ARRÊT N° /2022
SS
DU 04 OCTOBRE 2022
N° RG 22/00717 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E6J7
TJ Pôle social de VAL DE BRIEY
19/70
22 février 2022
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANTE :
S.E.L.A.R.L. [7] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Ariane MILLOT-LOGIER de l'AARPI MILLOT-LOGIER FONTAINE, avocat au barreau de NANCY, substitué par Me THILL
INTIMÉES :
Madame [V] [J]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Comparante en personne
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE MEURTHE ET MOSELLE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Mme [Y] [O], régulièrement munie d'un pouvoir de représentation
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président :Mme BUCHSER-MARTIN
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier :Madame TRICHOT-BURTE (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 07 Septembre 2022 tenue par Mme BUCHSER-MARTIN, magistrat chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric HENON, président, Dominique BRUNEAU et Catherine BUCHSER-MARTIN, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 04 Octobre 2022 ;
Le 04 Octobre 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
FAITS ET PROCÉDURE :
Madame [V] [J] née [L] a été embauchée par la société [8] devenue SELARL [7] en qualité d'apprentie à compter du 14 septembre 1994, puis en qualité de préparatrice en pharmacie à compter du 1er septembre 1998.
En 2014, la pharmacie a été rachetée par monsieur [H].
Le 24 mars 2017, la SELARL [7] a adressé la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle (ci-après dénommée la caisse) une déclaration d'accident du travail qui serait survenu le 24 février 2017 à madame [J], rédigée comme suit : « madame [J] vient habituellement travailler à pied. Elle devait venir le 24/02/2017 mais n'est pas venue., je n'ai aucune nouvelle en dehors du certificat d'arrêt pour accident de travail qu'elle m'a envoyé ».
Par courrier du 20 juin 2017, la caisse a notifié à la SELARL [7] un refus de prise en charge de l'accident du 24 février 2017, au motif que « la preuve de l'accident déclaré se soit produit pendant le trajet aller ou retour du travail n'est pas apportée ».
Par requête du 17 novembre 2017, madame [V] [J] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Longwy d'une requête en faute inexcusable de l'employeur
Le 7 décembre 2017, elle a transmis à la caisse une déclaration de maladie professionnelle, accompagnée d'un certificat médical initial établi le 13 novembre 2017 par le docteur [W] faisant état de « syndrome dépressif » et fixant la date de première constatation de la maladie au 24 février 2017.
La caisse a instruit cette déclaration dans le cadre des maladies hors tableau et le dossier a été soumis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de [Localité 6] Nord-Est.
Par avis du 18 décembre 2018, ledit comité a émis un avis favorable à la prise en charge de la pathologie au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par courrier du 11 janvier 2019, la caisse a informé la SELARL [7] de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de madame [V] [J].
Le 7 mars 2019, la SELARL [7] a contesté cette décision par-devant la commission de recours amiable.
Par décision du 1er avril 2019, la commission de recours amiable a rejeté son recours.
Le 23 mai 2019, la SELARL [7] a saisi le tribunal judiciaire de Val de Briey d'un recours à l'encontre de la décision de la commission de recours amiable.
Par jugement avant dire-droit du 12 janvier 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Val-de-Briey a saisi le CRRMP des Hauts de France.
Par avis du 19 mai 2021, ledit comité a émis un avis favorable à la prise en charge de la pathologie au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par jugement RG 19/70 du 22 février 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Val-de-Briey a :
- dit que la pathologie dont est atteinte madame [V] [J] a été causée essentiellement et directement par son travail habituel au sein de la [7]
- dit en conséquence que la pathologie dont est atteinte madame [V] [J] est d'origine professionnelle
- confirmé la décision de la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle du 1er avril 2019
- condamné la [7] aux dépens
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision
- débouté les parties de toute autre demande plus ample ou contraire.
Par actes des 23 mars 2022 et 25 mars 2022, la SELARL [7] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.
Les appels ont été enrôlés sous les n° RG 22/717 et 22/745.
L'affaire a été plaidée à l'audience du 7 septembre 2022, à laquelle les deux instances ont fait l'objet d'une jonction et se sont poursuivies sous le n° RG 22/717.
PRETENTIONS DES PARTIES
La SELARL [7], représentée par son avocat a repris ses conclusions reçues au greffe le 2 septembre 2022 et a sollicité ce qui suit :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 février 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Val de Briey,
- juger que la maladie déclarée par madame [V] [J] n'a pas d'origine professionnelle,
- juger que l'avis rendu par le CRRMP des Hauts de France n'est pas motivé,
En conséquence,
- juger que madame [V] [J] ne remplit pas les conditions relatives à la reconnaissance d'une maladie professionnelle hors tableau permettant de considérer que sa pathologie est liée à ses conditions de travail au sein de la [7],
- juger que c'est à tort que la CPAM a considéré que la maladie professionnelle hors tableau déclarée par madame [V] [J] devait lui être imputée,
- annuler la décision 2019-00342-MP rendue par la commission de recours amiable du 1er avril 2019,
Subsidiairement,
- recueillir avant dire droit l'avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles autre que ceux déjà saisis par la CPAM en cours d'instruction puis par le premier juge.
La caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle, dument représentée, a repris ses conclusions reçues au greffe le 31 août 2022 et a sollicité ce qui suit :
- ordonner la jonction des procédures 22/00717 et 22/00745,
- déclarer recevable mais mal fondé le recours de la [7],
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Pôle Social du Tribunal Judiciaire de VAL-DE-BRIEY du 22/02/2022,
- déclarer opposable à la société [7] sa décision en date du 11/01/2019 de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, la maladie de madame [V] [L] divorcée [J],
- condamner la société [7] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la société appelante de l'ensemble de ses demandes.
Madame [V] [J], comparant en personne, a sollicité sa mise hors de cause.
Pour l'exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l'audience.
L'affaire a été mise en délibéré au 4 octobre 2022 par mise à disposition au greffe par application des dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
A titre liminaire, il convient de rappeler qu'un employeur ne peut solliciter l'infirmation d'une décision de prise en charge d'une maladie au titre de la législation sur les risques professionnels, mais est recevable à solliciter son inopposabilité, de telle sorte qu'il sera considéré que la demande de la SELARL [7] tendant à voir « juger que c'est à tort que la CPAM a considéré que la maladie professionnelle hors tableau déclarée par madame [V] [J] devait lui être imputée » doit être interprétée comme étant une demande d'inopposabilité de la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie.
Sur l'opposabilité de la reconnaissance de la maladie professionnelle :
Aux termes de l'article L461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau. Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L.434-2 et au moins égal à 25%. Dans ce cas, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, qui s'impose à la caisse.
S'il résulte des dispositions de l'article L461-1 du code de la sécurité sociale dernier alinéa et de celles de l'article D461-30 du même code que le CRRMP rend un avis motivé, les juges du fond ne sont pas liés par ces avis, dont ils apprécient souverainement la portée, comme ils disposent, pour caractériser ou écarter un lien direct et essentiel, d'un pouvoir souverain d'appréciation des éléments produits (Civ.2e 5 avril 2007 n°06-12.434, 12 juillet 2012 n°11-20.575, 23 janvier 2014 n°12-29.420, 10 juillet 2014 n°13-20.062, 11 février 2016 n°15-10.460).
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En l'espèce, la SELARL [7] fait valoir que madame [J] s'est offusquée, par lettre du 8 décembre 2016 et lors d'une réunion du 12 décembre 2016, d'un refus de congés. Elle ajoute qu'elle a été déclarée apte à son poste par le médecin du travail le 12 décembre 2016, elle a bénéficié d'un arrêt de travail du 13 décembre 2016 au 21 janvier 2017, puis a contesté les conditions d'exécution de son contrat de travail. Elle indique lui avoir notifié un avertissement le 24 février 2017, que la salariée a bénéficié d'un arrêt de travail le même jour puis a déclaré un accident du travail. Elle précise que madame [J] a saisi le conseil de prud'hommes en référé pour obtenir un complément de salaire et des dommages-intérêts.
Elle fait également valoir que l'attestation de témoin de madame [M] est douteuse, puisqu'elle a initié les mêmes procédures contre son employeur et qu'aucune décision n'a été rendue, et que l'attestation de monsieur [N] émane d'un client inconnu. Elle ajoute que l'ancien gérant était peu soucieux des méthodes de travail de l'équipe et que des dysfonctionnements avaient été constatés, ce qui justifiait les remarques professionnelles à destination des salariés. Elle indique que la plainte déposée par madame [J] contre monsieur [H] pour harcèlement moral a été classée sans suite. Elle estime que la dépression de madame [J] est sans doute davantage liée à ses problèmes personnels et à son divorce très difficile à l'issue duquel la garde de ses filles lui aurait été retirée, et précise qu'elle prend des anxiolytiques et antidépresseurs depuis 2013 de telle sorte que ses troubles étaient antérieurs à l'arrivée de monsieur [H].
Elle fait enfin valoir que l'avis du CRRMP des Hauts de France n'est pas motivé et « justifiable de nullité ». Elle ajoute qu'il existe un doute sur la transmission au CRRMP du dossier médical de madame [J]. Elle indique que les griefs retenus par le CRRMP s'inscrivent dans le pouvoir de direction de l'employeur, que l'ex salariée ne les a jamais contestés devant un conseil de prud'hommes et que les allégations d'agissements répétés de harcèlement moral ne sont étayées par aucun élément probant.
La caisse fait valoir que la salariée a indiqué au cours de l'enquête administrative avoir subi pressions, harcèlement, humiliations de manière quotidienne depuis avril 2014 de la part du nouveau gérant de la pharmacie, monsieur [H], que l'ambiance de travail se serait nettement dégradée dès son arrivée, qu'il était humiliant envers tout le personnel, qu'il la surveillait sans cesse, cherchait à la pousser à commettre une faute, n'hésitait pas à modifier les plannings sans délais de prévenance, lui refusait très régulièrement ses congés sans justifications, lui faisait de nombreuses remarques acerbes, de telle sorte que son état de santé s'est dégradé et qu'elle a dû déposer une plainte pour harcèlement moral le 6 avril 2018. Elle ajoute que lors de la même enquête, monsieur [H] a indiqué que madame [J] apparaissait comme positive et investie, qu'elle l'aurait informée d'une procédure de divorce la concernant, ce qui aurait eu des répercussions sur son humeur, notamment lorsqu'il a mis fin au versement d'une prime et lorsque des congés lui ont été refusés en décembre 2016 et février 2017, qu'elle aurait fait des erreurs, qu'elle aurait refusé de participer à l'organisation du travail, que ses courriels sont sortis de leur contexte et étaient légitimes. Elle indique que les pièces de l'employeur ne confirment pas les griefs reprochés à la salariée et que les courriels qu'elle a reçus sont particulièrement méprisants ou provoquants.
Elle fait également valoir qu'aucun élément vient étayer le fait que l'origine de la maladie serait à rechercher en dehors du travail. Elle ajoute que l'employeur verse aux débats des prescriptions médicales d'anxiolytiques et d'antidépresseurs délivrées à son ancienne salariée entre 2013 et 2016, ce qui est « un procédé honteux et scandaleux, qui va totalement à l'encontre du respect du secret professionnel et du secret médical ». Elle précise que le CRRMP de [Localité 6] a indiqué que les éléments médicaux portés au dossier n'apportent pas d'éléments en faveur de facteur d'exposition extra-professionnel.
Elle fait enfin valoir que l'avis du CRRM des Hauts de France est dépourvu d'ambiguïté, qu'il est concordant avec celui de [Localité 6] et que même s'il n'était pas motivé, il ne serait pas nul. Elle s'oppose à la saisine d'un 3e CRRMP.
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La maladie « syndrome dépressif » dont souffre madame [J] étant une maladie hors tableau, il appartient à la caisse d'apporter la preuve du lien direct et essentiel entre ladite pathologie et le travail habituel de madame [J].
La caisse a régulièrement saisi le CRRMP de [Localité 6]-Nord Est, qui a émis un avis favorable à la prise en charge de la maladie au titre de la législation sur les risques professionnels, dans les termes suivants : « la pathologie est caractérisée avec une première constatation médicale fixée au 13 décembre 2016 (arrêt de travail). Madame [J] [V] travaillait à la date de la première constatation médicale de la pathologie déclarée comme préparatrice en pharmacie au sein du même établissement depuis 1994. Les éléments de l'enquête administrative apportent différents éléments factuels, notamment différents témoignages et échanges professionnels écrits objectivant l'exposition à des facteurs de risques psycho organisationnels majeurs susceptibles d'expliquer l'apparition de la pathologie déclarée et donc de retenir un lien direct entre cette affection et l'activité professionnelle. Par ailleurs, les éléments médicaux portés au dossier n'apportent pas d'éléments en faveur de facteur d'exposition extra-professionnel s'opposant à l'établissement d'un lien essentiel. En conséquence, le comité émet un avis favorable à la reconnaissance de cette affectation en maladie professionnelle ».
Le CRRMP des Hauts de France, régulièrement saisi par les premiers juges, a également émis un avis favorable, rédigé dans les termes suivants : « après avoir étudié les pièces du dossier communiqué, le CRRMP constate, suite à un changement de direction de l'officine, un conflit avec le nouveau dirigeant ayant entraîné des difficultés psychologiques de la part de la salariée. On retrouve des modifications dans les horaires et dans les périodes de congés, une pression au niveau des objectifs, des mails envoyés à l'assurée pendant son travail sur le ton du reproche et un manque d'accompagnement et de soutien pour lui permettre de s'adapter à la nouvelle situation professionnelle. Aucun élément nouveau ne permet de rendre un avis différent de celui du 1er CRRMP ».
Les avis des deux CRRMP sont dès lors concordants.
Par ailleurs, la caisse produit aux débats l'enquête administrative qu'elle a réalisée suite à la déclaration de maladie professionnelle.
Il résulte principalement du questionnaire complété par la salariée qu'elle estime que son travail est complexe, du fait de la rigueur nécessaire, qu'elle fait grief à son employeur de ne pas reconnaître la qualité de son travail, en supprimant des primes, en l'évaluant en permanence, elle estime les conditions de travail malsaines, se disant victime d'humiliations quotidiennes. Il résulte de son audition par l'agent assermenté qu'elle estime que monsieur [H] se montre humiliant et dégradant, faisant des remarques désobligeantes, « saccageant l'ambiance agréable qui régnait dans l'équipe », qu'il modifiait régulièrement les plannings, augmentait les horaires d'ouverture de la pharmacie et refusait régulièrement ses congés, elle évoque les mails désobligeants adressés. Elle indique avoir été en arrêt de travail en décembre 2016 suite à l'éviction d'une réunion relative aux congés, puis un nouvel arrêt de travail le 24 février 2017 suite à un refus de congés et après avoir travaillé dans des conditions qu'elle dit intolérables au comptoir.
Il résulte du questionnaire complété par l'employeur que le planning des salariés a pu être légèrement modifié en fonction des congés et absences des autres membres de l'équipe, et que la communication dans l'équipe est quotidienne, s'agissant d'une petite structure. L'employeur ajoute, concernant madame [J] : « à mon arrivée, son divorce et ses difficultés économiques sont ressentis à plusieurs moments ». Il résulte de l'audition de monsieur [H] par l'agent enquêteur qu'à son arrivée dans la société, il estimait que madame [J] était investie et positive, mais qu'elle a très vite commis une grosse erreur portant sur 20 000 €, qu'elle s'est opposée à l'informatisation du travail et a refusé les congés imposés et son nouveau planning de travail. Il ajoutait avoir vite constaté que l'équipe avait beaucoup de lacunes techniques, qu'il avait mis en place des formations et une nouvelle organisation du travail, que les préparatrices avaient des habitudes obsolètes qu'il entendait améliorer, mais que les lacunes persistaient. Il ajoutait qu'il n'a jamais haussé le ton ni insulté qui que ce soit, que tous les mails qu'il a envoyés étaient légitimes, qu'il était excédé. Il précisait qu'il n'avait modifié les horaires de travail des employés qu'avec un délai de préavis raisonnable ou sur la base du volontariat.
Il résulte de ce qui précède que madame [J] reproche principalement à son employeur d'avoir modifié l'organisation et la gestion de la pharmacie et d'avoir eu une attitude de harcèlement à son égard.
Il est par ailleurs constant que monsieur [H], gérant de l'officine de pharmacie depuis avril 2014, a réorganisé la pharmacie en mettant en place de nouvelles méthodes de travail, ce qui ne peut lui être reproché, sauf à ce qu'il abuse de son pouvoir de direction.
Les propres déclarations et courriers de madame [J] et les conclusions de son avocat déposées dans une procédure tierce ne sont cependant pas de nature à apporter la preuve de ses propres allégations.
Il convient de relever que la caisse ne conteste pas que la plainte pénale déposée en avril 2018 par madame [J] à l'encontre de monsieur [H] pour harcèlement a été classée sans suite et que l'instance prud'homale les opposant a été radiée.
Si madame [M], ancienne collègue de travail, atteste d'une absence de communication ou de l'isolement des salariés, son attestation doit être considérée avec précautions, la salariée étant en litige avec son employeur. Si madame [S], également ancienne collègue de travail, licenciée, déclare notamment qu'« elle était elle aussi souvent convoquée au bureau, elle en sortait les larmes aux yeux », madame [J] n'a jamais évoqué de telles convocations. L'attestation de monsieur [N], qui ne décrit pas précisément de comportement désagréable ou injurieux de l'employeur à l'égard de sa salariée, est sans emport.
L'unique élément objectif produit aux débats est constitué par les divers mails échangés entre monsieur [H] et les salariés de l'officine. Le seul ton très familier de ces mails, envoyés sur une période de plusieurs années, n'est cependant pas suffisant pour démontrer l'existence d'un lien direct et essentiel entre la pathologie dépressive et le travail habituel de madame [J], étant relevé qu'elle répondait elle-même à son employeur sur un ton familier et n'hésitait pas à contester ses décisions, ce qui est confirmé par madame [T], pharmacien depuis octobre 2015, qui décrit de la part de madame [J] une attitude constante d'opposition vis-à-vis de la hiérarchie et une attitude globalement négative.
De plus, il n'est pas établi que l'attitude peu délicate de monsieur [H] aurait eu des conséquences sur l'état de santé mentale de madame [J], qui n'a manifestement pas montré de signes de dépression ou de mal être sur son lieu de travail. Cela est d'autant plus vrai que l'arrêt de travail du 13 décembre 2016, les arrêts de prolongation et l'arrêt de travail du 24 février 2017 ont été délivrés pour maladie et non pour accident du travail ou maladie professionnelle, et que le médecin du travail lui a délivré une fiche d'aptitude médicale le 12 décembre 2016.
Enfin, il est établi que madame [J] s'était vu prescrire des médicaments antidépresseurs et/ou anxiolytiques a minima dès 2013, soit antérieurement à la reprise de la pharmacie par monsieur [P].
Au vu de ce qui précède, si un lien de causalité entre le syndrome anxiodépressif dont souffre madame [J] et ses conditions de travail peut exister, il n'est pas démontré que ce lien est direct et essentiel.
Dès lors, la déclaration de reconnaissance de sa maladie professionnelle sera déclarée inopposable à la SELARL [7].
La décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie étant acquise à madame [J], elle sera mise hors de cause dans la présente instance.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
La caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle succombant, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME le jugement RG 19/70 du 22 février 2022 du pôle social du tribunal judiciaire de Val-de-Briey en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
MET hors de cause madame [V] [J],
DIT que la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle du 11 janvier 2019 de reconnaissance de la maladie professionnelle du 17 novembre 2017 de madame [V] [J] est inopposable à la SELARL [7],
DÉBOUTE les parties de leurs plus amples demandes,
Y ajoutant,
DÉBOUTE la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SELARL [7] la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par monsieur Guerric HENON, président de chambre et par madame Clara TRICHOT-BURTÉ, greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE
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