La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/11/2022 | FRANCE | N°21/01660

France | France, Cour d'appel de Nancy, 1ère chambre, 07 novembre 2022, 21/01660


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

------------------------------------

COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile



ARRÊT N° /2022 DU 07 NOVEMBRE 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01660 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EZS4



Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de BAR LE DUC,

R.G.n° 20/00208, en date du 20 mai 2021,



APPELANTE :

CAISSE MEUSIENNE D'ASSURANCES MUTUELLES (CMAM), prise en la personne de son représ

entant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 1]

Représentée par Me Aubin LEBON de la SCP LEBON & ASSOCIÉS, avocat au barreau de NANCY, avo...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

------------------------------------

COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2022 DU 07 NOVEMBRE 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01660 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EZS4

Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de BAR LE DUC,

R.G.n° 20/00208, en date du 20 mai 2021,

APPELANTE :

CAISSE MEUSIENNE D'ASSURANCES MUTUELLES (CMAM), prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 1]

Représentée par Me Aubin LEBON de la SCP LEBON & ASSOCIÉS, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant

Plaidant par Me Elisa PIERRÉ substituant Me Valérie DAVIDSON, avocat plaidant, avocats au barreau de METZ

INTIMÉS :

Monsieur [N] [B]

né le 05 novembre 1957 à [Localité 5]

domicilié [Adresse 2]

Représenté par Me Sandrine AUBRY de la SCP AUBRUN-FRANCOIS AUBRY, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant

Plaidant par Me Hélène AUBERT, substituant Me Jean-Philippe FOURMEAUX, avocat postulant, avocats au barreau de DRAGUIGNAN

S.A.R.L. VAREILLE & CO LIMITED, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 3]

Représentée par Me Sandrine AUBRY de la SCP AUBRUN-FRANCOIS AUBRY, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant

Plaidant par Me Hélène AUBERT, substituant Me Jean-Philippe FOURMEAUX, avocat postulant, avocats au barreau de DRAGUIGNAN

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Septembre 2022, en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, chargé du rapport,

Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

--------------------------------------------------------------------------------------------------------

Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

--------------------------------------------------------------------------------------------------------

A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 07 Novembre 2022, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 07 Novembre 2022, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL Vareille & Co Limited était propriétaire d'un bien immobilier situé à [Localité 6] (Guadeloupe) [Localité 4], édifié sur une parcelle de terrain formant le lot n° 237 du lotissement 'Les résidences de la Baie Orientale - cinquième tranche'.

Par acte sous seing privé du 10 octobre 2016 avec effet au 1er novembre 2016, la SARL Vareille & Co Limited a souscrit pour cet immeuble un contrat d'assurance multirisque habitation, formule 'Elite', la Caisse meusienne d'assurances mutuelles [ci-dessous 'la CMAM'] étant l'une des sociétés d'assurance accordant les garanties du contrat.

Le 6 septembre 2017, ce bien immobilier a été endommagé lors du passage du cyclone de catégorie 5 'Irma' sur la commune de [Localité 6], classée en catastrophe naturelle par l'arrêté du 8 septembre 2017 paru au JORF n°0211 du 9 septembre 2017 pour inondations et choc mécanique lié à l'action des vagues, inondations et coulées de boues, vents cycloniques du 5 au 7 septembre 2017.

Dans deux courriers du 6 janvier 2018, le cabinet Polyexpert a fait état d'importants dommages occasionnés au bâtiment dont la charpente a été soulevée, et des baies arrachées avec infiltrations à 1'intérieur, ainsi qu'aux aménagements extérieurs. Il a évalué les dommages consécutifs au sinistre à la somme de 346903,91 euros, vétusté déduite.

Par courrier recommandé du 12 mars 2018, la SARL Vareille & Co Limited a mis en demeure la CMAM de lui régler la somme de 229104,17 euros, une provision de 10000 euros lui ayant déjà été versée.

Par acte notarié du 27 juin 2018, la SARL Vareille & Co Limited a vendu son bien immobilier à Monsieur [N] [B], avec stipulation particulière relative au paiement de l'indemnité différée due par 1'assureur.

Par ordonnance du 14 novembre 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bar Le Duc a notamment :

- condamné la CMAM à payer à la SARL Vareille & Co Limited une provision de 175040,21 euros sur l'indemnité d'assurance, déduction faite de la somme de 10000 euros préalablement versée, avec intérêts au taux légal à compter du 12 mars 2018,

- dit que la demande de la SARL Vareille & Co Limited quant à la provision sur l'indemnité de perte d'usage et celle quant à la provision au titre des mesures conservatoires dans le cadre du préjudice matériel se heurtent à une contestation sérieuse, et dit que le juge des référés n'est donc pas compétent pour en connaître,

- condamné la CMAM aux dépens et à payer à la SARL Vareille & Co Limited la somme de 1000 euros au titre de 1'article 700 du code de procédure civile.

Par courrier du 8 janvier 2019, la CMAM s'est acquittée de la condamnation en principal par règlement de la somme de 154660,21 euros (175040,21 euros - 380 euros de franchise - 20000 euros versés le 22 octobre 2018).

Par courrier recommandé en date du 27 août 2019, la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B] ont informé la CMAM de la vente intervenue et de la stipulation particulière relative à la prise en charge de l'intégralité des travaux de réfection par Monsieur [B], joignant les factures des travaux de remise en état, et mis en demeure cette dernière de procéder au paiement du solde des indemnités exigibles pour un montant global de 170143,39 euros.

Par courrier recommandé du 25 novembre 2019, la CMAM a contesté ce chiffrage, au motif que les dommages immatériels n'étaient pas pris en charge et que l'indemnité différée d'un montant de 170457,10 euros ne pourrait être payée qu'à réception de la lettre d'indemnité régularisée et co-signée et après contrôle par son expert des factures transmises.

Par acte du 9 avril 2020, Monsieur [B] et la SARL Vareille & Co Limited ont fait assigner la CMAM devant le tribunal judiciaire de Bar le Duc, sur le fondement des articles 1103 et suivants du code civil et L. 125-1 du code des assurances, aux fins de condamnation de la CMAM à payer :

- à chacun d'eux la somme de 85228,55 euros en principal correspondant à 50 % de l'indemnité différée, outre les intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2019, date de la notification de la mise en demeure et jusqu'à complet règlement,

- la somme de 36000 euros à la SARL Vareille & Co Limited au titre de la perte d'usage,

- la somme de 5000 euros à chacun d'eux pour résistance abusive,

- la somme de 4000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de l'instance.

Par jugement contradictoire du 20 mai 2021, le tribunal judiciaire de Bar le Duc a :

- déclaré recevables la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B] en leurs demandes,

- condamné, au titre du solde de l'indemnité légale de catastrophes naturelles, la CMAM à payer les sommes de :

. 85228,55 euros à la SARL Vareille & Co Limited avec intérêts au taux légal à compter de la décision,

. 85228,55 euros à Monsieur [B] avec intérêts au taux légal à compter de la décision,

- condamné, au titre du poste 'perte d'usage', la CMAM à payer à la SARL Vareille & Co Limited la somme de 30000 euros,

- débouté la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B] de leur demande au titre de la résistance abusive,

- rejeté le surplus des demandes principales et reconventionnelles,

- constaté l'exécution provisoire de droit,

- condamné la CMAM aux dépens et à payer à la SARL Vareille & Co Limited et à Monsieur [B] la somme de 3000 euros, soit 1500 euros à chacun d'eux, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont considéré au vu des justificatifs de la vente du bien entre la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B], de ses conditions particulières relatives à la prise en charge des réparations et à la répartition du montant de l'indemnité différée dont la CMAM a pris acte, que la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B] justifiaient de leur qualité à agir.

Concernant l'indemnisation des dommages matériels directs, ils ont retenu comme applicables les conditions générales produites par la CMAM.

Ils ont par ailleurs constaté que la somme de 185040,21 euros avait déjà été versée et que les parties s'accordaient sur le montant maximum de l'indemnité légale restant à verser, soit 170457,10 euros.

Les premiers juges ont considéré que les parties qualifiaient l'indemnité restant à verser d'indemnité différée alors qu'il s'agissait selon les termes du contrat du solde de l'indemnité légale. Il en ont conclu que cette somme aurait dû être versée conformément à l'article 15.2 des conditions générales, sans exigence de régularisation d'une lettre d'acceptation de l'indemnité, ni de production de factures, et qu'il n'y avait donc pas lieu de contrôler les factures produites pour accorder cette indemnisation, soit la somme de 85228,55 euros à verser à Monsieur [B], et la même somme à verser à la SARL Vareille & Co Limited.

Concernant le dommage immatériel dit 'perte d'usage', les premiers juges ont rappelé que l'indemnisation légale des catastrophes naturelles prévue à l'article L. 125-1 du code des assurances vise les dommages matériels directs. Ils ont relevé que les conditions générales présentent en annexe 2, page 31, un tableau récapitulatif des garanties duquel il ressort que la formule 'Elite' prévoit la prise en charge du poste 'perte d'usage' pour une année de valeur locative. Ils en ont déduit que l'assureur s'est engagé à garantir les postes immatériels, même en cas de catastrophe naturelle, la liberté contractuelle n'étant pas prohibée par les articles L. 125-1 et suivants du code des assurances. Le sinistre ayant eu lieu le 6 septembre 2017 et la revente du bien le 27 juin 2018, la perte d'usage étant estimée par les experts à 3000 euros par mois, le tribunal a retenu une période de 10 mois et une indemnisation de 30000 euros.

Il a enfin rejeté la demande de la SARL Vareille & Co Limited et de Monsieur [B] de dommages et intérêts pour résistance abusive au motif que ces derniers n'en caractérisaient pas les éléments constitutifs.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 30 juin 2021, la CMAM a relevé appel de ce jugement.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 18 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la CMAM demande à la cour, au visa de l'article 146 du code de procédure civile, des articles L. 125-1 et A. 125-1 du code des assurances et de l'annexe I c) de l'article A. 125-1 du code des assurances, de la loi n°82-600 du 13 juillet 1982 et notamment son article 1er alinéa 3, des articles 1103 et suivants du code civil, de :

- juger recevable et bien fondé son appel,

Y faisant droit, infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau :

- juger irrecevables et mal fondées les demandes de la SARL Vareille & Co Limited et de Monsieur [B],

- en conséquence, les rejeter,

- débouter la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B] de l'ensemble de leurs demandes à son encontre,

- les condamner chacun au paiement d'une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens,

Subsidiairement, pour le cas où la cour confirmerait sa condamnation à verser une indemnité :

- juger irrecevable et mal fondée la demande tendant à la désignation d'un expert judiciaire pour 'vérification des factures de remise en état' et 'évaluer le coût des travaux de réparation financés par Monsieur [B]',

- statuer ce que de droit quant à la répartition des sommes éventuellement dues entre la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B],

- en tout état de cause, infirmer le jugement frappé d'appel sur le montant des sommes allouées aux intimés,

- fixer le montant de l'indemnité d'assurance qui serait éventuellement due en fonction des justificatifs produits s'agissant du coût réellement engagé pour la reconstruction du bien objet du contrat et dans la limite de la garantie,

- dans tous les cas, écarter les justificatifs se rapportant à des dépenses sans lien avec la reconstruction de la maison objet du contrat d'assurance et de son mobilier,

Subsidiairement, dès lors qu'il serait fait droit à la demande tendant à la désignation d'un expert judiciaire pour 'vérification des factures de remise en état',

- juger que la mission de l'expert devra alors nécessairement :

- se dérouler au contradictoire des parties qui auront la possibilité de se faire assister,

- ordonner à l'expert de déterminer si ces factures se rapportent à une remise en état à l'identique de la maison couverte par le contrat d'assurance souscrit et suite à l'événement du 6 septembre 2017,

- et préciser qu'il devra par ailleurs établir un pré-rapport d'expertise en accordant aux parties un délai pour formuler leurs observations auxquelles il devra répondre,

- dans tous les cas, mettre à la charge de la SARL Vareille & Co Limited et de Monsieur [B] l'avance des frais de l'expertise qu'ils sollicitent,

- si par extraordinaire une indemnité au titre de la perte d'usage était accordée à la SARL Vareille & Co Limited, la réduire dans son montant à de plus justes proportions et en limiter la durée à 9 mois,

- débouter les intimés de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter les intimés en tout cas de leur demande injustifiée de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamner la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B] aux entiers frais et dépens,

- rejeter toute prétention plus ample ou contraire.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 2 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B] demandent à la cour, au visa des articles 1103 et suivants et 1190 du code civil, et de l'article L. 125-1 du code des assurances, de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé par le tribunal judiciaire de Bar Le Duc le 20 mai 2021, sauf en ce qu'il a rejeté leur demande en paiement de la somme de 10000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

Statuant à nouveau,

- condamner la CMAM à payer, au titre de l'indemnité différée due consécutivement au sinistre catastrophe naturelle survenu à [Localité 6] le 6 septembre 2017 :

- la somme de 85228,55 euros en principal à Monsieur [B], correspondant à 50 %, outre les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 2 septembre 2019, date de notification de la mise en demeure, et ce jusqu'à complet règlement,

- la somme de 85228,55 euros en principal à la SARL Vareille & Co Limited, correspondant à 50 %, outre les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 2 septembre 2019, date de notification de la mise en demeure, et ce jusqu'à complet règlement,

- condamner la CMAM à payer à la SARL Vareille & Co Limited la somme de 30000 euros d'indemnité au titre de la perte d'usage, cette indemnité étant due consécutivement au sinistre survenu le 6 septembre 2017 et en vertu du contrat d'assurance formule 'Elite' souscrit par la SARL Vareille & Co Limited,

- condamner la CMAM à payer à la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B], chacun, la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

Subsidiairement,

- désigner tel expert qu'il plaira, aux frais de la CMAM, avec mission de procéder à la vérification des factures de remise en état transmises par la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B], et évaluer le coût des travaux de réparation financés par Monsieur [B] concernant la propriété [Adresse 7],

- condamner en cause d'appel la CMAM à payer à la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B] la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les frais et dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 2 août 2022.

L'audience de plaidoirie a été fixée le 5 septembre 2022 et le délibéré au 7 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LES DEMANDES PRINCIPALES

À titre liminaire, il est constaté que la CMAM ne conteste pas devant la cour la qualité pour agir de la SARL Vareille & Co Limited et de Monsieur [B], ne faisant dans son dispositif que demander à la cour, pour le cas où elle confirmerait sa condamnation à verser une indemnité, de statuer ce que de droit quant à la répartition des sommes éventuellement dues entre la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B]. La CMAM ajoute dans son argumentation qu'elle 's'en rapporte à prudence de justice sur ce point' et qu'en tout cas, elle 'ne pourrait être tenue que dans la limite de la garantie et à hauteur des sommes réellement engagées et justifiées'.

Ensuite, il est observé que la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B] ne contestent pas le jugement en ce qu'il a retenu comme applicables les conditions générales produites par la CMAM, et non celles qu'ils produisent eux-mêmes. D'ailleurs, dans leurs conclusions à hauteur de cour, ils visent dans leur dispositif 'les conditions générales du Contrat d'Assurance Multirisque Habitation formule

« ELITE »', alors que les conditions générales qu'ils produisent en pièce n° 7 sont relatives au 'contrat multirisque du professionnel « Multipro »'.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a pris en considération les conditions générales 'contrat multirisque habitation' produites en pièce n° 2 par la CMAM.

Concernant l'indemnisation des dommages matériels directs

Sur les conditions de versement de l'indemnité

La CMAM reproche au tribunal d'avoir considéré qu'il n'y avait pas lieu de contrôler les factures produites pour accorder le complément d'indemnisation.

Les premiers juges ont en effet considéré que l'indemnité restant à verser constituait le solde de l'indemnité légale et qu'elle aurait dû être versée conformément à l'article 15.2 des conditions générales, sans exigence de régularisation d'une lettre d'acceptation de l'indemnité, ni de production de factures.

La CMAM fait valoir que selon l'article L. 121-17 du code des assurances, sauf dans le cas visé à l'article L. 121-16, les indemnités versées en réparation d'un dommage causé à un immeuble bâti doivent être utilisées pour la remise en état effective de cet immeuble.

Cependant, il est tout d'abord relevé que l'article L. 121-16 de ce code prévoit précisément que 'Toute clause des contrats d'assurance tendant à subordonner le versement d'une indemnité en réparation d'un dommage causé par une catastrophe naturelle au sens de l'article L. 125-1 à un immeuble bâti à sa reconstruction sur place est réputée non écrite dès lors que l'espace est soumis à un plan de prévention des risques naturels prévisibles'.

Ensuite, le fait de ne pas exiger des factures avant le versement du complément des indemnités ne signifie pas que ces indemnités ne seront pas utilisées pour la remise en état effective de l'immeuble. Cela dispense en revanche le propriétaire du bien de faire l'avance de sommes dont il peut ne pas disposer.

La CMAM ajoute que selon l'article 6.2 du contrat, la seconde moitié de l'indemnisation est versée sur présentation des factures de reconstruction ou de réparation.

Certes, l'article 6.2 des conditions générales prévoit : 'Dans les trente jours de votre accord sur l'estimation de l'expert ou d'une décision judiciaire devenue exécutoire, nous vous versons la totalité de l'indemnité relative aux frais de démolition et de déblais ainsi que la moitié de l'indemnité relative aux bâtiments et au mobilier. En cas d'opposition, ce délai ne court que du jour de la mainlevée ou de l'autorisation de paiement.

L'autre moitié est versée sur présentation des factures de reconstruction ou de réparation. [...]'.

Cependant, il est prévu au paragraphe '15 Catastrophes naturelles', à l'article 15. 2 : 'Vous devez nous déclarer tout sinistre susceptible de faire jouer la garantie au plus tard dans les dix jours suivant la publication de l'arrêté interministériel constatant l'état de catastrophe naturelle.

Par dérogation à l'article 6. 2, nous devons verser l'indemnité due au titre de la garantie dans un délai de trois mois à compter de la date de remise par vous de l'état estimatif des biens endommagés ou de la date de publication de l'arrêté interministériel constatant l'état de catastrophe naturelle lorsque celle-ci est postérieure'.

Force est de constater que ces stipulations contractuelles figurant dans les conditions générales proposées à l'assuré lors de la signature du contrat prévoient expressément une dérogation à l'article 6.2 et qu'elle n'exigent aucune communication de factures ni signature d'une lettre d'acceptation avant le versement de l'indemnité due en cas de catastrophe naturelle.

Pareillement, l'article L.125-2 du code des assurances ne prévoit pas davantage la communication de factures préalablement au versement de l'indemnité : '[...] Les indemnisations résultant de cette garantie doivent être attribuées aux assurés dans un délai de trois mois à compter de la date de remise de l'état estimatif des biens endommagés ou des pertes subies, sans préjudice de dispositions contractuelles plus favorables, ou de la date de publication, lorsque celle-ci est postérieure, de la décision administrative constatant l'état de catastrophe naturelle. Les indemnisations résultant de cette garantie ne peuvent faire l'objet d'aucune franchise non prévue explicitement par le contrat d'assurance. Les franchises éventuelles doivent également être mentionnées dans chaque document fourni par l'assureur et décrivant les conditions d'indemnisation. Ces conditions doivent être rappelées chaque année à l'assuré.

En tout état de cause, une provision sur les indemnités dues au titre de cette garantie doit être versée à l'assuré dans les deux mois qui suivent la date de remise de l'état estimatif des biens endommagés ou des pertes subies, ou la date de publication, lorsque celle-ci est postérieure, de la décision administrative constatant l'état de catastrophe naturelle'.

La CMAM ajoute que les stipulations du contrat d'assurance prévoyant la nécessité de présenter les factures de reconstruction pour débloquer le solde de l'indemnité ont été reprises dans l'acte de vente conclu entre la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B].

Cet argument est inopérant, dès lors qu'un contrat de vente conclu entre l'assuré et l'acquéreur du bien ne peut avoir pour effet de modifier les conditions d'attribution d'une prime d'assurance, qui sont déterminées par la loi et le contrat d'assurance.

C'est donc à bon droit que les premiers juges en ont conclu que le complément de l'indemnité aurait dû être versé conformément à l'article 15.2 des conditions générales, sans exigence de régularisation d'une lettre d'acceptation de l'indemnité, ni de production de factures, et qu'il n'y avait donc pas lieu de contrôler les factures produites pour accorder cette indemnisation.

Sur le montant de l'indemnisation

Dans un courrier du 25 novembre 2019, la CMAM écrivait à l'avocat de la SARL Vareille & Co Limited que, compte tenu des règlements déjà intervenus, il restait en indemnité différée la somme de 24625,96 euros au titre du mobilier et celle de 145831,14 euros au titre du bâtiment, soit un total de 170457,10 euros. Elle conditionnait le règlement de cette somme à la réception de la lettre d'indemnité régularisée et cosignée par la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B], ainsi qu'au contrôle par son expert des factures transmises.

En l'absence d'obligation de régularisation de la lettre d'indemnité et de production de factures, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la somme totale de 170457,10 euros pour condamner la CMAM à payer à la SARL Vareille & Co Limited et à Monsieur [B], chacun, la somme de 85228,55 euros.

Concernant l'indemnisation du dommage immatériel dit "perte d'usage"

L'article L. 125-1 du code des assurances relatif aux catastrophes naturelles, ainsi que l'article 15.1 des conditions générales, prévoient l'indemnisation des dommages matériels directs.

Cependant, les conditions générales contiennent en page 31, une annexe 2 'tableau récapitulatif des garanties' duquel il ressort que, y compris s'agissant des catastrophes naturelles (colonne de gauche), la formule 'Elite' prévoit la prise en charge de la 'perte d'usage' pour '1 année de valeur locative'.

Or, les dispositions légales de l'article L. 125-1 du code des assurances n'interdisent pas à l'assureur d'offrir à son assuré une garantie plus étendue.

Quant à l'argument de la CMAM selon lequel le tableau récapitulatif a seulement pour objet de récapituler les garanties, sans en ajouter, il ne peut être accueilli. En effet, le contrat d'assurance est un contrat d'adhésion et, en application de l'article 1190 du code civil, il s'interprète contre celui qui l'a proposé. Il doit donc être considéré que cette annexe 2 des conditions générales ajoute aux garanties prévues par l'article 15.1 de ces mêmes conditions générales.

En conséquence, la SARL Vareille & Co Limited a droit à l'indemnisation de la perte d'usage.

Cette perte d'usage a été estimée par les experts à 3000 euros par mois.

La SARL Vareille & Co Limited sollicite la confirmation du jugement lui ayant alloué la somme de 30000 euros correspondant à 10 mois de perte d'usage, de septembre 2017 à fin juin 2018.

La CMAM soutient, à titre subsidiaire, que cette indemnisation doit être limitée à 9 mois.

Le sinistre a eu lieu le 6 septembre 2017 et la revente du bien le 27 juin 2018, ce qui correspond à 9 mois et 21 jours, soit 9,7 mois.

L'indemnisation de la perte d'usage est donc de : 9,7 mois x 3000 euros = 29100 euros.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la CMAM à payer à la SARL Vareille & Co Limited la somme de 30000 euros.

Statuant à nouveau, la CMAM sera condamnée à payer la somme de 29100 euros à la SARL Vareille & Co Limited au titre de la perte d'usage.

Concernant la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive

La SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B] sollicitent la condamnation de la CMAM à leur payer, à chacun, la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts en prétendant que la CMAM a fait preuve d'une résistance 'particulièrement abusive', sans explication supplémentaire.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande au motif que la SARL Vareille & Co Limited et Monsieur [B] ne caractérisent pas les éléments constitutifs de cette résistance abusive alléguée.

Enfin, il n'appartient pas à la cour de statuer sur les demandes tendant à ce qu'il soit 'dit', 'constaté' ou 'donné acte' qui ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile.

SUR LES DÉPENS ET L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

La CMAM n'obtenant gain de cause en appel que pour une part très minime de ses prétentions, soit une diminution de 900 euros de l'indemnité pour perte d'usage, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens et à payer à la SARL Vareille & Co Limited et à Monsieur [B] la somme de 3000 euros, soit 1500 euros à chacun d'eux, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Y ajoutant, la CMAM sera condamnée aux dépens d'appel, à payer à la SARL Vareille & Co Limited et à Monsieur [B] la somme de 3000 euros, soit 1500 euros à chacun d'eux, au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel et elle sera déboutée de sa propre demande présentée sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bar-le-Duc le 20 mai 2021, sauf en ce qu'il a condamné la Caisse meusienne d'assurances mutuelles à payer à la SARL Vareille & Co Limited la somme de 30000 euros au titre de la 'perte d'usage' ;

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la Caisse meusienne d'assurances mutuelles à payer à la SARL Vareille & Co Limited la somme de 21900 euros (vingt-et-un mille neuf cents euros) au titre de la 'perte d'usage' ;

Y ajoutant,

Condamne la Caisse meusienne d'assurances mutuelles à payer à la SARL Vareille & Co Limited et à Monsieur [N] [B] la somme de 3000 euros (trois mille euros), soit 1500 euros (mille cinq cents euros) à chacun d'eux, au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Déboute la Caisse meusienne d'assurances mutuelles de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Caisse meusienne d'assurances mutuelles aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.-Signé : N. CUNIN-WEBER.-

Minute en douze pages.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/01660
Date de la décision : 07/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-07;21.01660 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award