présente instance, incluant les frais d'expertise.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la charge de M. [I] [E] l'intégralité des frais irrépétibles exposés de telle sorte que la somme de 1.500 euros lui sera allouée à ce titre, à la charge de son employeur, la société [10].
La société [10] sera également condamnée à payer à la Caisse sur le même fondement la somme 500 euros à la Caisse.
La Cour rappelle, à la demande de M. [E], que la SAS [11] a été condamnée à garantir la SAS [10] de toutes les condamnations qui seront prononcées contre elle, en principal, intérêts, article 700 du Code de procédure civile et frais au titre des conséquences financières résultant de la reconnaissance de la faute inexcusable au titre des préjudices et de la majoration de la rente mais aussi des conséquences financières résultant de l'accident du travail limitées aux cotisations accident du travail provenant de l'imputation sur son compte employeur du capital représentatif de la rente.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Vu l'arrêt de cette cour en date du 9 mars 2021 ;
FIXE les préjudices de M. [I] [E] aux montants suivants :
- souffrances endurées : 20.000 euros,
- préjudice esthétique temporaire : 15.000 euros.
- préjudice esthétique définitif : 8.000 euros.
- déficit fonctionnel temporaire : 18.413,75 euros,
- assistance humaine : 19.184 euros,
- frais de véhicule adapté : 4.311,72 euros
Soit un total de 84.909,47 euros,
DIT qu'il convient de déduire de l'ensemble des indemnités allouées la somme de 1.000 euros (mille euros) à versée à M. [I] [E] à titre de provision en exécution de l'arrêt rendu par la cour d'appel de céans le 9 mars 2021 ;
DIT que la Caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle versera à M. [I] [E] la somme de 83.909,47 euros (quatre vingt quatre mille neuf cent neuf euros et quarante sept centimes), et récupérera les sommes qu'elle aura déboursées auprès de la société [10] ;
CONDAMNE la société [10] aux entiers dépens d'appel incluant les frais d'expertise,
CONDAMNE la société [10] à payer à M. [I] [E] la somme de 1.500 euros (mille cinq cents euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société [10] à payer à la Caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle la somme de 500 euros (cinq cents euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que la SAS [11] a été condamnée à garantir la SAS [10] de toutes les condamnations qui seront prononcées contre elle, en principal, intérêts, article 700 du Code de procédure civile et frais au titre des conséquences financières résultant de la reconnaissance de la faute inexcusable au titre des préjudices et de la majoration de la rente mais aussi des conséquences financières résultant de l'accident du travail limitées aux cotisations accident du travail provenant de l'imputation sur son compte employeur du capital représentatif de la rente .
DECLARE les parties mal fondées sur le surplus de leurs demandes.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Guerric Henon, Président de Chambre et par Madame Clara Trichot-Burté, Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Minute en seize pages