RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2022 DU 25 AVRIL 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00176 - N° Portalis DBVR-V-B7F-EWNH
Décision déférée à la Cour : jugement du Tribunal Judiciaire de NANCY,
R.G.n° 18/02265, en date du 14 décembre 2020,
APPELANTE :
CAISSE NATIONALE DE RETRAITES DES AGENTS DES COLLECTIVITÉS LOCALES (CNRACL), prise en la personne de Monsieur le Directeur général de la Caisse des dépôts, pour ce domicilié 56 rue de Lille - 75007 PARIS
Représentée par Me Matthieu DULUCQ, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
Madame [D] [H]
née le 14 Mai 1954 à NANCY (54)
domiciliée 7 rue Jean-Philippe Rameau - 54140 JARVILLE LA MALGRANGE
Représentée par Me Hervé MERLINGE de la SCP JOUBERT, DEMAREST & MERLINGE, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Février 2022, en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,
Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, chargée du rapport,
Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 25 Avril 2022, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 25 Avril 2022, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSÉ DU LITIGE :
Par décision en date du 17 décembre 1976, Madame [D] [H] a divorcé de [R] [U], fonctionnaire territorial.
Suite au décès de ce dernier survenu le 4 octobre 1990, la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (ci après CNRACL) - dont l'organisme gestionnaire est la caisse des dépôts et consignation - a versé à Madame [D] [H] une pension de réversion.
Par déclaration en date du 1er septembre 2013 sur demande de l'organisme du 16 juillet 2013, Madame [D] [H] a déclaré sur l'honneur vivre en concubinage notoire depuis 1987. Le 5 mai 2014, elle épousait son concubin Monsieur [L].
Par courrier en date du 15 octobre 2014, la CNRACL a informé Madame [D] [H] de l'annulation de sa pension - suspendue depuis le mois de mars 2014 - et a sollicité le remboursement des versements indus à compter du 1er novembre 1990 jusqu' au 28 février 2014, chiffré à la somme de 75174,65 euros par courrier du 17 août 2015.
Le 8 décembre 2014, Madame [D] [H] a effectué par l'intermédiaire de son conseil un recours gracieux auprès de la CNRACL afin que la décision d'annulation ne soit pas assortie de l'effet rétroactif au regard des dispositions de l'article L.93 du code des pensions civiles et militaires de retraite.
Par courrier en date du 3 février 2016 adressé à l'avocat, la CNRACL a rejeté ce recours, confirmé la rétroactivité de sa réclamation, mais limité le montant réclamé à une période de 20 ans, conformément à l'article 2232 du code civil, soit un total de 66207,70 euros correspondant aux versements effectués entre le 28 février 1994 et le 28 février 2014 - précisant que les indus versés entre le 1er novembre 1990 et le 27 février 1994 étaient prescrits.
Par courrier en date du 5 avril 2016, la Caisse des dépôts a enjoint à Madame [D] [H] de procéder au remboursement des sommes indûment perçues.
Une nouvelle mise en demeure lui a été adressée en recommandé par cet organisme par courrier en date du 6 juillet 2016.
Madame [D] [H], réfutant toute fraude, a déposé un nouveau recours par courrier en date du 15 février 2017, dont le rejet lui a été notifié par courrier daté du 10 avril 2017 et confirmé par un nouveau courrier du 1er juin 2017.
Parallèlement, et notamment par courrier du 28 janvier 2016, la CNRACL a notifié à Madame [D] [H] une pénalité financière d'un montant de 6300 euros que celle-ci a contesté devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale, réclamation qui a été rejetée depuis.
Par acte du 6 juillet 2018, la caisse des dépôts et des consignations prise en sa qualité de gestionnaire de la CNRACL a assigné devant le tribunal de grande instance de Nancy devenu le tribunal judiciaire depuis, Madame [D] [H] en remboursement des versements de pension de réversion indus.
Par jugement contradictoire du 14 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Nancy a :
- condamné Madame [D] [H] à payer à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales la somme de 11890,71 euros ;
- débouté Madame [D] [H] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts en raison de la faute commise par la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales et de la demande de compensation subséquente ;
- débouté Madame [D] [H] de ses autres demandes ;
- constaté le dessaisissement partiel du tribunal s'agissant de la demande au titre de la pénalité financière de 6300 euros ;
- condamné Madame [D] [H] aux dépens ;
- condamné Madame [D] [H] à payer la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles.
Pour statuer ainsi, le tribunal a relevé que l'article 47 du décret n°2003-1306 relatif au régime des fonctionnaires affiliés à la caisse des retraites des agents des collectivités locales prévoit la perte du droit à pension du conjoint survivant lorsqu'il contracte un nouveau mariage ou se retrouve en état de concubinage notoire ; l'article 59 de ce même décret renvoie à l'application de l'article L 93 du code des pensions civiles et militaires limitant, sauf en cas de fraude, omission, déclaration inexacte ou de mauvaise foi du bénéficiaire, le remboursement des arrérages afférents à l'année en cours de laquelle le trop-perçu a été constaté et aux trois années antérieures.
Le tribunal a relevé qu'en 1991, Madame [D] [H] a indiqué ne pas vivre en état de concubinage reconnu alors qu'en 2013, elle a déclaré vivre en concubinage notoire depuis 1987. Toutefois le tribunal a estimé que cette déclaration inexacte ne relevait pas d'une intention frauduleuse de l'intéressée : considérant que la distinction entre concubinage notoire et reconnu n'était pas aisée à déterminer, il a qualifié de négligence l'attitude de l'organisme d'une part qui n'avait pas expliqué de manière suffisamment précise et régulière la notion de concubinage et d'autre part qui n'avait pas effectué de vérification entre 1991 et 2013 et il estimait que les omissions ou déclarations inexactes de la bénéficiaire avaient été instillées par la négligence de l'organisme. Dès lors, le tribunal a retenu l'application de l'article L 93 du code des pensions civiles et militaires et a limité la créance de l'organisation aux sommes suivantes : 636,30 euros pour l'année 2014 ; 3684,24 euros pour l'année 2011 ; 3761,58 euros pour l'année 2012 et 3808,59 euros pour l'année 2013.
S'agissant de la pénalité de retard, le tribunal a relevé que le tribunal aux affaires de la sécurité sociale avait déjà été saisi par Madame [D] [H] et a retenu son 'dessaisissement partiel' sur ce point en application des dispositions de l'article 100 du code de procédure civile.
Sur les dommages-intérêts réclamés par Madame [D] [H], le tribunal a estimé que la responsabilité de l'organisme ne pouvait être retenue qu'en cas de faute grossière ou négligence fautive, que tel était le cas du défaut de vérification existant en l'espèce, mais que le préjudice causé par l'inertie de l'administration devait se cantonner à la période comprise entre 1991 et 2013 et que pour la période ultérieure, elle avait pu ensuite justifier de sa situation, de telle sorte qu'il la déboutait de sa demande.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 8 janvier 2021, Madame [D] [H] a interjeté appel de ce jugement ; sa déclaration d'appel a été déclarée caduque par ordonnance du conseiller de la mise en état du 1er juin 2021.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 19 janvier 2021, la Caisse Nationale de Retraites des Agents des collectivités locales a relevé appel de ce jugement, en ce qu'il a limité le montant que Madame [D] [H] a été condamnée à lui rembourser.
Par arrêt du 18 octobre 2021, la cour d'appel a ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de faire valoir leurs observations sur la juridiction compétente pour connaître du litige et sur l'application de l'article 32-1 du code de procédure civile.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 17 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales demande à la cour, au visa de l'article 43 du décret n°65-773 du 9 septembre 1965 repris par l'article 47 du décret n°2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale des agents des collectives locales, l'article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraites, les articles 1302 et 1302-1 et 2232 du code civil, de :
- dire et juger son appel recevable et bien fondé,
Y faisant droit,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné Madame [D] [H] à lui payer la somme de 11890,71 euros,
- le confirmer pour le surplus,
Statuant à nouveau,
- condamner Madame [D] [H] à lui payer la somme de 66207,70 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 juillet 2016, date de la première mise en demeure notifiée par lettre recommandée avec avis de réception,
- condamner Madame [D] [H] aux entiers frais et dépens de l'instance ainsi qu'à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 1er décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [D] [H] demande à la cour de :
- constater que les juridictions judiciaires sont incompétentes pour connaître du litige,
- subsidiairement, déclarer l'appel interjeté par la CNRACL mal fondé,
- accueillir favorablement l'appel incident de la concluante,
- infirmer la décision entreprise,
- débouter la CNRACL de sa demande en paiement compte tenu des fautes commises,
- compte tenu de cette faute et du préjudice en résultant pour Madame [D] [H], condamner la CNRACL à payer la somme de 66207,70 euros plus 6300 euros outre les intérêts sur ces sommes depuis 1994,
- dire et juger que ce montant viendra en compensation avec les éventuelles sommes auxquelles pourrait être condamnée la concluante,
- subsidiairement, appliquer la prescription triennale, subsidiairement quinquennale,
- condamner la demanderesse à payer 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens lesquels seront recouvrés par la SCP Joubert Demarest Merlinge conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 11 janvier 2022.
L'audience de plaidoirie a été fixée le 21 février 2022 et le délibéré au 25 avril 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu les dernières conclusions déposées par la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales le 17 novembre 2021 et par Madame [D] [H] le 1er décembre 2021 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;
Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 11 janvier 2022 ;
Sur la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire
En application de l'article 76 du code de procédure civile, la cour d'appel peut relever d'office son incompétence pour connaître du litige si l'affaire relève de la compétence des juridictions administratives.
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III,
Vu les articles L 211-16 du code de l'organisation judiciaire et L 142-8 et L 142-1 du code de la sécurité sociale,
Il résulte de ces textes que le critère de la compétence des juridictions judiciaires pour le contentieux général de la sécurité sociale est, s'agissant des fonctionnaires et agents de l'Etat et des collectivités publiques, lié, non à la qualité des personnes en cause, mais à la nature même du différend ; que, dès lors, les litiges relatifs à l'application à ces agents du régime de sécurité sociale, qu'il s'agisse du régime général ou d'un régime spécial, échappent à la juridiction administrative ; que, cependant, il en va autrement lorsque le litige porte sur des prestations ou avantages inhérents à leur statut.
Il est admis que le droit à pension de réversion dont bénéficie le conjoint survivant divorcé d'un agent affilié à la CNRACL constitue un avantage inhérent au statut de cet agent, de sorte qu'il appartient à la juridiction administrative de connaître du litige né du recouvrement des prestations indûment versées (Tribunal des conflits, 22 janvier 2001 considérants 3 et 5 ; Civ 1, 12 décembre 2018 n°18.10-977 et 24 octobre 2019 n°19.11-702).
Si les deux décisions de la cour de cassation citées ont été rendues suite à des contestations devant le tribunal de la sécurité sociale de décisions d'annulation de pension émanant de la CNRACL, ces décisions énoncent clairement l'incompétence des juridictions judiciaires pour connaître du litige né du recouvrement des prestations indues au profit des juridictions administratives.
En l'espèce, la CNRACL considère que l'indu a été définitivement fixé en l'absence de recours à l'encontre des décisions qu'elle a émises et qu'elle agit devant les juridictions judiciaires uniquement pour obtenir un titre exécutoire qu'elle n'est en capacité ni de se délivrer à elle-même, ni d'obtenir des juridictions administratives.
Néanmoins, la délivrance d'un titre exécutoire, à supposer que la CNRACL, établissement public géré par la caisse des dépôts et consignation, soit effectivement dans l'incapacité de se délivrer un tel titre, nécessite d'apprécier la réalité et le bien-fondé de la créance dont la connaissance est attribuée exclusivement aux juridictions administratives - étant rappelé que c'est précisément sur des moyens de cette nature que le premier juge a estimé devoir ne pas faire droit à l'intégralité des demandes de la CNRACL. Les moyens fondés sur la privation du droit au procès équitable en raison de l'impossibilité d'exercer un recours utile devant les juridictions de l'ordre administratif sont à porter devant celles-ci, seules compétentes pour connaître du litige en raison de sa nature.
Il convient d'infirmer le jugement et de constater que les juridictions judiciaires ne sont pas compétentes pour connaître du litige.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles de première instance seront infirmés.
La CNRACL sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande de rejeter les demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en appel à la charge des deux parties.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement rendu le 14 décembre 2020 par le Tribunal judiciaire de Nancy en toutes ses dispositions,
Constate l'incompétence des juridictions judiciaires pour connaître du litige,
Renvoie les parties à mieux se pourvoir,
Condamne la Caisse Nationale de Retraite des Agents des Collectivités Locales aux dépens de première instance et d'appel,
Rejette les demandes de la Caisse Nationale de Retraite des Agents des Collectivités Locales et de Madame [D] [H] en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-
Minute en sept pages.