ARRÊT No PH
DU 07 SEPTEMBRE 2007
R. G : 06 / 00571
Conseil de Prud'hommes de NANCY F05 / 983 10 février 2006
COUR D'APPEL DE NANCY CHAMBRE SOCIALE
APPELANTE :
S. A. API RESTAURATION prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social 86 rue du Bas 59320 RADINGHEM EN WEPPES Représentée par Maître Marianne WEGNEZ substituant Maître Jean-François CORMONT (Avocats au Barreau de LILLE)
INTIMÉES :
Madame Isabelle Y... ...37420 AVOINE Représentée par Monsieur Régis Z... (Délégué Syndical Ouvrier), régulièrement muni d'un pouvoir
COMPASS GROUP FRANCE venant aux droits de la S. A. S. EUREST prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social 200 avenue de Paris 92320 CHATILLON Représentée par Maître David BLANC substituant Maître Hugues PELISSIER (Avocats au Barreau de LYON)
INTERVENANT VOLONTAIRE :
SYNDICAT C. F. D. T. SERVICES 54 / 55 pris en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social 20 rue des Glacis BP 32240 54022 NANCY CEDEX Représenté par Monsieur Régis Z... (Délégué Syndical Ouvrier), régulièrement muni d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré, Président de Chambre : Madame SCHMEITZKY Conseillers : Madame MAILLARD Madame SUDRE Greffier présent aux débats : Mademoiselle FRESSE
DÉBATS : En audience publique du 08 juin 2007 ; L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 07 septembre 2007 ; A l'audience du 07 septembre 2007, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
FAITS ET PROCÉDURE
Madame Isabelle Y..., née le 25 février 1960, a été engagée à compter du 18 août 2003 par la société Api restauration en qualité de gérante, qualification 4B, et affectée sur le site du restaurant CSO (Centre de sélection et d'orientation) de Vandoeuvre-lès-Nancy, dépendant du Ministère de la défense.
Il n'est pas contesté que son salaire mensuel brut s'élevait en dernier lieu à 1 586,70 €.
La société employait plus de onze salariés.
La relation de travail était régie par la convention collective du personnel des entreprises de restauration de collectivité.
Par suite d'un nouvel appel d'offres, la gestion du restaurant du CSO a été confiée à la société Eurest, aux droits de laquelle succède la société Compass Group France, à compter du 1er octobre 2005.
Par courrier du 19 septembre 2005, la société Api restauration a informé Madame Y... du transfert de son contrat de travail à compter du 1er octobre 2005 auprès de la société Eurest, nouveau titulaire du marché.
Par courrier du 29 septembre 2005, confirmé par lettre du 7 octobre suivant, la société Eurest a avisé Madame Y... de son refus de reprendre son contrat de travail en vertu des dispositions conventionnelles et notamment des règles de l'avenant no 3 du 26 février 1986 excluant du bénéfice des reprises de contrat de travail les agents de maîtrise et cadres, et également de celles issues de l'avenant no 2 du 24 janvier 2003, non étendu et dont la société Api restauration non signataire ne peut exciper, imposant sous certaines conditions le transfert des contrats de travail des cadres et agents de maîtrise au cessionnaire du marché.
Se retrouvant privée d'emploi, Madame Y... a saisi le 18 octobre 2005 le Conseil de Prud'hommes de Nancy de demandes aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail, principalement aux torts de la société Api restauration et subsidiairement de la société Eurest, de rappel de salaire, d'indemnités de rupture et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 10 février 2006, le Conseil de Prud'hommes a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame Y... aux torts de la société Api restauration à effet de la date du jugement et condamné cette dernière à payer à la salariée :
-un rappel de salaire sur la base du salaire mensuel de 1 586,70 € du 1er octobre 2005 au 10 février 2006,-les congés payés afférents sur cette somme,-3 173,40 € à titre d'indemnité de préavis,-317,34 € à titre de congés payés sur le préavis,-317,34 € à titre d'indemnité de licenciement,-10 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,-500 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le Conseil de Prud'hommes a rappelé l'exécution provisoire de droit résultant des dispositions de l'article R. 516-37 du Code du Travail et ordonné l'exécution provisoire sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dans la limite de 5 000 € ; il a ordonné le remboursement par la société Api restauration des indemnités de chômage dans la limite de six mois ; il a prononcé la mise hors de cause de la société Eurest et condamné la société Api restauration à lui verser la somme de 800 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, déboutant Madame Y... et la société Api restauration de leurs demandes respectives à l'encontre de cette société.
La société Api restauration a régulièrement interjeté appel ; elle conclut à l'infirmation du jugement et au rejet de l'intégralité des demandes de Madame Y... et de la société Compass Group France à son encontre, sollicitant sa mise hors de cause et 1 500 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à l'encontre de Madame Y..., outre la somme de 2 500 € sur ce même fondement à l'encontre de la société Compass Group France.
Madame Y... conclut à la confirmation du jugement en son principe et forme appel incident sur le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qu'elle demande de voir fixer à 20 000 €, sollicitant à hauteur d'appel la condamnation de la société Api restauration à des dommages et intérêts pour rétention abusive de l'attestation pour l'ASSEDIC, de son certificat de travail et de ses bulletins de paie ainsi que pour résistance abusive à l'exécution provisoire prononcée en première instance ; elle réclame la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le syndicat CFDT Services 54 / 55 est intervenu volontairement à l'instance et sollicite la condamnation de la société Api restauration ou de la société Compass Group France, selon l'appréciation de la Cour, à lui verser la somme de 2 500 € à titre de dommages et intérêts, outre 500 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Compass Group France conclut à la confirmation du jugement et au rejet des demandes formulées à son encontre, réclamant la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La Cour se réfère aux conclusions des parties, visées par le greffier, du 8 juin 2007, dont elles ont maintenu les termes lors de l'audience.
MOTIVATION
-Sur la détermination de l'employeur
La société Api restauration invoque les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du Travail désignant dans ce cas la société Compass Group France comme employeur en sa qualité de repreneur du marché, cette dernière société visant au contraire les dispositions conventionnelles et notamment les règles issues de l'avenant étendu du 26 février 1986 selon lesquelles les contrats de travail des salariés de statut agent de maîtrise et cadre sont maintenus chez l'employeur cédant sauf accord écrit contraire et s'opposant à l'application de l'article L. 122-12 du Code du Travail à défaut d'entité économique autonome susceptible d'avoir été transférée à la société Eurest.
S'il est certain qu'un simple changement dans la personne du prestataire chargé de l'exploitation d'un marché ne réalise pas en lui-même un changement d'employeur, pour le personnel chargé de son exécution, il en va autrement lorsque la modification dans les conditions d'exécution d'un service s'accompagne du transfert d'éléments d'exploitation relevant d'une entité économique autonome.
Il n'est pas contesté que le CSO mettait à la disposition de la société Api restauration l'ensemble des ustensiles et du mobilier de cuisine lui appartenant aux fins d'exploitation du restaurant de collectivité et que, dans le cadre de la reprise du marché, tous les moyens mobiliers et immobiliers nécessaires à l'exploitation de cet établissement de restauration ont été transmis à la société Compass Group France, nouvelle prestataire de service.
L'article L. 122-12 du Code du Travail à interpréter conformément aux dispositions de la directive CEE 77 / 187 du 14 février 1977, devenue directive 2001 / 23 du 12 mars 2001, s'applique au transfert d'une entité économique autonome, caractérisé par un ensemble organisé de personnes et d'éléments permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre.
Par arrêt du 20 novembre 2003 (CJCE, Abler contre Sodexho, Reclassement. CJCE I p. 14023), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que l'article 1er de la directive 77 / 187 / CEE du Conseil du 14 février 1977 doit être interprété en ce sens que la directive s'applique à une situation dans laquelle un donneur d'ordre, qui avait confié par contrat la gestion complète de la restauration collective au sein d'un hôpital à un premier entrepreneur, met fin à ce contrat et conclut, en vue de l'exécution de la même prestation, un nouveau contrat avec un second entrepreneur, lorsque le second entrepreneur utilise d'importants éléments d'actifs corporels précédemment utilisés par le premier entrepreneur et mis successivement à leur disposition par le donneur d'ordre, quand bien même le second entrepreneur aurait émis l'intention de ne pas reprendre les salariés du premier entrepreneur.
Il résulte des constatations de fait ci-dessus énoncées que l'article L. 122-12 du Code du Travail est applicable en présence du transfert d'une entité économique autonome telle que la gestion du restaurant de collectivité du CSO s'accompagnant du transfert des moyens d'exploitation relevant d'une activité autonome, successivement confiée à la société Api restauration puis à la société Eurest, et ce nonobstant les règles conventionnelles plus restrictives, du fait du caractère d'ordre public des dispositions de la directive communautaire et de l'article L. 122-12 du Code du Travail.
Il s'ensuit que l'employeur de Madame Y... est la société Eurest, devenue la société Compass Group France, et que la société Api restauration doit être mise hors de cause.
Le jugement ayant désigné la société Api restauration comme employeur de Madame Y... et mis hors de cause la société Eurest sera donc infirmé.
-Sur la résiliation du contrat de travail
Il résulte de ce qui précède qu'en refusant de fournir du travail à Madame Y..., dont le contrat de travail avait été transféré, et en lui indiquant par courrier du 29 septembre 2005 que son poste était pourvu par un de ses salariés, la société Eurest a procédé à la rupture du contrat qui s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le préjudice subi de ce fait par Madame Y..., compte tenu de son âge, de ses difficultés financières dues aux circonstances particulièrement désinvoltes de suppression de son emploi l'ayant privée dans un premier temps du bénéfice d'indemnités de chômage et du fait qu'elle n'a retrouvé un emploi qu'en octobre 2006, sera réparé par l'allocation d'une somme que la Cour est en mesure de fixer à 15 000 €.
Il incombera à la société Compass Group France, et non à la société Api restauration, de procéder au remboursement des indemnités de chômage effectivement servies à Madame Y... dans la limite de six mois.
Le jugement sera réformé sur ces deux points.
-Sur les indemnités de rupture
La société Compass Group France sera condamnée au paiement de l'indemnité de préavis, des congés payés y afférents et de l'indemnité de licenciement aux montants non contestés tels que fixés par les premiers juges.
Le jugement sera réformé en ce sens.
-Sur la demande de rappel de salaire
En matière de résiliation judiciaire du contrat de travail, sa prise d'effet ne peut être fixée qu'à la date de la décision judiciaire la prononçant dès lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur.
Le principe de cette résiliation ayant d'ores et déjà été acquis en première instance, Madame Y... ne peut prétendre qu'à un rappel de salaire sur la base mensuelle de 1 586,70 € du 1er octobre 2005 au 10 février 2006, tel que fixé par les premiers juges, outre les congés payés afférents.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
-Sur la demande de dommages et intérêts
Compte tenu de la mise hors de cause de la société Api restauration, les demandes de dommages et intérêts exclusivement visées à son encontre par Madame Y... (Cf pages 3 et 4 de ses conclusions) résultant de la remise tardive de ses documents sociaux et de sa résistance abusive à déférer à l'exécution provisoire du jugement ne pourront qu'être rejetées.
-Sur la demande du syndicat CFDT Services 54 / 55
Le refus par la société Eurest de respecter les dispositions communautaires et légales d'ordre public en matière de transfert de contrat de travail dans le cadre de reprise de marché a porté un préjudice indirect à l'intérêt collectif de la profession que représente le syndicat CFDT Services 54 / 55 en vertu de l'article L. 411-11 du Code du Travail et justifie que lui soit allouée la somme de 200 € en réparation de ce préjudice.
-Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile
Il sera alloué par la société Compass Group France la somme globale de 800 € à Madame Y... au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et celle de 100 € au profit du syndicat CFDT Services 54 / 55.
De même, la société Api restauration se verra verser par la société Compass Group France la somme de 1 500 € sur le fondement de ce même article.
Il n'y a pas lieu en les circonstances de la cause à condamnation de Madame Y... au profit de la société Api restauration sur la base de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
La COUR,
Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement en ce qu'en son principe il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame Isabelle Y... et lui a accordé un rappel de salaire ;
L'INFIRME pour le surplus et statuant à nouveau,
DIT que l'employeur de Madame Y... est la société Eurest, aux droits de laquelle succède la société Compass Group France ;
DIT que la société Compass Group France devra payer à Madame Y... son salaire mensuel de 1 586,70 € (MILLE CINQ CENT QUATRE VINGT SIX EUROS ET SOIXANTE DIX CENTS) du 1er octobre 2005 au 10 février 2006, outre les congés payés afférents ;
CONDAMNE la société Compass Group France à payer à Madame Y... :
-15 000 € (QUINZE MILLE EUROS) à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-3 173,40 € (TROIS MILLE CENT SOIXANTE TREIZE EUROS ET QUARANTE CENTS) à titre d'indemnité de préavis ;
-317,34 € (TROIS CENT DIX SEPT EUROS ET TRENTE QUATRE CENTS) à titre de congés payés afférents ;
-317,34 € (TROIS CENT DIX SEPT EUROS ET TRENTE QUATRE CENTS) à titre d'indemnité de licenciement ;
-800 € (HUIT CENTS EUROS) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
ORDONNE le remboursement par la société Compass Group France à l'organisme concerné des indemnités de chômage effectivement versées à Madame Y... par suite de son licenciement dans la limite de six mois ;
MET hors de cause la société Api restauration ;
Ajoutant,
DÉBOUTE Madame Y... de ses demandes de dommages et intérêts à l'encontre de la société Api restauration ;
DÉCLARE le syndicat CFDT Services 54 / 55 recevable en son intervention volontaire ;
CONDAMNE la société Compass Group France à payer au syndicat CFDT Services 54 / 55 :
-200 € (DEUX CENTS EUROS) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ;
-100 € (CENT EUROS) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
CONDAMNE la société Compass Group France à payer à la société Api restauration la somme de 1 200 € (MILLE DEUX CENTS EUROS) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
DÉBOUTE la société Api restauration de sa demande formée à l'encontre de Madame Y... sur la base de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
CONDAMNE la société Compass Group France aux entiers dépens.
Ainsi prononcé à l'audience publique ou par mise à disposition au greffe du sept septembre deux mil sept par Madame SCHMEITZKY, Président, assistée de Mademoiselle FRESSE, Greffier Placé présent lors du prononcé.
Et Madame le Président a signé le présent arrêt ainsi que le Greffier.