RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2022 DU 19 SEPTEMBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02570 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E3SE
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire d'EPINAL,
R.G.n° 19/00851, en date du 30 septembre 2021,
APPELANTS :
Monsieur [Z] [T]
né le 10 octobre 1949 en TURQUIE
domicilié [Adresse 1]
Représenté par Me Stéphane GIURANNA de la SELARL GIURANNA & IOGNA-PRAT, avocat au barreau d'EPINAL, substitué par Me Alice MOUROT, avocat au barreau de NANCY
Madame [J] [K] épouse [T]
née le 1er novembre 1957 en TURQUIE
domiciliée [Adresse 1]
Représentée par Me Stéphane GIURANNA de la SELARL GIURANNA & IOGNA-PRAT, avocat au barreau d'EPINAL, substitué par Me Alice MOUROT, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
Compagnie d'assurances SOGESSUR, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 2]
Représentée par Me Sylvie MENNEGAND, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 Juin 2022, en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre, chargée du rapport,
Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,
Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 19 Septembre 2022, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 19 Septembre 2022, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
FAITS ET PROCÉDURE :
Courant 2015, Madame [C] [S] a conclu un contrat de location avec Monsieur [Z] [T] et Madame [J] [K] épouse [T] pour un immeuble situé au [Adresse 1].
Madame [S] était assurée auprès de la société anonyme Sogessur.
Un incendie est survenu dans cet immeuble le 6 avril 2016, causant de nombreux dégâts matériels.
Une expertise diligentée dans le cadre de l'enquête pénale a conclu à 1'origine volontaire de l'incendie, mais 1'enquête a finalement été classée sans suite le 15 juin 2017.
Une expertise amiable contradictoire a été organisée dans laquelle l'expert a évalué les dommages causés par le sinistre à la somme de 241896 euros.
Indemnisés à hauteur de 200641,79 euros par leur propre assureur, la compagnie d'assurance BPCE, les époux [T] ont sollicité la société Sogessur afin d'obtenir une indemnisation pour le reliquat, soit 41225,01 euros, ainsi que le remboursement des honoraires de l'expert s'élevant à 19351,68 euros.
Leurs demandes étant restées infructueuses, ils ont par acte du 5 avril 2019, fait assigner la société Sogessur devant le tribunal de grande instance d'Epina1 aux fins d'obtenir sa condamnation à leur payer la somme de 60606,69 euros (41225,01 + 19351,68).
Par jugement contradictoire du 30 septembre 2021, le tribunal judiciaire d'Epinal a :
- débouté les époux [T] de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné les époux [T] à payer à la société Sogessur la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les époux [T] aux entiers dépens,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu l'application de la loi du 6 juillet 1989 relative au bail malgré l'absence de contrat de bail écrit, dès lors que la relation contractuelle a pu être établie par l'assurance habitation souscrite par Madame [S], qui indiquait une location depuis la fin de l'année 2015 et en vertu des pièces produites pour l'enquête pénale. Le tribunal a aussi relevé une absence de congé régularisé par Madame [S], ce qui induit pour le tribunal, que lors de l'incendie le 6 avril 2016, Madame [S] était toujours locataire du logement des époux [T], la remise des clefs dans leur boîte aux lettres ne permettant pas non plus de conclure à la résiliation du contrat.
Ainsi, le tribunal a fait application de l'article 1733 du code civil et a retenu la force majeure pour exonérer Madame [S] de sa responsabilité. En effet, le tribunal a relevé une origine volontaire de l'incendie selon le rapport d'expertise établi dans le cadre de l'enquête pénale, imprévisible et irrésistible en ce qu'il a eu lieu la nuit dans un logement vide de tout habitant, Madame [S] ayant déménagé peu avant.
Le tribunal a considéré que le dépôt des clefs dans la boîte aux lettres des époux [T] constitue une imprudence, il a considéré qu'il n'était pas prouvé que cela avait facilité la réalisation du dommage, les auteurs ayant pu entrer dans les lieux par les fenêtres.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 26 octobre 2021, les époux [T] ont relevé appel de ce jugement.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 26 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur et Madame [T] demandent à la cour, au visa de l'article 1733 du code civil et du code des assurances, de :
- juger recevable et bien fondé leur appel,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Epinal en date du 30 septembre 2021,
Et statuant à nouveau,
- condamner la compagnie d'assurances Sogessur à leur verser la somme de 60605,90 euros au titre du préjudice lié à l'incendie non indemnisé,
- condamner la compagnie d'assurances Sogessur à leur verser la somme de 4000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant au titre de la première instance qu'à hauteur d'appel,
- débouter la compagnie d'assurances Sogessur de toutes demandes contraires,
- condamner la compagnie d'assurances Sogessur aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 11 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Sogessur demande à la cour de :
- confirmer le jugement du 30 septembre 2021,
En conséquence,
- débouter les époux [T] de l'ensemble de leurs demandes,
- les condamner au paiement d'une somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 7 juin 2022.
L'audience de plaidoirie a été fixée le 20 juin 2022 et le délibéré au 19 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu les écritures déposées le 26 avril 2022 par Monsieur et Madame [T] et le 11 février 2022 par la société Sogessur, auxquelles la Cour se réfère expressément pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens ;
Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 7 juin 2022 ;
Sur le bien fondé de l'appel
Aux termes de l'article 1733 du code civil, le locataire « répond de l'incendie, à moins qu'il ne prouve que l'incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction. Ou que le feu a été communiqué par une maison voisine ; »
Cette présomption ne s'applique que si l'incendie trouvait son origine dans les lieux loués ;
Le principe est donc que le locataire ne peut s'exonérer de sa responsabilité que s'il rapporte la preuve que l'incendie provient de l'une des causes énumérées par l'article 1733 du code civil ;
S'agissant de la force majeure, c'est au preneur de démontrer que l'événement à l'origine de l'incendie était pour lui imprévisible et irrésistible (Civ. 3ème 24 avril 1981, Bull 81,3 E1918641 pourvoi 79-15.678) ; ainsi le fait d'un tiers n'exonère le preneur que s'il présente les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité propres à la force majeure ;
Il est constant que l'intrusion de malfaiteurs ou de squatters à l'origine d'un incendie dans les lieux loués ne constitue pas pour le preneur un cas de force majeure s'il est établi qu'une négligence de sa part est à l'origine de cette intrusion (Civ.3 ème 3 avril 2007, pourvoi 06-12.681 ; Civ. 3ème 6 novembre 2001, pourvoi 00-14.147) ; dès lors un incendie criminel ne libère le preneur de la présomption de responsabilité pesant sur lui que s'il parvient à établir qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité d'éviter le dommage ;
En l'espèce, il résulte des pièces produites et plus particulièrement de l'enquête de police ainsi que du rapport d'intervention de Monsieur [B] pour le Laboratoire Lavoué au cours de l'enquête pénale (pièces 13 et 1 appelants), la preuve que l'incendie qui a ravagé le logement pris à bail par Madame [S], est survenu dans les locaux à la suite d'une mise à feu volontaire, manifestée par la présence de quatre départs de feux différents ;
il est également établi que l'incendie volontaire a été déclenché par l'usage de produits fortement inflammables, de nuit, dans un local totalement vide ;
les poursuites n'ont pas abouti du fait de l'absence de détermination de l'auteur ;
Ainsi les premiers juges ont pu retenir à juste titre, que les conditions ayant présidé à la survenance de cet incendie, dans un logement vidé par sa locataire trois jours avant le sinistre, sont de nature à le rendre pour elle, imprévisible et irrésistible ;
De plus l'hypothèse est celle d'une intrusion par une fenêtre condamnée par des panneaux de bois et non par la porte d'entrée qui était verrouillée ; elle tend à démontrer que la remise des clés dans la boîte aux lettres de Monsieur [T] ne constituait pas de la part de la locataire une imprudence, de nature à s'opposer aux effets de la force majeure ; au demeurant cette dernière a déclaré que cette remise des clés avait été faite en présence du bailleur, qui habite dans le voisinage ;
Enfin la résiliation du contrat d'assurance par la locataire la veille du sinistre, ne constitue pas une faute au vu des circonstances de la cause, cette résiliation n'étant pas, au demeurant, de nature à contribuer à la réalisation du sinistre ;
Par conséquent, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a écarté la présomption de responsabilité de l'article 1733 du code civil, dès lors que la survenance de l'incendie était imprévisible et irrésistible pour la locataire, assurée auprès de la société Sogessur et a débouté Monsieur et Madame [T] de leur demande en paiement ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Monsieur et Madame [T] succombant dans leurs prétentions, le jugement sera confirmé en ce qu'il les a condamnés aux dépens et mis à leur charge une condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Les appelants, partie perdante, devront supporter les dépens ; en outre Monsieur et Madame [T] seront condamnés à payer à la société Sogessur la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme déjà allouée en première instance ; ils seront déboutés de leur propre demande de ce chef ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [Z] [T] et Madame [K] épouse [R] à payer à la société Sogessur, la somme de 2000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Monsieur [Z] [T] et Madame [K] épouse [T] [J] de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Monsieur [Z] [T] et Madame [K] épouse [T] [J] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-
Minute en six pages.