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23/06/2022 | FRANCE | N°21/00484

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 23 juin 2022, 21/00484


ARRÊT N° /2022

PH



DU 23 JUIN 2022



N° RG 21/00484 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EXCG







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT DIE DES VOSGES 88100

F 19/00034

25 janvier 2021











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANTE :



S.A.R.L. TRANSPOR

TS TISSELIN FRERES prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Julien FOURAY de la SELARL KNITTEL - FOURAY ET ASSOCIES substitué par Me PIERSON, avocats au barreau d'EPINAL









INTIMÉ :



Monsieur [Y] [M]

[Adresse 1]
...

ARRÊT N° /2022

PH

DU 23 JUIN 2022

N° RG 21/00484 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EXCG

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT DIE DES VOSGES 88100

F 19/00034

25 janvier 2021

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANTE :

S.A.R.L. TRANSPORTS TISSELIN FRERES prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Julien FOURAY de la SELARL KNITTEL - FOURAY ET ASSOCIES substitué par Me PIERSON, avocats au barreau d'EPINAL

INTIMÉ :

Monsieur [Y] [M]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Mme [O] [Z], défenseur syndical, régulièrement muni d'un pouvoir de représentation

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats, sans opposition des parties

Président :WEISSMANN Raphaël

Conseiller :STANEK Stéphane

Greffier :RIVORY Laurène (lors des débats)

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 28 Avril 2022 tenue par WEISSMANN Raphaël, Président, et STANEK Stéphane, Conseiller, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en ont rendu compte à la Cour composée de Raphaël WEISSMANN, président, Dominique BRUNEAU et Stéphane STANEK, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 23 Juin 2022 ;

Le 23 Juin 2022 , la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Monsieur [Y] [M] a été engagé sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES, à compter du 07 août 2007, en qualité de chauffeur routier.

Par courrier du 30 janvier 2019, Monsieur [Y] [M] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 11 février 2019, avec mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 14 février 2019, Monsieur [Y] [M] a été licencié pour faute grave.

Par requête du 04 juin 2019, Monsieur [Y] [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges, aux fins de contestation de son licenciement pour faute grave et de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre des dommages et intérêts pour travail dissimulé.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges rendu le 25 janvier 2021, lequel a :

- dit le licenciement pour faute grave de Monsieur [Y] [M] justifié,

- dit que la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES n'a pas reversé l'intégralité des indemnités journalières de sécurité sociale qui sont dues à Monsieur [Y] [M],

- dit que la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES n'a pas payé l'intégralité des heures de travail et indemnités de déplacement qui sont dues à Monsieur [Y] [M],

- dit que la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES a dissimulé des heures de travail de Monsieur [Y] [M],

- condamné la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES à verser les sommes suivantes à Monsieur [Y] [M] :

- 567,17 euros brut à titre de salaire pour la période du 12 au 16 novembre 2018,

- 56,72 euros brut à titre de congés payés afférents,

- 76 euros net à titre de reliquat d'indemnités de déplacement,

- 282,26 euros net à titre de restitution des indemnités journalières de sécurité sociale,

- 10 894,20 euros net à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 1 815,70 euros brut,

- condamné la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES à verser à Monsieur [Y] [M] la somme de 400 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté pour le surplus les demandes de Monsieur [Y] [M],

- rejeté les demandes reconventionnelles de la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES,

- ordonné à la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES de remettre à Monsieur [Y] [M], sous astreinte de 50 euros par jour de retard, les bulletins de salaires des mois de novembre 2018 et janvier 2019 rectifiés, une attestation Pôle Emploi rectifiée, dans le délai de 15 jours suivant la notification du jugement,

- réservé le droit de liquider l'astreinte,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, au titre des dispositions de l'article R 1454-28 du code du travail,

- rappelé que les sommes allouées produisent intérêts au taux légal en vigueur à compter de la notification du jugement,

- condamné la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES aux entiers frais et dépens, y compris l'intégralité des frais, émolument et honoraires liés à une éventuelle exécution du jugement par voie d'huissier.

Vu l'appel formé par la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES le 23 février 2021,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES déposées sur le RPVA le 14 septembre 2021, et celles de Monsieur [Y] [M] reçues au greffe de la chambre sociale le 29 avril 2022,

Vu l'ordonnance d'incident rendue le 25 novembre 2021 ordonnant la clôture de l'instruction,

La société TRANSPORTS TISSELIN FRERES demande :

- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes Saint-Dié-des-Vosges en ce qu'il a :

- dit que la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES n'a pas reversé l'intégralité des indemnités journalières de sécurité sociale qui sont dues à Monsieur [Y] [M],

- dit que la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES n'a pas payé l'intégralité des heures de travail et indemnités de déplacement qui sont dues à Monsieur [Y] [M],

- dit que la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES a dissimulé des heures de travail de Monsieur [Y] [M],

- condamné la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES à verser les sommes suivantes à Monsieur [Y] [M] :

- 567,17 euros brut à titre de salaire pour la période du 12 au 16 novembre 2018,

- 56,72 euros brut à titre de congés payés afférents,

- 76 euros net à titre de reliquat d'indemnités de déplacement,

- 282,26 euros net à titre de restitution des indemnités journalières de sécurité sociale,

- 10 894,20 euros net à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- 400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté les demandes reconventionnelles de la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES,

- ordonné à la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES de remettre à Monsieur [Y] [M], sous astreinte de 50 euros par jour de retard, les bulletins de salaires des mois de novembre 2018 et janvier 2019 rectifiés, une attestation Pôle Emploi rectifiée, dans le délai de 15 jours suivant la notification du jugement,

- réservé le droit de liquider l'astreinte,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, au titre des dispositions de l'article R 1454-28 du code du travail,

- rappelé que les sommes allouées produisent intérêts au taux légal en vigueur à compter de la notification du jugement,

- condamné la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES aux entiers frais et dépens, y compris l'intégralité des frais, émolument et honoraires liés à une éventuelle exécution du jugement par voie d'huissier,

- statuant à nouveau,

- de débouter Monsieur [Y] [M] de sa demande rappel de salaire pour la période du 12 au 16 novembre 2018,

- de débouter Monsieur [Y] [M] de sa demande au titre du reliquat d'indemnités de déplacement,

- de débouter Monsieur [Y] [M] de sa demande de restitution des indemnités journalières de sécurité sociale,

- de juger que l'infraction de travail dissimulé n'est pas caractérisée,

- de débouter M. [Y] [M] de sa demande d'indemnité forfaitaire de travail dissimulé,

- de débouter Monsieur [Y] [M] de sa demande de remise sous astreinte des bulletins de salaires des mois de novembre 2018 et janvier 2019 rectifiés, une attestation Pôle Emploi rectifiée,

- de condamner Monsieur [Y] [M] à verser à la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES la somme de 5 479,49 euros à titre de remboursement du trop-perçu de rémunération qui lui a été versé à tort,

- de condamner Monsieur [Y] [M] aux entiers dépens de l'instance,

- de déclarer irrecevable les demandes incidentes et l'appel incident de Monsieur [Y] [M] et l'en débouter,

- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges pour le surplus,

- en tout état de cause,

- de débouter Monsieur [Y] [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- de condamner Monsieur [Y] [M] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner Monsieur [Y] [M] aux entiers dépens de l'instance.

Monsieur [Y] [M] demande :

- de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES à payer à Monsieur [Y] [M] les sommes de :

- 7 341 euros à titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 930 euros à titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 4 894 euros à titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 489 euros à titre de l'indemnité de congés payés sur préavis,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et financier,

- 1 373, 64 euros à titre de salaire en paiement de la mise à pied du 12 au 16 novembre 2018,

- 137,36 euros au titre des congés payés sur mise à pied et salaires,

- 10 914,48 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

- 323,06 euros à titre de remboursement des indemnités de sécurité sociale,

- 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et 500 euros à hauteur d'appel

- d'ordonner la rectification du bulletin de salaire de novembre 2018, janvier et février 2019, ainsi que la rectification de l'attestation Pôle Emploi, sous astreinte de 50 euros par jour et par document à compter de la notification du jugement,

- subsidiairement,

- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges dans toutes ses dispositions,

- y ajoutant,

- de condamner la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES à verser à Monsieur [Y] [M] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures qu'elles ont déposées sur le RPVA, s'agissant de l'employeur le 14 septembre 2021, et en ce qui concerne le salarié le 29 avril 2022.

Sur le licenciement

Aux termes de l'article L1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et c'est au regard des motifs qui y sont énoncés que s'apprécie le bien-fondé du licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. C'est à l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier d'en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement du 14 février 2019 est ainsi motivée :

« (') Les faits qui vous sont reprochés sont constitutifs d'une faute grave et rendent impossible la poursuite de votre travail dans l'entreprise. Nous sommes au regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour les motifs suivants :

- Rétention de marchandises avec volonté de nuire à la société.

En effet le mardi 29 janvier, vous avez démarré votre journée à 4h30, vous deviez nous ramener dans la deuxième partie de votre journée et pour terminer celle-ci une remorque que nous avons en débord chez notre plus gros client Findis à St Gibrien 51 qui représente à lui seul plus de 20% de notre chiffre d'affaire.

Vous connaissiez pertinemment l'importance de ces navettes chargées uniquement de produits électroménager et tv hifi vidéo à fortes valeurs et sensibles au vol, puisque vous avez eu à les faires régulièrement.

Vous étiez donc en charge de nous ramener la première de celles-ci chargée de près de 100 clients qui doivent êtres traités et mis en tournées pendant la nuit pour livraison le lendemain.

A 15h ( heure d'arrivée normale ), nous avons commencé à nous inquiéter de ne pas avoir de vos nouvelles et avons essayer de vous joindre par téléphone en vain. A 16H passées, vous nous avez enfin répondu par sms pour nous indiquer que vous étiez en repos journalier sur une aire d'autoroute à Richardménll à 53km de notre dépôt et que vous seriez au dépôt le lendemain matin à 5h30.

A la lecture des informations chronotachygraphe que nous obtenons à distance, nous avons immédiatement compris que vous étiez en train de mettre la société dans une situation très grave puisque non seulement il vous restait encore 29min à rouler dans votre temps de service journalier, et que vous aviez effectué en deux fois 19min de coupure dans la matinée et 40min entre 12h et 13h au lieu des 45min totale nécessaires au vu de vos heures de conduite. Vous pouviez dans tous les cas rentrer au vu des contraintes professionnelles que nous vous avions indiquées.

Nous avons alors en insistant réussi à vous joindre par téléphone pour vous demander de rentrer au plus prés même s'il fallait allez vous rechercher à quelques kilomètres du dépôt. Dans une colère noire que nous avons eu à supporter en plus de la gravité des faits, vous avez non seulement refusé, vous avez réiterez que vous ne seriez au dépôt qu'à 5h30 du matin alors que même en effectuant une coupure obligatoire réduite de 9h, vous pouviez redémarrer à minuit ou même une coupure normale de 11h, vous pouviez redémarrer à 2h pour être là à 2h45 ( ce qui aurait malgré tous les désagrément encore permis de sauvez toutes les livraisons de notre client).

Devant votre volonté manifeste de nuire à la société, nous avons du prendre la décision d'envoyer un chauffeur récupérer la remorque. Vous avez alors non seulement refusé de laisser un chauffeur venir et décrocher lui même la remorque pour la ramener et avez proférer des menaces verbales et physique à l'encontre du responsable d'exploitation en cas de tentative de récupérer la remorque.

Nous avons alors pris la décision d'appeler le peloton CRS autoroutier de [Localité 5] pour leur expliquer la situation et leur demander une présence protectrice pour les personnels ( 1 chauffeur, le responsable d'exploitation et un autre chauffeur de secoure pour vous ramener éventuellement en cas de dérapage. )

A l'arrivée de nos personnels et devant le danger potentiel, les CRS ont du intervenir afin de vous demander de laisser faire la manoeuvre pour récupérer la remorque.

Nous vous notifions donc votre licenciement pour faute grave en conséquence des préjudices subis par l'entreprise, et en l'absence totale de circonstances atténuantes. (...) »

La société TISSELIN TRANSPORTS indique qu'il est reproché à M. [Y] [M] :

- d'avoir refusé d'achever la mission de transport, sous un faux prétexte, mettant en péril la relation avec l'un de ses plus importants clients, et la sécurité de la marchandise transportée

- d'avoir adopté un comportement agressif, menaçant et insultant à l'encontre du responsable d'exploitation qui venait récupérer la remorque.

Elle fait valoir que le salarié ne conteste en rien son refus de mener à terme la mission qui lui était confiée, et son choix de s'arrêter sur une aire de repos à 15 heures, chargé de matériel hifi et vidéo.

Elle estime qu'il n'avait, au regard des temps de conduite, de service total et d'amplitude de travail, aucun motif légitime pour arrêter sa journée de travail à 15h00. Elle explique qu'il a volontairement gonflé ses temps de service au titre des travaux annexes, pour ce jour-là ; qu'il a, en plaçant son tachygraphe sur la position travaux de 6h30 à 9h00, décompté indûment 1h30 de travail qui correspondait en réalité à du temps de coupure.

La société TISSELIN TRANSPORTS explique que compte tenu de l'importance des navettes pour la distribution des colis, et des impératifs horaires stricts, ainsi que de la nécessité d'un transport direct des marchandises au dépôt, M. [Y] [M] aurait dû s'y rendre.

Elle ajoute qu'elle a tenté de joindre M. [Y] [M], ne le voyant pas arriver à 15h00, et que ce dernier n'a pas daigné répondre ; qu'elle n'a reçu qu'à 16h00 un sms par lequel il indiquait avoir terminé sa journée et qu'il était en repos ; qu'elle a tenté de le raisonner, en lui expliquant qu'il restait 29 minutes sur son tachygraphe, mais en réalité plus compte tenu des manipulations, avant d'atteindre les 10 heures ; qu'elle lui a même expliqué qu'elle enverrait un chauffeur s'il manquait quelques minutes de service pour atteindre le dépôt ; qu'il a refusé et a proféré des menaces verbales et physique à l'encontre de son responsable d'exploitation.

L'appelante précise avoir dû faire intervenir la brigade CRS autoroute.

M. [Y] [M] indique avoir alerté son employeur qu'il était en infraction, que l'employeur n'a pas jugé devoir en tenir compte, que l'employeur n'apporte pas les preuves de ses dires, que l'attestation de la CRS ne fait aucunement mention de violence, et qu'il n'a pas abandonné son poste de travail.

La société TISSELIN TRANSPORTS produit en pièce 12 un tableau synthétique des temps de conduite et de repos, en application du règlement européen 561-2006, dont les éléments ne sont pas contestés par M. [Y] [M]. Ce tableau indique notamment que le temps de conduite maximum est de 9h00 par jour, et que le temps de repos minimum est de 11h00 par jour.

Elle produit en pièce 8 le « graphique d'activité » de M. [Y] [M] pour la journée du 29 janvier 2019 ; il ressort de la lecture de ce document que le temps de conduite est de 5h58, et le temps de service de 9h31 ; le disque fait apparaître un début d'activité à 04h30, et une fin d'activité à 15h00, d'où une amplitude de travail de 10h30.

Il résulte des dispositions de l'article 8 du règlement CE 561/2006 que l'amplitude maximale journalière de travail est de 13h00 ; il résulte de l'article 6 du même règlement que le temps de conduite maximum est de 09h00.

Au vu du graphique d'activité en pièce 8, M. [Y] [M] n'avait atteint ni le temps maximum de service ni le temps maximum de conduite. Dès lors sa décision d'arrêter sa journée de travail à 15h00, et son refus de conduire encore 30 minutes, ainsi que son employeur le lui demandait, n'était pas justifiée ; le grief est donc établi.

Sur le grief de refus de laisser sa remorque à disposition, et de menaces, la société TISSELIN TRANSPORTS renvoie à ses pièces 9 à 11 :

- la pièce 9 est le compte-rendu de main courante de la CRS Autoroutière Lorraine Alsace, détachement de [Localité 9], du 29 janvier 2019 : « (') résumé des faits : la patrouille est requise pour intervenir pour un différend entre un employeur (STE EUROTRANS) laquelle souhaite reprendre en possession la semi-remorque d'un ensemble routier dont le chauffeur (monsieur [M] [Y]) refuse de laisser cette dernière à son employeur. Après des négociations, entre le chef d'exploitation (Mr [L]) et le conducteur, par l'intermédiaire de notre patrouille, il est trouvé un terrain d'entente. La société récupère la semi-remorque, Monsieur [M] peut finir sa pause dans le tracteur (Daf n° [Immatriculation 7]) sur l'aire de service du Canal de l'Est. (...) »

- la pièce 10 est l'attestation de M. [T] [L], salarié de la société TISSELIN TRANSPORTS : « Le 29/01/19 Mr [G] (mon responsable) m'interpelle au bureau pour me signaler un problème avec Mr [M] [Y] . En effet, Mr [M] refuse de ramener son camion à [Localité 6] sous prétexte qu'il n'a plus d'heures de conduite. A plusieurs reprises Mr [M] a montré qu'il ne gérait pas ses temps de conduite correctement malgré nos explications. Je prends la décision de la joindre par téléphone, je ne peux pas placer un mot, il hurle et me menace à plusieurs reprises. Nous prenons la décision d'appeler la brigade motorisée du secteur de [Localité 9]. Moi, le chef de parc et un chauffeur nous rendons à [Localité 9], vers 19h15 les gendarmes sont sur place à notre arrivée. Je m'approche et frappe à la porte du camion. Mr [M] ouvre la fenêtre et hurle et me dit qu'il va me frapper avec une barre métallique. Il descend du camion et s'approche de moi en hurlant. Les gendarmes interviennent. Après une longue négociation, il nous laisse reprendre la remorque. Le croyant calmé, je lui propose de le ramener à [Localité 11], mais pendant tout le trajet [Localité 9]-[Localité 10] il dénigre la société. Impossible de le calmer. »

- la pièce 11 est l'attestation de M. [E] [H], chauffeur-livreur, sans lien de subordination à l'égard de la société TISSELIN TRANSPORTS : « Le mardi 29 janvier 2019, Mr [G] gérant de la société Eurotrans, m'a demandé en début de soirée d'aller récupérer un véhicule, tracteur DAF DV 792 QJ, sur le parking de la station service à [Localité 8]. Motif ; le conducteur très énervé ne voulait pas rentrer au dépôt avec le véhicule et la marchandise. Une fois arrivé sur place et après de longs moments de négociation avec la police qui était déjà sur les lieux, j'ai pu récupérer le véhicule et le ramener au dépôt ».

Ces pièces établissent le grief de refus de remettre la remorque à l'employeur, et donc de refus d'appliquer les consignes de ce dernier.

Ces griefs justifient le licenciement prononcé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres reproches adressés par l'employeur dans la lettre de licenciement.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit le licenciement pour faute grave justifié, et a débouté en conséquence M. [Y] [M] de ses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande de remboursement d'un trop perçu

La société TISSELIN TRANSPORTS explique que M. [Y] [M] a perçu une rémunération pour des heures de travail qu'il n'a pas accomplies ; elle renvoie à la comparaison de ses pièces 5 et 6, soit les relevés mensuels de la carte conducteur de M. [Y] [M], et ses bulletins de paie, et précise produire en pièce 7 un tableau récapitulatif de comparaison.

M. [Y] [M] ne conclut pas sur cette demande.

Le recoupement des bulletins de paie en pièces 5 avec les tableaux « synthèse conducteur » permet de confirmer les différences entre les heures payées et les heures effectuées, récapitulées en pièce 7.

La société TISSELIN TRANSPORTS indique dans ses conclusions que ces heures indûment payées, soit 363,6 heures, l'ont toutes été au taux majoré de 50 %.

Or l'examen de ce tableau en pièce 7 et chaque bulletin de paie en pièces 5, permet de constater que :

- en décembre 2017, ce ne sont pas seulement des heures à 50 %, mais également des heures à 25 % et des heures au tarif du salaire de base qui correspondent au volume horaire indûment payé , puisque la différence de 68,55 heures, entre ce qui a été payé et ce qui a été effectué, est supérieure à la somme des heures à 50 % et des heures à 25 % figurant sur le bulletin de paie

- pour les mois de janvier 2018 à mai 2018, la différence réclamée correspond à des heures à 50 % et à des heures à 25 %, pour la même raison d'un volume horaire indu supérieur à la somme du volume horaire des heures supplémentaires à 50 % et celles à 25%

- pour le mois de juin 2018, la situation est la même que pour décembre 2017

- pour le mois de décembre 2018 : le total des heures indues correspond à la fois à des heures supplémentaires à 50 % et à des heures supplémentaires à 25 %.

Il n'appartient pas à la cour de se substituer aux parties dans la présentation et la justification de leurs demandes.

Il n'appartient donc pas à la cour de se substituer à l'appelante en opérant à sa place le calcul du salaire indu selon qu'il s'agit d'heures payées au taux de base, ou d'heures supplémentaires à 25 % ou encore à 50 %.

Dès lors, en conséquence de ce qui précède, il ne sera fait droit à la demande de la société TISSELIN TRANSPORTS que pour les heures indues, correspondant à des heures supplémentaires valorisées à 50 %, telle que l'appelante l'indique dans ses conclusions, soit pour les mois de juillet, septembre et octobre 2018, soit un total de 51,53 heures, valorisées comme suit, selon le taux figurant sur chaque bulletin de salaire correspondant : 23,72 x 15,09 euros + 22,91 x 15,33 euros + 4,9 x 15,33 euros = 784,26 euros.

Sur l'indemnité de déplacement

La société TISSELIN TRANSPORTS fait valoir que cette demande de M. [Y] [M] a été présentée en cours d'instance, et non pas dans sa requête ; elle estime que cette demande est irrecevable.

Elle ajoute que la demande est infondée.

M. [Y] [M] indique qu'il aurait dû percevoir 76 euros de frais de déplacement sur la semaine du 12 au 16 novembre.

Aux termes des dispositions de l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Il ressort de la lecture du formulaire de requête renseigné par M. [Y] [M] et déposé au greffe du conseil des prud'hommes le 04 juin 2019 que cette demande d'indemnité de déplacement n'était pas formulée.

Cette demande est sans lien suffisant avec les autres demandes figurant dans sa requête, ayant trait aux indemnités consécutives à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à des dommages et intérêts pour préjudice moral et financier, à un rappel de salaire et congés payés pour la période de mise à pied, à une indemnité pour travail dissimulé, et au remboursement d'indemnités de sécurité sociale perçues par l'employeur.

Cette demande sera donc déclarée irrecevable ; le jugement sera infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande.

Sur le rappel de salaire pour la période du 12 au 16 novembre 2016

M. [Y] [M] fait valoir qu'il n'a pas perçu son salaire pour cette période, évoquant la question d'heures supplémentaires.

La société TISSELIN TRANSPORTS explique que le salarié a été placé en congés sans solde sur cette période, mais qu'il ne peut réclamer le salaire correspondant, compte tenu de ce qui est indiqué sur sa carte conducteur ; elle ajoute qu'il a été payé par compensation des heures qui lui ont été trop payées, antérieurement et postérieurement, et qu'elle a déduit les 55,16 heures de sa demande de remboursement de trop-perçu.

Il ressort de la lecture du bulletin de paie de novembre 2018 qu'une retenue de 84 heures a été opérée pour la période du 1er au 17 novembre.

La société TISSELIN TRANSPORTS, qui reconnaît une erreur pour la période du 12 au 16 novembre, ne donne aucune explication complémentaire sur la période plus longue indiquée sur le bulletin de salaire ; par ailleurs, il résulte des développements antérieurs sur le rappel d'heures indues, que les calculs dont elle se prévaut n'établissent pas la créance qu'elle invoque.

A défaut de démontrer que le montant réclamé n'est pas du, alors que le principe de l'erreur est reconnu, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société TISSELIN TRANSPORTS au paiement d'un rappel de salaire, outre les congés payés afférents, sur cette période.

Sur l'indemnité pour travail dissimulé

M. [Y] [M] explique que « l'employeur n'a pas déclaré les salaires exacts, qu'il a remis un bulletin de salaire ne mentionnant qu'une partie de la rémunération ».

La société TISSELIN TRANSPORTS explique que le conseil des prud'hommes, sur la base de l'erreur comptable pour la période du 12 au 16 novembre 2018, l'a condamnée sur le fondement du travail dissimulé ; elle souligne qu'il s'agit d'une erreur du cabinet comptable en charge de la paie, et que le caractère intentionnel n'est pas établi.

M. [Y] [M] ne démontre pas le caractère intentionnel de l'absence alléguée de mention d'heures de travail ; les motifs du jugement entrepris n'en font pas davantage la démonstration.

Ce dernier sera donc infirmé sur ce point.

Sur la restitution des indemnités journalières

La société TISSELIN TRANSPORTS fait valoir qu'il n'est pas justifié de ce qu'elle aurait perçu les dites indemnités. Elle ajoute qu'à supposer même qu'elle les ait effectivement perçues, l'intimé était quant à lui débiteur d'un trop-perçu nettement supérieur, « en sorte que cette somme lui avait nécessairement déjà été versée par « compensation ».

M. [Y] [M] explique avoir été en arrêt maladie le 15 octobre 2018 et du 17 janvier au 27 janvier 2019, et que l'entreprise a perçu les indemnités afférentes, sans que le versement ne lui ait été fait.

Il résulte des dispositions de l'article L321-1 du code de la sécurité sociale que les indemnités journalières servies par la caisse d'assurance maladie sont versées directement au salarié.

Il ne ressort pas des bulletins de paie des mois concernés par les arrêts maladie que l'employeur aurait perçu ces indemnités ; M. [Y] [M] ne fait valoir aucun autre élément.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de versement d'indemnités journalières.

Sur la demande de documents rectifiés

En conséquence de la confirmation de la condamnation de l'employeur au paiement d'un rappel de salaire, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société TISSELIN TRANSPORTS à la remise de documents de fin de contrat rectifiés.

M. [Y] [M] sera débouté de sa demande d'astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

M. [Y] [M] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

Les parties seront déboutées de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges le 25 janvier 2021, en ce qu'il a :

- dit que la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES n'a pas reversé l'intégralité des indemnités journalières de sécurité sociale qui sont dues à Monsieur [Y] [M],

- dit que la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES a dissimulé des heures de travail de Monsieur [Y] [M],

- condamné la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES à verser les sommes suivantes à Monsieur [Y] [M] :

- 76 euros net à titre de reliquat d'indemnités de déplacement,

- 282,26 euros net à titre de restitution des indemnités journalières de sécurité sociale,

- 10 894,20 euros net à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- condamné la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES à verser à Monsieur [Y] [M] la somme de 400 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné à la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES de remettre à Monsieur [Y] [M], sous astreinte de 50 euros par jour de retard, les bulletins de salaires des mois de novembre 2018 et janvier 2019 rectifiés, une attestation Pôle Emploi rectifiée, dans le délai de 15 jours suivant la notification du jugement,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, au titre des dispositions de l'article R 1454-28 du code du travail,

- condamné la société TRANSPORTS TISSELIN FRERES aux entiers frais et dépens, y compris l'intégralité des frais, émolument et honoraires liés à une éventuelle exécution du jugement par voie d'huissier

- débouté la société TISSELIN TRANSPORT de sa demande de remboursement d'indû ;

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau dans ces limites,

Condamne M. [Y] [M] à payer à la société TRANSPORTS TISSELIN 784,26 euros (sept cent quatre vingt quatre euros et vingt six centimes) en remboursement d'indus de salaire ;

Déclare irrecevable la demande de M. [Y] [M] au titre d'indemnités de déplacement ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne M. [Y] [M] aux dépens de première instance ;

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [Y] [M] aux dépens d'appel.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Clara TRICHOT-BURTE, Greffier.

LE GREFFIERLE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en treize pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 21/00484
Date de la décision : 23/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-23;21.00484 ?
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