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08/09/2022 | FRANCE | N°21/02380

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 08 septembre 2022, 21/02380


ARRÊT N° /2022

PH



DU 08 SEPTEMBRE 2022



N° RG 21/02380 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E3FA







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

20/00104

17 septembre 2021











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2







APPELANTE :



S.A.S. INITIAL prise en la personne de son représentant

légal pour ce domicilié audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jean-christophe SCHWACH de la SCP LEXOCIA, avocat au barreau de STRASBOURG









INTIMÉ :



Monsieur [B] [T]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Adrien PERROT de la SCP PERROT AVOCAT, avocat au ba...

ARRÊT N° /2022

PH

DU 08 SEPTEMBRE 2022

N° RG 21/02380 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E3FA

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

20/00104

17 septembre 2021

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANTE :

S.A.S. INITIAL prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jean-christophe SCHWACH de la SCP LEXOCIA, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMÉ :

Monsieur [B] [T]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Adrien PERROT de la SCP PERROT AVOCAT, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président :WEISSMANN Raphaël,

Conseillers : STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats :RIVORY Laurène

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 19 Mai 2022 tenue par Raphaël WEISSMANN, Président, et Stéphane STANEK , conseiller, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en ont rendu compte à la Cour composée de Raphaël WEISSMANN, président, Dominique BRUNEAU et Stéphane STANEK, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 08 septembre 2022;

Le 08 Septembre 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Monsieur [B] [T] a été engagé sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société INITIAL à compter du 13 janvier 2014, en qualité d'agent de service poids-lourd, après avoir réalisé deux missions d'intérim du 12 août au 30 août 2013 et du 02 au 30 septembre 2013.

Par courrier du 05 septembre 2019, Monsieur [B] [T] s'est vu notifié un avertissement.

Par courrier du 12 septembre 2019, Monsieur [B] [T] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 24 septembre 2019, avec notification de sa mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 30 septembre 2019, Monsieur [B] [T] a été licencié pour faute grave.

Par requête du 04 mars 2020, Monsieur [B] [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Nancy, aux fins :

A titre principal :

- d'annulation de l'avertissement prononcé le 05 septembre 2019 avec le paiement d'indemnité de 2 000,00 euros pour sanction abusive,

- de voir prononcer la nullité de son licenciement pour faute grave avec le paiement de :

- 17 000,00 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 3 694,40 euros d'indemnité légale de licenciement,

- 4 327,26 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

- 432,72 euros d'indemnité de congés payés sur préavis indemnités afférentes,

*

A titre subsidiaire :

- de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse avec le paiement de 15 145,41 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*

En tout état de cause :

- de paiement de dommages et intérêts à hauteur de 1 500,00 euros pour procédure de licenciement brutale et vexatoire, et à hauteur de 1 000,00 euros pour remise tardive des documents de fin de contrat.

- de remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification du jugement.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 17 septembre 2021, lequel a :

- annulé la sanction disciplinaire du 05 septembre 2019,

- dit que le licenciement pour faute grave de Monsieur [B] [T] est nul,

- en conséquence,

- condamné la société INITIAL à payer à Monsieur [B] [T] les sommes suivantes:

- 2 000,00 euros d'indemnité pour préjudice moral,

- 17 000,00 euros d'indemnité pour licenciement nul,

- 4 327,26 euros bruts d'indemnité compensatrice de préavis,

- 432,72 euros bruts de congés payés sur indemnité de préavis,

- 3 694,40 euros d'indemnité légale de licenciement,

- 1 500,00 euros de dommages et intérêts pour circonstances brutales et vexatoires,

- ordonné à la société INITIAL de remettre à Monsieur [B] [T] les documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification du présent jugement,

- débouté Monsieur [B] [T] de sa demande de relative à la remise tardive des documents de fin de contrat,

- condamné la société INITIAL au paiement d'une somme de 1 500,00 euros à Monsieur [B] [T] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire sur la totalité des condamnations,

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaires versés à Monsieur [B] [T] à la somme de 1 769,58 euros bruts,

- dit que l'ensemble des condamnations portera intérêt à compter du jour où le présent jugement sera exécutoire,

- condamné la société INITIAL aux entiers dépens,

- débouté la société la société INITIAL de la totalité de ses autres demandes.

Vu l'appel formé par la société INITIAL le 05 octobre 2021,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de la société INITIAL déposées sur le RPVA le 13 décembre 2021, et celles de Monsieur [B] [T] déposées sur le RPVA le 15 mars 2022,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 27 avril 2022,

La société INITIAL demande :

- d'infirmer le jugement du conseil des prud'hommes de Nancy en ce qu'il a condamné la société INITIAL au paiement des sommes suivantes :

- 2 000,00 euros d'indemnité pour préjudice moral,

- 17 000,00 euros d'indemnité pour licenciement nul,

- 4 327,26 euros € bruts d'indemnité compensatrice de préavis,

- 432,72 euros bruts de congés payés sur indemnité de préavis,

- 3 694,40 euros d'indemnité légale de licenciement,

- 1 500,00 euros de dommages et intérêts pour circonstances brutales et vexatoires,

- 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy en considérant que Monsieur [B] [T] ne peut prétendre à aucune indemnisation pour remise tardive des documents de fin de contrat,

- de condamner Monsieur [B] [T] aux entiers frais et dépens ainsi qu'à verser à la société INITIAL la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [B] [T] demande :

- de dire et juger que les demandes de Monsieur [B] [T] sont recevables et bien fondées,

- de confirmer le jugement intervenu en toutes ses dispositions,

- de débouter la société INITIAL de l'intégralité de ses demandes,

- y ajoutant,

- de condamner la société INITIAL au versement de la somme de 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure à hauteur d'appel,

- de dire et juger que l'ensemble des condamnations à intervenir portera intérêt au taux légal en vigueur,

- de condamner la société INITIAL aux entiers frais et dépens de l'instance.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures de la société INITIAL déposées sur le RPVA le 13 décembre 2021, et celles de Monsieur [B] [T] déposées sur le RPVA le 15 mars 2022.

Sur la demande d'annulation de l'avertissement notifié le 05 septembre 2019 :

Par courrier daté du 05 septembre 2019, Monsieur [B] [T] s'est vu notifier un avertissement qui faisait état des griefs suivants :

« Le 06/08/2019, nous avons été informés par le siège via les réseaux sociaux d'un message posté sur Facebook en date du 26/06/2019 dont le contenu de celui-ci était : 'Bonjour signalement pour un de vos chauffeurs à [Localité 5] en Meuse immatriculation [Immatriculation 3] a refusé la priorité au rond-point je l'ai donc klaxonné pour lui faire part de son erreur. Mr pas content s'est amusé à freiner brusquement à plusieurs reprises. Ça ne fait pas une très bonne publicité pour votre entreprise'.

Après recherches, il s'est avéré que l'immatriculation identifiée correspond au camion que vous conduisiez le jour de cet incident.

Dans le cadre de votre fonction d'agent de service, vous êtes considéré comme un professionnel de la conduite. A ce titre et conformément à votre fiche de poste vous devez être respectueux du code de la route et de la réglementation routière et cela peu importe la situation. En ne respectant pas le code de la route, vous vous êtes mis en danger, mais vous avez également mis en danger autrui et ce de manière très claire et volontaire : vous avez donné des coups de frein afin d'effrayer le conducteur à l'arrière de votre camion.

Cette situation est totalement inacceptable, dangereuse et pernicieuse.

Lors de l'entretien avec votre responsable d'agence à ce sujet, vous avez reconnus les faits et pour votre défense, vous avez invoqué les faits suivants : vous avez refusé la priorité afin d'éviter de freiner trop fort à cause de la prétendue surcharge de votre camion. Vos explications ne justifient en aucun cas de ne pas respecter le code de la route, vous avez également ajouté que vous n'en aviez 'rien à cirer' que ce message de dénonciation soit remonté à [U] [L]. Vous nous avez fait part de votre énervement car vous avez un abonnement au bureau de votre responsable d'agence.

Ces propos sont caractérisés par une attitude totalement désinvolte et impertinente. Nous constatons un dénigrement très libre de votre hiérarchie, nous vous rappelons que dans le cadre de votre contrat de travail vous êtes soumis au lien de subordination. Celui-ci se définit comme l'exécution d'un travail qui se fait sous l'autorité d'un employeur ayant le pouvoir de donner des ordres et des directives, de contrôler l'exécution du travail et de sanctionner les manquements du salarié.

Ces faits nous amènent à vous notifier, par la présente, un avertissement qui figurera dans votre dossier personnel » (pièce n° 3 de l'intimée).

Attendu qu'aux termes des articles L.1333-1 et L.1333-2 du code du travail, en cas de litige relatif à une sanction disciplinaire, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés à l'intéressé sont de nature à justifier une sanction, vérifie que la sanction prononcée à l'encontre du salarié est régulière, proportionnée et justifiée au regard de la faute commise.

En l'espèce, il est reproché à Monsieur [B] [T], d'une part d'avoir le 26 juin 2019, dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, commis une infraction au code de la route par un refus de priorité à un conducteur, puis d'avoir freiné brusquement à plusieurs reprises afin d'effrayer le conducteur situé à l'arrière de son camion, et d'autre part d'avoir le 05 septembre 2019 lors d'un entretien avec le responsable d'agence portant sur les faits du 26 juin 2019, dénigré sa hiérarchie.

Monsieur [B] [T] reconnaît le refus de priorité, mais nie avoir donné des coups de frein brusques pour gêner le conducteur situé derrière son véhicule lors de l'entretien avec le responsable d'agence le 05 septembre 2019.

L'employeur fait valoir que l'automobiliste ayant dénoncé le comportement routier du salarié a correctement identifié la plaque d'immatriculation du véhicule conduit par ce dernier.

Le salarié indique qu'il n'a jamais commis précédemment d'infractions routières, ce qui n'est pas contesté par la société INITIAL. Il précise qu'il a refusé la priorité car, son camion étant en surcharge, il a préféré ne pas freiner.

La société INITIAL rapporte aussi que lors d'un entretien du 05 septembre 2019 entre Monsieur [V], responsable d'agence, et Monsieur [B] [T], ce dernier a tenu des propos dénigrants sa hiérarchie.

Le salarié conteste avoir tenu de tels propos.

Motivation :

Monsieur [B] [T] a reconnu avoir commis une infraction à la réglementation routière par un refus de priorité à un conducteur le 26 juin 2019.

Concernant les coups de freins brusques, que le salarié ne reconnaît pas, l'employeur n'apporte aucun élément permettant d'attester de la véracité des faits, et notamment pas le « signalement » effectué sur FACEBOOK par le conducteur mécontent

En conséquence, ces faits doivent être écartés.

S'agissant des faits du 5 septembre 2019, également niés par le salarié, la société INITIAL ne produit aucun élément et notamment pas d'attestation de Monsieur [V], ni d'autres témoins, corroborant les propos attribués au salarié par la lettre d'avertissement.

Le doute subsistant, ces faits doivent être écartés.

Le salarié produit en outre des attestations de collègues de travail témoignant de son professionnalisme, attestations que ne sont pas remises en cause par l'employeur (pièces n° 9, 10, 11, 14 et 15).

Compte-tenu de l'absence d'antécédents d'infractions routières ou de comportement routier dangereux, de l'ancienneté du salarié, de son professionnalisme, il convient d'annuler l'avertissement notifié au salarié le 05 septembre 2019, qui apparait disproportionné au regard de la nature des faits qui lui sont reprochés. Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral :

Monsieur [B] [T] fait valoir que la sanction d'avertissement étant injustifiée, il subit nécessairement un préjudice moral.

L'employeur fait valoir que le salarié ne justifie pas de la réalité et de l'entendue du préjudice allégué.

Motivation :

Le prononcé d'une sanction disciplinaire disproportionnée occasionne nécessairement un préjudice d'ordre moral qui, eu égard aux circonstances, sera réparé par l'allocation de la somme de 2000 euros. Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé sur ce point.

Sur la demande à titre principal de nullité du licenciement pour faute grave :

Attendu que la lettre de licenciement fixe les limites du litige. La lettre de licenciement de Monsieur [B] [T], datée du 30 septembre 2019, est rédigée en ces termes (Pièce n°4 de la partie appelante) :

« ['] Vous êtes entré dans notre entreprise le 01/10/2013 en tant qu'agent de service VL, poste que vous occupez à ce jour.

Dans le cadre de vos fonctions, vous devez assurer une prestation de services garantissant une totale satisfaction des clients afin d'entretenir une relation de proximité, le tout en véhiculant une image de professionnel de haute qualité.

Le mardi 10 septembre, nous avons eu à déplorer une nouvelle fois un comportement inacceptable : de votre propre gré vous avez refusé sans aucune raison ni justification de charger les vêtements dans votre camion afin d'assurer la livraison de notre cliente située à [Localité 4] et ceci conformément à votre tournée. Vous n'avez pas jugé utile non plus de prévenir votre hiérarchie pour informer de cette situation inexpliquée' La cliente, dentiste d'un centre mutualiste, vous a interpellé furieuse vous indiquant qu'elle n'avait plus aucun vêtement et que cette situation était inacceptable compte tenu de sa profession. Au lieu de vous excuser et d'essayer de trouver une solution, vous lui avez simplement répondu que ce n'était pas votre faute !

Pour rappel [Localité 4] est à 105 km de notre agence et nous avons dû dépanner en urgence la cliente dans la journée pour la livrer des 7 tenues de travail ! Ce qui a désorganisé le service, engendré un coût supplémentaire, entraîné une très mauvaise image de notre agence et un mécontentement important de la cliente'

Votre manque de professionnalisme et mise en défaut volontaire dénote un très mauvais état d'esprit incompatible avec le poste que vous occupez. Vous vous fichez complètement des règles de l'entreprise, de votre travail au quotidien' vous êtes tout simplement ingérable !

Ces faits corroborent malheureusement avec l'échange que vous avez eu le lendemain (11 septembre) avec le directeur régional des opérations, M. [X]. Vous lui avez indiqué que la précédente sanction du 5 septembre 2019 qui vous a été notifiée était complétement exagérée'

M. [X] vous a rappelé que vous avez mis en danger un conducteur et vous-même en freinant par à-coups afin d'effrayer le conducteur de derrière qui vous a klaxonné suite à votre refus de priorité ! Contre toute attente vous avez répondu à M. [X] que si la situation se reproduisait vous réitèreriez le même comportement ! Visiblement vous n'avez rien compris de la situation malgré la sanction clémente qui vous a été notifiée compte tenu des faits'

Il n'y a aucune remise en question de votre part, aucune notion du danger qui vous effraie. Vous êtes totalement irresponsable de vos faits et gestes, ce que nous ne pouvons accepter eu égard à votre fonction d'agent de service. De par votre comportement et vos dires appuyés, vous ne faites que confirmer votre propre incapacité à vous remettre en cause, à ne pas discerner les enjeux de votre fonction et des conséquences importante qu'elles peuvent provoquer tant sur le plan humain, économique et matériel.

Vous comprendrez que de tels éléments rendent impossibles votre maintien dans l'entreprise, vous êtes dangereux pour vous-même et les autres.

Au cours de notre entretien du 24 septembre 2019, nous vous avons exposé les faits et nous vous avons demandé des explications en présence de Mme [N] [F] qui vous a assisté. M. [P] [X] était également présent à mes côtés.

Vous avez indiqué ne pas pouvoir livrer le linge de la cliente car le linge n'était pas là, mélangé à une autre tournée, ce qui est faux puisque nous l'avons envoyé le jour même en colissimo.

De plus, vous nous avez indiqué que l'on ne se comprenait pas notamment vu votre manière de conduire car vous auriez voulu dire à M. [X] (11 septembre) que comme vous n'avez pas eu encore d'accident vous conduiriez de la même manière ' Aussi faut-il s'attendre à un accident de la route pour que vous changiez d'attitude '! Vos propos sont encore une fois totalement inacceptables et irresponsables. Vous jouez des situations et ne comprenez pas les lourdes conséquences éventuelles que vous faites courir à l'entreprise et à autrui.

Nous avons pris note des observations que vous avez tenus à nous fournir.

Après un délai de réflexion et l'étude de vos explications, vous ne nous laissez pas d'autres choix que celui de procéder à votre licenciement pour faute grave sans préavis ni indemnité. ['] »

Aux termes de l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié. Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

- Sur les propos tenus par le salarié le 11 septembre 2019 :

L'employeur indique que le 11 septembre 2019, Monsieur [B] [T], Monsieur [P] [X], directeur régional des opérations, et Madame [R] [Z], responsable d'agence, ont eu un entretien informel à la demande du salarié. La société INITIAL fait valoir que durant cet entretien, Monsieur [B] [T] a fait savoir qu'il jugeait que l'avertissement prononcé était exagéré et que si la situation se représentait il agirait de la même manière.

La société INITIAL estime que ces propos caractérisent un abus de la liberté d'expression du salarié. Elle verse aux débats une attestation de Monsieur [P] [X] (Pièce n°11) qui reprend les termes de la lettre de licenciement, ainsi qu'une attestation de Madame [R] [Z] qui précise que le salarié a affirmé que « si c'était à refaire il recommencerait ». La société INITIAL considère que le salarié n'est pas capable de se remettre en question quant à sa conduite qu'elle juge dangereuse, n'a pas conscience des risques et de la notion de danger, n'exprimant aucun regret quant à son comportement.

Monsieur [B] [T] fait valoir qu'il a été licencié notamment en raison de l'expression de son désaccord avec l'avertissement qui lui avait été infligé et que dès lors son licenciement est nécessairement nul, l'employeur l'ayant sanctionné pour avoir fait usage de sa liberté d'expression.

Motivation :

Sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

Les attestations versées au débats ne permettent pas d'apprécier en quoi les propos tenus par le salarié ont un caractère injurieux, blessant ou menaçant, ni en quoi ils constituent un abus de sa liberté d'expression. Le salarié a exprimé son désaccord quant à l'avertissement qui lui a été notifié. Le fait qu'il ne comprenne pas le prononcé d'une sanction quant à sa conduite qu'il juge être justifiée par des explications qu'il a apportées, alors qu'il contestait en partie les faits reprochés, ne constitue pas un abus de sa liberté d'expression. De même, le fait qu'il exprime la potentialité de réitération du comportement qu'il a reconnu, à savoir s'abstenir de freiner brusquement dans certaines situations, ne caractérise pas un abus de sa liberté d'expression.

Le licenciement pour faute grave de Monsieur [B] [T] reposant notamment sur la tenue de propos visés par la lettre de licenciement, en application de l'article L.1235-3-1 du code du travail, le licenciement pour faute grave est nul, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs.

Sur l'indemnité pour licenciement nul :

Monsieur [B] [T] demande la somme de 17 000 euros à titre de dommages et intérêts.

L'employeur conclut au débouté de l'intégralité de ses demandes liées, à titre principal, à un prétendu licenciement nul et, à titre subsidiaire, à un licenciement prétendu sans cause réelle et sérieuse.

Motivation :

L'employeur ne conteste pas que le salaire moyen de Monsieur [B] [T] était de 2163,63 euros bruts au moment de son licenciement.

Compte tenu de son ancienneté du salarié et de l'atteinte qui a été faite à l'un de ses droits fondamentaux, l'employeur devra lui verser la somme de 17 000 euros, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

Sur l'indemnité légale de licenciement :

Monsieur [B] [T] réclame la somme de 3694,40 euros, sur la base d'un salaire moyen de 2163,63 euros bruts.

L'employeur conteste le principe même de l'octroi d'une indemnité légale de licenciement, mais ne conteste pas à titre subsidiaire les modalités de calcul du montant de cette indemnité par le salarié.

Il devra donc lui verser la somme de 3694,40 euros, le jugement conseil de prud'hommes sera confirmé sur ce point.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents :

Monsieur [B] [T] réclame la somme de 4327,26 euros, outre 432,72 euros au titre des congés payés afférant.

L'employeur conteste le principe même de l'octroi de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents mais ne conteste pas à titre subsidiaire les modalités de calcul du montant de ces indemnités par le salarié.

Il devra donc lui verser les sommes de 4327,26 euros, outre 432,72 euros au titre des congés payés afférant, le jugement conseil de prud'hommes sera confirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire :

Monsieur [B] [T] fait valoir que si la lettre de convocation à l'entretien préalable et de dispense de travail est du 12 septembre 2019, il n'en avait pas connaissance au moment de son embauche le 16 septembre et a donc été choqué de voir que son nom ne figurait pas sur le planning des tournées ; il précise avoir finalement appris sa mise à pied par un SMS du salarié intérimaire lui indiquant qu'il allait le remplacer.

Il en est résulté un trouble anxieux à propos duquel il produit un certificat médical de son médecin traitant.

Il réclame la somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts.

L'employeur fait valoir qu'il n'est pas responsable du fait que Monsieur [B] [T] n'ai pris connaissance de la lettre de convocation que le 16 septembre, ce délai étant dû aux aléas de la Poste.

Motivation :

Les circonstances dans lesquelles Monsieur [B] [T] a appris qu'il ne devait plus se présenter à son travail ont été objectivement brutales. L'employeur devra en conséquence lui verser la somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur le quantum.

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

L'employeur devra verser à Monsieur [B] [T] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles et sera débouté de sa propre demande à ce titre.

L'employeur sera condamné aux entiers dépens de l'instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y AJOUTANT

- Condamne la société INITIAL à verser à Monsieur [B] [T] la somme de 2000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société INITIAL aux entiers dépens de l'instance,

- Ordonne en application de l'article L. 1235-4 du code du travail le remboursement par la société INITIAL des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à Monsieur [B] [T] postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIERLE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en douze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 21/02380
Date de la décision : 08/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-08;21.02380 ?
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