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19/05/2022 | FRANCE | N°21/01779

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 19 mai 2022, 21/01779


ARRÊT N° /2022

PH



DU 19 MAI 2022



N° RG 21/01779 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EZ2Q







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EPINAL

19/00178

07 juin 2021











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANTE :



S.A.S.U. SOCIETE INDUSTRIELLE DE TRANSFORMAT

ION DE PRODUITS AGRICOLES (SITPA) Agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean D'ALEMAN substitué par Me Grégoire DE COURSON de la SELAFA B.R.L. Avocats, avocats au barreau de PARIS







INTIMÉE :



M...

ARRÊT N° /2022

PH

DU 19 MAI 2022

N° RG 21/01779 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EZ2Q

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EPINAL

19/00178

07 juin 2021

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANTE :

S.A.S.U. SOCIETE INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES (SITPA) Agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean D'ALEMAN substitué par Me Grégoire DE COURSON de la SELAFA B.R.L. Avocats, avocats au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Madame [D] [T] Epouse [K]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Catherine FAIVRE de la SCP DESCHAMPS-FAIVRE, substituée par Me LEMELLE, avocates au barreau d'EPINAL

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président :WEISSMANN Raphaël,

Conseiller : STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats :RIVORY Laurène

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 24 mars 2022 tenue par Raphaël WEISSMANN, Président, et Stéphane STANEK , conseiller, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en ont rendu compte à la Cour composée de Raphaël WEISSMANN, président, Stéphane STANEK et Anne-Sophie WILLM, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 19 mai 2022;

Le 19 mai 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Mme [D] [K] a été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée et à temps partiel par la société SITPA à compter du 1er octobre 2001 en qualité d'employée administrative.

Son horaire hebdomadaire de travail est passé à 35 heures pour la période du 1er octobre 2001 au 28 février 2002 selon avenant du 1er octobre 2001.

Le contrat a été transformé en contrat à durée indéterminée à temps plein à compter du 1er mars 2002 selon avenant du 1er mars 2002.

Par lettre du 17 septembre 2018, Mme [D] [K] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 26 septembre 2018, avec mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 2 octobre 2018, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse, avec dispense d'exécuter le préavis.

Par requête du 1er octobre 2019, Mme [D] [K] a saisi le conseil de prud'hommes d'Epinal aux fins de contestation du licenciement.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal rendu le 7 juin 2021, lequel a :

- dit et jugé que le licenciement de Mme [D] [K] par la société SASU SITPA ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

- condamné la société SASU SITPA à payer à Mme [D] [K] les sommes suivantes :

. 39 886 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 5 000 euros au titre de l'indemnité pour dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'adaptation,

. 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [D] [K] au titre de l'indemnité pour dommages et intérêts au titre du licenciement brutal/vexatoire,

- rappelé qu'en application des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, la décision est de droit exécutoire à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire pour les sommes visées à l'article R.1454-14 du code du travail, calculés sur la moyenne des trois derniers mois fixée à 2 849 euros,

- débouté la SASU SITPA de l'intégralité de ses demandes,

- condamné la SASU SITPA aux entiers frais et aux dépens.

Vu l'appel formé par la société SITPA le 12 juillet 2021 ;

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions de déposées par la société SITPA sur le RPVA le 11 octobre 2021 et celles de Mme [D] [K] déposées sur le RPVA le 6 janvier 2022 ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 9 mars 2022 ;

La société SITPA demande :

- d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Epinal du 7 juin 2021 en ce qu'il:

. a dit le licenciement de Mme [D] [K] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

. l'a condamnée à payer à Mme [D] [K] les sommes suivantes :

. 39 886 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 5 000 euros au titre de l'indemnité pour dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'adaptation,

. 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

. frais et dépens,

. a rappelé qu'en application des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, la décision était de droit exécutoire à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire pour les sommes visées à l'article R.1454-14 du code du travail, calculés sur la moyenne des trois derniers mois fixée à 2 849 euros,

. a débouté la SASU SITPA de l'intégralité de ses demandes,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [D] [K] au titre de l'indemnité pour dommages et intérêts au titre du licenciement brutal/vexatoire,

Statuant de nouveau :

- la déclarer recevable et bien fondée en ses écritures,

En conséquence :

- à titre principal,

. juger que le licenciement de Mme [D] [K] repose sur une cause réelle et sérieuse,

. juger que Mme [D] [K] ne démontre aucun préjudice distinct,

. débouter Mme [D] [K] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- à titre subsidiaire,

. juger que Mme [D] [K] ne démontre pas l'existence de son préjudice,

. limiter la condamnation à de plus justes proportions,

- au surplus, condamner Mme [D] [K] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Mme [D] [K] demande de :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement prononcé le 2 octobre 2018 ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la SASU SITPA à lui verser les sommes suivantes :

. dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 39.886 euros

. dommages et intérêts manquement obligation d'adaptation : 5 000 euros

. article 700 du code de procédure civile, 1ère instance : 1 500 euros,

- l'infirmer pour le surplus,

Statuant de nouveau :

- condamner la SASU SITPA à lui verser :

. dommages et intérêts pour licenciement brutal/vexatoire : 2 500 euros

. article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour : 2 500 euros

- condamner l'employeur à rembourser à Pôle emploi tout ou partie des indemnités de chômage versées, conformément aux dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail,

- débouter la SASU SITPA de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner le défendeur aux éventuels dépens de l'instance.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures qu'elles ont déposées sur le RPVA, s'agissant de la société SITPA le 11 octobre 2021 et s'agissant de celles de Mme [D] [K] le 6 janvier 2022.

I. Sur le licenciement

La lettre de licenciement, fixant les limites du litige, est ainsi rédigée :

« Lors de cet entretien, au cours duquel vous vous êtes présentée assistée de Monsieur [X] [O], secrétaire du Comité d'Etablissement, vous avez été reçue par Madame [F] [W], Responsable qualité et moi-même. Durant cet entretien, vous avez reconnu la plupart des faits reprochés.

Toutefois votre absence d'explications cohérentes et votre comportement n'ont pas permis de modifier notre appréciation de la situation. En effet, nous avons eu à déplorer de votre part les agissements suivants :

Le 31 août 2018, alors que vous réalisiez les mesures de PH sur les variétés acides :

- Vous avez demandé, vers 11 heures, de l'aide à Madame [N] [E], technicienne instrumentation métrologie car vous ne trouviez pas la bonne valeur de PH. Madame [N] [E] a passé 30 minutes à vous expliquer à nouveau la procédure et l'impérieuse nécessité d'entretenir l'électrode. Madame [N] [E] vous a aidée à nettoyer et rincer l'électrode ainsi qu'à changer toutes les solutions par des neuves. A la suite de quoi, un nouveau test PH a été réalisé et celui-ci a bien indiqué la valeur recherchée.

Malgré cela, Madame [N] [E] est repassée à 13H00 après sa pause déjeuner et a constaté une électrode extrêmement sale, une solution de stockage (censée être transparente) qui était polluée et les solutions tampons qui trairaient sans avoir été jetées.

Votre comportement n'est pas admissible alors même que :

- Vous avez reçu la formation délivrée habituellement pour effectuer les tests pH par Madame [J] [M], assistante laboratoire les 27, 28 et 29 août,

- En parallèle, vous avez reçu une semaine d'accompagnement et de mise en pratique les 27,28, 29, 30 et 31 août,

- Votre collègue, Madame [N] [E] venait de vous montrer, à peine 1 heure avant et à nouveau, l'importance de prendre soin du matériel afin de fiabiliser les résultats, sans que ne vous preniez en compte ses remarques.

Nous constatons vos négligences quant au travail à effectuer, ce qui n'est pas tolérable. De plus, vos manquements ont un réel impact sur le matériel de l'entreprise car l'électrode n'est pas entretenue correctement et risque d'être changée très souvent en cas de mauvais entretien.

Pire encore, malgré des résultats PH non corrects, vous avez validé des valeurs non conformes.

Pour mémoire, ces tests sont essentiels afin de garantir la sécurité alimentaire de nos produits envers nos consommateurs que sont les bébés.

En outre, les 05 et 06 septembre 2013, alors que l'étalonnage est non conforme, vous ne prenez pas la peine de signaler le problème et vous validez les essais. Ceci remet en cause tous les résultats des analyses réalisées ces jours-là.

Ceci n'est pas acceptable car une fois de plus, vous avez fait courir un risque quant à la fiabilité de nos produits, risque qui peut, en cas d'incident grave, se répercuter sur l'image de l'entreprise.

Par ailleurs, le 07 septembre 2018, malgré plus de 15 jours passés à effectuer des tests pH, vous n'avez pas été au niveau de performance attendue. Pour mémoire, ces tests sont réalisés à certains moments, par des opérateurs de production ou des intérimaires sans aucune qualification en laboratoire. La mesure du pH est une tâche simple mais essentielle qui ne nécessite pas de compétences particulières. De plus, une procédure bien détaillée est disponible à côté des outils de mesures du pli. Or, nous avons constaté que vous ne délivrez que la moitié de la performance attendue, ce qui a une répercussion sur vos collègues qui attendent les produits et un impact sur l'ensemble des analyses.

De plus, malgré une faible performance, plusieurs fautes ont pu être constatées ce jour-là :

- Lors du tri pour donner les échantillons à l'analyste bactériologie, de nombreuses erreurs de tris ont été constatées par Madame [I] [Y] laborantine, qui a dû passer du temps à retrier les pots,

- Le matin même, votre responsable [G] [A], vous a clairement demandé de ne pas faire de photocopie des feuilles de résultats qui sont remises à [S] [H] afin d'éviter les doublons et par la même, les erreurs. L'après-midi, Madame [S] [H], s'est retrouvée avec deux feuilles dont une copie.

- Sur les 4 feuilles de résultats que vous rendez, la validation du pH témoin est non conforme, alors que vous les indiquiez conformes et que vous avez tout de même réalisé les analyses avec un appareil mai calibré. Il a fallu 2H30 de recherche par votre responsable [G] [A] ainsi que par Madame [S] [H] pour trouver l'erreur. L'impact est non négligeable, car plus de 300 000 pots ont dû être bloqués, mettant en rupture certains marchés et coutant des pénalités à l'entreprise. Pour mémoire, l'analyse du pli doit se faire après 8 jours d'incubation. Etant donné que le pH témoin a été validé alors qu'il n'était pas conforme, il remet en cause l'ensemble des analyses de pH sur ces produits. D'où la nécessité de recommencer les incubations ainsi que les mesures. L'entreprise ne pouvant pas faire courir le risque de mettre sur le marché des produits qui pourraient avoir un impact sur les bébés.

Il est navrant de constater que vous commettez des fautes graves pour l'entreprise alors même que vous ne délivrez pas la quantité de travail demandée :

- Vos collègues sont impactés et perdent énormément de temps du fait de vos erreurs.

-Vous n'écoutez pas les indications que vous donne votre responsable hiérarchique et commettez une insubordination qui a un impact sur le travail et vos collègues.

-Votre négligence caractérisée dans votre travail impacte l'entreprise financièrement et fait courir un risque sur l'image même de Nestlé.

Vous avez reconnu l'ensemble de ces faits lors de l'entretien préalable, sans toutefois que vos explications ne changent notre appréciation de la situation.

Le 10 septembre 2018, vous aviez deux variétés à analyser, mais une fois de plus, des incohérences sont apparues entre les résultats et les heures de pots notés. Il a fallu une heure à votre responsable et Madame [S] [H], afin de se rendre compte d'une nouvelle négligence car vous aviez mélangé deux variétés.

Le 11 septembre 2018, alors que vous étiez censé faire les analyses dès 09H00, vous n'avez démarré qu'à 11H00 à cause de problèmes de l'électrode. Vous avez perdu deux heures sans même alerter vos responsables hiérarchiques. A la suite de cela, [J] [M] qui vous a formée, est venue changer l'électrode puis est repartie et vous a laissé faire l'étalonnage (tâches que vous effectuez depuis plus de trois semaines). Les valeurs n'étaient pas conformes, pourtant quand [J] [M] est venue et a fait l'étalonnage, Il n'y a pas eu de problème. Ceci a, une nouvelle fois, impacté le travail de vos collègues qui ont dû faire le nécessaire à votre place.

Il est navrant de constater que malgré une formation adéquate, une procédure à disposition et de nombreux rappels, vous n'arriviez toujours pas à faire votre travail correctement. Pire, vous commettez des fautes qui ont un impact financier sur l'entreprise et ceci à cause de votre négligence. Sans la vigilance de vos collègues et de votre supérieure hiérarchique, des pots avec une acidité trop haute aurait pu se retrouver sur le marché.

Ces faits démontrent une négligence totale dans la réalisation de votre travail. Il est effarant de constater pour une aide laboratoire, que sur la tâche la plus simple de ce service, vous commettez tant de fautes.

La sécurité alimentaire de nos produits et la santé de nos consommateurs (des bébés) sont une priorité pour Nestlé et nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à faire courir un tel risque à l'entreprise.

Vous avez pourtant déjà été sanctionnée d'un avertissement sur la qualité de votre travail le 25 juillet 2016.

Vous n'avez jamais pris en compte les nombreuses remarques et avertissement, qui vous ont été faits.

Par ailleurs, vous n'êtes pas sans savoir que vos manquements ont provoqué des situations tout à fait inacceptables jusqu'à générer des risques sur l'image de la Société.

Nous ne sommes plus en mesure de tolérer un tel comportement tout à fait inacceptable qui ne manque pas de déstabiliser l'organisation de l'entreprise et les personnes qui sont amenées à devoir travailler avec vous.

Par conséquent, compte tenu des manquements qui vous sont reprochés, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Votre préavis d'une durée de deux mois, que nous vous dispensons d'effectuer, commencera à courir à compter de la date de première présentation de la présente, mais vous sera néanmoins payé aux échéances habituelles de paie' »

Il est ainsi reproché à Mme [D] [K] des négligences dans le travail effectué (électrode non entretenue correctement, solution de stockage polluée, solutions tampons non jetées, résultats pH incorrects, validation de valeurs non conformes, niveau de performance attendue non atteint, erreurs de tris, réalisation de photocopies de feuilles de résultats engendrant des doublons, insubordination), qui ont impacté financièrement l'entreprise et lui ont fait courir un risque sur son image, sur la sécurité alimentaire des produits et sur la santé des consommateurs, en l'occurrence des bébés.

La société SITPA rappelle qu'en dernier lieu, Mme [D] [K] occupait le poste d'assistante à 60% de son temps au laboratoire sur la partie « qualité », et à 40% au sein de l'infirmerie sur la partie « santé, sécurité, environnement ». Elle explique que suite à la réorganisation du laboratoire, elle s'est vue confier le contrôle des mesures pH auxquelles elle a été formée et fait l'objet d'un accompagnement de mise en pratique. Elle fait valoir que les résultats des mesures rendues par la salariée ont comporté de nombreuses erreurs empêchant la commercialisation des produits, et soutient que Mme [D] [K] a délibérément refusé d'exécuter correctement ses tâches. Elle ajoute que ces carences ont été la cause d'un report de charge de travail sur les autres collaborateurs et que la salariée n'a pas modifié son comportement malgré un avertissement de 2016.

Mme [D] [K] rétorque qu'elle a été affectée à la fonction de prise de pH fin août 2018 sans qu'un avenant ou une fiche de poste n'aient été régularisés, et sans qu'elle ait pu réellement bénéficier d'une formation et eu le temps de s'adapter à sa nouvelle tâche. Elle fait valoir que la collègue prétendument en charge de sa formation ne lui a pas communiqué les procédures à suivre au niveau de l'étalonnage, du calibrage et du nettoyage de l'appareil de mesure, de sorte qu'elle n'a pu exécuter ses missions correctement, ajoutant que la simple affirmation de ce que les salariés disposent d'un manuel détaillé ne saurait remplir l'obligation qui incombe à l'employeur de former et d'adapter le salarié à son poste. Elle indique en outre que l'employeur ne justifie ni des rappels qu'il invoque avoir effectués à son égard, ni des conséquences financières de ses erreurs sur l'entreprise, et rappelle que l'avertissement qui lui a été décerné en 2016 ne portait pas sur les mêmes faits. Elle mentionne n'avoir jamais refusé d'exécuter correctement son travail et fait notamment valoir que le temps d'adaptation qui lui a été laissé sur ce nouveau poste était insuffisant.

Motivation :

L'article L.1232-1 du code du travail subordonne la légalité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis, objectifs et matériellement vérifiables.

Par ailleurs, l'employeur, tenu d'exécuter de bonne foi le contrat de travail, assure l'adaptation du salarié à son poste de travail.

En l'espèce, il est constaté que dans leurs déclarations et témoignages, qu'aucun élément du dossier ne permet de remettre en cause, Mme [G] [A], responsable laboratoire, Mme [J] [M], technicien instrumentation métrologie, et Mme [S] [H], technicien conformité, confirment intégralement les faits qui sont exposés dans la lettre de licenciement à l'égard de Mme [D] [K] (pièces employeur N°5, 6, 18 et 23).

Il est également constaté qu'à l'exception de leurs incidences financières sur la société et de ce qu'il est soutenu qu'elle a refusé d'exécuter correctement son travail, Mme [D] [K] ne conteste pas les griefs qui lui sont reprochés.

Si Mme [D] [K] les explique notamment par le fait qu'elle ne pouvait exécuter ses missions correctement parce qu'elle ne disposait pas des procédures à suivre pour la réalisation de l'étalonnage, du calibrage et du nettoyage de l'appareil de mesure de pH, il est toutefois observé que cette affirmation est contredite par Mme [J] [M] qui atteste avoir remis à la salariée les documents permettant de connaître la procédure ainsi qu'un « pas à pas » détaillé des éléments clé.

Cependant, alors que pour l'ensemble des griefs reprochés l'employeur soutient, en réponse à Mme [D] [K] lorsqu'elle fait valoir qu'elle n'a pas disposé d'un temps d'adaptation et d'une formation suffisante à ses nouvelles fonctions, que celle-ci a fait l'objet d'un accompagnement intense sur les procédures au travers de plusieurs formations, il est remarqué que le seul document justificatif qui est produit à cet effet est la pièce N°24 qui retrace une formation Ph sur l'activité laboratoire qui a été dispensée à la salariée les 28 et 31 août 2018 (les initiales du formateur étant AN), puis du 3 au 7 septembre 2018 où il est inscrit que Mme [K] a pratiqué en autonomie et a été coachée (les initiales du coach étant AN), puis du 10 au 14 septembre 2018 où il est mentionné qu'un audit a été réalisé.

Or, il est constaté que ce document ne donne aucune indication sur les heures qui ont été réellement consacrées à cette formation, alors que la seule pièce qui est versée par l'employeur et qui permet d'avoir un éclairage sur ce point est le témoignage de Mme [J] [M] lorsqu'elle déclare avoir formé Mme [D] [K] durant une demi-journée au poste de sortie d'incubation pour la partie technique, et avoir été avec elle en doublon sur son poste durant une demi-journée, Mme [M] ajoutant que Mme [K] a par la suite, durant une semaine et demi, réalisé seule les analyses et disposé à cet effet de son support ou de celui des analystes laboratoires et de la technicienne métrologie (pièce employeur N°23).

Par ailleurs, il est observé qu'il n'est pas établi que les nouvelles tâches d'exécution qui ont été confiées à la salariée relevaient, comme le fait valoir l'employeur, de ses fonctions d'employée administrative (cf. les bulletins de salaire produits en pièce salariée N°7).

Enfin, il est remarqué que l'ensemble des griefs qui sont reprochés à la salariée sont tous en rapport avec ses nouvelles fonctions, et qu'ils se sont produits lorsque celle-ci se trouvait en période de formation, à savoir le 31 août 2018 et les 5, 6, 7, 10 et 11 septembre 2018.

Ainsi, ces éléments établissent que la salariée n'a pas bénéficié d'un temps suffisant pour se former spécifiquement et pour s'adapter à son nouveau poste.

L'employeur ne peut dès lors se prévaloir des erreurs commises par Mme [D] [K].

Le licenciement est en conséquence sans cause réelle et sérieuse, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point, et il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens développés par les parties se rapportant au caractère réel et sérieux du licenciement.

II. Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Mme [D] [K] fait valoir une ancienneté de 17 ans et 2 mois au moment du licenciement et soutient que la situation a eu des répercussions sur son état de santé. Elle renvoie à ce titre à sa pièce N°10 pour justifier d'entretiens avec un psychologue dès le lendemain de la notification de sa convocation à l'entretien préalable au licenciement. Elle ajoute n'avoir été indemnisée par Pôle emploi qu'à compter du 31 janvier 2019, avoir effectué des recherches d'emploi infructueuses et été contrainte de se reconvertir pour finalement retrouver un emploi à durée déterminée.

La société SITPA soutient que Mme [D] [K] ne justifie pas de l'ampleur du préjudice allégué, rappelant qu'elle a bénéficié de nombreuses formations de nature à garantir son employabilité. Elle demande que les prétentions de la salariée soient réduites au minimum de l'article L.1235-3 du code du travail, soit à 3 mois.

Motivation :

Aux termes des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans les tableaux intégrés à l'article, dont le second concerne les entreprises employant habituellement moins de 11 salariés.

En l'espèce, il est constaté que Mme [D] [K] justifie d'une prise en charge par le biais du dispositif d'écoute et de soutien psychologique mis en place par le cabinet QualiSocial pour la société Nestlé SITPA à la suite immédiate de la convocation à l'entretien préalable au licenciement (pièce N°10).

Elle justifie également de recherches d'emploi dès le début de l'année 2019, de formations qu'elle a réalisées dans le transport en commun sur route et dans le transport routier interurbain de voyageurs, ainsi que de la conclusion d'un contrat de travail à durée déterminée de 3 mois le 1er octobre 2021.

Compte tenu de l'ancienneté de la salariée au moment du licenciement, de son âge et des éléments qui précèdent, il sera fait droit à sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 39 886 euros, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

III. Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire

Mme [D] [K] fait valoir que la mise à pied conservatoire et le licenciement prononcé avec dispense d'exécution du préavis sont intervenus peu après son retour d'arrêt de travail pour burn-out. Elle indique qu'elle n'a jamais été avertie pour des faits similaires à ceux reprochés et soutient que les circonstances brutales et vexatoires de son licenciement sont constitutives d'un préjudice distinct.

La société SITPA fait valoir que Mme [D] [K] ne démontre pas le bienfondé de sa demande, sollicitant subsidiairement de limiter le montant de la condamnation à une somme symbolique.

Motivation :

Mme [D] [K] ne démontrant pas un comportement fautif de l'employeur qui lui aurait causé un préjudice distinct de celui découlant du licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle sera déboutée de sa demande, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

IV. Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'adaptation

Mme [D] [K] indique que n'ayant pas bénéficié d'un accompagnement et d'une adaptation suffisante à son poste, elle a subi un préjudice qu'il convient de réparer.

La société SITPA fait valoir que la salariée a bénéficié de formations au sein de l'entreprise qui lui ont permis de garantir son employabilité et l'adaptation à son poste. Elle soutient en outre que les mesures de pH ne relevaient pas d'une formation spécifique et que Mme [K] ne démontre pas l'ampleur de son préjudice.

Motivation :

Il résulte des éléments qui précèdent que si Mme [D] [K] a commis des manquements à l'origine de son licenciement, c'est parce que l'employeur ne lui a notamment pas laissé suffisamment le temps de se former spécifiquement à sa nouvelle fonction pour lui permettre ensuite de s'adapter à son nouveau poste.

Il est également remarqué que la dernière formation qui a été suivie par la salariée de nature à garantir son adaptation à son poste, ainsi que l'employeur le mentionne sans ses conclusions et en justifie par sa pièce N°21, s'est déroulée en mai 2015. Cette formation était relative à la dégustation de produits finis et mi-finis-recyclage, soit une matière qui est sans rapport avec la nouvelle fonction attribuée à la salariée en août 2018.

Mme [D] [K] n'ayant pu bénéficier d'une formation complète à sa nouvelle fonction, le manquement de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail est établi et entraîne un préjudice distinct de celui résultant de la rupture.

Il sera en conséquence fait droit à la demande de dommages et intérêts de Mme [D] [K], le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

V. Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens

La société SITPA sera condamnée à payer à Mme [D] [K] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles et elle sera déboutée de sa demande formée à ce titre.

La société SITPA sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal du 7 juin 2021 en toutes ses dispositions ;

Y AJOUTANT

Condamne la société SITPA à payer à Mme [D] [K] la somme de 2 500 euros (deux mille cinq cents euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société SITPA aux entiers dépens de l'instance ;

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIERLE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en douze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 21/01779
Date de la décision : 19/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-19;21.01779 ?
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