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06/05/2022 | FRANCE | N°20/02588

France | France, Cour d'appel de Nancy, Première présidence, 06 mai 2022, 20/02588


COUR D'APPEL DE NANCY

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Requête en indemnisation à raison

d'une détention provisoire

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N° RG 20/02588 - N° Portalis DBVR-V-B7E-EV2V



Minute : 1/2022



du 06 Mai 2022



REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



A l'audience du 01 Avril 2022, présidée par Monsieur Marc JEAN-TALON, Premier Président de la Cour d'Appel de NANCY, assisté de Madame Céline PAPEGAY, greffier et statuant sur la requête enregistrée au

secrétariat de la Première Présidence le 21 décembre 2020 sous le numéro RG 20/02588 - N° Portalis DBVR-V-B7E-EV2V, conformément aux dispositio...

COUR D'APPEL DE NANCY

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Requête en indemnisation à raison

d'une détention provisoire

--------------------------------------

N° RG 20/02588 - N° Portalis DBVR-V-B7E-EV2V

Minute : 1/2022

du 06 Mai 2022

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

A l'audience du 01 Avril 2022, présidée par Monsieur Marc JEAN-TALON, Premier Président de la Cour d'Appel de NANCY, assisté de Madame Céline PAPEGAY, greffier et statuant sur la requête enregistrée au secrétariat de la Première Présidence le 21 décembre 2020 sous le numéro RG 20/02588 - N° Portalis DBVR-V-B7E-EV2V, conformément aux dispositions de l'article 149-2 du Code de Procédure Pénale et formée par :

Monsieur [U] [P]

né le [Date naissance 1] 1988 à [Localité 4] ([Localité 4])

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Comparant, assisté par Maître Frédéric DUSSORT, avocat au barreau de METZ,

L'agent judiciaire de l'État étant représenté par Maître François JAQUET, membre de la SCP TERTIO AVOCATS, avocat au barreau de NANCY,

Le ministère public étant représenté aux débats par Monsieur Philippe RENZI, avocat général près la cour d'appel de Nancy.

Vu le dossier de la procédure duquel il résulte que Monsieur [U] [P] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour des faits de déplacement interdit à l'extérieur du périmètre déterminé par le ministre de l'Intérieur pour prévenir la commission d'actes de terrorisme en récidive et d'entrée en relation malgré l'interdiction avec une personne nommément désignée pat le ministre de l'Intérieur pour prévenir la commission d'actes de terrorisme ;

Vu la requête déposée le 18 décembre 2020 par Maître [S] [X] au nom de Monsieur [U] [P] et ses conclusions ultérieures notifiées par lettre simple le 19 octobre 2021 ;

Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat notifiées par lettre recommandée avec avis de réception en date du 11 juin 2021 ;

Vu les conclusions du Procureur Général près la Cour d'Appel de NANCY notifiées par lettre recommandée avec avis de réception en date du 16 septembre 2021 ;

Vu la lettre recommandée avec avis de réception en date du 23 février 2022 par laquelle a été notifiée la date de l'audience fixée au 01 Avril 2022 ;

Vu les articles 149 à 150 du Code de Procédure Pénale ;

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [U] [P] a été déféré le 08 avril 2020, dans le cadre d'une procédure de comparution immédiate, devant le tribunal correctionnel de Nancy, comme prévenu d'avoir commis les délits suivants :

- à [Localité 3] le 6 avril 2020 le délit de déplacement interdit à l'extérieur du périmètre déterminé par le ministre de l'intérieur pour prévenir la commission d'actes de terrorisme, en récidive,

- à [Localité 3] et [Localité 4] du 14 mars 2020 au 6 avril 2020 le délit d'entrée en relation malgré interdiction avec une personne nommément désignée par le ministre de l'intérieur pour prévenir la commission d'actes de terrorisme.

Il a été placé en détention provisoire le 8 avril 2020.

Par jugement rendu le 3 juin 2020, il a été déclaré coupable d'avoir commis les délits reprochés et condamné à la peine principale de 18 mois d'emprisonnement, assortie du maintien en détention.

Saisie par les appels de Monsieur [P] et du ministère public, la cour d'appel de céans a, par arrêt du 16 juillet 2020 devenu définitif, annulé le procès-verbal d'interpellation de M. [P] ainsi que les actes subséquents, et renvoyé ce dernier des fins de la prévention.

Suivant requête parvenue au secrétariat de la première présidence le 18 décembre 2020, Monsieur [U] [P] a sollicité l'indemnisation de sa détention provisoire à hauteur des sommes de :

- 1.320 euros au titre de son préjudice matériel, correspondant aux frais d'avocat engagés pour obtenir sa libération,

- 11.880 euros en réparation de son préjudice moral,

- 2.000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

À l'appui de sa demande, il fait valoir que, si le choc carcéral peut en l'espèce avoir été minoré par ses précédentes périodes de détention, cette incarcération a été particulièrement pénible à endurer, en raison de l'éloignement du lieu d'incarcération, de sa situation familiale, de l'arrêt de toute activité délinquante depuis la naissance de son enfant, du régime carcéral dérogatoire mis en place du fait de l'épidémie de COVID 19, de l'angoisse de contracter ce virus, l'ensemble aggravant de manière important son préjudice moral.

A l'audience, l'agent judiciaire de l'État ne conteste plus la recevabilité de la requête, le caractère définitif de la décision étant justifié. Il conclut à la réduction de la demande au titre du préjudice moral, offrant de verser la somme de 4.500 euros, au rejet de celle présentée au titre du préjudice matériel, et à la réduction à de plus justes proportions de la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il expose en particulier qu'il convient de tenir compte du passé carcéral de Monsieur [P], qu'il n'est pas démontré que des conditions de détention plus difficiles ont été subies personnellement par le demandeur, que Monsieur [P] avait interdiction de rencontrer sa compagne et que la rupture des liens familiaux ne découle pas exclusivement et directement de la détention provisoire, mais plus de la précédente incarcération de Monsieur [P] jusqu'au 14 mars 2020.

Le procureur général près cette cour a soutenu la position de l'agent judiciaire de l'Etat.

Lors des débats, tenus à l'audience du 1er avril 2022, les parties ont comparu et maintenu, chacune, la position développée dans leurs écritures.

Le demandeur a eu la parole en dernier.

SUR CE :

Sur la recevabilité de la requête

En application de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

Le droit à réparation suppose toutefois que soient démontrées la réalité des préjudices invoqués et l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre la détention et ces préjudices.

En l'espèce, Monsieur [U] [P] a bénéficié d'une décision de relaxe rendue par la présente cour d'appel le 16 juillet 2020, devenue définitive, a présenté sa requête dans le délai de six mois fixé par l'article 149-2 du code de procédure pénale et n'apparaît pas se trouver dans l'un des cas d'exclusion prévus par l'article 149 précité.

Sa requête est donc recevable.

Sur le bien-fondé de la requête

S'agissant du préjudice moral

Le préjudice moral est évalué en tenant compte :

de la situation personnelle et familiale du requérant,

de sa situation professionnelle,

de l'existence ou non d'antécédents judiciaires,

des conditions de la détention,

de la durée de la détention.

Monsieur [U] [P], alors âgé de 32 ans, marié et père d'un enfant d'un an et demi, a été placé en détention provisoire du 8 avril 2020 au 16 juillet 2020, soit durant 100 jours.

Il a ainsi nécessairement subi un préjudice moral résultant du choc carcéral ressenti par toute personne brutalement et injustement privée de liberté, et prolongé durant plus de trois mois.

La crise sanitaire causée par le COVID-19 a de plus imposé un régime carcéral plus strict et rigide dans tous les établissements pénitentiaires de France, du fait de l'important risque de propagation lié à la promiscuité. Des mesures de limitation des circulations et des activités ont été mises en 'uvre, ce qui a effectivement rendu la détention de Monsieur [P] plus pénible et angoissante, en l'absence des moyens permettant la meilleure prévention. Le caractère général de ces mesures permet d'éviter à Monsieur [P] de justifier qu'il en a personnellement subi les conséquences.

Ce préjudice est également majoré par la situation familiale du demandeur. Si une interdiction administrative notifiée le 14 mars 2020 empêchait toute relation avec son épouse, et si Monsieur [P] est resté détenu du 29 mai 2019 au 15 mars 2020, la détention provisoire a nécessairement distendu ses liens avec son enfant.

En revanche il n'est pas justifié que l'éloignement de Monsieur [P] de son domicile, de l'ordre de 60 km, a réellement généré une distension des liens avec sa famille. Il résulte par ailleurs du bulletin n° 1 du casier judiciaire de Monsieur [P] que celui-ci avait déjà connu une longue période d'incarcération entre 2012 et 2014, une autre période de détention en 2017 puis une nouvelle période entre 2019 et 2020, jusqu'à sa libération le 15 mars 2020, soit moins d'un mois avant la détention provisoire litigieuse. Cette circonstance est de nature à réduire la souffrance psychologique subie lors de l'entrée en détention puis durant cette dernière.

Au regard de ces éléments, l'allocation de la somme de 7.000 euros réparera intégralement le préjudice moral subi par Monsieur [P] du fait de la détention provisoire injustifiée dont il a fait l'objet.

S'agissant du préjudice matériel

Seules peuvent être prises en compte au titre des frais d'avocat les prestations directement liées à la privation de liberté et il appartient au demandeur d'en justifier par la production de factures ou du compte établi par son défenseur avant tout paiement définitif d'honoraires conformément à l'article 12 du décret 2005-790 du 12 juillet 2005, détaillant les démarches liées à la détention, en particulier les visites à l'établissement pénitentiaire et les diligences mises en 'uvre pour faire cesser la détention dans le cadre des demandes de mise en liberté.

En l'espèce, la demande en remboursement des frais et honoraires versés par Monsieur [U] [P] à son avocat s'appuie sur des notes d'honoraires des 4 juin 2020 et 16 juillet 2020, qui ne comportent aucune précision permettant de relier directement les prestations évoquées à la seule privation de liberté. Les conclusions et plaidoiries visant à la nullité des poursuites ou à la relaxe ne tendent qu'indirectement à la remise en liberté et ne peuvent donc être retenues.

La demande de ce chef ne peut qu'être rejetée.

S'agissant des frais non compris dans les dépens

Il serait inéquitable que Monsieur [U] [P] conserve la charge intégrale des frais non compris dans les dépens qu'il a déboursés du fait de la présente instance. La somme de 1.800 euros lui sera en conséquence accordée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Vu l'article 149-1 du code de procédure pénale,

Déclarons recevable en la forme la requête de Monsieur [U] [P] ;

Lui allouons, en indemnisation de la détention provisoire injustifiée dont il a fait l'objet, les sommes de :

7.000 euros, en réparation de son préjudice moral,

1.800 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejetons le surplus de la demande ;

Rappelons qu'en application de l'article R. 40 du code de procédure pénale, la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire.

Laissons les frais à la charge de l'État.

Ainsi fait, jugé et prononcé par Monsieur Marc JEAN-TALON, premier président de la cour d'appel de NANCY, assisté de Madame Laurène RIVORY, greffier, conformément aux dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.

Le greffierLe premier président

Laurène RIVORY Marc JEAN-TALON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Première présidence
Numéro d'arrêt : 20/02588
Date de la décision : 06/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-06;20.02588 ?
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