RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2022 DU 05 SEPTEMBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01161 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EYQS
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,
R.G.n° 19/01406, en date du 29 mars 2021,
APPELANT :
POLE EMPLOI, Etablissement public national pris en son établissement POLE EMPLOI GRAND EST, pris en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié [Adresse 2]
Représenté par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, substituée par Me Nicole VILMIN, avocats au barreau de NANCY
INTIMÉ :
Monsieur [Z] [O]
né le 08 Novembre 1994 à [Localité 3]
domicilié [Adresse 1]
Représenté par Me Ahmed MINE, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 30 Mai 2022, en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,
Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,
Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, chargée du rapport,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 05 Septembre 2022, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 05 Septembre 2022, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSÉ DU LITIGE
La société Auchan a employé Monsieur [Z] [O] en tant qu'apprenti à compter du 19 septembre 2014.
Le 22 avril 2016, le contrat d'apprentissage a été rompu sur accord des deux parties.
Le 3 mai 2016, Monsieur [Z] [O] s'est engagé dans l'armée pour une durée de cinq ans.
Le 1er juillet 2016, ce contrat d'engagement a été dénoncé par l'armée en raison d'une inaptitude médicale.
Monsieur [Z] [O] s'est inscrit comme demandeur d'emploi et a déposé le 19 février 2017 une demande d'allocation chômage auprès des services de Pôle Emploi Grand Est (ci-après Pôle emploi).
Par requête en date du 28 juin 2017, Monsieur [Z] [O] a formé un recours à l'encontre d'une décision de Pôle emploi rejetant sa demande d'allocations chômage devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale de Nancy lequel s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Nancy par jugement en date du 18 décembre 2018.
Par acte du 18 avril 2019, Monsieur [O] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nancy Pôle emploi en paiement d'indemnités chômage.
Par jugement contradictoire du 29 mars 2021, le tribunal de grande instance de Nancy devenu le tribunal judiciaire a :
- condamné Pôle emploi à verser à Monsieur [O] les indemnités chômage à compter de sa demande du 19 février 2017,
- dit que cette condamnation portera intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement,
- débouté Pôle emploi de ses demandes,
- condamné Pôle emploi aux entiers dépens,
- condamné Pôle emploi à verser à Monsieur [O] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire.
Pour statuer ainsi, le tribunal a relevé que le contrat d'apprentissage de Monsieur [O] conclu le 19 septembre 2014 a pris fin le 22 avril 2016 par rupture d'un commun accord entre les parties et que la mention 'démission de l'apprenti' portée sur le document ne permettait pas de qualifier ainsi l'origine de la rupture du contrat, ce mode de rupture du contrat n'étant pas admis en matière d'apprentissage selon les dispositions de l'article L. 6222-18 du code du travail. Le tribunal en a déduit que Monsieur [O] avait été involontairement privé d'un emploi au sens de l'article 1er du règlement général annexé à la Convention du 14 mai 2014 sur les conditions d'attribution de l'allocation de retour à l'emploi versée par l'assurance chômage et qu'il pouvait donc prétendre au versement de l'allocation d'aide au retour à l'emploi.
Le tribunal a aussi considéré qu'en raison des périodes de travail du 2 septembre 2014 au 22 avril 2016 au sein de la société Auchan et du 3 mai 2016 au 30 juin 2016 au sein de l'armée, Monsieur [O] justifiait d'une période d'affiliation suffisante pour l'obtention d'une allocation en vertu de l'article 3 de ladite convention, prévoyant une période d'au moins de 122 jours ou 610 heures au cours des 28 mois qui précèdent la résiliation du contrat.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 5 mai 2021, Pôle emploi a relevé appel de ce jugement.
Par ordonnance d'incident du 2 février 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les prétentions de Monsieur [O] tendant à la réformation du jugement du 29 mars 2021, soit celles par lesquelles il demande à la cour de :
- condamner Pôle emploi au versement des indemnités chômage de Monsieur [Z] [O] à compter de sa demande du 26 juillet 2016, soit 10294,89 euros ;
- juger que la condamnation portera intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement conformément à l'article 1153-1 du code civil ;
- ordonner l'exécution provisoire du jugement au titre de l'article 515 du code de procédure civile.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 11 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Pôle emploi demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé son appel,
Y faire droit,
- déclarer irrecevable et mal fondé l'appel incident formé par Monsieur [O],
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy le 29 mars 2021,
Statuant à nouveau,
- déclarer les demandes formées par Monsieur [O] mal fondées,
- débouter Monsieur [O] de l'ensemble de ses prétentions,
- condamner Monsieur [O] à lui verser la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Monsieur [O] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 24 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [Z] [O] demande à la cour, au visa de l'article L. 6222-18 du code du travail, de la circulaire n°2017-20 du 24 juillet 2017, de l'annexe IV du règlement général annexé à la convention du 14 mai 2014, de :
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de Nancy le 11 décembre 2020, uniquement en ce qu'il a fixé le point de départ de l'indemnité chômage de Monsieur [O] au 19 février 2017,
- condamner le Pôle emploi au versement de ses indemnités chômage à compter de sa demande du 26 juillet 2016, soit 10294,89 euros ;
- juger que la condamnation portera intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement conformément à l'article 1153-1 du code civil,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement au titre de l'article 515 du code de procédure civile,
- condamner le Pôle emploi au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 2000 euros,
- condamner le Pôle emploi aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 17 mai 2022.
L'audience de plaidoirie a été fixée le 30 mai 2022 et le délibéré au 5 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu les dernières conclusions déposées par Pôle emploi le 11 mai 2022 et par Monsieur [Z] [O] le 24 mars 2022 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;
Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 2 février 2022 ;
Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 17 mai 2022 ;
* Sur la qualification de la privation d'emploi de Monsieur [Z] [O]
Aux termes de l'article L. 5422-1 du code du travail 'Ont droit à l'allocation d'assurance les travailleurs aptes au travail et recherchant un emploi qui satisfont à des conditions d'âge et d'activité antérieure, et dont (...) Soit la privation d'emploi est involontaire, ou assimilée à une privation involontaire par les accords relatifs à l'assurance chômage mentionnés à l'article L. 5422-20 (...)'.
L'article 2 du règlement général du 14 mai 2014, applicable au regard de la date à laquelle le contrat d'apprentissage de Monsieur [Z] [O] a pris fin et de celle où son contrat d'engagement a été dénoncé par l'autorité militaire, précisait :
' Sont involontairement privés d'emploi ou assimilés, les salariés dont la cessation du contrat de travail résulte :
' d'un licenciement ;
' d'une rupture conventionnelle du contrat de travail, au sens des articles L. 1237-11 et suivants du code du travail ;
' d'une fin de contrat de travail à durée déterminée dont notamment le contrat à objet défini, ou de contrat de mission ;
' d'une rupture anticipée d'un contrat de travail à durée déterminée, dont notamment le contrat à objet défini, ou d'un contrat de mission, à l'initiative de l'employeur ;
' d'une démission considérée comme légitime, dans les conditions fixées par un accord d'application ;
' d'une rupture de contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées à l'article L. 1233-3 du code du travail.'
Selon l'accord d'application n° 14 du 14 mai 2014 pris pour l'application des articles 2, 4 e) et 26 § 1er b) du règlement général annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l'indemnisation du chômage, sont réputées légitimes notamment :
- la démission motivée par des impératifs familiaux pour suivre les titulaires de l'autorité parentale, suivre son conjoint qui change d'emploi, rejoindre son nouvel époux ou partenaire ou suivre son enfant handicapé ;
- la rupture à l'initiative du salarié, d'un contrat d'insertion par l'activité ou d'un contrat emploi jeunes pour exercer un nouvel emploi ou pour suivre une action de formation ;
- la rupture à l'initiative du salarié d'un contrat unique d'insertion-contrat initiative-emploi (CIE) à durée déterminée, d'un contrat unique d'insertion - contrat d'accompagnement dans l'emploi (CAE) ou d'un contrat insertion-revenu minimum d'activité (CI-RMA) pour exercer un emploi sous contrat de travail à durée déterminée d'au moins 6 mois ou sous contrat de travail à durée indéterminée ou pour suivre une action de formation qualifiante au sens des dispositions de l'article L. 6314-1 du code du travail ;
- les ruptures à l'initiative du salarié qui quitte son emploi pour conclure un contrat de service civique conformément aux dispositions de l'article L. 120-10 du code du service national, un ou plusieurs contrats de volontariat de solidarité internationale pour une ou plusieurs missions de volontariat de solidarité internationale ou un contrat de volontariat associatif pour une ou plusieurs missions de volontariat associatif d'une durée continue minimale d'un an.
Il ressort de la lecture de ces textes - applicables à la demande de Monsieur [Z] [O] - que la question de la rupture anticipée d'un contrat d'apprentissage n'a jamais été envisagée. Le règlement et l'accord d'application énoncent des cas de perte d'emploi qui sont assimilés à des pertes involontaires. Néanmoins, il ne s'agit pas de listes limitatives des situations relevant d'une privation involontaire d'emploi au sens du code du travail et il convient d'apprécier concrètement les situations non prévues dans ces textes pour déterminer si elles constituent ou non une privation involontaire d'emploi au sens de l'article L. 5422-1 du code du travail.
En l'espèce, malgré la mention manuscrite portée sur le formulaire, Monsieur [Z] [O] n'a pas démissionné de son contrat d'apprentissage, la loi ne prévoyant pas un tel mode de rupture passé une période d'essai dont le délai était en l'occurrence échu, mais il a été mis fin à ce contrat d'un commun accord avec l'employeur, situation comparable avec celle d'une rupture conventionnelle expressément envisagée dans les textes applicables.
D'ailleurs la circulaire postérieure n°2017-20 du 24 juillet 2017 portant convention relative à l'assurance chômage précise bien à son article 6.1.3.1 qu'un tel cas s'analyse comme 'une fin de contrat à durée déterminée ouvrant droit à l'assurance chômage'.
En outre, cette rupture d'un contrat à durée déterminée adossé à une formation pour lequel Monsieur [Z] [O] percevait une rémunération mensuelle inférieure au SMIC a été motivée par la signature d'un engagement quinquennal avec l'armée auquel il a été mis fin de manière anticipée par les autorités militaires, en raison d'une inaptitude médicale.
Dans ces conditions, c'est à juste titre que le premier juge a retenu que Monsieur [Z] [O] se trouvait dans une situation involontaire de privation d'emploi au sens de l'article L. 5422-1 du code du travail.
** Sur la durée de cotisation et l'ouverture des droits
L'article 3 du règlement général annexé à la convention du 14 mai 2014 précise que seuls les salariés présentant une certaine période d'affiliation bénéficient de droits à l'assurance chômage.
S'agissant des salariés de moins de 50 ans, leur période d'affiliation doit être au moins égale à 122 jours ou 610 heures de travail au cours des 28 mois qui précèdent la fin du contrat de travail.
En l'espèce, il ressort de l'attestation ASSEDIC remplie par l'employeur de Monsieur [Z] [O] qu'entre novembre 2015 et mars 2016, l'intéressé a travaillé 624,35 heures ; qu'il remplit donc les conditions prévues à l'article 3 pour pouvoir accéder au bénéfice de l'assurance chômage.
Le jugement de première instance, qui a fait une juste application de la réglementation concernant l'ouverture des droits à l'assurance chômage, sera en conséquence confirmé, étant rappelé que la cour n'est pas valablement saisie d'un appel incident par l'intimé.
*** Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dispositions concernant les dépens de première instance seront confirmées.
Il convient de condamner Pôle emploi, qui n'est pas reçu en son recours, aux dépens de la procédure d'appel.
Il y a lieu de condamner l'organisme à payer à Monsieur [Z] [O] pour les frais irrépétibles d'appel une somme qu'il est équitable de fixer à 1500 euros et de rejeter la demande de Pôle emploi présentée sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu le 29 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Nancy,
Y ajoutant,
Condamne Pôle emploi aux dépens de la procédure d'appel,
Déboute Pôle emploi de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne Pôle emploi à payer à Monsieur [Z] [O] 1500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d'appel
Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-
Minute en six pages.