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05/05/2022 | FRANCE | N°21/00402

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 05 mai 2022, 21/00402


ARRÊT N° /2022

PH



DU 05 MAI 2022



N° RG 21/00402 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EW4U







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EPINAL

18/00028

07 décembre 2020











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANTE :



S.A.S. SOCIETE INDUSTRIELLE DE TRANSFOR

MATION DE PRODUITS AGRICOLES prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Denis RATTAIRE de la SAS ISARD AVOCAT CONSEILS, substitué par Me GALLAIRE, avocats au barreau de NANCY







INTIMÉE :



Madame [V] [L]

[Adresse 1]
...

ARRÊT N° /2022

PH

DU 05 MAI 2022

N° RG 21/00402 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EW4U

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EPINAL

18/00028

07 décembre 2020

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANTE :

S.A.S. SOCIETE INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Denis RATTAIRE de la SAS ISARD AVOCAT CONSEILS, substitué par Me GALLAIRE, avocats au barreau de NANCY

INTIMÉE :

Madame [V] [L]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Julien FOURAY de la SELARL KNITTEL - FOURAY ET ASSOCIES, avocat au barreau d'EPINAL

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président :WEISSMANN Raphaël,

Conseillers : STANEK Stéphane,

[K] [D],

Greffier lors des débats :RIVORY Laurène

DÉBATS :

En audience publique du 03 Mars 2022 ;

L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 05 Mai 2022 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

Le 05 Mai 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Madame [V] [L] a été engagée sous contrat de travail à durée déterminée, par la société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES, à compter du 01 septembre 2009, en qualité de technicienne matières alimentaires.

Par avenant du 06 avril 2010, la relation contractuelle s'est poursuivie sous contrat à durée indéterminée pour le même poste.

A compter du 01 avril 2013, Madame [V] [L] a occupé le poste de responsable matières premières alimentaires.

Par courrier du 02 juin 2016, Madame [V] [L] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 09 juin 2016, avec mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 15 juin 2016, Madame [V] [L] a été licenciée pour faute grave.

Par requête du 23 février 2018, Madame [V] [L] a saisi le conseil de prud'hommes d'Epinal, aux fins de contestation de son licenciement pour faute grave.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal rendu le 07 décembre 2020, lequel a :

- dit et jugé le licenciement de Madame [V] [L] par la société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES à payer à Madame [V] [L] les sommes suivantes :

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 5 221,88 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 522,18 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 3 611,79 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

- 839,68 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre 83,96 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 4 965,05 euros à titre de rappel de salaire de base outre 496,50 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 144,64 euros au titre de la prime d'ancienneté outre 14,46 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 297,82 euros au titre du treizième mois outre 29,78euros au titre des congés payés y afférents ;

- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES aux entiers frais et dépens, y compris l'intégralité des frais d'émoluments et d'honoraires liés à une éventuelle exécution de l'ordonnance par voie d'huissier et en particulier tous les droits de recouvrement et d'encaissement sans exclusion du droit des dispositions des articles 10 à 12 du décret 96/100 du 12 décembre 1996 modifié par décret n°2001-212 du 8 mars 2001 portant fixation des tarifs d'huissier en matière civile ;

- débouté la société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES de ses demandes et l'a condamné aux dépens ;

- ordonné en application de l'article L 1235-4 du code du travail le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, en l'espèce 2 mois ;

- rappelé qu'en application des dispositions de l'article R 1454-28 du code du travail, la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaire pour les sommes visées à l'article R 1454-14 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire est fixée à 2 405,73euros .

Vu l'appel formé par la société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES le 15 février 2021,

Vu l'appel incident formé par Madame [V] [L] le 05 août 2021,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de la société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES déposées sur le RPVA le 10 mai 2021, et celles de Madame [V] [L] déposées sur le RPVA le 05 août 2021,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 23 février 2022,

La société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES (SITPA) demande :

- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal rendu le 07 décembre 2020 et statuant à nouveau ;

- de dire et juger les demandes de Madame [V] [L] non fondées ;

- de débouter en conséquence Madame [V] [L] de l'intégralité de ses demandes ;

- de condamner Madame [L] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Madame [V] [L] aux entiers frais et dépens.

Madame [V] [L] demande :

- de juger la société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES irrecevable et, en tout état de cause, infondée en son appel ;

- en conséquence, débouter la société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- sur l'appel incident,

- de la juger recevable et bien fondée en son appel incident, et y faisant droit de réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Epinal du 07 décembre 2020 en ce qu'il a :

- rejeté la demande de nullité du licenciement ;

- limité son indemnisation au titre de la rupture de son contrat de travail à la somme de 20 000 euros  ;

- en conséquence et statuant à nouveau,

- de juger son licenciement nul et de nul effet ;

- de condamner la société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES à lui payer la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice subi consécutivement au licenciement nul et de nul effet ou, à titre subsidiaire, dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- en tout état de cause, et s'il échet,

- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- de condamner la société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel ;

- de statuer ce que de droit quant aux dépens de l'instance

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures qu'elles ont déposées sur le RPVA, s'agissant de l'employeur le 10 mai 2021, et en ce qui concerne la salariée le 05 août 2021.

Sur le licenciement

Aux termes de l'article L1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et c'est au regard des motifs qui y sont énoncés que s'apprécie le bien-fondé du licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. C'est à l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier d'en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement du 15 juin 2016 est ainsi rédigée :

« Madame,

Par courrier remis en mains propres contre décharge en date du 02 juin 2016, nous vous avons convoqué le 09 juin 2016 à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'à un licenciement en raison de faits portés à notre connaissance.

Vous vous êtes présentée à cet entretien accompagnée de Mme [U] Catherine- représentante du personnel.

Nous vous avons exposé avoir eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs d'une faute grave.

En effet, ter juin 2016, avait lieu la réalisation par une société de production externe à notre Groupe d'un reportage dans notre usine, dans le cadre de la célébration des 150 ans Nestlé ; une partie du reportage consistait notamment à recueillir des interviews auprès du personnel de l'usine.

Lors de son tour d'usine, la journaliste en charge de la prise des témoignages s'est rendue avec un membre du Comité de Direction à la réunion quotidienne du département qualité et au laboratoire, dans lequel vous travaillez.

L'objectif était de montrer l'implication de votre service à délivrer des produits impeccables en termes de qualité.

A la fin de la réunion, la journaliste a donc invité les salariés présents, dont vous faisiez partie, à s'exprimer de façon spontanée sur leurs métiers.

L'ensemble des salariés du service se sont prêtés à cette interview, par contre, vous avez exprimé votre souhait de ne pas répondre à l'interview.

C'est alors que sans aucune raison, vous vous êtes permis la déclaration suivante :

« Je ne souhaite pas m'exprimer sur mon employeur Nestlé ; d'ailleurs je ne donne pas nos produits à mon bébé. »

Cette déclaration brutale non motivée a totalement perturbé les salariés et les personnes extérieures présentes.

Ces propos sont inadmissibles de la part d'une salariée ayant vos fonctions d'agent de maîtrise qualité. Ils le sont d'autant plus quand ils sont prononcés devant des tiers à l'entreprise et devant vos subordonnés et vos collègues de travail.

Vos déclarations faites dans l'entreprise et pendant votre temps de travail devant le personnel et devant des tiers remettent en cause nos produits et votre employeur alors que vous êtes justement en charge de la qualité des produits en tant que responsable matières alimentaire.

Vous avez ainsi sans aucune explication, ni raison, porté gravement atteinte à l'image de notre société, de notre Groupe et de ses produits, sans être capable de justifier ce qui pouvait vous permettre de tenir de tels propos.

Ces propos ont jeté le trouble et ont créé des perturbations dans toute l'entreprise.

Vos propos sont d'autant moins acceptables qu'ils s'inscrivent dans la droite ligne d'un-comportement délibéré de plus en plus inadmissible de votre part, dont nous vous avions averti qu'il ne pouvait se poursuivre.

Vous n'avez en effet de cesse de créer délibérément un contexte relationnel plus que difficile avec vos interlocuteurs. En effet, cela n'est pas la première fois que vous avez un comportement qui génère des perturbations dans l'entreprise ou même avec vos interlocuteurs externes. Nombres de vos collègues ainsi que différents responsables des secteurs ou services avec lesquels vous êtes en relation se plaignent de votre attitude non-positive créant des blocages et des tensions pour dès motifs insignifiants.

Vous avez d'ailleurs été reçu au service RH à ce sujet à plusieurs reprises, suite à des problèmes relatifs à vos difficultés relationnelles sur votre poste.

Votre attitude à la suite de ces entretiens au cours desquels des formations vous ont été proposées pour essayer d'adopter un autre comportement a été le refus avec pour seul commentaire : « ce n'est pas à moi de changer. ».

Du fait de votre comportement, nous avons dû aussi vous recevoir le 17 février dernier pour tenter de clarifier vos rôles et responsabilités avec votre Manager, Mme [O].

Malgré ces entretiens et les conseils donnés par votre hiérarchie laquelle, depuis le 03 février, a organisé un point tous les mercredis, votre responsable a du intervenir régulièrement auprès de vos interlocuteurs pour débloquer les situations conflictuelles que vous aviez créées.

Votre comportement remet en cause la bonne marche du service et le fonctionnement de l'entreprise vos interlocuteurs faisant tout pour ne plus avoir de contacts avec vous du fait de votre attitude.

Vous n'avez pu au cours de notre entretien du 09 juin 2016 apporter aucune explication cohérente concernant les faits qui vous ont été reprochés. Nous vous informons que nous avons donc en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave ; votre comportement ne pouvant permettre la poursuite de votre contrat de travail même pendant la durée limitée d'un préavis.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible ; le licenciement prend donc effet immédiatement à la date d'envoi de la présente sans indemnité de préavis ni de licenciement.

Nous vous rappelons que vous faites l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent, la période non travaillée du 02 juin 2016 à la date de la rupture de votre contrat ne sera pas rémunérée. (...) »

Mme [V] [L] estime que son licenciement est frappé de nullité, en ce qu'il lui est reproché d'avoir refusé de se prêter à l'interview de journalistes et de s'exprimer en ces termes « je ne souhaite pas m'exprimer sur mon employeur Nestlé ; d'ailleurs je ne donne pas nos produits à mon bébé ».

Elle précise qu'elle conteste les propos qui lui sont prêtés, et fait valoir qu'aucun abus de liberté d'expression ne saurait lui être reproché.

La salariée considère que, à reprendre les propos qui lui sont attribués, aucune diffamation, injure ou propos excessif ne saurait lui être reproché.

Elle souligne que le reportage réalisé était interne à Nestlé.

L'intimée conteste que les salariés avaient été préalablement informés de l'interview et invités à quitter la pièce s'ils ne souhaitaient pas s'exprimer.

Mme [V] [L] affirme qu'elle n'a pas dit « qu'elle refusait de donner les produits fabriqués par l'entreprise à son bébé » mais a dit « je ne donne pas nos produits à mon bébé », et conteste avoir déclaré que ces produits n'étaient pas suffisamment de bonne qualité pour les donner à son enfant.

La société SITPA explique que le 1er juin 2016, une société de production extérieure au groupe Nestlé est venue effectuer un reportage sur l'usine à l'occasion des 150 ans du groupe Nestlé, dans le but de réaliser un livre qui serait offert à tous les salariés; qu'une partie du reportage consistait à recueillir les témoignages des salariés, et notamment les salariés du service qualité ; qu'à la fin de la réunion hebdomadaire du service qualité, Mme [Y], l'animatrice de la réunion et responsable de laboratoire, a convié ses collègues à participer à l'interview ; que Mme [Y] a pris le soin de préciser que cette interview était facultative et que si quelqu'un ne souhaitait pas participer ou s'exprimer, il était libre de quitter la salle de réunion; que lorsque la journaliste a interrogé Mme [L], la salariée a répondu de façon abrupte : « je ne souhaite pas m'exprimer sur mon employeur Nestlé, d'ailleurs je ne donne pas nos produits à mon bébé » ; que ces propos de Mme [L], salariée du service qualité, remettant en cause de façon abrupte son employeur et la qualité des produits fabriqués par l'entreprise ont choqué l'assistance.

La société SITPA fait valoir qu'en répondant qu'elle refusait de donner les produits fabriqués par l'entreprise à son bébé, Mme [V] [L] a clairement indiqué qu'elle estimait que ces produits n'étaient pas suffisamment de bonne qualité pour les donner à son propre enfant ; que de telles paroles venant de la salariée ayant la responsabilité de la qualité au sein de l'entreprise jette l'opprobre sur son employeur.

La société SITPA explique également qu'il est prévu au contrat de travail de l'intimée qu'elle avait pour obligation professionnelle de se conformer aux politiques du groupe Nestlé ; que les « principes de conduite des affaires du groupe Nestlé » exposent les principes de base que les collaborateurs doivent respecter dont celui « d'éviter toute conduite qui pourrait mettre en cause ou menacer la réputation de Nestlé »; que le contrat de Mme [V] [L] prévoyait également une obligation de loyauté.

La liberté d'expression est une liberté publique consacrée par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En outre, l'article L.1121-1 du code du travail dispose que 'Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché'.

Si le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, d'une liberté d'expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, il ne peut abuser de cette liberté en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.

En l'espèce, la société SITPA reproche à Mme [V] [L], dans la lettre de licenciement précitée, d'avoir tenu les propos suivants : « Je ne souhaite pas m'exprimer sur mon employeur Nestlé ; d'ailleurs je ne donne pas nos produits à mon bébé. »

Ces propos, nonobstant l'effet qu'ils auraient provoqué, selon l'employeur, parmi les témoins, ne sont ni injurieux, ni diffamatoires, ni excessifs dans leur formulation, de sorte qu'ils ne peuvent être considérés comme excédant les limites de la liberté d'expression.

Le licenciement, motivé en partie sur ce grief, est donc de ce fait nul.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande de reclassification

Mme [V] [L] explique qu'à compter du 20 avril 2012, elle a remplacé Mme [I], en congé maternité, sur le poste de responsable matières alimentaires, coefficient 250 ; qu'elle a ensuite été promu à ce poste à compter du 1er avril 2013 ; qu'elle était rémunérée sur la base d'un coefficient 250 puis 255 ; que toutefois le coefficient 255 ne correspondait pas à la cotation des fonctions et du poste occupé ; qu'elle aurait dû être rémunérée en fonction d'un coefficient 280 jusqu'au 31 janvier 2015 et 285 à compter du 1er février 2015.

Elle conteste la démonstration de l'employeur quant à sa cotation.

La société SITPA fait valoir que la salariée n'a formulé aucune demande de réévaluation de son poste, lors des entretiens d'activité et de développement.

Elle expose la cotation de chaque critère d'évaluation du poste de Mme [V] [L], pour justifier le coefficient de 250 puis 255.

Elle estime que Mme [V] [L] n'apporte pas le moindre élément qui viendrait remettre en cause la réalité du coefficient attribué à son poste, et qu'elle ne justifie pas de sa propre cotation.

Lorsque le salarié revendique un coefficient fonctionnel ou une reclassification de l'emploi qu'il occupe, il lui appartient de démontrer la pertinence du coefficient ou de la classification réclamée.

En l'espèce, alors que la société SITPA motive, critère par critère prévu par la grille de la convention collective, produite en pièce 16 par Mme [V] [L], que l'indice qui lui était appliqué était justifié, par rapport à la technicité de ses fonctions, les exigences en termes d'autonomie et de technicité etc., Mme [V] [L] qui discute des critères «capacités professionnelles/technicité », « autonomie/complexité » et « circulation des informations », ne procède que par affirmations des responsabilités ou conditions d'exercice de ses fonctions, sans en justifier.

Dans ces conditions, elle sera déboutée de sa demande à ce titre.

Sur les demandes indemnitaires

- sur les dommages et intérêts pour licenciement nul

Mme [V] [L] fait valoir n'avoir pu dans un premier temps retrouver qu'un emploi précaire en interim, tardivement, qui s'est ensuite poursuivi en contrat à durée indéterminée ; qu'elle s'est donc trouvée pendant une longue période sans certitude quant à son avenir professionnel.

La société SITPA fait valoir que Mme [V] [L] ne justifie pas de la période pendant laquelle elle aurait été sans emploi, se contentant de produire un contrat de travail intérimaire d'un mois en juin 2017 ; qu'elle perçoit aux termes de ce contrat près du double du salaire qui était le sien ; qu'elle avait moins de 7 ans d'ancienneté à la date de son licenciement.

Aux termes des dispositions de l'article L1235-3-1 du code du travail, lorsque le licenciement est nul, il est octroyé au salarié qui ne demande pas sa réintégration une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Mme [V] [L] produit en pièce 20 une attestation de Pôle Emploi en date du 29 août 2019, « attestation des périodes d'inscription ' périodes d'inscription en continu sur la liste des demandeurs d'emploi » faisant état d'une date de début de période au 23 juin 2016, et d'une date de fin de période au 30 novembre 2017.

Mme [V] [L] justifie ainsi de ce qu'elle est restée sans emploi entre ces deux dates.

Compte tenu de cette période de chômage, et de la rémunération de Mme [V] [L] avant son licenciement, il sera fait droit à sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 30 000 euros.

- sur l'indemnité de licenciement

La société SITPA fait valoir que le salaire moyen de Mme [V] [L] calculé sur les douze derniers mois est de 2544,47 euros, de sorte qu'ayant 6 ans et 9 mois d'ancienneté, elle ne peut prétendre qu'à la somme de 3435,03 euros, selon une formule de calcul que l'employeur expose dans ses conclusions.

Mme [V] [L] fait valoir que les indemnités qu'elle réclame sont calculées en tenant compte du rappel résultant de la classification indiciaire qu'elle revendique.

La modification indiciaire sollicitée par Mme [V] [L] n'étant pas justifiée, et la salariée ne contestant pas par ailleurs le calcul présenté par l'employeur, il sera fait droit à sa demande au titre de l'indemnité de licenciement à hauteur de 3435,03 euros.

- sur l'indemnité compensatrice de préavis

La société SITPA explique que l'indemnité compensatrice de préavis ne peut être que de deux fois 2544,47 euros, soit 5088,94 euros au total.

Mme [V] [L] réclame 5221,88 euros, outre 522,18 euros au titre des congés payés afférents, en indiquant que ces montants prennent en compte le rappel revendiqué au titre de la reclassification indiciaire.

Pour les mêmes motifs que supra, il sera donc fait droit à la demande de Mme [V] [L] à hauteur de 5088,94 euros, outre 508,90 euros au titre des congés payés afférents.

- sur le rappel au titre de la mise à pied

Mme [V] [L] demande la confirmation des condamnations.

La société SITPA ne conclut pas sur ce point.

Le jugement sera donc confirmé quant aux condamnations au titre du rappel relatif à la période de mise à pied, et au titre des congés payés afférents.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société SITPA sera condamnée aux dépens.

Elle sera également condamnée à payer à Mme [V] [L] 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Epinal rendu le 07 décembre 2020, sauf en ce qu'il a :

- dit et jugé le licenciement de Madame [V] [L] par la société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société INDUSTRIELLE DE TRANSFORMATION DE PRODUITS AGRICOLES à payer à Madame [V] [L] les sommes suivantes :

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 5 221,88 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 522,18 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 3 611,79 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

- 4 965,05 euros à titre de rappel de salaire de base outre 496,50 euros au titre des congés payés y afférents ;

Statuant à nouveau dans ces seules limites,

Dit que le licenciement de Mme [V] [L] est nul ;

Condamne la société SITPA à payer à Mme [V] [L] :

- 30 000 euros (trente mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

- 3435,03 euros (trois mille quatre cent trente cinq euros et trois centimes) à titre d'indemnité de licenciement

- 5088,94 euros (cinq mille quatre vingt huit euros et quatre vingt quatorze centimes) à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 508,90 euros (cinq cent huit euros et quatre vingt dix centimes)au titre des congés payés afférents ;

Y ajoutant,

Condamne la société SITPA à payer à Mme [V] [L] 2000 euros (deux mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société SITPA aux dépens.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIERLE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en onze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 21/00402
Date de la décision : 05/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-05;21.00402 ?
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