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06/05/2022 | FRANCE | N°21/01668

France | France, Cour d'appel de Nancy, Première présidence, 06 mai 2022, 21/01668


COUR D'APPEL DE NANCY

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Requête en indemnisation à raison

d'une détention provisoire

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N° RG 21/01668 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EZTJ

Minute : 3/2022

du 06 Mai 2022



REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



A l'audience du 01 Avril 2022, présidée par Monsieur Marc JEAN-TALON, Premier Président de la Cour d'Appel de NANCY, assisté de Madame Céline PAPEGAY, greffier et statuant sur la requête enregistrée au secrétariat de

la Première Présidence le 01er juillet 2021 sous le numéro RG 21/01668 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EZTJ, conformément aux dispositions...

COUR D'APPEL DE NANCY

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Requête en indemnisation à raison

d'une détention provisoire

--------------------------------------

N° RG 21/01668 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EZTJ

Minute : 3/2022

du 06 Mai 2022

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

A l'audience du 01 Avril 2022, présidée par Monsieur Marc JEAN-TALON, Premier Président de la Cour d'Appel de NANCY, assisté de Madame Céline PAPEGAY, greffier et statuant sur la requête enregistrée au secrétariat de la Première Présidence le 01er juillet 2021 sous le numéro RG 21/01668 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EZTJ, conformément aux dispositions de l'article 149-2 du Code de Procédure Pénale et formée par :

M. [S] [N] [W]

né le [Date naissance 2] 1992 à [Localité 6] (54)

de nationalité française

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Maître Maître Guillaume ROYER subsitué par Me Marie FEIVET, avocats au barreau de Nancy

L'agent judiciaire de l'État étant représenté par Maître François JAQUET, membre de la SCP TERTIO AVOCATS, avocat au barreau de NANCY,

Le ministère public étant représenté aux débats par Monsieur Philippe RENZI, avocat général près la cour d'appel de Nancy.

Vu la requête déposée le 30 juin 2021 par Maître Guillaume ROYER au nom de M.[S] [N] [W] et ses conclusions ultérieures notifiées par lettre simple le 16 novembre 2021 ;

Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'État notifiées par lettre recommandée avec avis de réception le 24 septembre 2021 et 28 octobre 2021 ;

Vu les conclusions du procureur général près la cour d'appel de Nancy, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception le 24 septembre 2021 ;

Vu l'avis de fixation à l'audience du 1er avril 2022 ;

Vu les articles 149 à 150, R. 26 à R. 40-22 du code de procédure pénale ;

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [S] [N] [W] a été mis en examen le 27 février 2014 par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Nancy des chefs de :

Vol avec arme commis à [Localité 5] le 25 février 2014,

Vol avec arme commis à [Localité 3] le 2 janvier 2014,

Vol avec violences n'ayant pas entraîné une incapacité de travail de plus de huit jours commis à [Localité 7] le 7 décembre 2013.

Il a été placé sous mandat de dépôt criminel le 27 février 2014 puis remis en liberté sous contrôle judiciaire le 10 novembre 2015.

Il a ensuite été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Nancy par ordonnance du magistrat instructeur en date du 28 décembre 2017 comme prévenu du fait de vol commis en réunion, dans un lieu destiné à l'entrepôt de fonds, marchandises, valeurs ou matériel, et avec violence n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail, commis à [Localité 5] le 25 février 2014.

Le tribunal correctionnel de Nancy l'a relaxé par jugement rendu le 23 juin 2020, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Nancy du 11 mars 2021, devenu définitif.

Suivant requête parvenue au secrétariat de la première présidence le 30 juin 2021, M.[S] [N] [W] a sollicité l'indemnisation de sa détention provisoire à hauteur des sommes de :

- 13.381,42 euros au titre de la perte de salaires,

- 61.500 euros en réparation de son préjudice moral en raison de sa détention injustifiée,

- 31.350 euros en réparation du préjudice moral en raison des répercussions sur sa situation scolaire,

- 4.290 euros en raison des frais de défense exposés.

À l'appui de sa demande, il a fait valoir qu'il travaillait en intérim à l'époque de son incarcération, laquelle a empêché la conclusion de contrats d'intérim postérieurs, que sa détention a été particulièrement longue, qu'il n'avait jamais été incarcéré auparavant, son casier judiciaire étant vierge, qu'il était inscrit en 2ème année de BTS et n'a pu valider son année scolaire en raison de sa détention, et que la somme de 4.290 euros a été versée à ses avocats au cours de la procédure suivie entre 2014 et mars 2021.

Aux termes de ses diverses écritures, l'agent judiciaire de l'État n'a pas contesté la recevabilité de la requête de M. [S] [N] [W] mais a conclu à la réduction à 37.000 euros de la demande au titre du préjudice moral en faisant valoir que M.[W] ne démontre pas que sa période de détention a été exécutée dans des conditions particulièrement difficiles, que la réparation du préjudice ne peut porter sur le déroulement de la procédure ou la qualification des faits et que l'absence d'antécédents carcéraux constitue un facteur de base de la réparation du préjudice moral.

Il a réclamé le rejet de la demande présentée au titre du préjudice matériel dès lors que la fin de son contrat de travail a été causée par l'arrivée du terme de la mission d'intérim, qu'il n'est pas établi l'existence d'une perte de salaires en lien exclusif avec la détention provisoire, que la production du seul relevé de notes ne justifie pas l'existence d'une perte de chance d'obtenir son diplôme, que les frais de scolarité 2013-2014, dont il est demandé remboursement, semblent ne porter que sur la période effectivement suivie et que seuls les frais de défense concernant des prestations directement liées au contentieux de la liberté peuvent être prises en compte.

Le procureur général près cette cour a soutenu que l'offre de l'agent judiciaire de l'Etat au titre du préjudice moral apparaît satisfactoire et s'est associé aux motifs tendant au rejet de la demande présentée au titre du préjudice matériel.

Lors des débats, tenus à l'audience du 1er avril 2022, les parties ont comparu et maintenu, chacune, la position développée dans leurs écritures.

Le demandeur a eu la parole en dernier.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de la requête

En application de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

En l'espèce, M. [S] [N] [W] a bénéficié d'une décision de relaxe, devenue définitive, rendue par la cour d'appel de Nancy le 11 mars 2021, a présenté sa requête dans le délai de six mois fixé par l'article 149-2 du code de procédure pénale et n'apparaît pas se trouver dans l'un des cas d'exclusion prévus par l'article 149 précité.

Sa requête est donc recevable.

Sur le bien-fondé de la requête

S'agissant du préjudice moral

M. [S] [N] [W], alors âgé de 21 ans, a été placé en détention provisoire du 27 février 2014 au 10 novembre 2015, soit durant 622 jours.

L'évaluation du préjudice moral tient compte du choc carcéral subi, compris comme celui ressenti lors d'une incarcération injustifiée.

Si cette souffrance psychique peut être aggravée, notamment par une séparation familiale et des conditions d'incarcération particulièrement difficiles, c'est à la condition que des éléments de preuve viennent justifier cette aggravation.

En l'espèce, le choc carcéral constitue bien le fondement de l'indemnisation pour un primo-détenu, l'existence d'incarcération antérieures pouvant seulement en réduire l'intensité. La qualification des faits reprochés et le fait que M. [W] a clamé son innocence tout au long de la procédure ne peuvent être pris en compte pour l'évaluation de son préjudice.

En définitive, l'allocation de la somme de 43.200 euros réparera intégralement le préjudice moral subi par M. [S] [N] [W] du fait de la détention provisoire injustifiée dont il a fait l'objet.

S'agissant du préjudice matériel

Sur la perte de revenus

M. [W] produit la copie d'une attestation « POLE EMPLOI » établie le 10 mars 2021 par la société d'intérim [8], montrant qu'il a travaillé pour cette société durant les mois de septembre 2013 à février 2014, effectuant les heures suivantes :

131 heures en septembre 2013,

5,5 heures en octobre 2013,

49,5 heures en novembre 2013,

72,59 heures en décembre 2013,

54,25 heures en janvier 2014,

3,25 heures en février 2014,

et percevant des salaires d'un montant total brut de 3.266 euros.

S'agissant d'un emploi en intérim, donc aléatoire, M. [W] ne peut justifier par ce seul élément avoir perdu durant chaque mois de sa détention, à titre de revenus, la moyenne mensuelle brute des salaires versés au cours de ces six mois.

Toutefois la régularité de cet emploi durant les six mois précédant l'incarcération établit sérieusement que M. [W] a perdu une chance, fortement décroissante dans le temps, de continuer à bénéficier de cet emploi s'il n'avait pas été incarcéré.

Il lui sera alloué à ce titre la somme de 5.000 euros réparant intégralement le préjudice subi.

Sur le préjudice de formation

Il est justifié par la production d'une attestation de la SARL [4] du 15 avril 2021 que M. [W] a réussi sa 1ère année de BTS Management des unités commerciales en 2012-2013 et qu'il était inscrit en 2ème année en 2013-2014. Il n'est pas exposé ni même soutenu qu'il ne suivait pas régulièrement les cours de 2ème année.

Détenu à compter du 27 février 2014, il a présenté les épreuves du BTS en juin 2014 et y a échoué en obtenant une note moyenne de 8,95 sur 20.

La réussite de la première année, la poursuite des études jusqu'à l'incarcération et la note proche de la réussite obtenue à l'examen malgré l'incarcération établissent que M. [W] disposait de chances sérieuses de réussir l'examen du BTS à la session de juin 2014 s'il n'avait pas été incarcéré.

La perte de chance d'obtenir l'examen lors de la session 2014 doit ainsi être indemnisée à hauteur de la somme de 8.000 euros, comprenant les frais de scolarité réglés pour l'année 2013-2014.

Sur les honoraires d'avocat

Seules peuvent être prises en compte les prestations directement liées à la privation de liberté et il appartient au demandeur d'en justifier par la production de factures ou du compte établi par son défenseur avant tout paiement définitif d'honoraires conformément à l'article 12 du décret 2005-790 du 12 juillet 2005, détaillant les démarches liées à la détention, en particulier les visites à l'établissement pénitentiaire et les diligences mises en 'uvre pour faire cesser la détention dans le cadre des demandes de mise en liberté.

En l'espèce, la demande en remboursement des frais et honoraires versés par M.[S] [N] [W] à son avocat s'appuie sur les factures suivantes :

06/03/2014 : démarches urgentes ' ouverture de dossier et contact : 150 euros,

26/03/2014 : demande de provision : 2.640 euros,

20/11/2015 : demande de provision : 600 euros,

23/06/2020 : audience correctionnelle du 24/06/2020 : 600 euros,

10/02/2021 : assistance devant la chambre des appels correctionnels : 600 euros.

Ces factures ne comportent aucune précision permettant de relier directement les prestations évoquées à la privation de liberté. En particulier, aucune ne vise l'assistance lors des demandes de remise en liberté ou débats contradictoires aux fins de placement ou maintien en détention provisoire.

La demande de ce chef ne peut donc qu'être rejetée.

Le préjudice matériel de M. [S] [N] [W] sera, dans ces conditions, réparé par l'allocation d'une indemnité globale de 13.000 euros.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Vu l'article 149-1 du code de procédure pénale,

Déclarons recevable en la forme la requête de M. [S] [N] [W] ;

Lui allouons, en indemnisation de la détention provisoire injustifiée dont il a fait l'objet, les sommes de :

13.000 euros, au titre de son préjudice matériel,

43.200 euros, en réparation de son préjudice moral,

Rejetons le surplus de la demande ;

Rappelons qu'en application de l'article R. 40 du code de procédure pénale, la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire.

Laissons les frais à la charge de l'État.

Ainsi fait, jugé et prononcé par Monsieur Marc JEAN-TALON, premier président de la cour d'appel de NANCY, assisté de Madame Laurène RIVORY, greffier, conformément aux dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.

Le greffierLe premier président

Laurène RIVORY Marc JEAN-TALON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Première présidence
Numéro d'arrêt : 21/01668
Date de la décision : 06/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-06;21.01668 ?
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