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29/09/2022 | FRANCE | N°21/00710

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 29 septembre 2022, 21/00710


ARRÊT N° /2022

PH



DU 29 SEPTEMBRE 2022



N° RG 21/00710 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EXRT







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

19/0423

08 février 2021











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANT :



Monsieur [W] [R]

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[Localité 2]

Représenté par Monsieur [E] [S], défenseur syndical, régulièrement muni d'un pouvoir de représentation









INTIMÉE :



S.A. CORA prise en la personne de son représentant légal, domicilié audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Bertrand DANSET de l'ASSOCIATION DM AVOCATS, avoc...

ARRÊT N° /2022

PH

DU 29 SEPTEMBRE 2022

N° RG 21/00710 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EXRT

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

19/0423

08 février 2021

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANT :

Monsieur [W] [R]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Monsieur [E] [S], défenseur syndical, régulièrement muni d'un pouvoir de représentation

INTIMÉE :

S.A. CORA prise en la personne de son représentant légal, domicilié audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Bertrand DANSET de l'ASSOCIATION DM AVOCATS, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président :WEISSMANN Raphaël,

Conseillers : STANEK Stéphane,

WILLM Anne-Sophie

Greffier lors des débats :RIVORY Laurène

DÉBATS :

En audience publique du 16 Juin 2022 ;

L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 29 Septembre 2022 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

Le 29 Septembre 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES :

Monsieur [W] [R] a été engagé sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société CORA à compter du 09 juillet 1990, en qualité d'adjoint chef de département.

La convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire est applicable au contrat de travail.

Au dernier état de ses fonctions, Monsieur [W] [R] occupait le poste de manageur plateforme, statut cadre, au sein du site de [Localité 4], assurant la gestion de la plateforme logistique de [Localité 5]. Il était soumis à une convention de forfait jours.

A compter du 17 septembre 2016, Monsieur [W] [R] a été placé en arrêt de travail pour maladie, de manière continue jusqu'au 01 septembre 2018.

Par décision du 07 septembre 2018, le médecin du travail a déclaré Monsieur [W] [R] inapte à son poste de travail, avec impossibilité de reclassement dans un emploi.

Monsieur [W] [R] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 02 octobre 2018.

Par courrier du 05 octobre 2018, Monsieur [W] [R] a été licencié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

Par requête du 02 octobre 2019, Monsieur [W] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Nancy aux fins de :

A titre principal,

- juger qu'il a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur,

- juger que la société CORA n'a pas respecté son obligation de résultat en matière de sécurité et de prévention des risques professionnels,

- juger que le licenciement prononcé est nul, à défaut abusif,

- condamnation de la société CORA au paiements des sommes suivantes :

- 78 869,70 € net au titre du préjudice lié à la perte d'emploi,

- 27 531,60 € net au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,

- 13 892,00 € brut à titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 389,20 € brut de congés payés afférents,

- 20 000,00 € net au titre du préjudice moral et financier non compris dans la perte de son emploi, pour harcèlement moral et non-respect de l'obligation de sécurité,

*

A titre subsidiaire :

- juger que son inaptitude est liée à son travail,

- condamnation de la société CORA au paiement des sommes suivantes :

- 27 531,60 € net au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,

- 13 892,00 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

*

A titre infiniment subsidiaire,

- condamnation de la société CORA à un rappel de 6 859,20 € net d'indemnité conventionnelle de licenciement,

*

En tout état de cause,

- condamnation de la société CORA au paiement des sommes suivantes :

- 45,80 € brut pour la visite médicale de reprise du 07 septembre 2018, outre 4,58 € brut de congés payés afférents, et 4,00 € net de frais de transport,

- 2 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 08 février 2021, lequel a :

- débouté Monsieur [W] [R] de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société CORA,

- condamné Monsieur [W] [R] aux entiers dépens,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Vu l'appel formé par Monsieur [W] [R] le 18 mars 2021,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de Monsieur [W] [R] reçues au greffe de la chambre sociale le 21 avril 2022, et celles de la société CORA déposées sur le RPVA le 01 mars 2022,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 18 mai 2022,

Monsieur [W] [R] demande :

- de recevoir Monsieur [W] [R] en ses demandes et les déclarer fondées,

- de débouter la société CORA de toutes ses demandes, fin de non-recevoir, caducité, à défaut de les déclarer irrecevables,

- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 08 février 2021,

- statuant à nouveau,

*

A titre principal :

- de juger que Monsieur [W] [R] a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur,

- de juger que la société CORA n'a pas respecté son obligation de résultat en matière de sécurité et de prévention des risques professionnels,

- en conséquence,

- de juger que le licenciement prononcé est nul, à défaut abusif,

- de condamner la société CORA au paiements des sommes suivantes :

- 78 869,70 € net au titre du préjudice lié à la perte d'emploi,

- 27 531,60 € net au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,

- 13 892,00 € brut à titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 389,20 € brut de congés payés afférents,

- 20 000,00 € net au titre du préjudice moral et financier non compris dans la perte de son emploi, pour harcèlement moral et non-respect de l'obligation de sécurité,

*

A titre subsidiaire :

- de juger que l'inaptitude de Monsieur [W] [R] est liée à son travail,

- en conséquence, de condamner la société CORA au paiement des sommes suivantes :

- 27 531,60 € net au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,

- 13 892,00 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

*

A titre infiniment subsidiaire :

- de condamner la société CORA à un rappel de 6 859,20 € net d'indemnité conventionnelle de licenciement,

*

En tout état de cause :

- de condamner la société CORA aux intérêts légaux à compter de la convocation prud'homale pour les demandes ayant un caractère salarial et dire que les intérêts échus pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts,

- de condamner la société CORA à la somme de 4 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les deux instances,

- de condamner la société CORA aux entiers dépens des deux instances.

La société CORA demande :

A titre principal :

- de prononcer l'irrecevabilité des conclusions d'appelant de Monsieur [W] [R] en ce qu'elles ne mentionnent pas dans leur dispositif les chefs de jugement critiqués,

- de prononcer la caducité de la déclaration d'appel de Monsieur [W] [R] en date du 18 mars 2021, faute pour Monsieur [W] [R] d'avoir signifié des conclusions conformes dans le délai de trois mois ou à défaut, de confirmer purement et simplement le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nancy,

*

A titre subsidiaire :

- de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nancy du 8 février 2021 en ce qu'il a :

- débouté Monsieur [W] [R] de ses demandes,

- condamné Monsieur [W] [R] aux entiers dépens,

- en conséquence, de débouter Monsieur [W] [R] de ses demandes ,

*

- en tout état de cause, de condamner Monsieur [W] [R] à payer à la société CORA la somme de 3 000,00 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel, outre les dépens de l'instance.

SUR CE, LA COUR :

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures qu'elles ont déposées sur le RPVA, s'agissant de l'employeur le 1er mars 2022, et en ce qui concerne le salarié le 21 avril 2022.

Sur l'exception de procédure :

La société CORA fait grief aux conclusions de M. [W] [R] de ne pas mentionner les chefs du jugement critiqués, de sorte que l'objet de l'appel n'est pas déterminé, et que l'appelant n'a pas signifié des conclusions conformes à l'article 954 du code de procédure civile, dans le délai de l'article 908.

M. [W] [R] fait valoir que les chefs critiqués n'ont pas à figurer au dispositif, et que l'article 954 du code de procédure civile ne prévoit aucune sanction d'irrecevabilité.

Il ajoute qu'elles ont été régulièrement notifiées dans les délais, et qu'en tout état de cause l'article 914 indique que les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour la caducité ou l'irrecevabilité après la clôture de l'instruction.

Motivation :

Aux termes des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

En l'espèce, il résulte de la lecture des conclusions de M. [W] [R] qu'en demandant l'infirmation du jugement et en exposant ses demandes, ces dernières délimitent et déterminent l'objet de l'appel.

En conséquence, l'exception de procédure sera rejetée.

Sur le harcèlement :

Aux termes des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3, le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [W] [R] fait valoir les éléments suivants :

- dès 2011, le personnel de la plateforme de [Localité 4] alertait notamment sur le stress et le manque de moyen

- dans son entretien professionnel de 2016 il se plaignait encore du même stress, perturbation que le personnel soignant décelait également

- il a demandé plusieurs fois à bénéficier d'une formation sur la gestion du stress au travail

- il assumait le travail de ses collègues absents pour congés ou autres motifs comme la maladie

- l'employeur ne gérait rien, laissant les salariés s'auto-organiser; il estime que l'employeur n'a pas veillé à l'équité dans ces remplacements et n'a pris aucune mesure pour s'assurer que sa charge de travail restait raisonnable lors du remplacement de ses collègues absents

- l'employeur lui adressait régulièrement des critiques dévalorisantes

- l'absence de suivi annuel sur la charge de travail, dans le cadre du forfait jours

- les répercussions de cette situation sur son état de santé, constatées notamment par le médecin du travail

M. [W] [R] renvoie à ses pièces :

- 3 : compte-rendu de réunion participative du 12 décembre 2011, sur papier à entête «Cora» : il est indiqué : «certains ont souligné le stress et un manque de moyen sur PXO/PLU par rapport à d'autres sites»

- 7 : un mail de l'appelant du 20 février 2015, adressé à M. [F] [N] : «Bonjour [F], suite à notre conversation d'hier, j'ai noté que la descente automatique des tarifs fournisseurs pour le liquide ne pourra probablement pas se faire au 1er mars. En conséquence je me concentre essentiellement à la saisie des tarifs pour la période à venir. Je demande à être déchargé définitivement du traitement des écarts factures au plus tôt.»

- pièce 11 de la société CORA : entretien professionnel du 19 février 2016 :

commentaire du supérieur hiérarchique en point 2 : «Année compliquée, [W] a néanmoins fait un effort dans la façon de travailler et l'implication. On est encore en deça de ce que l'on attend d'un cadre. Gestion de la canicule perturbante et impactante physiquement et psychiquement, mais s'est peut être laissé dépasser par les événements (saturation entrepôt, réception, surstock). Idem sur la fin d'année, trop de ruptures, pas assez de planification en amont. Fermeture des produits sans motif sérieux inacceptable. Mois Cora 3 non rentré sur août comme demandé : impact renta entreprise . Paramétrage pallier PREREF sur fiche fournisseur non effectué au 01/09 alors que bascule des tarifs EN JUIN !!! info sur paramétrage communiquée en 2014 !!! Du mieux, mais encore beaucoup à faire tant sur la performance, l'analyse et le comportement».

- pièce 11 de la société CORA : entretien annuel de progrès du 12 février 2015: «Le travail appro est fait. L'outil est maîtrisé. Travaille trop seul. Pas assez force de proposition, [W] est cadre !! On ne le voit pas ' Tout est donc à prouver. A-t-il encore envie ''' Relation avec le prestataire pas assez approfondie. N'a pas vu la remise en marche de l'entreprise»

- pièce 19 : «organisation plate-forme de [Localité 4]» (sans date) : M. [W] [R] apparaît trois fois sur ce document comme remplaçant d'autres collègues : le responsable de plate-forme, le manager du rayon 11dhp, et le manager des rayons 12 sucré et 13 salé ;

- un échange de mail du 17 juin 2010 entre M. [W] [R], «manager Cora logistique [Localité 4]» et M. [A] [B] «responsable plate-forme Ludres» : «Bonjour, les congés d'été sont à prendre en concertation avec ses collègues de bureau et principalement avec son ou ses binômes.Or [K] et [V] (je suis le remplaçant des deux personnes à la fois') ont posé 2 semaines de congés communes ('). Je n'ai pas donné mon accord pour ce double remplacement à mes collègues et je t'ai averti de cette situation à 2 reprises. (') Merci de me donner ton point de vue.» ; réponse de M. [A] [B] : «bonjour, mon point de vue est clair : les périodes de cp ne doivent pas être des périodes où l'activité du site doivent être sacrifiées. De plus, j'ai toujours répondu favorablement à vos différentes demandes pour l'organisation de votre temps de travail et pour la prise de vos congés. Vous êtes tous ou agent de maîtrise, ou cadre, ce qui implique que vous êtes capables de vous organiser entre vous afin d'anticiper au mieux vos périodes d'absence respectives (chose que vous avez fait jusqu'à maintenant). Si vous n'y arrivez pas, c'est bien dommage et cela dénote un état d'esprit pas forcément positif. Merci donc de prendre vos dispositions entre vous afin que les remplacements pour les congés de cet été se passent le mieux possible et que la charge de travail soit équitable pour tous.(') il va de soi que je serai intransigeant en cas de dysfonctionnement causé par une non anticipation de votre organisation, surtout si cela est en relation avec le service magasin»

- pièce 27 à 38 : pièces médicales de juillet 2012 à juillet 2018, faisant état d'une surcharge de travail, de troubles du sommeil, de risque d'épuisement professionnel, de syndrome anxio dépressif réactionnel '.

pièce 27 : certificat médical du Docteur [H] du 23 juillet 2012 «Cher confrère, j'ai été amené à voir Mr [R] qui présentait manifestement un burnout qui couvait depuis quelques temps. Il a à mon avis bien réagi dans la mesure où il a prévenu sa hiérarchie qui lui avait promis un adjoint qui n'est jamais venu. (...)»

pièce 28 : dossier de la médecin du travail ' «24/07/12 arrêt de 3 semaines pour dépression (difficultés depuis début jan 2012 ' nouveau poste qu'il occupe seul alors qu'il y avait 2 personnes)» ; «03/08/15 (') difficultés car décrit une surcharge de W depuis plusieurs (...)»

pièce 29 ' entretien «souffrance au travail» ALSMT du 1er septembre 2015 : «M. [R] fait part d'un épuisement professionnel il y a 2/3 ans ayant nécessité un arrêt de travail. Actuellement , M. [R] fait part d'une fatigue importante (...)Les résultats obtenus au MBI indiquent un risque d'épuisement professionnel (...)»

pièce 33 ' examen psychiatrique du Docteur [D] du du 12 avril 2017 : «(...)A l'examen clinique d'aujourd'hui, outre la persistance d'un syndrome d'épuisement professionnel, autrement dit d'un burnout, on retrouve l'expression d'une symptomatologie dépressive et anxieuse (...)».

Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une situation de harcèlement, notamment managérial par la surcharge de travail imposée au salarié, par des appréciations vexatoires sur son travail et par la mise en concurrence des salariés s'agissant des dates de congés.

La société CORA fait valoir que :

- M. [W] [R] a bénéficié d'une formation de gestion du stress, en juin 2012, et qu'il ne mentionne dans ses entretiens professionnels aucune pression managériale, et que la pièce 3 du salarié ne donne aucune information précise sur l'existence d'une pression

- elle n'a jamais eu connaissance du test de burnout réalisé en 2015 par l'appelant, et que ce test ne démontre pas l'existence d'une quelconque pression à son égard

- des embauches ont été effectuées pour palier les départs, et que de nombreuses tâches ont été transférées au service comptabilité, pour alléger les siennes et celles de son service ; ,la société CORA renvoie à ses pièces 10, 13 et 15 :

la pièce 10 est un organigramme du service approvisionnements alimentaires PGC auquel appartient M. [W] [R] .

Elle ne permet pas de démontrer que ce service serait suffisamment pourvu en personnel 

la pièce 13 est composée de deux avenants aux contrats de travail de Mme [Z] [L], assistante manageur plate-forme, et de Mme [I], assistante manageur palte-forme, des 16 juillet et 16 avril 2012, actant leur mutation sur la plate-forme de [Localité 4].

Cette pièce ne permet pas de connaître la situation générale des effectifs à [Localité 4], et de savoir s'il y avait un sous-effectif ou non ;

la pièce 15, annoncée ainsi par la société CORA dans ses conclusions en page 23 : «' de nombreuses tâches attribuées à l'origine au service de Monsieur [R] ont été transférées au service comptabilité», est un mail du 05 octobre 2015, de M. [C] [M] relatif à l' «avancement du déploiement tarifaire», adressé à plusieurs personnes, dont les qualités ne sont pas précisées ; il n'est fait aucune mention d'un transfert de tâches

- en ce qui concerne les avis portés sur ses compte-rendus d'entretien, que l'appelant oublie de relever les points positifs de ses entretiens («travail en approvisionnement est fait», «l'outil est maîtrisé» ') et estime que pousser le raisonnement de M. [W] [R] à son paroxysme reviendrait à nier tout droit pour l'employeur de s'exprimer au travers des entretiens professionnels

- s'agissant du forfait en jours, que M. [W] [R] n'apporte aucun élément démontrant en quoi le prétendu non-respect du forfait jours caractériserait à son égard automatiquement un harcèlement moral. Elle ajoute qu'entre 2000 et 2016 se sont tenues d'innombrables réunions avec les instances représentatives du personnel, et qu'il est donc faux de prétendre qu'il n'existe aucun contrôle de la charge de travail.

Les explications et éléments produits par la société CORA ne combattent pas la présomption de harcèlement managérial, aucune démonstration n'étant apportée sur l'état des effectifs du service de l'appelant, engendrant pour ce dernier une surcharge de travail, et aucune explication n'étant donnée quant aux appréciations vexatoires répétées formalisées par l'employeur dans les entretiens professionnels du salarié, ni quant aux modalités de gestion des congés des salariés.

En conséquence du harcèlement moral subi, le licenciement sera déclaré nul.

Sur les conséquences financières du licenciement :

- sur les dommages et intérêts :

M. [W] [R] réclame la somme de 78 869,70 euros, en indiquant se baser sur un salaire moyen de 4 044,60 euros, calculé sur ses salaires avant sa maladie, et estimant son préjudice à 19,5 mois de salaires.

Il indique être toujours à la recherche d'un emploi, souligne son ancienneté au sein de l'entreprise, son âge et sa santé fragilisée rendant sa réinsertion difficile,

La société CORA fait valoir que l'appelant ne démontre ni l'étendue de son préjudice, ni sa recherche d'emploi.

La société CORA conteste que les douze mois de salaire à prendre en compte soient ceux qui précèdent son arrêt maladie ; elle estime que le salaire de référence à prendre en compte est le salaire « plein tarif » défini à l'article 3-11 de la convention collective.

Motivation :

Aux termes des dispositions de l'article L1235-3-1 du code du travail, en cas de licenciement nul, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Lorsque le salarié s'est trouvé en arrêt maladie, il convient de prendre en compte les salaires précédant l'arrêt de travail.

En l'espèce, au vu des bulletins de salaires de M. [W] [R] avant son arrêt maladie, qu'il produit en pièces 51, l'indemnité minimum de l'article L1235-3-1 précité est de 20 838 euros.

Il produit en pièce 53 une attestation de Pôle Emploi du 05 mai 2021, indiquant qu'il percevait à cette date l'allocation d'aide au retour à l'emploi.

Au jour de son licenciement, il avait plus de 28 ans d'ancienneté.

Compte tenu de ces éléments, il sera fait droit à sa demande.

- sur l'indemnité spéciale de licenciement :

M. [W] [R] demande un complément d'indemnité de licenciement, réclamant le bénéfice de l'indemnité spéciale de licenciement.

Il fait valoir que son inaptitude est directement liée à son travail, et que l'employeur ne pouvait ignorer le lien au moins partiel entre son inaptitude et son métier puisque la reconnaissance de maladie professionnelle par la CPAM est une procédure contradictoire.

La société CORA s'oppose à la demande, en faisant valoir que par courrier du 12 juillet 2019, la CPAM lui a notifié son refus de prise en charge.

Motivation :

Aux termes de l'article L1226-14 du code du travail, en cas de rupture du contrat de travail pour cause d'inaptitude d'origine professionnelle, le salarié bénéficié d'une indemnité spéciale de licenciement égale, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, au double de l'indemnité prévue par l'article L1234-9.

Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement ; que l'application de l'article L. 1226-10 du code du travail n'est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie du lien de causalité entre l'accident du travail et l'inaptitude.

L'avis d'inaptitude du médecin du travail du 07 septembre 2018 (pièce 8 de l'appelant) indique que « L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » et que « les capacités de travail de Monsieur J. ne permettent pas d'envisager un reclassement à un quelconque poste de l'entreprise ou du groupe ».

Le rapport d'expertise psychiatrique du Docteur [D] (pièce 34 de l'appelant) en date du 27 septembre 2017, et réalisé à la demande du médecin du travail, indique notamment que « (') on observe le comportement affectif et émotionnel d'un sujet anxieux, très anxieux même, anxiété s'inscrivant presque aux lisières du registre pathologique, à l'idée d'avoir à reprendre une quelconque forme d'activité professionnelle pour l'enseigne CORA pour laquelle il travaille depuis 27 ans, rappelant de surcroît son affectation à cette plate-forme de commercial acheteur depuis six ou sept ans, à l'origine d'un stress intense.

(')

Pour ces raisons, celles de préserver son état de santé physique, et en particulier cardiaque, ayant manifestement craint de mourir, Monsieur [R] [W] n'envisage plus de reprendre une quelconque forme d'activité professionnelle dans l'entreprise CORA, et il est vrai que l'état de tension psychique déterminée par l'évolution prononcée d'une charge anxieuse manifestement pathologique pourrait l'exposer, en cas de reprise, à rechuter au plan de son état cardiaque. (...) »

Ces éléments établissent de manière suffisante le lien entre le harcèlement subi et l'inaptitude de M. [W] [R].

En pièce 9, M. [W] [R] produit le formulaire de demande d'indemnité temporaire d'inaptitude, pour accident du travail ou maladie professionnelle, établi le 07 septembre 2018 par le médecin du travail, adressé par lettre recommandée par son défenseur syndical, lettre recommandée reçue le 12 septembre 2018 par l'employeur (pièce 10 de M. [W] [R]).

Ces deux pièces démontrent la connaissance par l'employeur du lien allégué entre l'inaptitude et l'origine professionnelle, et ce antérieurement au licenciement prononcé le 05 octobre 2018.

En application de l'article L. 1226-14 précité, M. [W] [R] a donc droit au versement de l'indemnité spéciale de licenciement.

Il sollicite la différence entre cette indemnité et celle qu'il a déjà perçue.

Le calcul n'étant pas critiqué à titre subsidiaire par l'employeur, il sera fait droit à la demande de M. [W] [R] à hauteur de ce qu'il réclame.

- sur l'indemnité compensatrice de préavis :

M. [W] [R] fait valoir que l'indemnité est due dès lors que l'inaptitude est la conséquence d'un manquement de l'employeur à ses obligations.

Il calcule la somme réclamée sur la base d'un salaire moyen brut de 3 473 euros, et indique que la convention collective prévoit un préavis de 3 mois. Il ajoute une prime annuelle égale à un mois de salaire, au regard des dispositions de la convention collective, en précisant qu'il faut se porter à la date théorique de fin du préavis pour examiner ses droits.

La société CORA indique que l'indemnité compensatrice de préavis n'est pas due, dans la mesure où l'inaptitude n'est pas d'origine professionnelle, et conteste la réclamation au titre de la prime annuelle, en faisant valoir que la convention collective impose la condition de présence dans les effectifs au 31 décembre.

Motivation :

Aux termes des dispositions de l'article L. 1226-16 du code du travail, l'indemnité de préavis de l'article L1226-14 est calculée sur la base du salaire moyen qui aurait été perçu par le salarié au cours des trois derniers mois s'il avait continué à travailler au poste qu'il occupait avant la suspension du contrat de travail provoquée par l'accident du travail ou la maladie professionnelle.

Cette indemnité est due lorsque l'inaptitude du salarié a pour cause un manquement de l'employeur à ses obligations.

Il résulte des développements qui précèdent que l'inaptitude de M. [W] [R] a pour origine un harcèlement moral de nature managériale, donc imputable à l'employeur.

Dès lors, M. [W] [R] a droit à une indemnité de préavis, dont la durée de 3 mois n'est pas contestée par la société CORA.

Il résulte des conclusions des parties que la convention collective subordonne le versement de la prime annuelle réclamée par le salarié à la présence dans les effectifs de l'entreprise au 31 décembre.

M. [W] [R] ayant été licencié le 05 octobre 2018, son préavis devait s'achever le 05 janvier 2019, ce qui lui permettait de prétendre à la prime, dont le montant n'est pas contesté.

Il sera donc également fait droit à cette demande.

Il sera également fait droit à la demande d'indemnité de congés payés afférents

- sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral et non-respect de l'obligation de sécurité :

M. [W] [R] explique avoir subi un préjudice moral et financier distinct de la perte de son emploi, lié à la dégradation de son état de santé « suite aux agissements coupables de son employeur » ; il pointe les actes de harcèlement, les manquements à la prévention des risques, les manquements à l'obligation de sécurité.

Il renvoie à ses pièces 31 à 39.

La société CORA estime que le salarié reprend les mêmes arguments que ceux développés pour contester la mesure de licenciement, qu'il ne justifie d'aucun préjudice, que son arrêt maladie ne l'était pas pour maladie professionnelle ; elle trouve curieux qu'il prétende avoir subi pendant 18 ans des agissements coupables, sans alerte par exemple des instances représentatives.

Motivation :

L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte de l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.

Dès lors, le non-respect de ses obligations de sécurité par l'employeur peut causer un préjudice distinct de celui causé par le harcèlement moral, préjudice qu'il appartient à la juridiction prud'homale d'apprécier, l'employeur devant prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs.

En l'espèce, l'employeur ne démontre pas avoir pris les mesures nécessaires pour prévenir lasituation de harcèlement moral dans son entreprise, par l'appelant.

M. [W] [R] démontre l'existence d'un préjudice découlant de cette abstention par la production de pièces médicales écitées qu'souffre d'un syndrome anxio-dépressif lié au harcèlement subi.

Il résulte notamment de la pièce 34 de M. [W] [R], soit le rapport d'expertise psychiatrique du Docteur [D] du 27 septembre 2017, qu'à la date de l'examen il faisait l'objet d'un suivi psychiatrique, qu'il prenait un traitement anti-dépresseur, et qu'il était encore très anxieux.

En conséquence, la société CORA sera condamnée à verser à M [W] [R] la somme 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur la demande d'assortir les condamnations à caractère salarial des intérêts, et d'anatocisme :

En application des dispositions des articles 1231-6 et 1343-2 du code civil, il sera fait droit à la demande.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Succombant à l'instance, la société CORA sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ; elle sera également condamnée à payer 3 000 euros à M. [W] [R] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nancy le 08 février 2021 ;

Statuant à nouveau,

Rejette l'exception de procédure ;

Déclare nul le licenciement de M. [W] [R] ;

Condamne la société CORA à payer à M. [W] [R] :

- 78 869,70 euros (soixante dix huit mille huit cent soixante neuf euros et soixante dix centimes) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

- 27 531,60 euros (vingt sept mille cinq cent trente et un euros et soixante centimes) au titre de l'indemnité spéciale de licenciement

- 13 892 euros (treize mille huit cent quatre vingt douze euros) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 1 389,20 euros (mille trois cent quatre vingt neuf euros et vingt centimes) au titre des congés payés afférents 

- 20 000 euros (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral et du non-respect de l'obligation de sécurité ;

Dit que la condamnation au titre de l'indemnité compensatrice de préavis est assortie des intérêts au taux légal à compter du 02 octobre 2019, et que les intérêts produiront eux-mêmes intérêts au taux légal dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Y ajoutant,

Condamne la société CORA à payer à M. [W] [R] 3 000 euros (trois mille euros) au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Condamne la société CORA aux dépens de première instance et d'appel.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Clara TRICHOT-BURTE, Greffier.

LE GREFFIERLE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en treize pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 21/00710
Date de la décision : 29/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-29;21.00710 ?
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