ARRÊT N° /2022
SS
DU 04 OCTOBRE 2022
N° RG 22/00660 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E6FY
Pole social du TJ de REIMS
18/01049
25 février 2022
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANTE :
S.A. [5] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Michel PRADEL de la SELARL PRADEL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Anne LHOMET, avocat au barreau de BELFORT
INTIMÉE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURNACE MALADIE DE LA MARNE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Mme [R] [S], régulièrement munie d'un pouvoir de représentation
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président :Mme BUCHSER-MARTIN
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier :Madame TRICHOT-BURTE (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 07 Septembre 2022 tenue par Mme BUCHSER-MARTIN, magistrat chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric HENON, président, Dominique BRUNEAU et Catherine BUCHSER-MARTIN, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 04 Octobre 2022 ;
Le 04 Octobre 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
FAITS ET PROCÉDURE :
Monsieur [L] [T] était salarié de la SASU [5] en qualité de distributeur de publicités.
Le 11 juin 2018, la SASU [5] a transmis à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne (ci-après dénommée la caisse) une déclaration d'accident du travail dont a été victime monsieur [L] [T] le même jour, décrit comme suit : « activité de la victime lors de l'accident : monsieur [T] se dirigeait vers son véhicule afin de partir en distribution. Nature de l'accident : monsieur [T] aurait perdu connaissance. Le SMUR ainsi que les pompiers ont été dépêchés sur place mais les secours n'ont pas pu le réanimer. Aucun élément ne permet d'affirmer que ce décès aurait une origine professionnelle ».
Par courrier du 12 juin 2018, la SASU [5] a indiqué à la caisse que la mise en 'uvre de ses droits d'information devait être réalisée auprès de son avocat, maître [Z].
Par courrier du 13 juin 2018, ledit avocat indiquait que rien ne permet d'affirmer que le décès aurait une origine professionnelle, et demandait à la caisse s'il avait ou non sollicité un examen médical de la victime tel que prévu à l'article L442-4 du code de la sécurité sociale.
La caisse a diligenté une enquête.
Par courrier du 24 septembre 2018, la caisse a informé la SASU [5] de la prise en charge de l'accident de monsieur [L] [T] au titre de la législation sur les risques professionnels.
Le 23 octobre 2018, la SASU [5] a contesté cette décision par-devant la commission de recours amiable.
Par décision du 22 novembre 2018, la commission de recours amiable a rejeté son recours.
Le 13 décembre 2018, la SASU [5] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Marne d'un recours à l'encontre de la décision de la commission de recours amiable.
Au 1er janvier 2019, l'affaire a été transférée en l'état au pôle social du tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Reims, nouvellement compétent.
Par jugement RG 18/1049 du 21 février 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Reims a :
- reçu la société [5] en son recours,
- débouté la société [5] de sa demande d'inopposabilité pour absence d'enquête,
Avant dire droit, sur la demande d'inopposabilité pour absence de lien entre le décès de monsieur [L] [T] et son activité professionnelle,
- ordonné une expertise médicale sur pièces et désigné le docteur [E] [O] pour y procéder, avec mission de dire si l'affection révélée par le malaise mortel dont a été victime monsieur [L] [T] le 11 juin 2018 a été provoquée par le travail habituel de la victime ou a été la manifestation spontanée d'un état pathologique non influencé par les conditions de travail., les demandes étant réservées dans l'attente du dépôt du rapport.
Le docteur [E] [O] a déposé son rapport le 22 octobre 2021 aux termes duquel il conclut qu'« Il n'existe pas de certitude de la cause du décès du fait de l'absence de prise en charge pré mortem ni d'autopsie, mais la brutalité du décès évoque un trouble du rythme ventriculaire ou une dissection ou une embolie pulmonaire éventuellement, et, dans ces trois hypothèse, l'analyse des auditions ne permet pas d'affirmer l'existence d'un lien entre travail et le décès »
Par jugement RG 18/1049 du 11 juin 2021, le tribunal judiciaire de Reims a :
Vu le jugement mixte du 21 février 2020,
Vu le rapport d'expertise déposé le 22 octobre 2020,
- prononcé la nullité du rapport d'expertise sus visé,
- ordonné une nouvelle expertise sur pièces, confiée au docteur [J] [X], avec mission de dire si l'affection révélée par le malaise mortel dont a été victime monsieur [L] [T] le 11 juin 2018 a été provoquée par le travail habituel de la victime ou a été la manifestation spontanée d'un état pathologique non influencé par les conditions de travail.
Le docteur [J] [X] a déposé son rapport le 24 novembre 2021 aux termes duquel il conclut ainsi qu'il suit : « Nous ne pouvons pas retenir dans ces conditions d'arrêt cardiaque spécifiquement lié à caractère professionnel. Cette mort subite étant probablement la manifestation spontanée d'un état pathologique non influencé par les conditions de travail ».
Par jugement RG 18/1049 du 25 février 2022, le tribunal judiciaire de Reims, a :
- rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise du 24 novembre 2021,
- rejeté la demande de complément d'expertise,
- débouté la société [5] de sa demande d'inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge, au titre des risques professionnels, du décès survenu le 11 juin 2018 à monsieur [L] [T],
- condamné la société [5] aux dépens.
Par acte du 17 mars 2022, la SASU [5] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.
L'affaire a été plaidée à l'audience du 7 septembre 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La SASU [5], représentée par son avocat, a repris ses conclusions reçues au greffe le 20 juin 2022, et a sollicité ce qui suit :
- la juger recevable et bien fondée en son appel,
- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Reims du 25 février 2022 en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,
- débouter la caisse primaire de l'ensemble de ses demandes,
En conséquence,
Vu le rapport du Docteur [X],
- juger que la « mort subite '' est une cause totalement étrangère au travail, de nature à faire échec à la présomption d'imputabilité de l'article L411-1 du code de la sécurité sociale,
- juger que suivant l'avis de l'expert, le décès de Monsieur [T] est la manifestation d'un état pathologique, sans lien avec son activité professionnelle,
- juger que l'employeur apporte la preuve d'une cause du décès totalement étrangère au travail,
- juger que la présomption d'imputabilité du décès à l'activité professionnelle de monsieur [T] doit donc être écartée,
- en conséquence, déclarer la décision de prise en charge du décès de monsieur [T] inopposable à la société [5].
La caisse primaire d'assurance maladie de la Marne, dument représentée, a repris ses conclusions reçues au greffe le 20 juillet 2022 et a sollicité ce qui suit :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de REIMS en date du 25 février 2022,
En conséquence,
A titre principal.
- déclarer que l'expert n'a émis que des hypothèses,
- déclarer que l'expert n'a pas pu déterminer une cause du décès,
- déclarer que le rapport d'expertise ne permet pas de renverser la présomption d'imputabilité en ce qu'il ne met pas en évidence une cause totalement étrangère au travail,
En conséquence,
- déclarer qu'il existe une présomption d'imputabilité,
- déclarer que l'employeur n'apporte aucune preuve de nature à détruire la présomption d'imputabilité et notamment l'existence d'une cause totalement étrangère au travail,
- déclarer que l'accident dont a été victime monsieur [T] bénéficie de la présomption d'imputabilité,
Par conséquent,
- déclarer que la décision de prise en charge du 24 septembre 2018 au titre de la législation professionnelle du malaise mortel dont a été victime monsieur [T] est opposable à la société [5],
- confirmer la décision de prise en charge en date du 24 septembre 2018,
- confirmer la décision de la commission de recours amiable en date du 22 novembre 2018,
A titre subsidiaire,
- constater que l'expert n'a pas pu déterminer une cause du décès,
En conséquence.
- ordonner un complément d'expertise médicale avec pour mission de l'expert de déterminer l'existence d'une cause totalement étrangère au travail,
En tout état de cause,
- débouter la société [5] de toutes ses demandes plus amples ou contraires,
- condamner la société [5] à la somme de 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [5] aux entiers dépens de l'instance.
Pour l'exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l'audience
L'affaire a été mise en délibéré au 4 octobre 2022 par mise à disposition au greffe par application des dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
Sur l'opposabilité de la reconnaissance de l'accident du travail :
Aux termes de l'article L411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
La survenance de l'accident aux temps et lieu de travail a pour effet de le présumer imputable au travail.
Cette présomption d'imputabilité n'est cependant pas irréfragable et il appartient à l'employeur qui conteste l'opposabilité de la prise en charge de l'accident et du décès au titre de la législation professionnelle d'apporter des éléments de nature à contester cette présomption et de rapporter la preuve d'une cause totalement étrangère au travail (civ. 2e 11 juillet 2019 n°18-19.160, P).
Aux termes de l'article L442-4 du code de la sécurité sociale, la caisse doit, si les ayants droit de la victime le sollicitent ou avec leur accord si elle l'estime elle-même utile à la manifestation de la vérité, demander au tribunal d'instance (désormais tribunal judiciaire) dans le ressort duquel l'accident s'est produit de faire procéder à l'autopsie dans les conditions prévues aux articles 232 et suivants du code de procédure civile.
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En l'espèce, la SASU [5] fait valoir que les éléments transmis à l'expert lui ont permis d'identifier avec précision la nature de l'état antérieur dont était atteint monsieur [T] (obésité morbide, antécédents cardiovasculaires significatifs, troubles conductifs sur l'électrocardiogramme), état connu et évolutif. Elle ajoute que l'expert conclut que la mort subite est probablement la manifestation spontanée d'un état pathologique non influencé par les conditions de travail.
Elle fait également valoir que le simple fait que monsieur [T] soit décédé d'une mort subite suffit à caractériser la preuve d'une cause totalement étrangère au travail. Elle ajoute que si l'expert n'a pas été en mesure de déterminer la cause de la mort, c'est au seul motif que cette cause n'a pas été recherchée par la caisse lors de son instruction. Elle précise avoir sollicité une autopsie auprès de la caisse et qu'elle a émis des réserves.
La caisse fait valoir que l'accident, survenu aux lieu et temps de travail, bénéficie de la présomption d'imputabilité, même si la cause du décès est naturelle. Elle ajoute que l'expert, le docteur [X], ne démontre pas que le décès de monsieur [T] présente une cause totalement étrangère au travail. Elle précise qu'une simple hypothèse n'est pas suffisante pour démontrer la cause totalement étrangère au travail et que le docteur [T] ne fait qu'émettre des hypothèses. Elle indique que le docteur [P], médecin chef du service médical, a confirmé qu'il n'était pas possible de déterminer une cause totalement étrangère au travail.
Elle fait également valoir que même si monsieur [T] était en obésité morbide, aucun élément médical du dossier ne démontre qu'il était atteint d'une pathologie préexistante qui évoluait pour son propre compte. Elle ajoute que son ex-femme et son collègue monsieur [C] indiquent qu'il allait bien avant son accident. Elle précise qu'un état pathologique préexistant n'est pas suffisant pour renverser la présomption d'imputabilité.
Elle fait enfin valoir que lors de la déclaration d'accident du travail, la société [5] n'a pas émis le souhait de la mise en 'uvre d'une autopsie. Elle ajoute que le 13 juin 2018, le conseil de la société lui a uniquement demandé si elle avait sollicité un examen tel que prévu à l'article L442-4 du code de la sécurité sociale. Elle précise que le médecin conseil ayant considéré que le décès était imputable au travail, et l'enquête ayant mis en évidence qu'avant son accident, monsieur [T] allait bien, l'autopsie ne s'avérait pas nécessaire et il ne peut lui être reproché aucune carence.
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Il est constant que monsieur [T] a été victime d'un malaise mortel aux temps et lieu de son travail, de telle sorte que cet accident bénéficie de la présomption d'imputabilité au travail.
Il appartient dès lors à l'employeur, sur qui repose la charge de la preuve, de démontrer que le décès de monsieur [T] est dû à une cause totalement étrangère au travail.
Aucune autopsie n'a été réalisée, l'employeur ne l'ayant pas demandée (et s'étant contenté de demander à la caisse si elle en avait sollicité une) et la caisse n'ayant manifestement pas estimé utile d'en diligenter une.
Les premiers juges ont cependant ordonné une expertise judiciaire sur pièces et il résulte du rapport du docteur [X], expert, que monsieur [T] a présenté une mort subite dont l'origine est inconnue, plusieurs hypothèses diagnostiques étant possibles : un infarctus du myocarde, une rupture d'anévrisme, une embolie pulmonaire ou un trouble de conduction paroxystique.
L'impossibilité de déterminer la cause exacte du décès n'exclut cependant pas la démonstration de l'existence d'une cause totalement étrangère au travail, qui suppose que le travail n'a joué aucun rôle dans la survenue du décès.
L'expert, qui a pu consulter un compte-rendu de consultation cardiologique du docteur [F] du 20 avril 2018 et le compte-rendu de l'intervention du SMUR le jour du décès de monsieur [T], décrit très clairement un « état antérieur avec une obésité morbide, des antécédents cardiovasculaires avec des troubles du rythme supra ventriculaire régularisés par choc électrique » avec traitement anti-arythmique. Un état pathologique antérieur est donc établi.
Il ajoute qu'il ne peut « relever de cause extrinsèque liée spécifiquement à son travail qui aurait pu favoriser cette mort subite ». Il précise que l'enquête ne mentionne pas « d'efforts physiques spécifiques qui auraient pu expliquer cette mort subite » et qu'il ne peut pas « retenir dans ces conditions d'arrêt cardiaque spécifiquement lié à caractère professionnel ».
Même s'il écrit « cette mort subite étant probablement la manifestation spontanée d'un état pathologique non influencé par les conditions de travail », l'utilisation par l'expert du terme « probablement » ne donne pas à ses conclusions la valeur de simple supposition, lesdites conclusions étant claires et excluant tout rôle causal de l'activité professionnelle, de telle sorte que l'accident ne peut qu'avoir une cause totalement étrangère au travail.
Dans ces conditions, il n'y a pas lieu à complément d'expertise, et la décision du 24 septembre 2018 de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident de monsieur [T] sera déclarée inopposable à la SASU [5].
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
La caisse primaire d'assurance maladie de la Marne succombant, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, incluant les frais d'expertise, et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
CONFIRME le jugement RG 18/1049 du 25 février 2022 du pôle social du tribunal judiciaire de Reims en ce qu'il a rejeté la demande de complément d'expertise,
L'INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau,
DIT que la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne du 24 septembre 2018 de prise en charge de l'accident du 11 juin 2018 de monsieur [L] [T] est inopposable à la SASU [5],
Y ajoutant,
DÉBOUTE la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par monsieur Guerric HENON, président de chambre et par madame Clara TRICHOT-BURTÉ, greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Minute en sept pages