RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° /22 DU 29 SEPTEMBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 21/02757 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E37P
Décision déférée à la Cour :
Jugement du juge des contentieux de la protection de NANCY, R.G. n° 21/00347, en date du 1er octobre 2021,
APPELANT :
Monsieur [E] [P], né le 19 février 1971 à KSAR HELLAL (Tunisie) domicilié [Adresse 3]
Représenté par Me Alexandra CHAMPY, avocat au barreau de NANCY
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/012721 du 19/11/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NANCY)
INTIMÉ :
Monsieur [R] [B], né le 10 novembre 1973 à VIRANSEHIR (Turquie) domicilié [Adresse 2]
Représenté par Me Pascal BERNARD de la SCP SCP D'AVOCATS PASCAL BERNARD NICOLETTA TONTI, avocat au barreau de NANCY substitué par Me STELLA, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 08 Septembre 2022, en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,
Madame Nathalie ABEL, conseillère, qui a fait le rapport
Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Mme Christelle CLABAUX- DUWIQUET ;
A l'issue des débats, le Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 29 Septembre 2022, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 29 Septembre 2022, par Mme Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre et par Mme Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSE DU LITIGE
Par acte du 20 octobre 2019, M. [R] [B] a donné en location à M. [E] [P] un logement à usage d'habitation situé [Adresse 1] moyennant un loyer mensuel de 850 euros outre 50 euros de charges.
Le 11 mai 2020 M. [B] a fait délivrer à M. [P] un commandement de payer un arriéré de loyers de 4 500 euros.
M. [P] a quitté l'appartement et remis les clés à M. [B] le 28 février 2021.
Par jugement réputé contradictoire du 1er octobre 2021, le tribunal judiciaire de Nancy, saisi par M. [B] par acte d'huissier du 14 avril 2021, a :
- condamné M. [P] à payer à M. [B] la somme de 7 667,91 euros au titre de la dette locative,
- dit que les sommes dues au titre de la présente décision produiront intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,
- condamné M. [P] à payer à M. [B] la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [P] aux dépens,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration enregistrée le 21 novembre 2021, M. [P] a interjeté appel du jugement précité, en toutes ses dispositions.
Par conclusions déposées le 31 mai 2022, M. [P] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
En conséquence,
A titre principal :
- réformer le jugement en ce qu'il l'a condamné à verser à M. [B] la somme de 7 667,91 euros au titre de la dette locative en application de l'article 1219 du code civil et du principe de l'exception d'inexécution,
A titre subsidiaire et si par impossible le principe de l'exception d'inexécution n'était pas retenu :
- condamner M. [B] à lui verser la somme de 7 667,91 euros en réparation de son préjudice,
- ordonner la compensation des créances réciproques,
En tout état de cause :
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à M. [B] la somme de 200 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamner M. [B] à lui verser la somme de 850 euros correspondant au montant du dépôt de garantie,
- condamner M. [B] aux entiers dépens d'appel.
Par conclusions déposées le 1er avril 2022, M. [B] demande à la cour de :
- déclarer l'appel mal fondé,
- l'en débouter
- confirmer le jugement en toutes les dispositions,
Y ajoutant,
- condamner M. [P] à lui verser la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à leurs conclusions visées ci-dessus, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 juin 2022.
MOTIFS
Le premier juge a condamné M. [P] à payer à M. [B] la somme de 7 667,91 euros réclamée par ce dernier conformément à son décompte joint à l'assignation, en relevant que M. [P], non comparant, ne rapportait pas la preuve du règlement de cette somme ni d'éléments de nature à contester utilement son montant.
A hauteur d'appel, M. [P] sollicite, outre la restitution du dépôt de garantie, de voir rejeter la demande de condamnation de M. [B] au titre de sa dette locative au regard de l'inexécution par le propriétaire de son obligation de délivrance d'un logement décent. Subsidiairement il sollicite la condamnation de M. [B] à lui payer la somme de 7 667,91 euros en réparation de son préjudice de jouissance.
M. [B] sollicite la confirmation du jugement, tout en contestant avoir méconnu son obligation de délivrance d'un logement décent.
Sur l'obligation du bailleur de délivrer un logement décent
Aux termes de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risque manifeste pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation. L'article 2 du décret du 30 janvier 2002 précise que le logement doit notamment comporter :
- des canalisations ne présentant pas de risques manifestes pour la santé et la sécurité physique des locataires ;
- des réseaux et branchements d'électricité et de gaz et des équipements de chauffage et de production d'eau chaude en bon état d'usage et de fonctionnement ;
- une aération suffisante, les éventuels dispositifs de ventilation des logements devant être en bon état et permettre un renouvellement de l'air et une évacuation de l'humidité adaptés aux besoins d'une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements.
Aux termes de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989, le locataire est obligé notamment de :
- répondre des dégradations et pertes qui surviennent pendant la durée du contrat dans les locaux dont il a la jouissance exclusive,
- permettre l'accès aux lieux loués pour la préparation et l'exécution des travaux nécessaires au maintien en état ou à l'entretien normal des locaux loués et des travaux qui permettent de remplir les obligations mentionnées à l'article 6.
L'article 1219 du code civil prévoit par ailleurs qu'une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. S'agissant du contrat de bail, le preneur ne saurait cependant invoquer l'exception d'inexécution du bailleur dans son obligation de délivrance d'un logement décent pour être exonéré de son obligation du paiement du loyer, en l'absence d'impossibilité d'utiliser les lieux loués, le paiement du loyer étant fondé sur la mise à disposition du logement et non sur sa jouissance.
En l'espèce, aucun état des lieux n'a été établi lors de l'entrée dans les lieux, de telle sorte que le locataire est présumé les avoir reçus en bon état.
M. [P] invoque tout d'abord un dysfonctionnement de la chaudière. À l'appui de cette affirmation, il produit des textos qu'il a adressés à M. [B] à compter du 28 octobre 2019, c'est-à-dire peu après son entrée dans les lieux, signalant un dysfonctionnement de la chaudière se manifestant par une absence d'eau chaude et de chauffage. M. [B] explique qu'il a tout mis en oeuvre pour remplacer au plus vite la chaudière, ce qui a été fait le 23 novembre 2019 ainsi qu'il en justifie par la production d'une facture d'une entreprise Dupont Est d'un montant de 2 965,80 euros.
M. [P] invoque par ailleurs une humidité excessive ainsi que des fuites d'eau. À l'appui de ses affirmations, il verse aux débats :
- un texto qu'il a adressé à M. [B] le 12 mars 2020 dans lequel il signale 'des fuites en continu dans la salle de bains et la cuisine' et de 'l'humidité dans les chambres' ;
- trois témoignages décrivant l'appartement loué comme insalubre du fait de la présence de câbles électriques non conformes, de mauvaises odeurs et de moisissures ;
- un rapport d'intervention du Service hygiène et santé publique de la ville de Nancy du 23 octobre 2020, adressé à M. [B] par courrier daté du 18 décembre 2020, mentionnant que l'appartement litigieux présente :
' un manque d'entretien général,
- un excès d'humidité dans une des trois chambres (68 %), dans la salle d'eau (63 %) et les toilettes (61 %), sachant qu'est recommandé un taux d'humidité compris entre 40 et 60 %,
- une absence d'étanchéité de l'évier de la cuisine et du coude de raccordement du cabinet d'aisance,
- une absence de système de ventilation dans la salle d'eau, la cuisine et les toilettes,
- une installation gaz et électrique à faire vérifier compte tenu de la présence de gaines techniques non protégées dans les toilettes, le couloir, la cuisine et dans une des trois chambres dans laquelle un boîtier électrique à fort voltage est installé à côté de la descente d'eaux pluviales.
M. [B] fait valoir qu'il a immédiatement entrepris de remédier aux désordres signalés dans le rapport d'intervention du service hygiène mais que M. [P] a fait obstacle à la réalisation de travaux dans l'appartement, et ce dans le dessein d'échapper au paiement des loyers. À l'appui de ses affirmations, il verse au débat :
- une attestation d'un entrepreneur de maçonnerie générale et gros 'uvre de bâtiments, mentionnant que personne n'a ouvert la porte lorsqu'il s'est présenté une première fois le 10 novembre 2020 avec M. [B] au domicile de M. [P] pour constater les travaux devant y être effectués et que personne ne les a laissés entrer, le second rendez-vous ayant également dû être annulé à la suite des refus du locataire ;
- des textos échangés le 19 janvier 2021 avec M. [P] qui, en réponse à M. [B] l'informant de ce qu'il entendait passer dans l'appartement en vue des travaux, lui a notamment répondu «c'est presque impossible de faire les travaux ; c'est pour ça que je vous ai demandé de nous rencontrer pour faire le point de la situation »,
- deux attestations, notamment d'anciens locataires, mentionnant n'avoir jamais noté de désordres dans l'appartement.
Il en ressort que l'appartement loué a présenté :
- un dysfonctionnement de la chaudière pendant près de quatre semaines en automne 2019, soit à une période de l'année où les températures extérieures ne sont pas encore trop élevées ;
- une humidité excessive, une absence d'étanchéité de l'évier de la cuisine et du coude de raccordement des toilettes, un système de ventilation insuffisant ainsi qu'une installation électrique insuffisamment protégée, désordres mis en évidence lors de la visite du service d'hygiène de la ville de Nancy mais qui existaient manifestement, de par leur nature, depuis l'entrée dans les lieux de M. [P]. L'allégation de M. [B] selon laquelle l'humidité
s'expliquerait par le fait que le locataire n'aurait pas chauffé l'appartement est contredite par la production par M. [P] des factures de consommation de gaz.
Ces désordres sont insuffisants pour établir que le logement aurait été entièrement inhabitable, de telle sorte que M. [P] n'est pas fondé à se prévaloir de l'exception d'inexécution pour se voir exonéré du paiement des loyers, pas plus qu'il n'est fondé à solliciter des dommages et intérêts équivalant au montant de sa dette locative.
Ces désordres justifient en revanche l'existence d'un préjudice de jouissance qu'il convient d'évaluer à hauteur de 2 000 euros en tenant compte du fait que le locataire n'a pas, ainsi qu'il y était tenu, facilité l'accès de l'appartement aux fins de réalisation des travaux que le bailleur a tenté de mettre en oeuvre dès novembre 2020, après l'intervention du service d'hygiène de Nancy.
Sur la dette locative
Aux termes de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989, le locataire est tenu de payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus. La charge du paiement des loyers incombe au locataire, l'article 1353 du code civil précisant que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et que réciproquement celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
L'article 22 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit par ailleurs que le dépôt de garantie est restitué, déduction faîte le cas échéant, des sommes restant dues au bailleur.
En l'espèce, M. [P] n'allègue et ne justifie a fortiori pas s'être acquitté de la somme de 7 667,91 euros réclamée par le bailleur au titre de sa dette locative, faisant tout au contraire valoir qu'il serait fondé à ne pas s'en acquitter compte tenu de l'indécence du logement.
De son côté, M. [B] ne conteste pas rester devoir à M. [P] le remboursement du dépôt de garantie d'un montant de 850 euros.
Il convient dès lors de déduire de cette somme de 7 667,91 euros, le dépôt de garantie d'un montant de 850 euros, de telle sorte que M. [P] reste devoir à M. [B] au titre de sa dette locative la somme de 6 817,91 euros.
Sur la compensation
Aux termes de l'article 1347 du code civil, la compensation est l'extinction simultanée d'obligations réciproques entre deux personnes. Elle s'opère, sous réserve d'être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies. L'article 1347-1 du code civil précise qu'elle n'a lieu qu'entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles
En l'espèce, M. [P] demande que soit opérée une compensation entre les créances réciproques.
Il résulte de cette compensation que M. [P] demeure redevable vis-à-vis de de M. [B] de la somme de 4 817,91 euros ( 6 817,91 - 2 000).
M. [P] sera dès lors condamné à payer à M. [B] la somme de 4 817,91 euros.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
M. [P] qui succombe pour l'essentiel sera condamné aux entiers dépens. L'équité commande par ailleurs de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [P] au paiement d'une somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de le condamner à hauteur d'appel au paiement d'une somme de 800 euros.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Confirme le jugement en ce qu'il a condamné M. [E] [P] aux dépens ainsi qu'à devoir payer à M. [R] [B] la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau et ajoutant ;
Condamne M. [E] [P] à payer à M. [R] [B] la somme de 4 817,91 € (quatre mille huit cent dix sept euros et quatre vingt onze centimes) en principal, après compensation entre les créances réciproques ;
Condamne M. [E] [P] à payer à M. [R] [B] la somme de 800 € (huit cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Mme Christelle CLABAUX- DUWIQUET , greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en huit pages.