RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
CINQUIEME CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT N° 2629 /22 DU 19 OCTOBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 21/02422 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E3HX
Décision déférée à la Cour :
jugement du Tribunal de Commerce de Nancy, R.G. n° 2020.05828, en date du 06 septembre 2021,
APPELANTE :
S.A. SOCIETE GENERALE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié audit siège, [Adresse 2] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 552 120 222
Représentée par Me Hervé MERLINGE de la SCP JOUBERT, DEMAREST & MERLINGE, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉ :
Monsieur [C] [D], né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 4] demeurant [Adresse 3]
Représenté par Me David BOZIAN de la SELARL CABINET GUIDON BOZIAN, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 14 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice BOURQUIN, Président de Chambre et Monsieur Olivier BEAUDIER, conseiller , chargé du rapport ;
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Patrice BOURQUIN Président de Chambre,
Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller,
Monsieur Jean-Louis FIRON Conseiller
Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL.
A l'issue des débats, le Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 19 Octobre 2022, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 19 Octobre 2022, par Monsieur Ali ADJAL, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur Patrice BOURQUIN, Président de chambre, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 16 avril 2012, M. [C] [D] s'est porté caution solidaire envers la Société Générale, en garantie d'un prêt d'un montant de 415 000 euros consenti à la société Hair [D] Bis, dans la limite de 269 750 euros.
Suivant un avenant en date du 10 octobre 2015, les conditions du remboursement de ce prêt ont été modifiées et M. [C] [D] a signé un nouvel acte de cautionnement, annulant le précédent, dans la double limite de 167 027 euros et de 50% de l'encours.
Suivant jugement en date du 12 juin 2018, le tribunal de commerce de Nancy a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la la société Hair [D] Bis.
Suivant courriers recommandés avec accusé de réception en date du 10 janvier et 2 juillet 2020, la Société Générale a déclaré sa créance au passif de la société Hair [D] Bis entre les mains du mandataire liquidateur et a mis en demeure M. [C] [D] d'honorer ses engagements, en vain.
Suivant jugement contradictoire en date du 6 septembre 2021, le Tribunal de commerce de Nancy a :
- dit que la Société Générale ne peut se prévaloir de l'engagement de caution de M. [C] [D],
- déclaré en conséquence, la Société Générale mal fondée en l'ensemble de ses demandes,
l'en a débouté.
- déclaré M. [C] [D] mal fondé en sa demande de dommages et intérêts,
l'en a débouté.
- condamné la Société Générale aux dépens du présent jugement,
- l'a condamné à payer à M. [C] [D] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Suivant déclaration électronique transmise au greffe le 7 octobre 2021, la Société Générale a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 21 mars 2022,la Société Générale demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 6 septembre 2021 par le tribunal de
Commerce de Nancy.
Et statuant à nouveau,
- déclarer la Société Générale recevable et bien fondée en son action,
- condamner M. [C] [D] à payer à la Société Générale :
* la somme de 99 228,36 euros au titre de son cautionnement du 10 octobre 2015, avec intérêts au taux conventionnel de 8,20% et avec capitalisation des intérêts échus par année entière,
* la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner M. [C] [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- rejeter l'appel incident de M. [C] [D],
- le débouter de toutes ses demandes, fins et prétentions.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 9 mai 2022, M. [C] [D] demande à la cour de :
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nancy en ce qu'il a dit que la Société Générale ne peut se prévaloir de l'engagement de caution de M. [C] [D],
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nancy en ce qu'il a déclaré en conséquence la Société Générale mal fondée en l'ensemble de ses demandes,
- déclarer nul, de nul effet et inopposable à M. [C] [D] l'acte de cautionnement du 10 octobre 2015 en ce qu'il viole les dispositions de l'article L 341-4 du code de la consommation,
- déclarer M. [C] [D] libéré de tous engagements vis-à-vis de la Société Générale
- débouter la Société Générale de ses entières demandes de paiement tant pour le principal que pour les intérêts.
Et statuant à nouveau :
- condamner reconventionnellement la Société Générale à verser à M. [C] [D] la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts.
En tout état de cause :
- condamner la Société Générale à verser à M. [C] [D] la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Société Générale aux entiers frais et dépens de l'instance.
Pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties, la cour renvoie expressément à leurs conclusions visées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
La procédure a été clôturée par ordonnance le 15 juin 2022.
MOTIFS :
- Sur la disproportion du cautionnement :
Conformément à l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa version applicable au cas d'espèce, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Il appartient à la caution qui se prévaut du caractère disproportionné de son engagement de rapporter la preuve de l'existence, lors de la souscription de celui-ci, d'une disproportion manifeste entre le montant de la somme garantie et la valeur de ses biens et revenus.
Conformément à la fiche de renseignements qui a été établie concomitamment à la signature de l'avenant en date du 10 octobre 2015, modifiant les conditions du cautionnement donné le 16 avril 2012 en faveur de la Société Générale, M. [C] [D] a déclaré percevoir un revenu net de 3 200 euros par mois et faire face à un ensemble de charges évaluées à la somme totale de 1 500 euros par mois. Il a par ailleurs reconnu ne posséder aucun patrimoine immobilier.
Au vu de ces seuls renseignements dont M. [C] [D] a certifié l'exactitude, c'est par des motifs pertinents que le tribunal de commerce de Nancy a considéré que le cautionnement donné le 10 octobre 2025, limité en l'espèce à la somme de 167 027 euros et à 50% de l'encours dû par la société Hair [D] Bis, présentait un caractère manifestement disproportionné, compte tenu notamment de l'importance des charges déclarées qui sont égales à près de la moitié de son revenu mensuel.
M. [C] [D] était propriétaire, au jour de son engagement, d'un immeuble constitué d'un local commercial, où il exerçait son activité professionnelle d'artisan coiffeur. L'appelle rappelle que la caution a omis de déclarer ce bien dans la fiche de renseignements précitée. Il justifie cependant que ce bien est estimé, entre 30 000 euros et 35 000 euros, alors que le cautionnement litigieux a été donné à concurrence de la somme de 167 027 euros.
Il est justifié de surcroît par l'avis d'imposition sur les revenus de l'année 2015 que M. [C] [D] disposait d'un revenu disponible sensiblement inférieur à celui déclaré précédemment (soit 27 968 euros par an), en tenant compte de la déduction des pensions alimentaires versées à son ex-épouse (4 200 euros par an) et de la CSG (664 euros par an).
M. [C] [D] démontre enfin l'importance de ses charges supportées au jour de la signature de son engagement, lesquelles sont en effet principalement constituées par le remboursement des échéances d'un regroupement de crédit contracté auprès de la société Sogefinancement, s'élevant chacune à 855,21 euros par mois, ainsi que par le paiement d'un loyer d'un montant justifié de 600 euros par mois, conformément au bail produit.
A supposer que la disproportion du cautionnement litigieux aux revenus et biens de M. [C] [D] serait avérée, la Société Générale considère qu'il disposait en tout état de cause d'un patrimoine immobilier, au jour de la délivrance de l'assignation devant le tribunal de commerce de Nancy, lui permettant de faire face à son obligation. Elle relève que l'intimé a omis de lui déclarer qu'il était propriétaire du local commercial, lieu d'exercice de son activité d'artisan coiffeur.
M. [C] [D] justifie cependant par la production d'une attestation rédigée par une agence immobilière, dont l'estimation proposée n'est pas critiquée par l'appelante, que le local commercial concerné a une valeur comprise entre 30 000 euros et 35 000 euros, alors que la créance de la Société Générale s'élève à la somme de 99 228,36 euros.
Au surplus, conformément à une ordonnance du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Nancy en date du 10 décembre 2018, ce bien immobilier est grevé d'une hypothèque prise en garantie d'une créance d'un montant de 48 150 euros de la société Froidis.
Il s'ensuit que la Société Générale ne démontre pas que M. [C] [D], dont le cautionnement est manifestement disproportionné à ses revenus et biens, était en mesure de faire face à son engagement, au jour où il a été appelé, compte tenu de la valeur modique du seul bien immobilier dont il est propriétaire au regard de l'importance de son engagement.
Il résulte des dispositions de l'article L. 341-4 du code de la consommation que la disproportion manifeste du cautionnement aux revenus et biens de la caution est sanctionnée par la décharge de cette dernière de son engagement. Cette disproportion, lorsqu'elle est constatée par le juge, ne constitue pas une cause de nullité du cautionnement.
Par conséquent, M. [C] [D] est débouté de sa demande de nullité de celui donné le 10 octobre 2015.
Il convient en revanche de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a dit que l'appelante ne peut se prévaloir de l'engagement de caution de l'intimé, et en conséquence, a débouté celle-ci de toutes ses demandes.
- Sur la demande de dommages-intérêts :
Le prêteur est tenu d'une obligation de mise en garde à l'égard de la caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté à ses capacités financières (biens et revenus) de cette dernière.
La Société Générale ne démontre pas préliminairement que M. [C] [D], exerçant la profession d'artisan coiffeur, aurait des qualifications et une expérience particulières dans le domaine de la finance. Sa seule qualité de gérant de la société Hair [D] Bis qui n'emploie aucun salarié ne permet pas de lui conférer la qualité de caution avertie.
La Société Générale était donc tenue envers ce dernier à un devoir de mise en garde au jour de la signature du cautionnement litigieux.
Au soutien de sa demande de dommages-intérêts, M. [C] [D] fait valoir que la Société Générale a manqué à son devoir de mise en garde, en lui faisant souscrire le 10 octobre 2015 un cautionnement, en garantie des engagements de sa société manifestement disproportionné à ses revenus et biens. Il sollicite en conséquence l'indemnisation de son préjudice résultant de son endettement excessif résultant de l'exécution de son engagement.
Il résulte de ce qui précède que le cautionnement litigieux présente effectivement un caractère manifestement excessif, au regard des revenus et biens de la caution au jour de son engagement. La société Générale ne justifie pas qu'elle aurait informé M. [C] [D] des risques d'endettement encourus, alors qu'elle avait pleinement connaissance de l'importance des charges déclarées par celui-ci, compte tenu en particulier de la souscription antérieure par l'intéressé d'un regroupement de crédits auprès de l'une de ses filiales, la société Sogefinancement.
Toutefois, M. [C] [D] ne rapporte pas la preuve d'un préjudice, résultant du manquement de la Société Générale à son devoir de mise en garde, dans la mesure où il a précédemment été fait droit à sa demande de décharge du cautionnement litigieux.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté M. [C] [I] de sa demande de dommages et intérêts.
- Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure :
La Société Générale succombant dans son appel est condamnée aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel. Elle est également déboutée de ses demandes formées au titre des frais irrépétibles de procédure exposés devant le tribunal et la cour.
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné la Société Générale à payer à M. [C] [D] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure.
La Société Générale est condamnée à payer à M. [C] [D] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,
Vu les dispositions de l'article L. 341-4 du code de la consommation ;
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
DÉBOUTE la Société Générale de sa demande formée au titre des frais irrépétibles de procédure exposés en cause d'appel ;
CONDAMNE la Société Générale à payer à M. [C] [D] la somme de 2 000 € (deux mille euros) au titre des frais irrépétibles de procédure exposés en cause d'appel ;
CONDAMNE La Société Générale aux entiers frais et dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrice BOURQUIN Président de Chambre, à la Cour d'Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en sept pages.