ARRÊT N° /2022
SS
DU 26 AVRIL 2022
N° RG 21/00945 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EYBQ
Pôle social du TJ de REIMS
21/00109
12 mars 2021
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANTE :
Madame [Z] [E]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Sihem METIDJI-TALBI de la SELARL ANTOINE & BMC ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, substitué par Me Alice MOUROT, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA MARNE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Mme [C] [R], regulièrement munie d'un pouvoir de représentation
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président :M. HENON
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier :Madame TRICHOT-BURTE (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 15 Mars 2022 tenue par M. HENON, magistrat chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric HENON, président, Dominique BRUNEAU et Catherine BUCHSER-MARTIN, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 26 Avril 2022 ;
Le 26 Avril 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
Faits, procédure, prétentions et moyens :
Mme [Z] [E] a été victime d'un accident en date du 8 décembre 2014, pris en charge au titre de la législation professionnelle par la CPAM de la Marne (la Caisse).
Son état de santé a été déclaré consolidé au 31 janvier 2016, son taux d'IPP a été fixé à 8 % et elle a perçu une indemnité en capital de 3.490,10 euros le 13 mai 2016.
Le 30 mars 2018, elle a déclaré une maladie professionnelle, prise en charge au titre de la législation professionnelle.
Son état de santé a été déclaré consolidé au 11 octobre 2018 et son taux d'IPP a été fixé à 3 %.
Le 7 décembre 2018, la Caisse a notifié à l'assurée son droit d'option (choix entre le versement d'une indemnité en capital de 989,15 euros pour la maladie ou le versement d'une rente annuelle de 1.018,60 euros, impliquant le remboursement du capital précédemment perçu au titre de l'accident du travail) précisant qu'à défaut de réponse de sa part sous un délai de 2 mois, elle procéderait au versement de l'indemnité en capital.
Par courrier daté du 8 janvier 2019, Mme [Z] [E] a saisi la Commission de recours amiable de la Caisse d'une contestation de cette décision laquelle, par courrier du 14 janvier 2019, a transmis son recours au pôle social du tribunal de grande instance de Reims.
Par courrier du 12 février 2019, la Caisse, en l'absence de réponse de Mme [Z] [E], lui a notifié une décision d'attribution automatique de l'indemnité en capital d'un montant de 989,15 euros.
Le 15 février 2019, Mme [Z] [E] a saisi le tribunal des affaires de la sécurité sociale de la Marne d'un recours à l'encontre de cette décision.
Au 1er janvier 2019, l'ensemble des affaires relevant de la compétence des tribunaux des affaires de la sécurité sociale ayant été transféré en l'état aux pôles sociaux des tribunaux de grande instance, cette affaire a été transmise au pôle social du tribunal de grande instance de Reims, devenu depuis tribunal judiciaire de Reims.
Par jugement du 12 mars 2021, le tribunal judiciaire de Reims a :
- ordonné la jonction des procédures n° 19-44 et 19-99 sous le n° 19-44,
- débouté Mme [Z] [E] de l'ensemble de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [Z] [E] aux dépens de l'instance.
Par acte du 12 avril 2021, Mme [Z] [E] a interjeté appel de ce jugement. Les chefs de jugement critiqués sont expressément mentionnés dans la déclaration d'appel.
Suivant ses conclusions déposées sur RPVA le 13 juillet 2021, Mme [Z] [E] demande à la Cour de :
- la dire et juger recevable et bien fondée en son appel,
- infirmer le jugement du 12 mars 2021
En statuant à nouveau,
Avant dire droit,
- ordonner une expertise médicale avec pour mission classique :
- examiner Madame [E],
Sur la demande d'expertise :
A titre préalable, il convient de rappeler le barème indicatif que certaines juridictions d'appel, telles que BORDEAUX, POITIERS, TOULOUSE ont mis en place dans l'évaluation des préjudices :
- Très léger (1/7) : jusqu'à 1 500 €
- [N] (2/7) : 1 500 à 3 000 €
- Modéré (3/7) : 3 000 à 6 000 €
- Moyen (4/7) : 6 000 à 10 000 €
- Assez important (5/7) :10 000 à 25 000 €
- Important (6/7) : 20 000 à 30 000 €
- Très important (7/7) : 30 000 € et plus
De plus, il convient de rappeler un principe essentiel en droit, celui de la libre appréciation du juge qui demeure souverain et non soumis à l'avis de l'expert,
' Sur les souffrances endurées :
Il s'agit d'un poste de préjudice destiné à évaluer les souffrances physiques ou/et psychiques subies à la suite du traumatisme pendant la maladie traumatique jusqu'à la date de consolidation.
Il sera demandé à l'expert, dans la rédaction de son rapport, de fournir au magistrat toutes les indications destinées à éclairer sur la nature, l'intensité et la durée des souffrances avant de conclure par un qualificatif ou un chiffre.
' Sur le préjudice esthétique :
Le préjudice esthétique vise à réparer l'altération de l'apparence physique de la victime. Ces altérations peuvent résulter non seulement des cicatrices conservées mais également de modification de la posture (boiterie, claudication, déplacement en fauteuil roulant, en déambulateur, etc.), de l'aspect (paralysie faciale, attitude grimacière, appareillages, modification des habitudes vestimentaires, etc.) mais encore de modification de la voix ou de tout autre élément que ce soit qui participe à l'image que chacun se fait de l'autre.
Il appartiendra à l'expert de décrire la nature et l'importance du préjudice esthétique, en distinguant éventuellement le préjudice temporaire et définitif.
' Sur la diminution ou la perte de chance de promotion professionnelle :
Il appartient aux juges du fond d'apprécier le préjudice subi par la victime dû aux pertes de chance de promotion professionnelle (Cass. soc., 13 mars 1997, no 95-11.650 ; Cass. soc., 3 févr. 2000, no 98-12.714 ; Cass 2e civ., 18 janv. 2005, no 03-10.696).
En ce sens, il a été jugé que la victime ne peut prétendre à une indemnisation du fait de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle dès lors qu'elle ne justifie pas d'un préjudice certain, distinct de celui résultant de son déclassement professionnel qui est réparé par la rente (Cass. soc., 9 avr. 1998, no96-16.474).
Il appartient à celui qui entend obtenir réparation au titre de la perte de chance de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue en établissant que la survenance de l'événement dont il a été privé était certaine, avant la survenance du fait dommageable. Le salarié qui ne peut justifier ni de l'arrêt d'un processus scolaire, ni de celui d'un processus quelconque de chance de promotion professionnelle échoue dans cette démonstration (Cass 2e civ., 11 mars 2010, no 09-12.451).
La victime doit ainsi avancer un préjudice distinct du simple déclassement professionnel dû à l'AT/MP, qui selon les magistrats, est déjà pris en compte par le versement de la rente majorée. Les juges font une appréciation in concreto de la situation de la victime. Ainsi par exemple, il a été jugé que la perte de chance de promotion professionnelle ne peut résulter simplement du jeune âge du salarié, de sa très courte ancienneté ou encore, de l'absence de qualification du poste occupé. De même, au titre de la perte de change, le bénéfice d'une formation professionnelle ne peut être invoqué que s'il a été compromis par l'accident du travail ou par la maladie professionnelle (Cass. 2e civ., 1er juill. 2010, no 08-13.155).
' Sur le préjudice d'agrément :
Comme indiqué précédemment, il appartiendra à l'expert de déterminer ce préjudice étant rappelé que la deuxième chambre civile définit le préjudice d'agrément comme « l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir », la victime devant justifier de l'exercice de cette activité avant la maladie ou l'accident pour obtenir une réparation à ce titre (Cass. 2e civ., 28 févr. 2013, no 11-21.205 ; Cass. 2e civ. 28 juin 2013, no 11-21.015 , Cass. 2eciv. 7 mai 2014, no 13-16.204)
' Sur le préjudice sexuel :
Ce poste concerne la réparation des préjudices touchant à la sphère sexuelle. Il convient de distinguer trois types de préjudice de nature sexuelle :
- le préjudice morphologique qui est lié à l'atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi ;
- le préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel (perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte, perte de la capacité à accéder au plaisir) ;
- le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer (ce préjudice pouvant notamment chez la femme se traduire sous diverses formes comme le préjudice obstétrical, etc.). Ce préjudice doit être apprécié in concreto en prenant en considération les paramètres personnels de chaque victime.
En droit civil, un préjudice n'est indemnisable que s'il est certain, et s'il existe une relation certaine et directe de cause à effet entre la faute commise et le préjudice. C'est sur ces deux points que l'expert devra éclairer le juge. L'expert ne doit fournir au juge que des éléments objectifs et ne doit pas se contenter de rapporter les propos de la victime ou des réflexions sans fondement.
Quoi qu'il en soit, la Cour de cassation estime que le préjudice sexuel subi par la victime doit être intégré au déficit fonctionnel temporaire « qui répare la perte de qualité de vie de la victime et des joies usuelles de la vie courante pendant la maladie traumatique » et non pas indemnisé en sus. Cass. 2e civ., 11 déc. 2014, nº 13-28.774.
' Sur le déficit fonctionnel temporaire :
Le déficit fonctionnel temporaire est « l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle subie jusqu'à la consolidation. Il traduit la perte de qualité de vie, des activités et des joies usuelles de la vie courante notamment lors d'hospitalisations » (Cass. 2e civ., 11 déc. 2014, nº 13-28.774)
Le rapport d'expertise devra être complété par tout justificatif démontrant l'existence de ce préjudice (attestations relatives à une activité particulière, justificatif de voyage annulé, élément relatif au préjudice sexuel temporaire s'il y a lieu, etc.)
' Sur les frais d'adaptation d'un véhicule et frais d'aménagement d'un logement :
Le rapport [W] précise que les frais de logement adapté s'entendent des frais que doit exposer la victime pour l'adaptation de son logement à la suite de sa consolidation, ceux qui ont pu être engagés avant cette date à titre temporaire devant être pris en charge au titre des « frais divers ».
Cette indemnisation se fait sur la base de factures, devis ou conclusions du rapport de l'expert sur la consistance et le montant des travaux nécessaires à la victime pour vivre dans son logement.
De la même manière, les frais de véhicule adapté concernent les dépenses nécessaires pour procéder à l'adaptation d'un ou de plusieurs véhicules aux besoins de la victime atteinte d'un handicap permanent, ainsi que le surcoût lié au renouvellement du véhicule et à son entretien, le surcoût d'achat d'un véhicule adaptable et les surcoûts en frais de transport rendus nécessaires à la victime en raison de ses difficultés d'accessibilité aux transports en commun.
En revanche, les frais liés à l'adaptation, à titre temporaire, du véhicule avant la consolidation de la victime ne sont pas à intégrer, car ils sont provisoires et déjà susceptibles d'être indemnisés au titre du poste 'Frais divers'.
' Sur le préjudice d'assistance par tierce personne avant consolidation ou guérison :
Ces dépenses sont liées à l'assistance permanente d'une tierce personne pour aider la victime handicapée à effectuer les démarches et plus généralement les actes de la vie quotidienne. Elles visent à indemniser le coût pour la victime de la présence nécessaire, de manière définitive, d'une tierce personne à ses côtés pour l'assister dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité et suppléer sa perte d'autonomie.
D'usage, il est fait une différence entre trois types d'aides :
- Aide médicale
- Aide-ménagère
- Aide familiale
Des éléments de preuve seront une fois de plus demandés.
Le jugera décidera que le préjudice sexuel ne peut faire l'objet d'une indemnisation à part.
Les frais d'adaptation d'un véhicule et frais d'aménagement d'un logement ne concerneront que ceux éventuellement exposés après consolidation.
En tout état de cause, le rapport d'expertise médicale devra être accompagné de justificatifs destinés à prouver l'ampleur de chacun des préjudices invoqués.
Les préjudices devront être qualifiées de très léger, léger, modéré, moyen, assez important, important ou très important ou sur une échelle de 1 à 7.
A titre subsidiaire,
- débouter la CPAM de la Marne de toutes ses demandes plus amples ou contraire,
Par conséquent,
- confirmer la position de Madame [E] en ce qu'elle réclame la prise en compte de ses accidents successifs dans le calcul de son taux d'Incapacité Partiel Permanent,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,
- condamner la CPAM de la Marne à lui payer la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 de Nouveau Code de Procédure Civile,
- condamner la CPAM de la Marne aux entiers dépens.
Suivant ses conclusions reçues au greffe le 24 novembre 2021, la Caisse demande à la Cour de :
- confirmer le jugement du Tribunal Judiciaire du 12 Mars 2021
En conséquence,
In limine litis,
- déclarer irrecevable les demandes de Mme [E] au titre de sa maladie professionnelle du 30 mars 2018,
- déclarer irrecevable la demande d'expertise au titre des préjudices corporels,
A titre principal,
- confirmer sa décision en ce qu'elle a procédé au versement d'une indemnité en capital suite aux séquelles de sa maladie professionnelle du 30 mars 2018
A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour faisait droit à la demande de Mme [E],
- condamner Mme [E] au remboursement à son profit de la somme de 989,15 € au titre de l'indemnité en capital versée pour indemniser les séquelles faisant suite à sa maladie professionnelle du 30/03/2018,
- condamner Mme [E] au remboursement à son profit de la somme de 1.745,05 € correspondant à la moitié de l`indemnité en capital versée à la suite des séquelles issues de l'accident du travail du 08/12/2014.
A titre encore plus subsidiaire, sur l'expertise sollicitée
- débouter Mme [E] de sa demande d'expertise au titre des préjudices corporels.
Sur la condamnation au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile
- débouter Mme [E] de sa demande de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC.
- condamner Mme [E] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
En tout état de cause,
- débouter Mme [E] de toutes ses demandes plus amples ou contraires.
- condamner Mme [E] aux entiers dépens de l`instance.
Pour l'exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l'audience.
Motifs :
C'est par de pertinents motifs, adoptés par la cour, que le premier a rejeté les demandes de l'intéressée, alors que celle-ci n'apparait pas faire état de moyens ou d'éléments de preuve de nature à remettre en cause cette appréciation.
Il convient d'ajouter au regard de la contestation soumise à la juridiction du contentieux de la sécurité sociale qui ne peut donner lieu qu'au service des indemnités et prestations énoncées au livre IV du code de sécurité sociale, la demande d'expertise ne saurait être accueillie en ce qu'elle porte sur des postes de préjudices réparés au titre du droit commun exclusifs de la législation professionnelle, hors les cas, non invoqués en l'espèce, de la faute inexcusable de l'employeur ou de la faute d'un tiers.
Par ailleurs et contrairement aux allégations de l'intéressée, il a été tenu compte des taux successifs qui ont été fixés par la caisse, puisqu'aboutissant à la constatation d'une somme de taux de 11 % correspondant à l'addition des taux de 3 et 8 % d'incapacité et que si un capital a été attribué à l'intéressé, celui résulte de l'application des dispositions des articles L 434-2 et R. 434-4 du code de sécurité sociale et de l'absence d'option en faveur d'une rente de la part de l'intéressée dans les délais prévus à cet effet.
L'appelante qui succombe sera condamnée aux dépens selon les conditions précisées au dispositif du présent arrêt par application combinée des articles 11 et 17 du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 et 696 du code de procédure civile, sans qu'il ne soit nécessaire de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Reims du 12 mars 2021 ;
Condamne Mme [Z] [E] aux dépens dont les chefs sont nés postérieurement au 1er janvier 2019.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Guerric Henon, Président de Chambre et par Madame Clara Trichot-Burté, Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Minute en sept pages