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30/06/2022 | FRANCE | N°21/00390

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 30 juin 2022, 21/00390


ARRÊT N° /2022

PH



DU 30 JUIN 2022



N° RG 21/00390 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EW3Y







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EPINAL

18/00219

11 décembre 2020











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2









APPELANTE :



Monsieur [A] [C], es qualité d'héritier de Madame [R

] [C],

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Dorothée BERNARD de la SELARL BGBJ, avocat au barreau d'EPINAL





Madame [K] [C], es qualité d'héritière de Madame [R] [C],

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Dorothée BERNARD de la SELARL BGBJ, avocat au barreau d'EPINAL





INTIM...

ARRÊT N° /2022

PH

DU 30 JUIN 2022

N° RG 21/00390 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EW3Y

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EPINAL

18/00219

11 décembre 2020

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANTE :

Monsieur [A] [C], es qualité d'héritier de Madame [R] [C],

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Dorothée BERNARD de la SELARL BGBJ, avocat au barreau d'EPINAL

Madame [K] [C], es qualité d'héritière de Madame [R] [C],

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Dorothée BERNARD de la SELARL BGBJ, avocat au barreau d'EPINAL

INTIMÉE :

S.A.R.L. LA CHAPELLE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Julien FOURAY de la SELARL KNITTEL - FOURAY ET ASSOCIES, avocat au barreau d'EPINAL

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président :WEISSMANN Raphaël,

Conseillers : STANEK Stéphane,

WILLM Anne-Sophie,

Greffier lors des débats :RIVORY Laurène

DÉBATS :

En audience publique du 30 Juin 2022 ;

L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 30 Juin 2022 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

Le 30 Juin 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Mme [R] [C] a été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel par la société LA CHAPELLE à compter du 7 octobre 2012, en qualité de commis de cuisine.

Par nouveau contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel du 20 novembre 2012, elle a été engagée en qualité de plongeur.

A compter du 1er octobre 2016, la relation contractuelle a évolué et Mme [R] [C] a occupé un poste à temps complet.

Par courrier du 24 janvier 2018, Mme [R] [C] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 1er février 2018.

Par courrier du 8 février 2018, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par requête du 1er octobre 2018, Mme [R] [C] a saisi le conseil de prud'hommes d'Epinal aux fins de rappel d'heures supplémentaires, d'indemnité pour travail dissimulé, de dommages et intérêts pour non-respect du temps de repos hebdomadaire et de reconnaissance d'une situation de harcèlement moral.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal rendu le 11 décembre 2020 lequel a :

- débouté Mme [R] [C] de toutes ses demandes,

- débouté la société LA CHAPELLE de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [R] [C] aux dépens ;

Vu l'appel formé par Mme [R] [C] le 12 février 2021 ;

Vu l'intervention à l'instance en date du 2 septembre 2021 de M. [A] [C] et Mme [K] [C] en qualité d'héritiers de Mme [R] [C], entretemps décédée ;

Vu l'ordonnance d'incident rendue le 3 mars 2022 par le conseiller de la mise en état de la chambre sociale de la cour d'appel de Nancy rejetant la demande de fin de non-recevoir formée par la société LA CHAPELLE et condamnant celle-ci au paiement de la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions de M. [A] [C] et Mme [K] [C] déposées sur le RPVA le 3 septembre 2021 et celles de la société LA CHAPELLE déposées sur le RPVA le 16 juin 2021 ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 6 avril 2022 ;

M. [A] [C] et Mme [K] [C] demandent :

- d'infirmer la décision rendue par le conseil de prud'hommes d'Epinal le 11 décembre 2020, en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- de condamner la société LA CHAPELLE à leur verser les sommes suivantes :

- 2 148,92 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre 7 446 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du temps de repos hebdomadaire,

- 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de fourniture de tenue de travail,

- de dire et juger que [R] [C] a été victime de harcèlement moral par l'employeur,

- de dire juger que le licenciement pour inaptitude de Mme [R] [C], est de ce fait nul,

En conséquence,

- de condamner la société LA CHAPELLE à leur verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- d'enjoindre la société LA CHAPELLE à leur remettre le certificat de travail et le reçu pour solde de tout compte, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

- de condamner la société LA CHAPELLE à leur verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

La société LA CHAPELLE demande :

- de juger Mme [C] recevable mais infondée en son appel,

En conséquence :

- confirmer purement et simplement le jugement entrepris,

S'il échet,

- de débouter Mme [C] de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions,

En tout état de cause :

- condamner Mme [C] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures qu'elles ont déposées sur le RPVA, s'agissant de M. [A] [C] et Mme [K] [C] le 3 septembre 2021 et s'agissant de la société LA CHAPELLE le 16 juin 2021.

Sur les heures supplémentaires

M. [A] [C] et Mme [K] [C] font valoir que dans le contrat de travail à temps complet conclu par Mme [R] [C], la durée de travail était fixée à 35 heures, outre 4 heures supplémentaires d'office majorées à 10 %. Ils indiquent que l'employeur n'a pas respecté cette durée et que Mme [R] [C] a réalisé de nombreuses heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées. Ils renvoient à ce titre à leurs pièces 18, 19 et 20 et soutiennent que les feuilles d'heures produites par l'employeur ont été falsifiées en se référant, pour exemple, au mois de juin 2017. Ils indiquent qu'entre septembre 2016 et mai 2017, Mme [R] [C] a effectué 75,25 heures supplémentaires majorées à 25% et 82 heures supplémentaires majorées à 50%.

La société LA CHAPELLE soutient que la demande d'heures supplémentaires a été formée par la salariée suite au refus qui lui a été opposé de rompre le contrat de travail de manière conventionnelle. Elle se réfère aux feuilles de présence signées par la salariée pour indiquer qu'elles ne font état d'aucune heure supplémentaire, et fait valoir que les agendas et décomptes produits par la salariée ont été établis pour les besoins de la cause. Elle conteste les propos selon lesquels les fiches de présence auraient été falsifiées.

Motivation :

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail : « En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient donc au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

En l'espèce, M. [A] [C] et Mme [K] [C] présentent :

- un courrier de Mme [R] [C] du 3 avril 2017 mentionnant que ses heures supplémentaires effectuées depuis sa reprise n'étaient pas rémunérées et demandant qu'elles soient comptabilisées avec ses feuilles de présence (pièce N°17),

- des relevés quotidiens d'heures pour les mois d'août 2016 à décembre 2016, et de janvier 2017 à juillet 2017 (pièces N°18 et 19),

- un document intitulé « tableau de décompte d'heures » pour les mois de septembre, novembre et décembre 2016 ainsi que pour les mois de janvier à juin 2017 (pièce N°20),

- des fiches de présence mensuelles signées par la salariée et son responsable pour les mois d'octobre à décembre 2016 et de janvier à juillet 2017 (pièce N°21).

Ces éléments, à l'exception de la pièce N°20 qui fait mention d'heures, de durées de travail et de repos sans que l'on puisse les rattacher à des jours précis et datés, permettent à la société LA CHAPELLE d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments, étant rappelé qu'en tant qu'employeur elle a l'obligation de mettre en place un système permettant de comptabiliser les heures de travail accomplies par chacun de ses salariés.

A cet effet, la société LA CHAPELLE verse des fiches de présence mensuelles signées par la salariée et son responsable pour les mois de novembre et décembre 2016 et les mois de janvier à juin 2017, dont la falsification alléguée n'est pas prouvée par M. [A] [C] et Mme [K] [C].

L'employeur justifie ainsi des horaires de travail effectivement réalisés par la salariée pour la période de novembre 2016 à juin 2017.

Cependant, il ne justifie pas des horaires effectués par Mme [R] [C] pour les mois de septembre et octobre 2016.

En conséquence, au vu des pièces produites par les parties, il sera alloué à M. [A] [C] et Mme [K] [C] la somme de 214,89 euros à titre d'heures supplémentaires pour les mois de septembre et octobre 2016, le jugement du conseil de prud'hommes étant infirmé sur ce point.

Sur l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

M. [A] [C] et Mme [K] [C] soutiennent que l'employeur avait connaissance de la réalisation des heures supplémentaires effectuées par Mme [R] [C]. Ils sollicitent en conséquence une somme de 7 446 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

La société LA CHAPELLE fait valoir que le caractère intentionnel de la prétendue dissimulation des heures supplémentaires n'est pas rapporté.

Motivation :

Aux termes de l'article L.8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail.

Dès lors, pour que l'infraction de travail dissimulé soit constituée, il appartient au salarié qui s'en prévaut de démontrer l'existence non seulement de l'élément matériel de l'infraction mais également de son élément intentionnel.

En l'espèce, l'intention délibérée de l'employeur de se soustraire à ses obligations au préjudice de la salariée n'est pas démontrée.

M. [A] [C] et Mme [K] [C] seront en conséquence déboutés de leur demande, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

Sur les dommages et intérêts pour non-respect du temps de repos hebdomadaire

M. [A] [C] et Mme [K] [C] font valoir que le décompte des heures réalisées par Mme [R] [C] démontre que la durée maximum de travail quotidien n'a pas été respectée par l'employeur. Ils renvoient à ce titre à leur pièce N°20 et indiquent que cela a causé un préjudice à la salariée qui a souffert de deux pathologies lourdes. Ils sollicitent en conséquence une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

La société LA CHAPELLE relève que le manquement qui lui est reproché est inexistant, et qu'il n'est justifié d'aucun préjudice.

Motivation :

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

La preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.

En l'espèce, il est rappelé que l'employeur a justifié des horaires de travail effectivement réalisés par la salariée pour la période de novembre 2016 à juin 2017, et qu'aucune heure supplémentaire n'a été retenue pour cette période.

Le manquement reproché à l'employeur doit en conséquence s'analyser sur le seul mois de septembre 2016.

A ce titre, il a été relevé que la pièce salariée N°20, que l'employeur conteste dans ses conclusions, n'est pas exploitable. Elle ne permet effectivement pas, contrairement à ce qu'affirment M. [A] [C] et Mme [K] [C], de constater que la durée maximum de travail quotidien de Mme [R] [C] n'a pas été respectée par l'employeur.

Le manquement invoqué à l'encontre de l'employeur n'est en conséquence pas établi.

M. [A] [C] et Mme [K] [C] seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour non-respect du temps de repos hebdomadaire, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

Sur les dommages et intérêts pour absence de fourniture de tenue de travail

M. [A] [C] et Mme [K] [C] indiquent qu'en application de l'article 8 du contrat de travail de Mme [R] [C], l'employeur devait lui fournir 3 casquettes, 3 vestes, 3 tabliers et 1 pantalon. Ils soutiennent que Mme [R] [C] n'a reçu de son employeur que 2 casquettes, 1 pantalon, 1 veste et 2 tabliers, de sorte qu'elle a dû utiliser des vêtements personnels qu'elle a été contrainte de racheter régulièrement. Elle sollicite des dommages et intérêts à hauteur de 1 000 euros pour non-respect par l'employeur de ses obligations.

La société LA CHAPELLE rétorque que le contrat de travail ne fixe aucun nombre pour les vêtements et accessoires à remettre à la salariée. Elle conteste le courrier produit par la salariée en pièce N°23 et soutient que celui-ci n'a été rédigé que pour répondre à la demande faite à la salariée de restituer ses vêtements de travail. Elle se réfère à sa pièce N°2 attestant de la remise à la salariée de 3 vestes de cuisine, 4 tabliers, 2 pantalons de cuisine et 3 casquettes, et fait valoir que le préjudice invoqué n'est pas établi.

Motivation :

L'article 8 du contrat de travail passé par la salariée le 20 novembre 2012 mentionne : « Mme [R] [C] s'engage à porter la tenue vestimentaire règlementaire de l'entreprise pendant l'exécution de son contrat de travail. Cette tenue devra toujours être propre de manière à présenter une tenue correcte à la clientèle. Mme [R] [C] devra également toujours respecter les règles d'hygiène et de sécurité en vigueur ».

Il est constaté que le précédent contrat de travail portait mention d'un même article rédigé dans les mêmes termes et que le 23 octobre 2012, la société LA CHAPELLE a remis à la salariée des tenues de travail comportant 3 vestes de cuisine, 4 tabliers de cuisine, 2 pantalons de cuisine et 3 casquettes (pièce employeur N°2).

M. [A] [C] et Mme [K] [C] n'établissant pas que l'employeur a manqué à ses obligations contractuelles relatives à la tenue vestimentaire de la salariée, ils seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts formée à ce titre, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

Sur la nullité du licenciement

M. [A] [C] et Mme [K] [C] font valoir que le licenciement de Mme [R] [C] a été prononcé suite à un avis d'inaptitude et d'impossibilité de reclassement directement lié aux agissements répétés de l'employeur.

Ils indiquent que la société LA CHAPELLE a envoyé de nombreux SMS à Mme [R] [C] relatifs à son planning et à des demandes liées aux heures supplémentaires, que le ton et les termes utilisés dans ces messages dépassent le pouvoir de direction de l'employeur et témoignent d'un climat de travail insécurisant et déstabilisant, et que les compétences et les qualités professionnelles de la salariée sont remises en cause. Ils renvoient à leur pièce N°24.

Ils se réfèrent en outre aux témoignages de deux salariés de l'entreprise (M. [O] et M. [W] - pièces N°25 et 26) pour établir que les violences verbales étaient le quotidien.

Ils font valoir que les attestations de salariés produites par la société LA CHAPELLE ne sont pas conformes à l'article 202 alinéa 3 du code de procédure civile et ils contestent leur objectivité au regard du lien de subordination des attestants avec l'employeur.

Ils renvoient au dossier médical de la salariée indiquant que celle-ci a bénéficié d'un suivi psychologique depuis septembre 2017 suite à un arrêt-maladie lié à un épisode anxiodépressif dans un contexte de stress au travail (pièces 27 et 28), ainsi qu'aux comptes rendus des visites de Mme [R] [C] à la médecine du travail.

Ils mentionnent que les agissements de l'employeur ont eu des conséquences directes sur la santé psychologique et mentale de la salariée et compromis son avenir professionnel, et qu'ils se sont reproduits auprès d'autres salariés, renvoyant sur ce point à leur pièce N°30.

-oOo-

La société LA CHAPELLE rétorque que Mme [R] [C] ne justifie d'aucun élément permettant d'établir la matérialité de faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Elle conteste les SMS produits par la salariée en les qualifiant de faux et en indiquant qu'ils ne permettent d'identifier et d'authentifier ni leur auteur, ni leur destinataire, ni leur date.

Elle conteste la teneur et l'objectivité de l'attestation de M. [O] produite par la salariée, expliquant que Mme [R] [C] et M. [O] étaient particulièrement proches et se référant sur ce point à sa pièce N°21.

Elle mentionne que le témoignage de M. [W] est contrecarré par les attestations qu'elle verse, renvoyant à ses pièces N°6 et 12.

Elle indique que les courriers de la protection juridique de Mme [R] [C] sont imprécis et ne font que reprendre ses affirmations, et que les certificats médicaux affichent un parti pris évident, critiquant particulièrement l'attestation de M. [V] (pièce N°4). Elle renvoie également aux clichés produits en pièce N°15 pour témoigner de la bonne ambiance au sein de l'entreprise.

Elle rétorque que les témoignages qu'elle verse aux débats disposent d'une force probante incontestable et sont recevables.

Elle ajoute que Mme [R] [C] n'a pas accepté que sa demande de rupture conventionnelle soit refusée, et que celle-ci, en réponse, a adopté un comportement provocateur et tenté de créer la polémique.

Elle soutient que l'état de santé de la salariée n'a pas trouvé son origine dans une prétendue situation de harcèlement, mais dans des problèmes de santé d'une autre nature.

Motivation :

Il résulte des articles L.1153-4 et L.1152-3 du code du travail, que toute disposition ou tout acte contraire à l'interdiction de harcèlement sexuel ou moral est nul de plein droit

Dès lors, toute mesure affectant la relation salariale, de l'embauche à la rupture, et dans toutes ses composantes encourt la nullité dès lors qu'elle trouverait son origine dans un comportement de harcèlement moral ou lui serait directement liée.

En conséquence, sont nuls les licenciements prononcés pour inaptitude physique lorsqu'il est établi que cette inaptitude était consécutive à des actes de harcèlement.

En l'espèce :

Il résulte du certificat médical du 20 mars 2018 du docteur [X] que Mme [R] [C] « a présenté un arrêt maladie depuis le 22 juillet 2017 en raison d'un épisode anxiodépressif dans un contexte de stress au travail, selon les propos rapportés par la patiente » (pièce salariée N°27).

La pièce N°28 est un certificat rédigé par une infirmière du centre médico psychologique de [Localité 5] indiquant que Mme [R] [C] a été reçue régulièrement en entretiens infirmier du 6 septembre 2017 au 20 mars 2018.

La pièce N°29 est constituée du dossier médical de Mme [R] [C]. Il mentionne, au paragraphe « historique personnel » une fibromyalgie dépistée en 2009, un appareillage auditif bilatéreal reconnue TH, une maladie de Crohn dépistée fin 2013 et une spondylacthrite ankylosante. Il reprend en outre les doléances de la salariée à l'égard de sa hiérarchie.

Par exemple :

- le 1er septembre 2017 : « respecte ses heures puisque l'employeur ne veut pas d'heures supp » ; « selon la salariée, traitée de grosse faignante, menaces orales »,

- le 26 septembre 2017 : « il semble qu'elle soit effectivement terrorisée à l'idée de retourner au resto depuis l'altercation qu'elle a subi »,

- le 6 octobre 2017 : « a refusé sur conseil de son conseiller juridique la rupture conventionnelle proposée par l'employeur récemment par téléphone ».

La pièce N°30 est un courrier du docteur [F] de l'Epsat [6] au centre médico pédagogique de [Localité 5] du 11 septembre 2017 adressant Mme [R] [C] en indiquant penser « qu'on peut évoquer un état de souffrance au travail réel ».

Les pièces produites en annexe 4 de la salariée sont constituées :

- d'un compte rendu d'examen radiologique de Mme [R] [C] en date du 9 septembre 2010,

- d'un courrier du 12 août 2015 du docteur [F], médecin du travail, au docteur [X], sollicitant des renseignements sur l'état de santé de Mme [R] [C] à la suite d'une visite de pré reprise et mentionnant qu'elle « serait atteinte d'une maladie de Crohn » et qu'à la suite d'une seconde intervention « serait apparue une complication infectieuse » et que « le diagnostic d'une spondylarthrite ankylosante aurait été posé ainsi qu'une atteinte cutanée »,

- d'un courrier du 26 octobre 2015 du docteur [M] ayant vu Mme [R] [C] en consultation pour un régime alimentaire en lien avec la maladie de Crohn,

- d'un courrier du 14 septembre 2015 du docteur [D] ayant vu Mme [R] [C] en consultation pour un examen lié à des douleurs rachidiennes,

- d'un courrier des docteurs [T] et [I] du 31 août 2015 ayant reçu Mme [R] [C] en hospitalisation pour la réalisation d'une cure de Remicade dans le cadre de la maladie de Crohn,

- d'un courrier du docteur [X] du 23 août 2017 à une consoeur faisant état de ce que Mme [R] [C] « présente actuellement un état dépressif et une peur de se rendre à son travail » et d'un « climat conflictuel au travail »,

- d'un courrier du docteur [X] à une consoeur en date du 20 novembre 2017 « pour envisager une inaptitude médicale à son poste avec licenciement » et faisant état d'une « situation de blocage dans un contexte de conflit professionnel »,

- d'une fiche de liaison MDPH en date du 25 novembre 2015 mentionnant une « reconnaissance TH nécessaire pour obtenir une amélioration des conditions de travail »,

- d'une décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées du 14 octobre 2010 reconnaissant la qualité de travailleur handicapé à Mme [R] [C] pour la période du 14 octobre 2010 au 13 octobre 2015.

Le 7 décembre 2017, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude avec la précision que l'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi (pièce salariée N°12).

Le témoignage de M. [G] [O] indique que Mme [R] [C] a été dénigrée devant lui et ses collègues par l'employeur (pièce salariée N°25), et M. [B] [W] atteste de « faits de harcèlement » de la part de l'employeur à l'égard de Mme [R] [C] et mentionne que les violences verbales étaient leur quotidien et qu'ils subissaient des propos diffamatoires et humiliants (pièce salariée N°26). Il est constaté que ces attestations restent dans la généralité et ne donnent aucun détail sur la teneur des propos diffamatoires, des dénigrements et violences verbales, ni sur le moment et le contexte dans lesquels ils sont intervenus.

La pièce salariée N°24 reproduit des sms dont il n'est pas possible d'identifier les auteurs et les destinataires.

M. [A] [C] et Mme [K] [C] ne produisent ainsi aucun élément établissant la matérialité de faits précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement, et les pièces médicales ne peuvent y suppléer.

Dès lors, en l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée.

Dans ces conditions, M. [A] [C] et Mme [K] [C] seront déboutés de leur demande de voir dire que Mme [R] [C] a été victime de harcèlement moral et de faire produire au licenciement pour inaptitude les effets d'un licenciement nul, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

Sur la demande subséquente de dommages et intérêts

M. [A] [C] et Mme [K] [C] indiquent que plusieurs mois après le licenciement, Mme [R] [C] a été contrainte de poursuivre une thérapie pour tenter d'aller mieux, et qu'elle a mené avec difficultés sa recherche d'emploi, renvoyant à leurs pièces N°31, 34 et 35. Ils mentionnent que ce n'est qu'en juillet 2020 qu'elle a été embauchée sous contrat à durée indéterminée (pièce N°36).

La société LA CHAPELLE souligne qu'aucun préjudice de principe ne peut plus être reconnu, et que la salariée est dans l'incapacité de justifier du préjudice invoqué.

Motivation :

Comme il a été indiqué, la salariée n'a pas produit d'éléments qui, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral rendant le licenciement prononcé pour inaptitude nul.

En l'absence de harcèlement moral et de licenciement nul, M. [A] [C] et Mme [K] [C] seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

Sur la demande de remise du certificat de travail et du reçu pour solde de tout compte sous astreinte

M. [A] [C] et Mme [K] [C] soutiennent que la société LA CHAPELLE a refusé de transmettre à Mme [R] [C] son reçu pour solde de tout compte et son certificat de travail et sollicitent leur remise sous astreinte.

La société LA CHAPELLE soulève l'irrecevabilité de la demande de condamnation sous astreinte et se renvoie à sa pièce N°1 pour justifier de la remise de ces documents à la salariée.

Motivation :

Il est constaté que la société LA CHAPELLE justifie avoir remis à la salariée le reçu pour solde de tout compte et le certificat de travail qu'elle a signés le 13 février 2018 (pièce employeur N°1).

M. [A] [C] et Mme [K] [C] seront en conséquence déboutés de leur demande de remise du certificat de travail et du reçu pour solde de tout compte sous astreinte, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

M. [A] [C], Mme [K] [C] et la société LA CHAPELLE seront déboutés de leurs demandes relatives aux frais irrépétibles.

La société LA CHAPELLE sera condamnée aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal du 11 décembre 2020 en ce qu'il a débouté Mme [R] [C] de sa demande à titre de rappel d'heures supplémentaires ;

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal du 11 décembre 2020 pour le surplus ;

STATUANT A NOUVEAU

Condamne la société LA CHAPELLE à payer à M. [A] [C] et à Mme [K] [C] la somme de 214,89 euros (deux cent quatorze euros et quatre vingt neuf centimes) à titre d'heures supplémentaires pour les mois de septembre et octobre 2016 ;

Y AJOUTANT

Déboute M. [A] [C] et Mme [K] [C] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société LA CHAPELLE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société LA CHAPELLE aux dépens de l'instance ;

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIERLE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en douze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 21/00390
Date de la décision : 30/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-30;21.00390 ?
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