ARRÊT N° /2022
SS
DU 04 OCTOBRE 2022
N° RG 22/00641 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E6EQ
Pole social du TJ de NANCY
20/00199
02 mars 2022
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANTE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE MEURTHE ET MOSELLE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Mme [X] [T], régulièrement munie d'un pouvoir de représentation
INTIMÉE :
S.A.S. [4] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Jean-Dylan BARRAUD, avocat au barreua de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président :M. HENON
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier :Madame TRICHOT-BURTE (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 06 Septembre 2022 tenue par M. HENON, magistrat chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric HENON, président, Dominique BRUNEAU et Catherine BUCHSER-MARTIN, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 04 Octobre 2022 ;
Le 04 Octobre 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
Faits, procédure, prétentions et moyens :
Selon formulaire du 14 novembre 2019, la société [4] (l'employeur), entreprise de travail temporaire, a établi une déclaration d'accident du travail concernant M. [V] [W], mis à disposition de la [3] en qualité d'opérateur cariste, retrouvé inanimé dans les toilettes de l'entreprise utilisatrice le 13 novembre 2019, qui n'a pu être réanimé.
Par courrier du 15 novembre 2019, l'employeur a émis des réserves sur le caractère professionnel de cet accident.
Par courrier du 19 décembre 2019, la caisse a informé l'employeur de la nécessité de recourir à un délai complémentaire d'instruction et par courrier du 23 janvier 2020, l'a informé de sa possibilité de prendre connaissance du dossier, préalablement au rendu de sa décision annoncée au 13 février 2020.
Par courrier du 12 février 2020, l'employeur a réclamé à la caisse l'avis de son médecin conseil sur le lien de causalité entre le décès de M. [W] et ses tâches professionnelles et les conclusions de l'autopsie. Par courrier en réponse du 18 février 2020, la caisse l'a informé qu'en application de la circulaire d'harmonisation des pratiques accident du travail/maladies professionnelles 14/2018, aucune autopsie n'a été pratiquée et qu'il n'y avait pas d'avis médical à solliciter.
Entretemps, par décision du 13 février 2020, la CPAM de Meurthe-et-Moselle a pris en charge cet accident mortel au titre de la législation sur les risques professionnels.
Le 9 avril 2020, l'employeur a soulevé l'inopposabilité de cette décision pour non-respect du contradictoire et matérialité de l'accident non établie devant la commission de recours amiable de la caisse qui, par décision du 25 mai 2020, a confirmé la décision des services administratifs et rejeté sa demande.
Le 10 juillet 2020, l'employeur a contesté cette décision devant le pôle social du tribunal judiciaire de Nancy.
Par jugement du 2 mars 2022, le Tribunal a :
- déclaré le recours de la société [4] recevable et bien fondé,
- infirmé la décision de la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle du 25 mai 2020,
- dit que la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle de prise en charge de l'accident du 13 novembre 2019 de M. [V] [W] au titre de la législation professionnelle est inopposable à la société [4],
condamné la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle aux dépens de l'instance,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
Par acte du 16 mars 2022, la Caisse a interjeté appel de ce jugement.
Suivant ses conclusions reçues au greffe le 27 juillet 2022, la Caisse demande à la Cour de:
- déclarer son recours recevable et bien fondé,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 02/03/2022 par le Pôle Social du Tribunal Judiciaire de NANCY,
- juger que l'accident mortel dont a été victime Monsieur [V] [W] le 13/11/2019 bénéficie de la présomption d'imputabilité qui n'est pas renversée par la société [4],
Par conséquent,
- déclarer opposable à la société [4] sa décision de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, l'accident mortel dont a été victime Monsieur [V] [W] le 13/11/2019,
- condamner la société [4] à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Suivant ses conclusions reçues au greffe le 18 août 2022, l'employeur demande à la Cour :
'la confirmation du jugement rendu le 2 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Nancy,
'l'inopposabilité de la décision de prise en charge du décès de M. [W] en date du 13 novembre 219.
Pour l'exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l'audience.
Motifs :
I/ Sur la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident :
1/ Sur l'absence d'avis médical :
La caisse soutient qu'en matière d'accident du travail aucune disposition n'implique de solliciter l'avis du médecin conseil et qu'en conséquence, il ne saurait lui être fait grief de ne pas y avoir procédé.
La société fait valoir que dans les pièces mises à disposition à la fin de l'instruction ne figurait pas l'avis du service médical de la caisse, alors qu'il doit être impérativement être sollicité conformément à la charte AT/MP et l'article R. 434-31 du code de sécurité sociale et être communiqué à l'employeur selon la jurisprudence.
Cependant, si l'avis du service médical doit être impérativement sollicité par la caisse dans le cas d'une reconnaissance de maladie professionnelle (Civ. 2 , 14 janvier 2010, n 08-21.556) afin qu'il puisse être procédé à l'appréciation des éléments d'ordre médical aux regard des prévisions de l'article L. 461-1 du code de sécurité sociale en application des articles L. 315-1, L. 315-2 et L. 442-5 du même code, en revanche il ne résulte pas des des dispositions des articles R. 441-10 et suivants du même code qu'une telle exigence s'applique en cas de reconnaissance d'accident du travail, les indications figurant sur la charte invoquée par la société, dépourvue de toute valeur normative, ne pouvant fonder une telle obligation, de même que les dispositions
de l'article R. 434-31 du code de sécurité sociale qui ont pour objet la détermination de l'indication d'une incapacité permanente et non pas la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident.
Il ne saurait en conséquence être fait grief à la caisse de ne pas avoir sollicité d'avis médical, étant précisé que la jurisprudence invoquée par la société n'est pas applicable en l'espèce.
2/ Sur la communication des résultats de l'autopsie :
Selon l'article L. 442-4 du code de la sécurité sociale la caisse doit, si les ayants droit de la victime le sollicitent ou avec leur accord si elle l'estime elle-même utile à la manifestation de la vérité, demander au tribunal dans le ressort duquel l'accident s'est produit de faire procéder à l'autopsie dans les conditions prévues aux articles 232 et suivants du code de procédure civile. Si les ayants droit de la victime s'opposent à ce qu'il soit procédé à l'autopsie demandée par la caisse, il leur incombe d'apporter la preuve du lien de causalité entre l'accident et le décès.
Il résulte de ce texte qu'en l'absence de demande des ayants droit de la victime, la caisse n'est pas tenue de faire procéder à une autopsie (Soc., 1 juillet 1999, pourvoi n° 97-20.570) dès lors qu'elle s'estime suffisamment informée par l'enquête (Soc., 11 décembre 1997, pourvoi n° 96-14.050 ; Soc., 20 juin 1996, pourvoi n° 94-13.689).
Il résulte de l'article R. 441-11, alinéa 1er, du Code de la sécurité sociale que la caisse primaire d'assurance maladie, avant de se prononcer sur le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, doit informer l'employeur de la fin de la procédure d'instruction, des éléments recueillis qui lui sont défavorables et de la possibilité de consulter le dossier avant la date prévue pour sa décision. Par l'effet de ces dispositions, qui valent autorisation au sens de l'article 226-14 du Code pénal, la caisse est tenue de communiquer à l'employeur, sur sa demande, l'entier rapport d'autopsie prévu par l'article L. 442-4 du Code de la sécurité sociale (2e Civ., 22 février 2005, pourvoi n° 03-30.308, Bull. 2005, II, n° 38).
*
La caisse soutient qu'elle n'a pas eu connaissance des résultats de l'autopsie, ce qui est confirmé par le rapport de l'agent enquête exposant qu'une autopsie était en cours la veille de la clôture de l'instruction et qu'elle n'a donc pas pris de décision sur la base d'éléments ignorés de l'employeur. Il ne s'agit pas de déterminer quel élément aurait utilement figuré au dossier mais simplement de vérifier qu'il y a eu coïncidence entre le dossier examiné par l'employeur et celui de la caisse. S'il était jugé le contraire cela contredirait radicalement les règles relatives à la présomption d'imputabilité. L'employeur n'ignore pas que l'instruction du dossier a débouté le 15 novembre 2019 et que le 19 décembre 2019, ce dernier s'est vu notifier la nécessité de recourir à un délai complémentaire d'instruction. La caisse se devait donc le 23 janvier 2020 d'informer les parties de la possibilité de venir consulter les pièces du dossier avant qu'une décision soit prise quant au caractère professionnel de l'accident prévue pour le 13 février 2020. Ces différentes dates démontrent la volonté de la caisse d'observer les délais de procédure et le principe du contradictoire. La caisse soutient qu'elle ne pouvait attendre le résultat de l'autopsie d'autant que son dossier était complet et lui permettait de statuer. Il est vrai que si elle s'est prononcée en l'absence de toute autopsie, ceci ne remet nullement en cause la présomption d'imputabilité.
L'employeur expose qu'il avait fait part de son étonnement de ne pas avoir ou avoir accès aux conclusions du rapport d'autopsie pratiquée et que la caisse lui a répondu en retour qu'aucune autopsie n'a été pratiquée. Il précise être dubitatif face à une telle réponse dans la mesure où une autopsie a bien été pratiquée confirmée par es ayants droits et l'enquête ce qui a par ailleurs retardé les obsèques. La caisse ne peut donc soutenir qu'aucune autopsie n'était nécessaire et n'avait pas été pratiquée. La caisse ne peut non invoquer le fait que la décision a été prise avant que ne lui soient communiqués les résultats de l'autopsie, un tel argumentant n'est pas entendable dans un dossier où les causes du décès sont parfaitement inconnues et il appartenait à la caisse d'attendre les résultats pour statuer. L'employeur précise qu'il avait demandé, dès le courrier de réserve, une autopsie.
*
Au cas présent, il convient de constater que le rapport d'enquête administrative de la caisse du 22 janvier 2020 conclut en énonçant qu'une autopsie est actuellement en cours.
Il convient encore de constater que l'employeur, qui avait dès le stade de l'émission de réserves avait demandé à la caisse de diligenter une autopsie, a demandé par un courrier du 12 février 2020 de lui faire parvenir les conclusions du rapport d'autopsie qui ne figuraient pas au dossier.
Par un courrier du 13 février 2020, daté du même jour que la décision de prise en charge notifiée par ailleurs, la caisse, après rappel d'une circulaire d'harmonisation de pratiques estimant qu'en cas de décès inaugural aux temps et lieu de travail une autopsie est inutile, a répondu à l'employeur qu'aucune autopsie n'a été pratiquée.
Il résulte de ce qui précède que si la caisse n'était pas tenue de procéder à une expertise sur la demande de l'employeur et pouvait s'en dispenser dès lors qu'elle l'estimait inutile, en revanche, il convient de constater que l'allégation d'une absence d'autopsie en réponse à la demande de l'employeur se trouve contredite par les énonciations du rapport d'enquête, sans que la caisse ne formule d'explication pouvant expliquer cette contradiction et alors qu'elle a fini par en admettre l'existence.
Par ailleurs la caisse apparait mal fondée à se prévaloir des délaisde procédure pour justifier d'une prise de décision dans ces conditions dès lors qu'il résulte de sa propre lettre du 19 décembre 2019 relative à la nécessité de recourir un délai d'instruction complémentaire, qu'aucune décision relative au caractère professionnel de l'accident, à la suite de la réception de la déclaration reçue le 15 novembre 2019, n'a pu être arrêtée dans le délai réglementaire de 30 jours prévu à l'article R. 441-10 du code de sécurité sociale, de sorte que les conséquences s'attachant à un défaut de respect de ces délais tenant à une décision de reconnaissance implicite, profitant uniquement à la victime et ses ayants droits, pouvaient d'ores et déjà être constatées.
Enfin, la caisse ne justifie ni même ne fait état d'aucun élément quant à la date à laquelle cette dernière a pris effectivement pris connaissance du rapport d'autopsie, et partant de son ignorance des conclusions du rapport à la date de fin d'instruction du dossier et de prise de décision.
Il s'ensuit qu'en soutenant contre toute réalité le jour même de la date de prise de décision qu'aucune autopsie n'avait été réalisée et en n'en communiquant pas les résultats à l'employeur, la caisse a manqué à son obligation d'information en ne mettant pas, de façon loyale, ce dernier en mesure de prendre connaissance des éléments susceptibles de lui faire grief, justifiant par là même que la décision qu'elle a prise soit déclarée inopposable à l'employeur.
II/ Sur les mesures accessoires :
La caisse qui succombe sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Nancy du 02 mars 2022 ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle aux dépens.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Guerric Henon, Président de Chambre et par Madame Clara Trichot-Burté, Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Minute en six pages