RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2022 DU 23 MAI 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00796 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EXXR
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,
R.G.n° 16/02098, en date du 23 novembre 2020,
APPELANTE :
Madame [F] [C]
domiciliée 50 rue des Noyers - 54600 VILLERS LES NANCY
Représentée par Me Maxime JOFFROY, substitué par Me Clotilde LIPP de la SCP JOFFROY LITAIZE LIPP, avocats au barreau de NANCY
INTIMÉS :
Monsieur [O] [U]
Médecin
domicilié 30 rue de la Primatiale - 54000 NANCY
Représenté par Me Corinne AUBRUN-FRANCOIS de la SCP AUBRUN-FRANCOIS AUBRY, avocat au barreau de NANCY
Caisse CAMIEG, en sa qualité d'organisme social de Madame [F] [C], pris en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié 38 rue des cinq piquets - 54000 NANCY
Non représentée, bien que la déclaration d'appel et les conclusions de l'appelante lui aient été régulièrement signifiées par acte de Me [B] [J], Huissier de justice à NANCY, en date du 27 mai 2021 (dépôt étude)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 Mars 2022, en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,
Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,
Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, chargée du rapport,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2022, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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ARRÊT : défaut, rendu par mise à disposition publique au greffe le 23 Mai 2022, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [V] [X], chirurgien-dentiste, a dispensé des soins dentaires à Madame [F] [C] entre avril 2001 et janvier 2007. De 2007 au 2 avril 2014, elle a consulté un autre chirurgien-dentiste, Monsieur [O] [U].
Monsieur [P] [I], médecin, a été désigné pour réaliser une expertise judiciaire de la prise en charge par Monsieur [V] [X] et a déposé son rapport le 16 octobre 2009.
Par jugement du 6 décembre 2010, le tribunal de grande instance de Nancy a retenu la responsabilité de Monsieur [V] [X] du préjudice subi par Madame [C] suite au traitement des dents 13 à 17, 12, 21, 22 36, 37, 46 et 47.
Par ordonnance du 11 octobre 2011, le dossier a été renvoyé à l'expert judiciaire, lequel a exposé dans son rapport du 22 mai 2012 qu'elle n'était toujours pas consolidée et constaté que les travaux dentaires devaient être repris par le nouveau chirurgien-dentiste de Madame [C], Monsieur [O] [U].
Le 3 janvier 2013, Monsieur [I] a déposé son rapport d'expertise et, par jugement du 3 février 2014, le tribunal de grande instance de Nancy a fixé l'indemnisation du préjudice dont Monsieur [V] [X] est responsable à 31725 euros.
Madame [C] contestant par la suite la qualité des soins dispensés par Monsieur [U], par ordonnance de référé du 17 mars 2015, elle a saisi le juge des référé du tribunal de grande instance de Nancy qui a ordonné une expertise et a condamné Monsieur [U] à lui verser une provision de 2000 euros.
Le 5 avril 2016, Monsieur [E] a déposé son rapport d'expertise.
Par actes du 1er juin 2016, Madame [C] a fait assigner Monsieur [U] et la caisse CAMIEG devant le tribunal de grande instance devenu le tribunal judiciaire de Nancy aux fins notamment de voir condamner Monsieur [U] à l'indemniser de ses préjudices.
Par jugement du 20 mars 2017, le tribunal de grande instance de Nancy a débouté Madame [C] de sa demande d'indemnisation pour manquement de Monsieur [U] à son obligation d'information - en retenant qu'entretenant des relations amicales, le dentiste lui avait en amont prodigué de multiples conseils et que la patiente s'était montrée très insistante pour qu'il reprenne sa dentition et que celui-ci n'avait fait que suivre le plan de soin préconisé par le Docteur [I] et dispensé des soins indispensables. Le tribunal n'a pas retenu la demande d'indemnisation pour rupture du contrat de soin par le dentiste en raison de problèmes récurrents dans le règlement des honoraires et du 'nomadisme' de Madame [C] qui consultait en parallèle d'autres professionnels.
En revanche, le tribunal a retenu la responsabilité de Monsieur [U] pour la réalisation de travaux prothétiques non conformes aux règles de l'art :
- désordre affectant le maxillaire présentant une prothèse complète implanto-portée insuffisamment ajustée, dont l'armature du bridge est insuffisamment scellée, ce qui provoque un déséquilibre occlusal du côté droit,
- désordre affectant la mandibule : couronnes implanto-portées du côté droit 45 et 46 présentant une péri-implantite, c'est-à-dire une inflammation de la muqueuse autour de l'implant,
pour lesquels l'expert préconisait la dépose du bridge et la réalisation d'une prothèse provisoire et d'un nouveau bridge de 12 dents pour un coût de 12520 euros et le dépôt de la couronne existante sur la dent 45 pour reprendre un traitement prothétique complet après traitement de l'inflammation pour un coût de 2100 euros.
Le tribunal a accordé à Madame [F] [C] une nouvelle provision de 14620 euros, a sursis sur l'indemnisation de ses préjudices en l'absence de consolidation, lui a alloué 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et a renvoyé l'affaire à la mise en état, la décision étant déclarée commune et opposable à la caisse CAMIEG.
Par ordonnance sur incident du 16 mai 2018, le juge de la mise en état a notamment rejeté la demande de provision complémentaire et ordonné une expertise médicale complémentaire confiée à Monsieur [E].
Par acte du 6 juin 2018, Madame [C] a fait assigner la caisse CAMIEG aux fins notamment de déclaration commun et opposable à la caisse le jugement à venir.
Par ordonnance du 10 juillet 2018, Monsieur [R], médecin, a été nommé aux lieu et place du Docteur [E], à la demande de ce dernier, et a été lui-même remplacé, à sa demande, par Monsieur [G] [L], par ordonnance du 24 juillet 2018.
Le rapport d'expertise a été reçu au greffe le 22 février 2019.
Rappelant que la responsabilité de dentiste est établie pour l'implantation non conforme d'une prothèse et un implant sur la dent 45 présentant une péri-implantite, il présente les conclusions suivantes :
- les dépenses de santé actuelles pour la réfection d'un bridge compte maxillaire et un bridge 46-44 s'élèvent à la somme de 15815,98 euros, le relevé de prestations de l'organisme social étant à fournir à la juridiction,
- consolidation le 28 novembre 2018,
- déficit fonctionnel temporaire évalué à un niveau de 1/7 du 23 mai 2012 au 28 novembre 2018,
- souffrances endurées évaluées à 2/7,
- déficit fonctionnel permanent : 0,41 %.
Par jugement contradictoire du 23 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Nancy a :
- fixé l'indemnisation des préjudices de Madame [C] aux montants suivants :
- dépenses de santé actuelles : 0 euros
- déficit fonctionnel temporaire : 8571,60 euros
- déficit fonctionnel permanent : 500 euros
- souffrances endurées (avant consolidation) : 6000 euros
soit un montant total de 15071,60 euros,
- rappelé que le Docteur [U] a été condamné aux dépens de l'instance par jugement du 20 mars 2017 et dit que ces dépens incluent les frais d'assignation du 6 juin 2018 (69,75 euros),
- rappelé que le Docteur [U] a été condamné aux dépens de l'instance ayant donné lieu à l'ordonnance de référé du 17 mars 2015, et dit que ces dépens incluent les frais de l'expertise ordonnée (1200 euros),
- débouté Madame [C] du surplus de ses demandes,
- déclaré le jugement commun et opposable à la CAMIEG,
- dit que le jugement est exécutoire par provision.
* Pour évaluer les dépenses de santé actuelles, le tribunal a relevé que plusieurs factures étaient litigieuses :
- la première facture de 2387,38 euros est relative aux dents 35-36-37 n'ont pas fait l'objet de travaux dommageables de la part du docteur [U] et n'ont pas été prises en compte dans le jugement du 20 mars 2017, de telle sorte que sa responsabilité n'est pas engagée pour ces dents. En outre, il a rappelé que Madame [C] a déjà reçu une indemnisation pour ces dents,
soins parodontaux
- la deuxième série comprend des factures de 1577,04 euros et de 208,92 euros relatives à des soins parodontaux de juin 2014 à janvier 2018 et une facture du 21 novembre 2018, le tribunal a relevé que l'expert a conclu que la maladie parodontale dont souffre Madame [C] est sans rapport avec la responsabilité du Docteur [U] et a exclu en conséquence leur prise en charge,
soins prothétiques
- la facture du 28 février 2018 de 450 euros a été scindée par l'expert, 300 euros rentrant dans le périmètre de la responsabilité et 150 euros pour l'amputation et/ou séparation corono-radiculaire étant à exclure comme sans rapport. Le dentiste qui a émis cette facture ayant expliqué qu'après avoir tenté en vain de déposer un bridge transitoire 45-46, il a été contraint de sectionner l'élément prothétique 45, le tribunal a décidé d'inclure cette somme dans l'indemnisation puisque l'expert alloue un déficit fonctionnel permanent du fait de la perte de l'implant 45,
- pour les factures des 6 mars et 27 novembre 2018, en l'absence de preuve concernant une allergie à certains matériaux justifiant le recours impératif à l'or, le tribunal a considéré qu'il fallait exclure les montants relatifs à l'utilisation de ce métal.
Néanmoins, en l'absence de détail des remboursements réalisés par les tiers-payeur, le tribunal a décidé de débouter Madame [F] [C] de sa demande.
* Le tribunal a indemnisé le déficit fonctionnel temporaire en retenant une incapacité temporaire d'un taux de 15 %, indemnisée sur la base d'indemnisation de 24 euros le jour de déficit fonctionnel temporaire total (soit 24 euros x 0,15 x 2381 jours).
* Concernant les souffrances endurées, le tribunal a retenu que l'expert ne les caractérisait pas spécialement et a tenu compte des certificats du docteur [A] qui indiquait qu'elle présentait des douleurs pouvant l'empêcher de mastiquer et qui devaient être soulagées par du paracétamol.
* le tribunal a homologué l'accord des parties pour une indemnisation de 500 euros au titre du déficit fonctionnel permanent.
Le tribunal a relevé que la provision versée de 16620 euros est supérieure à la somme allouée de 15071,60 euros mais a précisé que Monsieur [U] ne sollicite pas le remboursement du trop-perçu.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 26 mars 2021, Madame [C] a relevé appel de ce jugement.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 30 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [C] demande à la cour de :
- dire et juger recevable et bien fondé son appel,
- confirmer le jugement rendu le 23 novembre 2020 sous le numéro de RG 16/02098 par le tribunal judiciaire de Nancy en ce qu'il a fixé à 500 euros l'indemnité due au titre du déficit fonctionnel permanent, à 6000 euros l'indemnité due au titre des souffrances endurées et condamné le Docteur [U] aux dépens de première instance comprenant les frais d'expertise judiciaire arrêtés par ordonnance du 17 mars 2015,
- infirmer pour le surplus le jugement rendu 1e 23 novembre 2020 sous le numéro de RG 16/02098 par le tribunal judiciaire de Nancy,
Statuant à nouveau et à titre principal,
- condamner Monsieur [U] à lui régler une indemnité de 21270,45 euros au titre des dépenses de santé actuelles dont à déduire les provisions représentant un total de 16620 euros,
A titre subsidiaire,
- condamner Monsieur [U] à lui régler une indemnité de 15546,50 euros au titre des dépenses de santé actuelles dont à déduire les provisions représentant un total de 16620 euros,
En tout état de cause.
- condamner Monsieur [U] à lui régler les indemnités suivantes :
- 9643,05 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
- 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance,
- 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
- débouter Monsieur [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples et contraires,
- déclarer commun et opposable à la CAMIEG l'arrêt à venir,
- condamner Monsieur [U] aux entiers dépens de l'instance d'appel, en ce compris les frais correspondant à la signification des conclusions d'appel à la CAMIEG et à la sommation de communiquée délivrée le 27 mai 2021 (soit 138,42 euros).
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 2 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [U] demande à la cour de :
- recevoir Madame [C] en son appel mais la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions qui seraient contraires aux présentes ;
- recevoir son appel incident et y faire droit ;
Dès lors,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de l'indemnité au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
Statuant à nouveau de ce seul chef ;
- réformer la décision entreprise ;
- fixer à 10% le taux du déficit fonctionnel temporaire ;
- fixer l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire à la somme de 5714,40 euros.
Vu les articles 70 et 564 du code de procédure civile ;
Vu la provision de 16620 euros au titre de l'indemnité provisionnelle et celle de 2500 euros au titre des frais irrépétibles, d'ores et déjà perçues ;
- ordonner la compensation judiciaire des sommes dues entre les parties,
- condamner la CAMIEG aux entiers dépens.
Bien que régulièrement informée de la déclaration d'appel qui lui a été signifiée le 27 mai 2021 et des conclusions des parties, la CAMIEG n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 1er mars 2022.
L'audience de plaidoirie a été fixée le 14 mars 2022 et le délibéré au 23 mai 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
Vu les dernières conclusions déposées par Madame [F] [C] le 30 décembre 2021 et par Monsieur [O] [U] le 2 février 2022 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;
Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 1er mars 2022 ;
* Sur l'obligation de réparation de Monsieur [O] [U]
Sur l'étendue de la responsabilité de Monsieur [O] [U]
L'article L1142-11 du code de la santé publique dispose que 'Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'acte de prévention, de diagnostic ou de soin qu'en cas de faute'.
Enfin l'article 9 du code de procédure civile dispose qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de ses prétentions.
Le rapport d'expertise du Docteur [E] du 5 avril 2016 a retenu que les soins prothétiques dispensés par Monsieur [O] [U] n'étaient pas conformes aux règles de l'art à deux niveaux :
- au maxillaire : la prothèse n'est pas correctement ajustée, provoquant un déséquilibre occusal et l'armature du bridge n'est pas parfaitement scellée d'un côté. Il convenait de procéder à la dépose du bridge et à la réalisation d'une prothèse provisoire, puis pose d'un nouveau bridge, ce qui pourrait éventuellement nécessiter une greffe osseuse,
- à la mandibule : les couronnes implanto-portées en 45 et 46 présentent une périimplantite (inflammation des muqueuses autours de l'implant). Il convenait de déposer la couronne en 45, de traiter la périimplantite et de reprendre le traitement prothétique complet ; l'implant serait ou non à retirer en fonction de son état.
Par jugement mixte du 20 mars 2017, non contesté et disposant donc de l'autorité de la chose jugée, le tribunal de grande instance de Nancy a :
- débouté Madame [F] [C] de sa demande au titre d'un prétendu manquement au devoir d'information,
- débouté Madame [F] [C] de sa demande d'indemnisation au titre de la rupture fautive de prise en charge imputée à Monsieur [O] [U],
- retenu la responsabilité de Monsieur [O] [U] pour la réalisation de traitements prothétiques non conformes, correspondant aux désordres relevés par l'expert qui viennent d'être détaillés,
- condamné Monsieur [O] [U] à verser une provision complémentaire de 14620 euros à Madame [F] [C], correspondant au coût des soins préconisés par l'expert (une première provision de 2000 euros ayant été allouée en référé),
- sursis à statuer sur son indemnisation dans l'attente de sa consolidation.
La responsabilité de Monsieur [O] [U] à l'égard de Madame [F] [C] est donc définitivement engagée pour les manquements relevés dans le rapport d'expertise.
Sur les préjudices
Madame [F] [C] a, suite à la réalisation de soins dentaires de reprise, été à nouveau examinée dans le cadre d'une expertise ordonnée par le juge de la mise en état le 16 mai 2018.
Le rapport du Docteur [L] présente les conclusions suivantes :
- dépenses de santé actuelles : seules les dépenses relatives à la confection d'un bridge complet maxillaire et un bridge 46-44 sont imputables, les sommes facturées se sont élevées à 15815,98 euros dont il conviendra de déduire les remboursements des tiers payeurs, les autres factures présentées étant sans lien avec les fautes de Monsieur [O] [U],
- consolidation au 28 novembre 2018,
- déficit fonctionnel temporaire : 1 sur 7, du 23 mai 2012 au 28 novembre 2018,
- souffrances endurées : 2 sur 7,
- déficit fonctionnel permanent : 0,41 %
I - Sur le préjudice corporel dit patrimonial soumis à recours des tiers payeurs poste par poste
Les parties ne contestent pas les montants arbitrés au titre du déficit fonctionnel permanent et des souffrances endurées ; le jugement est donc définitif sur ces postes.
1°) avant consolidation :
Sur les dépenses de santé actuelles (frais médicaux, pharmaceutiques, de transport et d'hospitalisation...) :
Le jugement a retenu l'existence de dépenses de santé actuelles, limitées à la facture de 450 euros du 28 février 2018 et à la somme de 150 euros résultant de la facture du 6 mars 2008, outre les 15856,98 euros de factures retenues par l'expert ; il a néanmoins exclu toute indemnisation au motif que Madame [F] [C] ne justifiait pas des remboursements des tiers payeurs.
En application des dispositions de la loi du 5 juillet 1985 n°85-877, les tiers payeurs qui servent des prestations énumérées à l'article 29 de cette loi bénéficient d'un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation. Pour permettre à la juridiction de ventiler les sommes accordées en réparation de chaque poste de préjudice entre la victime directe et les tiers payeurs qui font le choix de ne pas intervenir à la procédure, l'article 15 du décret n°86-15 pris en application de ladite loi oblige ces derniers à indiquer au président de la juridiction saisie, le décompte des prestations versées à la victime et celles qu'ils envisagent de lui servir.
La défaillance du tiers-payeur à chiffrer et faire connaître ses débours ne saurait dès lors préjudicier à la victime : le responsable doit indemniser le préjudice, qui résulte pour ce poste des factures de soins dentaires de reprise des soins non conformes dispensés antérieurement et la somme ainsi définie doit ensuite être répartie entre Madame [F] [C] et le tiers payeur dans la limite des débours précisés par celui-ci. Si le tribunal ne s'estime pas en mesure de statuer, il doit ordonner un sursis à statuer et non prononcer un débouté.
En l'espèce, la CAMIEG a été assignée en première instance et à hauteur d'appel pour lui permettre d'exercer son recours subrogatoire mais elle n'a pas constitué et n'a pas fait connaître aux juridictions le montant de ses débours, en contravention avec ses obligations. Suite à la relance de Madame [F] [C], la caisse a chiffré le 15 septembre 2021 ses débours à la somme de 1935,28 euros, relative à des soins et dépenses exposés entre juin 2014 et novembre 2018, en lien avec le litige l'opposant à Monsieur [O] [U] (pièce 39 appelante).
Monsieur [O] [U], qui se prévaut de la première décision et du raisonnement retenu par le magistrat, estime désormais que l'absence de précision de la CAMIEG dans le relevé désormais communiqué ne permet pas à la cour de faire droit aux demandes de Madame [F] [C] dont il sollicite le rejet.
Néanmoins, ainsi que cela a été rappelé, le coût des soins exposés en raison des manquements de Monsieur [O] [U] est dû par celui-ci en application du droit à réparation intégrale ; la répartition entre la victime directe et le tiers payeur de la somme arrêtée pour indemniser le préjudice n'a pas d'impact sur l'étendue de l'obligation à réparation du premier, qui n'est dès lors pas fondé à se prévaloir d'un problème de répartition qui serait à l'origine de l'imprécision des débours allégués par le tiers payeurs, sauf si le montant allégué excédait les sommes versées au dentiste pour reprendre les soins prothétiques non conformes, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Il sera admis des débours de la CAMIEG à hauteur de la somme qu'elle indique, étant précisé que l'expert a noté dans son rapport que les soins en cause ne donnaient pas lieu à remboursement par la caisse primaire d'assurance maladie.
L'expert a exclu certaines des factures présentées par Madame [F] [C] et a retenu des dépenses de santé actuelles en lien avec les fautes reprochées à Monsieur [O] [U] à hauteur de 15856,98 euros (sous réserve d'une erreur matérielle qui l'a fait mentionner en conclusion la somme de 15815,98 euros), somme qui n'est pas critiquée par les intimés.
Madame [F] [C] sollicite également le remboursement d'autres factures qu'elle a exposées :
- factures relatives aux dents 35-36-37 : Madame [F] [C] rappelle que Monsieur [O] [U] devait lui prodiguer des soins sur ces dents, afin de prendre les travaux non conformes effectués par le Docteur [X], mais qu'ils n'ont pas été réalisés. Il convient de rappeler que le plan de soin a été interrompu et que le jugement du 20 mars 2017, définitif sur ce point, a débouté Madame [F] [C] de ses demandes au motif qu'aucune rupture fautive n'était imputable à Monsieur [O] [U]. Le rapport [E] vise au titre de la mandibule des désordres affectant uniquement les dents 45 et 46 ; le rapport [L] précise que les dents 35-36-37 ne sont pas concernées par les opérations d'expertise (p.6). Dès lors, c'est à juste titre que le premier juge a exclu les factures litigieuses, qui concernent des soins sans rapport avec les manquements retenus contre Monsieur [O] [U] ;
- factures concernant les soins parodontaux : outre les manquements aux règles de l'art relevés à l'encontre de Monsieur [O] [U], Madame [F] [C] présente une maladie parodontale, laquelle n'est pas imputable à Monsieur [O] [U]. Néanmoins pour procéder au remplacement du bridge de 12 dents (16-15-14-13-12-11-21-22-23-24-25-26) rendu nécessaire du fait des manquements de Monsieur [O] [U], le dentiste qui lui a succédé a préalablement réalisé des soins pour tenir compte de la maladie parodontale. L'expert ne les a pas retenus au motif qu'ils concernaient le traitement de cette maladie. Pour autant, il n'a pas contesté l'argumentaire du Docteur [W] notant que certains de ces soins étaient indispensables pour réaliser le travail prothétique. Le principe de réparation intégrale ne permet pas de réduire l'indemnisation des soins préalables rendus nécessaires à la pose efficace d'un nouveau bridge pour tenir compte de l'état de bucco-dentaire de la patiente ; dans la mesure où ils ont été réalisés en l'espèce pour pourvoir au remplacement des prothèses dans de bonnes conditions et non en raison de l'existence de la maladie, Madame [F] [C] a le droit à être indemnisée des dépenses de cette nature.
En conséquence, il y a lieu de prendre en compte les factures de traitement de la maladie parodontale indispensables aux travaux prothétiques, en l'espèce :
- la facture du 14 juin 2014 de 153 euros, justifiée par le Docteur [W] sans être contredit sur ce point par l'expert de la manière suivante : 'Il est impossible de conforter un travail prothétique quand il y a péri-implantite au risque de perdre les implants',
- la facture du 28 août 2014 de 230 euros, justifiée par le Docteur [W] sans être contredit sur ce point par l'expert de la manière suivante : 'Sans assainissement parodontal et décontamination des surfaces implantaires, on n'aurait pas eu de cicatrisation et encore moins de fermetures de poches, ce qui aurait empêché tout travail prothétique ultérieur'.
En revanche, aucune observation utile n'est faite concernant les factures exclues par l'expert des 26 septembre 2014, 7 octobre 2014, 12 janvier 2016, 11 février 2016 (l'expert exposant clairement qu'il s'agit d'un bien occusal et articulaire sans rapport), 11 avril 2016 (mentionné par erreur 2014 dans le rapport d'expertise), 18 mai 2016, 15 mai 2017, 18 juillet 2017 et du 6 janvier 2018 - ces factures n'ayant fait soit l'objet d'aucune observation, soit d'observations écartées par l'expert démontrant clairement et sans être contredit utilement qu'il s'agit de soins sans rapport avec les fautes.
Il en va de même de la facture du 21 novembre 2018 relative à un détartrage et à un surfaçage radiculaire/suivi thérapeutique, soins qui ne trouvent pas leur origine dans les fautes reprochées à Monsieur [O] [U].
La comparaison faite avec les soins relatifs à la dent 45 est sans emport dès lors que Monsieur [O] [U] doit répondre de la périimplantite qui y est localisée.
Dès lors, Madame [F] [C] peut prétendre à 383 euros à ce titre pour les soins certes en lien avec sa maladie parodontale mais en l'occurrence rendus indispensables pour la réalisation de la reprise prothétique.
- trois factures de soins prothétiques partiellement retenues par l'expert :
* les intimés ne contestent pas le jugement qui n'a pas retenu l'exclusion opérée par l'expert de 150 euros sur la facture du 28 février 2018 ;
* le surplus des contestations est relatif à l'usage de l'or pour les prothèses mises en place ; l'expert a rappelé que les tests réalisés en 2016 ne montraient aucune allergie aux métaux, Madame [F] [C] ne rapporte pas une quelconque intolérance - le paracétamol qui lui a été prescrit n'étant pas indiqué dans ce genre de situation - et l'allergologue avait d'ailleurs relevé 'aucune sensibilisation aux métaux, ni aux produits courants utilisés en odontologie n'est retrouvée chez Madame [F] [C]' (le médecin ayant noté que la patiente avait présenté trois épisodes de fièvre et abcès à ses 16 ans, en 1975 et en 2006 et qu'elle avait toléré un bridge en zircon). Il avait été convenu en 2007 avec le Docteur [U] l'utilisation de différents métaux, dont de l'or, mais pas exclusivement et le devis détaillé ne faisait d'ailleurs pas mention d'or. L'expert a d'ailleurs relevé que neuf implants en titane réalisés par le docteur [U] étaient toujours en place sans difficulté. Dès lors, c'est à juste titre que l'expert a estimé que l'usage de l'or comme unique métal s'explique non par une contrainte médicale, mais par un souhait de Madame [F] [C] et le surcoût qui en est résulté n'est pas la conséquence des manquements reprochés à Monsieur [O] [U], qui n'est donc pas tenu d'en répondre.
Les dépenses de santé actuelles se composent donc des sommes suivantes :
-15856,98 euros
- 383 euros,
- 150 euros,
soit un total de 16389,98 euros.
Sur ce montant, 1935,28 euros reviendront à la Camieg et le surplus, soit 14454,70 euros, à Madame [F] [C].
Le jugement sera en conséquence infirmé.
II - Sur le préjudice non soumis à recours de l'organisme de sécurité sociale ou préjudice extra patrimonial :
1°) avant consolidation :
Sur le déficit fonctionnel temporaire (ou gêne dans l'accomplissement des actes de la vie courante) :
L'indemnisation au titre de l'incapacité temporaire totale a pour objet de réparer la gêne dans l'accomplissement des actes de la vie courante. Cette gêne est acquise du fait même de la nature de l'incapacité temporaire totale. Ce poste est dénommé dans le cadre de la nomenclature Dintilhac déficit fonctionnel temporaire.
Il ressort des pièces aux débats que les prothèses litigieuses ont été posées au courant de l'année 2012 (date de début du déficit fonctionnel temporaire au 23 mai 2012 selon l'expert [E]). Le rapport d'expertise [L] précise que l'état de Madame [F] [C] est consolidé au 28 novembre 2018, les deux experts retenant un taux d'invalidité de 1/7 sur la totalité de la période.
Le choix de l'échelle pour apprécier un déficit fonctionnel temporaire partiel reste à la libre disposition des juridictions et il n'y a pas lieu en l'espèce de substituer un taux de 10 %, le taux retenu par les experts correspondant aux faits de la cause.
Le Tribunal a justement apprécié la réalité du préjudice subi en retenant un taux d'indemnisation de 3,6 euros par jour, soit une somme totale de 8571,60 euros pour 2381 jours concernés. Le jugement sera en conséquence confirmé.
III - Comptes entre les parties :
L'indemnisation du préjudice subi par Madame [F] [C] en raison des manquements de Monsieur [O] [U] se décompose donc comme suit :
* dépenses de santé actuelles : 16389,98, dont 14454,70 euros reviennent à Madame [F] [C] et 1935,28 euros à la CAMIEG,
* déficit fonctionnel temporaire : 8571,6 euros,
* souffrances endurées : 6000 euros (définitivement arrêté par le jugement du 23 novembre 2020),
* déficit fonctionnel permanent : 500 euros (définitivement arrêté par le jugement du 23 novembre 2020),
soit un total de 31461,58 euros à répartir à hauteur de 29526,30 euros entre Madame [F] [C] et 1935,28 euros pour la CAMIEG.
Madame [F] [C] ayant déjà perçu des provisions de 16620 euros, Monsieur [O] [U] sera condamné à lui verser 12906,30 euros.
** Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions du jugement sur les dépens rédigée dans les termes suivants ' rappelle que le docteur [O] [U] a été condamné aux dépens de l'instance par le jugement du 20 mars 2017 et dit que ces dépens incluent les frais de l'assignation du 6 juin 2018' ne sont pas contestées.
Il convient de laisser les dépens d'appel à la charge de Monsieur [O] [U], partie perdante.
S'agissant des frais irrépétibles de première instance, le premier juge a rappelé que 1000 euros avaient été alloués à Madame [F] [C] par le jugement mixte du 20 mars 2017, alors que ce jugement ne mettait pas fin à l'instance. Dès lors, ce montant ne pouvait que s'analyser comme une avance à ce titre (ce que Monsieur [O] [U] a d'ailleurs admis dans le dispositif de ses conclusions d'appel) et c'est par erreur que le premier juge a refusé la demande qui lui était présentée par Madame [F] [C].
Il convient d'allouer à Madame [F] [C] la somme complémentaire de 1500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance - en ce non compris les montants de 1000 euros accordés par le jugement mixte et de la condamnation allouée en référé le 17 mars 2015 indemnisant uniquement les frais exposés à l'occasion de cette instance.
Il convient également de condamner Monsieur [O] [U] à lui verser au titre des mêmes frais en appel une somme qu'il est équitable de fixer à 1500 euros.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut prononcé par mise à disposition au greffe,
Vu le jugement du 20 mars 2017,
Infirme le jugement rendu le 23 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Nancy en ce qu'il a fixé à 0 euros l'indemnisation des dépenses de santé actuelles et qu'il a débouté Madame [F] [C] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur le premier chef infirmé,
Fixe à 16389,98 euros (seize mille trois cent quatre-vingt-neuf euros et quatre-vingt-dix-huit centimes) l'indemnisation des dépenses de santé actuelles, revenant à hauteur de 1935,28 euros (mille neuf cent trente-cinq euros et vingt-huit centimes) à la CAMIEG et de 14454,70 euros (quatorze mille quatre cent cinquante-quatre euros et soixante-dix centimes) à Madame [F] [C],
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [O] [U] à verser à Madame [F] [C], en réparation des préjudices subis pour lesquels sa responsabilité a été définitivement retenue par le jugement du 20 mars 2017, la somme de 12906,30 euros (douze mille neuf cent six euros et trente centimes) compte-tenu des provisions de 16620 euros (seize mille six cent vingt euros) déjà versées,
Déclare le présent arrêt commun à la CAMIEG,
Constate que son droit à créance s'élève à 1935,28 euros (mille neuf cent trente-cinq euros et vingt-huit centimes),
Statuant à nouveau sur le second chef infirmé,
Condamne Monsieur [O] [U] à verser à Madame [F] [C], en complément des sommes déjà allouée par le jugement du 20 mars 2017, la somme de 1500 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [O] [U] aux dépens d'appel,
Condamne Monsieur [O] [U] à payer à Madame [F] [C] 1500 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-
Minute en quatorze pages.