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04/11/2022 | FRANCE | N°21/02471

France | France, Cour d'appel de Nancy, Première présidence, 04 novembre 2022, 21/02471


COUR D'APPEL DE NANCY

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Requête en indemnisation à raison

d'une détention provisoire

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N° RG 21/02471 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E3LG



Minute : 10/2022

du 04 Novembre 2022





REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



A l'audience du 16 Septembre 2022, présidée par M. JEAN-TALON, désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de NANCY en date du 3 décembre 2020, assistée de Madame P

APEGAY, greffier et statuant sur la requête, enregistrée au Secrétariat de la Première Présidence le 14 Octobre 2021 sous le numéro N° RG 21/02...

COUR D'APPEL DE NANCY

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Requête en indemnisation à raison

d'une détention provisoire

--------------------------------------

N° RG 21/02471 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E3LG

Minute : 10/2022

du 04 Novembre 2022

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

A l'audience du 16 Septembre 2022, présidée par M. JEAN-TALON, désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de NANCY en date du 3 décembre 2020, assistée de Madame PAPEGAY, greffier et statuant sur la requête, enregistrée au Secrétariat de la Première Présidence le 14 Octobre 2021 sous le numéro N° RG 21/02471 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E3LG, conformément aux dispositions de l'article 149-2 du Code de Procédure Pénale et formée par :

Monsieur [Z] [J]

né le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

ayant pour avocat Me Eléonore DUPLEIX, avocat au barreau de NANCY

L'agent judiciaire de l'État étant représenté par Maître /, avocat au barreau de NANCY.

Le ministère public étant représenté aux débats par M. Philippe RENZI, avocat général.

***

Vu la requête déposée le 14 octobre 2021 par Maître Eléonore DUPLEIX au nom de M. [Z] [J], notifiées le jour même, et ses conclusions ultérieures reçues les 7 et 16 février 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives et en réplique reçues au greffe le 14 février 2022 ;

Vu les conclusions du procureur général près la cour d'appel de Nancy, reçues au greffe le 23 mars 2022 ;

Vu l'avis de fixation à l'audience du 16 septembre 2022 ;

Vu les articles 149 à 150, R. 26 à R. 40-22 du code de procédure pénale ;

EXPOSE DU LITIGE

M. [Z] [J] a été mis en examen le 17 décembre 2015 par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Nancy pour avoir commis le crime de dégradations volontaires par incendie ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours.

Il a été placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention le même jour.

La chambre de l'instruction de Nancy, statuant par arrêt du 13 juillet 2016, l'a remis en liberté à compter du 15 juillet 2016, sous assignation à résidence avec surveillance électronique.

Puis, par ordonnance du 20 juin 2017, le juge d'instruction de Nancy a donné mainlevée à compter du 21 juin 2017 de la mesure d'assignation à résidence avec surveillance électronique.

M. [J] a été acquitté par arrêt de la cour d'assises de Meurthe-et-Moselle du 14 avril 2021, devenu définitif.

Suivant requête et conclusions récapitulatives en réplique, M. [Z] [J] a sollicité l'indemnisation de sa détention provisoire à hauteur des sommes de :

- 40.500 euros au titre de son préjudice matériel, correspondant aux pertes de salaire de décembre 2015 à mars 2018,

- 37.500 euros en réparation de son préjudice moral, correspondant à la somme de 3.000 euros par mois de détention provisoire (7 x 3.000 = 21.000) et à celle de 1.500 euros par mois assignation à résidence avec surveillance électronique (11 x 1.500 = 16.500)

- 2.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives et en réplique, l'agent judiciaire de l'État n'a pas contesté la recevabilité de la requête de M. [Z] [J] mais a conclu à la réduction à hauteur de 27.000 euros de la demande au titre du préjudice moral, la réduction à hauteur de 8.120 euros de la perte de salaire durant la détention et la réduction à de plus justes proportions des frais non compris dans les dépens, ainsi qu'au rejet de la demande présentée au titre de la perte de salaire après la libération.

Le procureur général près cette cour a soutenu la réduction notable à la seule période de détention de la demande formulée au titre des pertes de salaires et le caractère satisfactoire de la somme de 16.000 euros proposée par l'agent judiciaire de l'Etat au titre du préjudice moral.

Lors des débats, tenus à l'audience du 16 septembre 2022, les parties ont comparu et maintenu, chacune, la position développée dans leurs écritures.

Le demandeur a eu la parole en dernier.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de la requête

En application de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. L'article 142-10 du même code dispose qu'en cas de décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, la personne placée sous assignation à résidence avec surveillance électronique a droit à la réparation du préjudice subi selon les modalités prévues par les articles 149 à 150.

En l'espèce, M. [Z] [J] a bénéficié d'une décision d'acquittement rendue par la cour d'assises de Meurthe-et-Moselle le 14 avril 2021, devenue définitive, a présenté sa requête dans le délai de six mois fixé par l'article 149-2 du code de procédure pénale et n'apparaît pas se trouver dans l'un des cas d'exclusion prévus par l'article 149 précité.

Sa requête est donc recevable.

Sur le bien-fondé de la requête

S'agissant du préjudice moral

Le préjudice moral est évalué en tenant compte en particulier de :

- de la situation personnelle et familiale du requérant,

- de sa situation professionnelle,

- de l'existence ou non d'antécédents judiciaires,

- des conditions de la détention,

- de la durée de la détention.

M. [Z] [J], alors âgé de 30 ans, a été placé en détention provisoire du 17 décembre 2015 au 15 juillet 2016, soit durant 212 jours (6 mois et 30 jours), puis en assignation à résidence avec surveillance électronique du 16 juillet 2016 au 21 juin 2017, soit durant 341 jours (11 mois et 6 jours).

Il a ainsi nécessairement subi un préjudice moral résultant du choc carcéral ressenti par toute personne brutalement et injustement privée de liberté, et prolongé durant plus de trois mois.

Si M. [J] a bien protesté de son innocence et présenté différentes demandes d'acte au cours de la procédure d'instruction, cette circonstance n'est pas de nature à augmenter l'indemnisation de son préjudice.

Par ailleurs M. [J] était séparé de sa précédente compagne, [R] [X], un enfant, [Y], âgé de 5 ans, étant né de cette union. Il résulte toutefois des pièces de la procédure d'instruction qu'au moment de son incarcération M. [J] ne voyait plus son enfant depuis de longs mois -au moins 1 an et demi selon Mme [X]-. La détention provisoire puis l'assignation à résidence sous surveillance électronique n'ont ainsi pas été à l'origine exclusive de la rupture des relations de M. [J] avec sa compagne et leur enfant commun, de sorte que l'indemnisation ne sera pas majorée de ce chef.

En définitive, l'allocation de la somme globale de 27.900 euros réparera intégralement le préjudice moral subi par M. [Z] [J] du fait de la détention provisoire injustifiée dont il a fait l'objet, à hauteur de 16.900 euros, puis du fait de l'assignation à résidence sous surveillance électronique injustifiée dont il a fait l'objet, à hauteur de 11.000 euros.

S'agissant du préjudice matériel

Lorsque le requérant a perdu son emploi en raison de l'incarcération, la réparation du préjudice matériel doit prendre en compte les pertes de salaire subies pendant la durée de la détention et, après remise en liberté, pendant la période nécessaire à trouver un emploi.

En l'espèce, M. [J] disposait depuis le 5 octobre 2015, soit avant son incarcération, d'un emploi en contrat à durée indéterminée de plaquiste au sein de l'entreprise [W].

Seule la perte de salaire nette, et non brute, pouvant être indemnisée, c'est justement que l'agent judiciaire de l'Etat offre de verser la somme de 1.160 euros par mois au titre du préjudice matériel durant la période de détention provisoire, soit 8.120 euros (7 x 1.160).

M. [J] réclame de plus une indemnité de 30.000 euros correspondant à la perte de salaire qu'il estime avoir subie durant 20 mois après son élargissement.

Il convient tout d'abord de relever que la décision de remise en liberté avec assignation à résidence prise par la chambre de l'instruction le 13 juillet 2016 ne lui interdisait pas de retrouver un emploi ou de recevoir des allocations ou indemnités.

La réparation du préjudice subi après la remise en liberté ne peut ainsi intervenir qu'au titre de la perte de chance de retrouver un emploi.

Il incombe à M. [J], afin de justifier le préjudice subi, de prouver d'une part les efforts effectués pour la recherche d'un travail et d'autre part l'absence de perception de revenus du travail ou compensatoires durant la période considérée.

Or, si le caractère actif de la recherche d'un travail par M. [J] est établi par le rapport des services pénitentiaires du 8 juin 2018, le requérant ne produit, pour justifier sa situation du 15 juillet 2016 à fin 2017, qu'une attestation de Pôle Emploi du 24 août 2016 faisant état du versement d'allocations de chômage à hauteur de 230,10 euros pour la période du 22 au 31 juillet 2016. Il ne communique ainsi pas les justificatifs de son licenciement par M. [W], ni les attestations de Pôle Emploi relatives à la période postérieure à juillet 2016, ni les avis d'imposition sur les revenus 2016 et 2017.

En l'absence de preuve concrète d'un préjudice matériel subi pour la période courant du15 juillet 2016 à fin 2017, il ne pourra être alloué à M. [J] d'indemnité à ce titre.

Il ne peut enfin être retenu de perte de salaire pour la période de janvier à mars 2018, trop éloignée de la date de remise en liberté pour que soit établie une relation de causalité directe et certaine entre l'incarcération et l'absence de nouvel emploi.

Le préjudice matériel de M. [Z] [J] sera, dans ces conditions, entièrement réparé par l'allocation d'une indemnité de 8.120 euros.

S'agissant des frais non compris dans les dépens

Il serait inéquitable que M. [Z] [J] conserve la charge intégrale des frais non compris dans les dépens qu'il a déboursés du fait de la présente instance. La somme de 2.000 euros lui sera en conséquence accordée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Déclarons recevable en la forme la requête de M. [Z] [J] ;

Lui allouons, en indemnisation de la détention provisoire injustifiée dont il a fait l'objet, les sommes de :

8.120 euros au titre de son préjudice matériel,

27.900 euros en réparation de son préjudice moral,

2.000 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejetons le surplus de la demande ;

Rappelons qu'en application de l'article R. 40 du code de procédure pénale, la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire.

Laissons les frais à la charge de l'État.

Ainsi fait, jugé et prononcé par le premier président, conformément aux dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale, le 4 novembre 2022.

Le greffierLe premier président

Céline PAPEGAY Marc JEAN-TALON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Première présidence
Numéro d'arrêt : 21/02471
Date de la décision : 04/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-04;21.02471 ?
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