La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/09/2022 | FRANCE | N°21/01891

France | France, Cour d'appel de Nancy, 1ère chambre, 19 septembre 2022, 21/01891


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

------------------------------------

COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile



ARRÊT N° /2022 DU 19 SEPTEMBRE 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01891 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E2CM



Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,

R.G.n° 18/03648, en date du 30 juin 2021,



APPELANTE :

S.A.R.L. SOCIETE EUROPEENNE DE COMMERCIALISATION (S.E.C.), prise en la personne de so

n représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 1]

Représentée par Me Jean-Luc TASSIGNY, substitué par Me Jean-Marc ROMMELFANGEN, av...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

------------------------------------

COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2022 DU 19 SEPTEMBRE 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01891 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E2CM

Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,

R.G.n° 18/03648, en date du 30 juin 2021,

APPELANTE :

S.A.R.L. SOCIETE EUROPEENNE DE COMMERCIALISATION (S.E.C.), prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 1]

Représentée par Me Jean-Luc TASSIGNY, substitué par Me Jean-Marc ROMMELFANGEN, avocats au barreau de NANCY

INTIMÉ :

Maître [S] [O], mandataire judiciaire, tant en son nom personnel qu'en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société JET STREAM, domiciliée [Adresse 3]

Représenté par Me Michaël DECORNY de la SCP MOUKHA DECORNY, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant

Plaidant par Me Guillaume LEMAS, substituant Me Yves-Marie LE CORFF, avocats au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, Président d'audience, chargé du rapport, et Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, faisant office de Président,

Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,

Madame Nathalie BRETILLOT, Conseiller,

selon ordonnance de monsieur le Premier Président en date du 13 juin 2022

A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 19 Septembre 2022, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

--------------------------------------------------------------------------------------------------------

Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

--------------------------------------------------------------------------------------------------------

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 19 Septembre 2022, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, faisant office de Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;

EXPOSÉ DU LITIGE

Par contrats conclus entre le 15 décembre 2006 et le 11 janvier 2008, la SARL Autodom services, aux droits de laquelle vient la SARL Société européenne de commercialisation [ci-dessous 'la SARL SEC'], a loué quatre véhicules de marque Renault à la SARL Jet Stream.

Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'encontre de la société Jet Stream par jugement du tribunal de commerce de Nancy en date du 9 mars 2010 et Maître [S] [O] a été désignée en tant que mandataire judiciaire.

Le 30 mars 2010, la SARL Jet Stream a été placée en liquidation judiciaire et Maître [O] a chargé l'étude d'huissier Pierre et Sancesario de faire procéder à l'enlèvement et au gardiennage des quatre véhicules.

Par courrier en date du 20 mai 2010, la SARL Autodom services a rappelé à Maître [O] être la propriétaire de ces véhicules et elle a demandé leur restitution.

Par courrier du 7 juin 2010, Maître [O] a donné son accord à la demande en revendication de la SARL Autodom services tout en précisant que les frais d'enlèvement et de gardiennage étaient à la charge de la SARL Autodom services.

La SARL Autodom services ayant refusé d'assumer ces frais, le litige l'opposant à Maître [O] a été porté en justice.

Par jugement du 16 janvier 2012, le tribunal de commerce de Nancy a ordonné à la SARL Autodom services d'acquitter le coût de l'enlèvement et du gardiennage des quatre véhicules avant d'obtenir leur restitution.

La cour d'appel de Nancy a confirmé ce jugement par arrêt du 21 novembre 2012, qui a été cassé et annulé par la Cour de cassation le 13 janvier 2015.

Par arrêt de renvoi en date du 31 janvier 2017, la cour d'appel de Metz a infirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy le 16 janvier 2012 et elle a dit que Maître [O] devait restituer sans délai à compter de la signification de l'arrêt les véhicules à la SARL SEC dans les locaux de cette dernière et aux frais de la procédure collective.

En exécution de cet arrêt, les véhicules ont été restitués à la SARL SEC selon procès-verbal de Maître [M], huissier de justice, en date du 24 mai 2017.

Par acte du 26 octobre 2018, la SARL SEC a fait assigner Maître [O], prise tant en son nom personnel qu'en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Jet Stream, devant le tribunal de grande instance de Nancy aux fins notamment de condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 168288 euros en réparation de son préjudice résultant de la faute personnelle qu'elle a commise concernant la restitution tardive des véhicules.

Par jugement contradictoire du 30 juin 2021, le tribunal judiciaire de Nancy :

- s'est déclaré incompétent pour connaître de l'action exercée par la SARL SEC à l'encontre de Maître [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Jet Stream, au profit du tribunal de commerce de Nancy, tribunal de la procédure collective,

- a renvoyé la cause et les parties, quant à cette action, devant le tribunal de commerce de Nancy,

- a déclaré l'action exercée par la SARL SEC à l'encontre de Maître [O], prise en son nom personnel, recevable,

- a débouté la SARL SEC de ses demandes formées à l'encontre de Maître [O], prise en son nom personnel,

- a condamné la SARL SEC aux dépens de l'instance et à payer à Maître [O], prise en son nom personnel, la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- a ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Pour statuer ainsi, concernant la compétence matérielle du tribunal, rappelant les dispositions des articles 76 du code de procédure civile et R.662-3 du code de commerce, les premiers juges ont considéré que l'action exercée à l'encontre de Maître [O] prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Jet Stream avait une influence sur la procédure collective et relevait donc de la compétence du tribunal de commerce de Nancy.

S'agissant de la recevabilité de l'action formée à l'encontre de Maître [O] à titre personnel, rappelant les dispositions de l'article 2224 du code civil, ils ont indiqué que ce n'était qu'après que la cour d'appel de Metz le 31 janvier 2017 a jugé que les frais d'enlèvement et de gardiennage des véhicules devaient être laissés à la charge de la procédure collective et que ces véhicules lui ont été restitués que la SARL SEC a pu mesurer l'étendue du dommage qu'elle allègue. Ils en ont conclu que le délai de prescription quinquennale avait commencé à courir le 24 mai 2017 et qu'en faisant assigner Maître [O] par acte du 26 octobre 2018, la SARL SEC avait agi dans le délai de cinq ans et que son action était donc recevable à l'encontre de Maître [O] à titre personnel.

Quant au bien-fondé de la demande formée à l'encontre de Maître [O] à titre personnel, rappelant les dispositions des articles 1382 du code civil et 9 du code de procédure civile, le tribunal a considéré que c'était à bon droit que Maître [O] avait chargé l'étude d'huissier de justice de l'enlèvement et de la garde des véhicules car il incombait au mandataire judiciaire à la liquidation de prendre les mesures conservatoires nécessaires pour garantir l'exercice effectif du droit de revendication du bailleur. Il a ajouté que ce n'était qu'après des débats judiciaires d'une durée de sept ans ayant donné lieu à des décisions de justice contradictoires que la condition préalable à la restitution des véhicules, tenant à la prise en charge des frais par la SARL SEC, a été considérée comme dépourvue de base légale. Il en a conclu qu'aucune faute délictuelle ne pouvait être reprochée à Maître [O] qui s'était conformée aux décisions de justice rendues successivement par le tribunal de commerce de Nancy, puis la cour d'appel de Nancy, et enfin la cour d'appel de Metz.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 22 juillet 2021, la SARL SEC a relevé appel de ce jugement à l'encontre de Maître [O] prise tant en son nom personnel qu'en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Jet Stream.

Par acte reçu au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 5 octobre 2021, Maître Michael Decorny s'est constitué, aux lieu et place de Maître Bertrand Gasse, pour Maître [O] tant en son nom personnel qu'en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Jet Stream.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 21 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SARL SEC demande à la cour de :

- dire et juger son appel recevable et bien fondé à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy le 30 juin 2021 en ce que ce dernier :

- s'était déclaré incompétent pour connaître de l'action exercée par la SARL La Société Européenne de Commercialisation à l'encontre de Maître [O] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Jet Stream, au profit du tribunal de commerce de Nancy, tribunal de la procédure collective,

- avait renvoyé la cause et les parties quant à cette action devant le tribunal de commerce de Nancy,

- avait débouté la SARL SEC de ses demandes formées à l'encontre de Maître [O] prise en son nom personnel,

- avait condamné la SARL SEC à payer à Maître [O] prise en son nom personnel la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- avait condamné la SARL SEC aux dépens de l'instance,

- avait ordonné l'exécution provisoire de sa décision,

- infirmer en conséquence ledit jugement de ces chefs et statuant à nouveau,

- dire et juger que Maître [O] a commis personnellement une faute constitutive d'un préjudice subi par elle à raison de la restitution tardive des véhicules loués en son temps à la société Jet Stream par la société Autodom aux droits de laquelle elle se trouve à présent,

- condamner en conséquence Maître [O] prise tant en son nom personnel qu'ès-qualité de liquidateur de la société Jet Stream à lui verser en réparation de son préjudice la somme de 168288 euros,

- rejeter l'ensemble des demandes plus amples ou contraires telles qu'exprimées pour le compte de Maître [O] et en particulier celle tendant à l'octroi d'une indemnisation d'un montant de 10000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Maître [O] personnellement à lui verser la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance,

- condamner Maître [O] personnellement à lui verser une somme identique sur le même fondement au titre de la procédure d'appel,

- condamner Maître [O] prise tant en son nom personnel qu'ès-qualité de liquidateur de la société Jet Stream aux entiers dépens tant au titre de la procédure d'appel qu'à celui de la procédure de première instance dans lesquels sera inclus le coût du procès-verbal de constat dressé par Maître [M], huissier de justice à [Localité 2], en date du 24 mai 2017.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 2 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Maître [O] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la société SEC recevable,

Statuant à nouveau sur ce point,

- déclarer, dire et juger la société SEC irrecevable comme prescrite,

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus,

- dire et juger que la société SEC, venant aux droits de la société Autodom services, ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'existence d'une faute commise par le mandataire judiciaire dans l'exercice de sa mission en lien causal direct avec un préjudice indemnisable, né, actuel et certain,

En conséquence,

- débouter la société SEC, venant aux droits de la société Autodom services, de 1'ensemble de ses prétentions,

Reconventionnellement,

- condamner la société SEC, venant aux droits de la société Autodom services, à lui payer à titre personnel la somme de 10000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 7 juin 2022.

L'audience de plaidoirie a été fixée le 20 juin 2022 et le délibéré au 19 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LES DEMANDES PRINCIPALES

Sur la compétence matérielle

Rappelant les dispositions des articles 76 du code de procédure civile et R.662-3 du code de commerce, les premiers juges ont considéré que l'action exercée à l'encontre de Maître [O] prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Jet Stream avait une influence sur la procédure collective et relevait donc de la compétence du tribunal de commerce de Nancy.

La SARL SEC critique ce chef de décision en exposant tout d'abord que Maître [O] n'avait pas soulevé un tel moyen d'incompétence, et que le tribunal a constaté d'office son incompétence au mépris des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

Cette question est désormais dans les débats et il incombe à la cour de déterminer la compétence d'attribution concernant la responsabilité de Maître [O] en sa qualité de liquidateur.

L'article R.662-3 du code de commerce dispose : 'Sans préjudice des pouvoirs attribués en premier ressort au juge-commissaire, le tribunal saisi d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire connaît de tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8, à l'exception des actions en responsabilité civile exercées à l'encontre de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur qui sont de la compétence du tribunal judiciaire'.

Ainsi, comme le soutient à bon droit la SARL SEC, cet article prévoit une exception à la compétence du tribunal de la procédure collective pour les actions en responsabilité civile exercées à l'encontre du liquidateur, qui sont de la compétence du tribunal judiciaire.

Ces dispositions n'opérant pas une telle distinction, il n'y a pas lieu de retenir une compétence différente pour l'action en responsabilité exercée à l'encontre de Maître [O] en qualité de liquidateur judiciaire et celle exercée à son encontre à titre personnel.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce que le tribunal judiciaire s'est déclaré incompétent pour connaître de l'action exercée par la SARL SEC à l'encontre de Maître [O], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Jet Stream, au profit du tribunal de commerce de Nancy, tribunal de la procédure collective, et en ce qu'il a renvoyé la cause et les parties, quant à cette action, devant le tribunal de commerce de Nancy.

Sur la recevabilité de l'action au regard de la prescription

Selon l'article 2224 du code civil, 'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.

Les parties sont en désaccord quant au point de départ de la prescription. Maître [O] soutient que le délai a commencé à courir le 20 mai 2010, date à laquelle la SARL SEC a été informée du placement des véhicules chez l'huissier, et au plus tard le 23 juillet 2010, date de la requête de la SARL SEC présentée au juge-commissaire aux fins de restitution des véhicules. Elle en conclut que la prescription quinquennale était acquise lors de la signification de l'assignation le 26 octobre 2018.

LA SARL SEC affirme quant à elle que le point de départ se situe le 31 janvier 2017, date de l'arrêt de la cour d'appel de Metz.

Il est rappelé que selon le tribunal, ce n'est qu'après que la cour d'appel de Metz a jugé que les frais d'enlèvement et de gardiennage des véhicules devaient être laissés à la charge de la procédure collective, et que les véhicules lui ont été restitués, que la SARL SEC a pu mesurer l'étendue de son dommage, le délai ayant ainsi commencé à courir le 24 mai 2017.

Cependant, l'article 2224 du code civil prévoit que le délai de prescription quinquennale commence à courir à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action.

En conséquence, en matière de responsabilité, il n'est pas exigé que le fait générateur soit consacré par une décision judiciaire, ni que le préjudice soit d'ores et déjà connu dans toute son ampleur. Il est suffisant que le demandeur ait connaissance du fait générateur de responsabilité, comme en l'espèce l'erreur du liquidateur ayant subordonné la remise des véhicules au règlement des frais d'enlèvement et de gardiennage, et qu'il ait également connaissance de l'existence d'un préjudice présentant un lien de causalité avec ce fait générateur, comme en l'espèce la perte de revenus locatifs résultant de la non-restitution des véhicules.

Par courrier du 20 mai 2010, la SARL Autodom services a rappelé à Maître [O] être la propriétaire de ces véhicules et elle a demandé leur restitution.

Par courrier du 7 juin 2010, Maître [O] a donné son accord à cette demande en revendication, mais a ajouté que les frais d'enlèvement et de gardiennage étaient à la charge de la SARL Autodom services.

Il ne peut qu'être constaté que, dès cette époque, la SARL Autodom services était persuadée de son droit d'obtenir la restitution des véhicules sans avoir à supporter la charge des frais d'enlèvement et de gardiennage. En effet, par lettre recommandée de son avocat du 6 juillet 2010, elle sollicitait à nouveau la restitution des véhicules.

Puis, elle a présenté à cette fin une requête au juge commissaire le 23 juillet 2010. Ce dernier n'ayant pas statué sur cette requête, la SARL Autodom services a saisi le tribunal de commerce le 26 octobre 2010 et a également fait délivrer une sommation le 28 octobre 2010 à l'étude d'huissiers aux fins de restitution des véhicules.

L'étude d'huissier lui ayant répondu qu'elle devait régler les frais de gardiennage pour pouvoir récupérer les véhicules, et le tribunal de commerce lui ayant ordonné d'acquitter le coût de l'enlèvement et du gardiennage avant d'obtenir leur restitution, toujours convaincue de son droit d'obtenir la restitution sans acquitter ces frais, la SARL SEC venant aux droits de la SARL Autodom services a interjeté appel de ce jugement du tribunal de commerce.

La cour d'appel de Nancy ayant confirmé ce jugement, la SARL SEC a formé un pourvoi devant la Cour de cassation, laquelle lui a donné raison concernant la charge des frais d'enlèvement et de gardiennage, la cour d'appel de renvoi ayant enfin dit que les frais concernant la conservation et la restitution des véhicules devaient être intégralement laissés à la charge de la procédure collective.

Il résulte de ce qui précède que dès sa demande de restitution des véhicules à Maître [O] le 20 mai 2010, la SARL Autodom services était persuadée de ne pas avoir à supporter la charge des frais d'enlèvement et de gardiennage, ce qui est confirmé par ses requêtes présentées au juge commissaire, puis au tribunal de commerce, son appel et enfin son pourvoi en cassation. Dès lors, elle avait connaissance du fait générateur de responsabilité dès le 20 mai 2010.

Quant à son préjudice, la SARL SEC se prévaut notamment d'une impossibilité de louer les véhicules entre la date de la liquidation judiciaire de la SARL Jet Stream le 30 mars 2010 et leur restitution effective le 24 mai 2017. Elle avait nécessairement connaissance de ce chef de préjudice relatif à la perte de revenus locatifs en réclamant la restitution des véhicules dès le mois de mai 2010.

Au regard des développements qui précèdent, c'est bien dès sa demande présentée à Maître [O] au mois de mai 2010 que la SARL Autodom services avait connaissance de son droit d'obtenir la restitution des véhicules sans acquitter les frais d'enlèvement et de gardiennage, et donc du fait générateur de responsabilité, ainsi que du préjudice en résultant tenant à la perte de revenus locatifs.

Elle avait donc connaissance des faits lui permettant d'exercer son action au sens de l'article 2224 du code civil et le délai de prescription a commencé à courir à cette date.

Le moyen opposé par la SARL SEC selon lequel la prescription aurait été interrompue par les décisions du tribunal de commerce de Nancy du 16 janvier 2012, de la cour d'appel de Nancy du 21 novembre 2012 et de la Cour de cassation du 13 janvier 2015 ne peut être retenu. En effet, ces décisions portaient sur la restitution des véhicules et la charge des frais d'enlèvement et de gardiennage, et nullement sur la responsabilité de Maître [O] en qualité de liquidateur ou à titre personnel, aucune demande d'indemnisation n'ayant été présentée à ce stade. Dès lors, ces procédures avaient un objet différent et les décisions en résultant n'ont pu interrompre la prescription de l'action en responsabilité.

La SARL SEC affirme enfin qu'elle n'avait pas la possibilité d'agir en responsabilité au fond à l'encontre de Maître [O] jusqu'à l'arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 2015, compte tenu notamment des deux décisions préalables du tribunal de commerce et de la chambre commerciale de la cour d'appel de Nancy.

Cependant, l'arrêt de la Cour de cassation et celui de la cour d'appel de renvoi n'ont fait que consacrer le droit de la SARL SEC d'obtenir la restitution des véhicules sans acquitter les frais d'enlèvement et de gardiennage. Ces deux décisions n'ont pas créé ce droit et l'erreur de Maître [O] -consistant à avoir conditionné la restitution des véhicules au paiement de ces frais- existait dès l'année 2010. Or, l'action en responsabilité dirigée à l'encontre de Maître [O], tant en qualité de liquidateur qu'à titre personnel, visait précisément à établir l'existence d'un fait générateur de responsabilité, tel qu'une faute commise par cette dernière. Dès lors, en fonction de son appréciation concernant la compétence d'attribution, la SARL Autodom services pouvait dès l'année 2010 présenter devant le tribunal de commerce, déjà saisi de la demande de restitution, une demande accessoire en indemnisation, ou former une action autonome en responsabilité devant le tribunal de grande instance.

Compte tenu de l'ensemble de ces développements, la prescription quinquennale était acquise lors de la signification de l'assignation le 26 octobre 2018.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action exercée par la SARL SEC à l'encontre de Maître [O].

Statuant à nouveau, cette action sera déclarée irrecevable comme prescrite.

Enfin, il n'appartient pas à la cour de statuer sur les demandes tendant à ce qu'il soit 'dit que', 'constaté que' ou 'donné acte que' qui ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile.

SUR LES DÉPENS ET L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

L'action de la SARL SEC étant irrecevable, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens et à payer à Maître [O] la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Y ajoutant, la SARL SEC sera condamnée aux dépens d'appel, à payer à Maître [O] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel et elle sera déboutée de sa demande présentée sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy le 30 juin 2021, sauf en ce qu'il a condamné la SARL Société européenne de commercialisation aux dépens de l'instance et à payer à Maître [S] [O], prise en son nom personnel, la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau sur les chefs de décision infirmés et y ajoutant,

Dit que le tribunal judiciaire de Nancy était compétent pour connaître de l'action exercée par la SARL Société européenne de commercialisation à l'encontre de Maître [S] [O] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Jet Stream ;

Déclare irrecevable comme prescrite l'action exercée par la SARL Société européenne de commercialisation à l'encontre de Maître [S] [O] ;

Condamne la SARL Société européenne de commercialisation à payer à Maître [S] [O] la somme de 2000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Déboute la SARL Société européenne de commercialisation de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Société européenne de commercialisation aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, faisant office de Président, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.-Signé : J.-L. FIRON.-

Minute en dix pages.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/01891
Date de la décision : 19/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-19;21.01891 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award