ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre sociale
ARRET DU 10 JUILLET 2024
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 21/04612 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PCY4
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 MAI 2021
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEZIERS - N° RG F 18/00363
APPELANTE :
Madame [N] [L]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée sur l'audience par Me Marie-Hélène REGNIER de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de CARCASSONNE
INTIMEE :
Association AIDE SOUTIEN EN MINERVOIS
prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social, sis
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Emmanuelle CHOL, avocat au barreau de CARCASSONNE, substituée sur l'audience par Me Guy CHOL
Ordonnance de clôture du 25 Mars 2024
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 AVRIL 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre
Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller
Madame Magali VENET, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER, assistée de Madame [X] [B], greffier stagiaire
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après prorogation de la date du délibéré initialement prévue le 19 juin 2024 au 10 juillet 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE
Mme [N] [L] allègue avoir été engagée par l'Association Aide et Soutien en Minervois(ASEM) le 12 mars 2018, par contrat de travail à durée déterminée dont le terme était fixé au 11 mars 2019, en qualité d'assistante administrative catégorie employée catégorie B coefficient 271, à hauteur de 151,67h par mois pour une rémunération brute de 9,88€ par heure.
Elle précise avoir signé avec le même employeur, au cours du mois de mai 2018, un contrat à durée indéterminée anti-daté au 12 mars 2018,comportant une période de 'préavis' de deux mois renouvelables , pour un emploi d'assistante de direction, catégorie E, Agent de maîtrise, coefficient 367.
L'employeur soutient n'avoir signé qu'un CDI avec Mme [L] le 12 mars 2018, et conteste avoir préalablement engagée cette dernière par CDD.
La convention collective de l'aide à domicile (IDCCn°2941) s'applique au contrat.
Le 2 juillet 2018, l'ASEM a notifié à Mme [L] la rupture de la période d'essai de son CDI.
Le 24 septembre 2018, Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Béziers afin de contester la rupture de son contrat de travail et voir condamner l'employeur au paiement de diverses sommes.
Par jugement du 28 mai 2021, le conseil de prud'hommes a :
- dit et jugé que Mme [L] n'a pas conclu avec l'association ASEM un CDD allant du 12 mars 2018 au 12 juillet 2019.
- rejeté les demandes indemnitaires de Mme [L] fondées sur l'existence d'un CDD.
- débouté Mme [L] de sa demande de rappel de congés payés du 12 mars 2018 au 12 juillet 2018 pour un montant de 110,01€.
- condamné l'association ASEM au paiement de rappel de salaire pour la période du 1er mai 2018 au 12 juillet 2018 d'un montant de 1424,16 euros.
- condamné l'association ASEM au paiement de l'indemnité compensatrice sur rappel de salaire d'un montant de 142,42 euros.
- condamné l'association ASEM au paiement de la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- rejeté la demande e l'ASEM du versement de la somme de 5000 euros au titre de dommages et intérêts.
- rejeté la demande de l'ASEM du versement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 19 juillet 2021, Mme [L] a relevé appel de la décision.
Dans ses dernières conclusions en date du 18 octobre 2021 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la salariée demande à la cour de :
Réformant partiellement le jugement entrepris :
- constater l'existence d'un CDD du 12 mars 2018 au 11 mars 2019 auquel il a été mis un terme de fait et sans motif et ce faisant:
Condamner l'association Aide et Soutien en Minervois à lui verser les sommes suivantes :
- 17364,33€ à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du CDD,
- 2066,10€ à titre de dommages et intérêts pour perte d'une chance de percevoir l'indemnité de précarité,
Confirmer le jugement entrepris au surplus.
Y ajoutant,
- Condamner l'association Aide et Soutien en Minervois à lui verser la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
- Condamner l'association Aide et soutien en Minervois à lui verser les intérêts légaux sur les sommes dues à compter de la saisine du conseil des prud'hommes.
Dans ses dernières conclusions en date du 17 janvier 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, l'association Aide et Soutien en Minervois demande à la cour de :
- confirmer le Jugement du Conseil des Prud'hommes de Béziers en date du 28 mai 2021 dont appel en ce qu'il a :
- Dit et jugé que Madame [L] n'a pas conclu avec l'association ASEM un CDD allant du 12 mars 2018 au 12 juillet 2019,
- Rejeté les demandes indemnitaires de Madame [L] fondées sur l'existence d'un CDD.
- Débouté Madame [L] de sa demande du rappel de congés payés du 12 mars 2018 au 12 juillet 2018 pour un montant de 110,01 euros.
REFORMER le Jugement dont appel en ce qu'il a :
- Condamné l'association ASEM au paiement du rappel de salaire pour la période du 1er mai 2018 au 12 juillet 2018 d'un montant de 1 426,16 euros.
- Condamné l'association ASEM au paiement de l'indemnité compensatrice de congés payés sur rappel de salaire d'un montant de 142,42 euros.
- Condamné l'association ASEM au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Rejeté la demande de l'ASEM du versement de la somme de 5 000 euros au titre des dommages et intérêts.
- Rejeté la demande de l'ASEM du versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Débouter Madame [N] [L] de l'ensemble de ses demandes de dommages- intérêts.
- Débouter Madame [N] [L] de ses demandes au titre de l'article 700 du CPC.
- Condamner Madame [N] [L] à verser à l'Association Aide et Soutien En Minervois la somme de 5 000 € au titre des dommages et intérêts.
- Condamner Madame [N] [L] à verser à l'Association Aide et Soutien En Minervois la somme de 3 000€ au titre de l'article 700 du CPC.
- Condamner Madame [N] [L] aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est en date du 25 mars 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les contrats de travail :
Sur l'existence du contrat à durée déterminée :
Mme [N] [L] allègue avoir été engagée en CDD en qualité d'assistante administrative par l'ASEM pour la période du 12 mars 2018 au 14 mars 2019 et ajoute qu'au cours du mois de mai 2018 les parties ont signé un CDI dont la date a été rétroactivement été fixée au 12 mars 2018, aux termes duquel elle a été engagée en qualité d'assistante de direction.
L'employeur allègue que seul un CDI a été signé entre les parties le 12 mars 2018, et que le CDD produit aux débats par la salariée est un document sur lequel la signature de la directrice de l'ASEM, Mme [D], a été falsifiée.
La vérification effectuée sur l'écriture et la signature figurant sur les deux contrats produits en original aux débats, établit cependant que le CDD est paraphé et signé d'une écriture identique à celle de Mme [D] portée sur le CDI qu'elle ne conteste pas avoir signé.
Par ailleurs, cette analyse n'est pas remise en cause par les affirmations de l'employeur selon lesquelles un point apposé dans la signature de Mme [D] ne figure pas au même endroit dans le CDD et dans le CDI dès lors que l'analyse des autres documents figurant au dossier, signés par Mme [D], laissent apparaître que cette dernière apposait indifféremment ce point au centre de sa signature, au dessus ou même sur le trait de cette signature (courrier 2 juillet 2018 mettant fin à la période d'essai, attestation pôle emploi et chèque solde de tous comptes du 12 juillet 2018...).
De même, l'employeur ne peut valablement contester l'existence du CDD au motif qu'il n'en existe aucune trace dans les documents informatiques de la société dont rien n'indique qu'ils ne peuvent être modifiés ou supprimés.
Il en découle que le contrat produit aux débats, régulièrement paraphé et signé par les deux parties le 12 mars 2018 établit que la relation de travail a débuté par un CDD.
Sur la validité du contrat à durée indéterminée :
Postérieurement à la signature du CDD, les parties se sont entendues pour conclure un CDI avec une date fixée au 12 mars 2018, sans qu'il ne soit possible d'établir, en l'absence de tout élément probant sur ce point, qu'il a en réalité été signé à une date postérieure au cours du mois de mai 2018.Ce CDI faisant suite au CDD daté du même jour s'analyse en un avenant au CDD, dont il n'y a pas lieu en conséquence de constater la rupture anticipée.
Mme [L] sollicite cependant que soit constatée la nullité du CDI daté du 12 mars 2018, au motif d'un vice de son consentement .
Elle fait valoir que :
- ce contrat ne pouvait prévoir valablement une période d'essai dont elle aurait dû être informée avant la prise d'effet du contrat,
- la formulation de ladite période d'essai est peu claire puisqu'elle était qualifiée de 'période de préavis' qui correspond au délai de prévenance relatif à la fin du contrat de travail et non au début du contrat .
- cette période d'essai, improprement qualifiée de 'préavis' était prévue pour être renouvelable alors qu'elle n'a pas été informée d'un tel renouvellement.
L'employeur affirme qu'une une erreur de plume explique que la période d'essai a improprement été qualifiée de préavis. Il ne justifie, ni même n'allègue, avoir informé la salariée du renouvellement de la période d'essai.
L'article 5 du contrat de travail relatif à la durée du travail est ainsi rédigé :
'....la période de préavis est de deux mois renouvelables soit quatre mois : soit du 12 mars 2018 au 12 juillet 2018.....'
Mme [L] qui a signé ce document, a donc été informée de l'existence d'une période d'essai. Par ailleurs, si cette période a improprement été qualifiée de 'préavis', il n'existe pas d'ambiguïté quant au fait qu'elle correspond bien à une période d'essai débutant lors de la signature du contrat.
Il en découle que Mme [L] n'établit pas l'existence d'un vice de son consentement au regard de ces deux éléments.
Concernant le troisième motif invoquée par la salariée à l'appui de sa demande de nullité du contrat , si l'article L 1221-21 du code du travail prévoit que la période d'essai peut-être renouvelée une fois lorsqu'un accord de branche étendu le prévoit, ce renouvellement ne peut résulter que d'un accord exprès des parties, intervenu au cours de la période initiale, et ne peut résulter de la simple poursuite du contrat de travail. Si l'employeur ne respecte pas les modalités prévues pour le renouvellement de la période d'essai, il en résulte que l'engagement du salarié devient définitif à l'issue de la première période.
En l'espèce, il n'est pas établi, ni même allégué, que l'employeur a recueilli l'accord de la salariée pour renouveler la période d'essai , de sorte que le contrat est devenu définitif à l'issue de la première période d'essai, soit à compter du 12 mai 2018, et qu'au jour du licenciement soit le 2 juillet 2018, Mme [L] n'était plus en période d'essai.
Cependant, la rupture du contrat de travail prononcée sans énonciation de motif au prétexte d'une période d'essai illicite n'entraîne pas la nullité du contrat, mais s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les dommages et intérêts :
Les parties étaient liées par un CDI et non par un CDD, de sorte que la demande indemnitaire de Mme [L] s'analyse en une demande d'indemnisation de la rupture injustifiée de la relation contractuelle, soit du CDI.
Conformément aux dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable, compte tenu de l'ancienneté de la salariée, inférieure à une année révolue, du salaire reconstitué qu'elle était censée percevoir, soit 1973,22 euros(13,01 euros x 151,67 heures), ainsi que ci-après jugé, la perte injustifiée de l'emploi sera indemnisée par l'allocation de la somme de 1900 euros bruts.
Sur le rappel de salaire au titre de la classification :
Mme [L] qui a été engagée en CDI à compter du 12 mars 2018 en qualité d'Assistante de Direction, Catégorie E-Agent de Maîtrise, Coefficient 367 de la convention collective de l'aide à domicile aurait dû percevoir une rémunération de 13,01 euros par heure alors qu'elle a perçu une rémunération d'un montant de 9,88 euros par heure qui correspond à la fonction d'assistante administrative.
L'employeur fait valoir que cette rémunération était prévue au contrat de travail dont l'article 8 stipule que ' durant la période d'essai, Mme [L] percevra une rémunération brute de 9,88 euros ...à l'issue de la période d'essai, soit à compter du 12 juillet 2018, Mme [L] percevra une rémunération brute horaire de 13,01 euros'.
Cependant, au cours de la période d'essai en CDI, le salarié perçoit la rémunération fixée dans son contrat de travail. Par conséquent, l'employeur ne peut pas prévoir une rémunération moins élevée pour les salariés en période d'essai.
En l'espèce, le contrat de travail de Mme [L] ne pouvait valablement prévoir, tel que cela figure à l'article 8 du contrat , une rémunération pendant la période d'essai fixée à 9,88 euros de l'heure puis une rémunération de 13,01euros à l'issue de cette période, correspondant au poste d'assistante de direction pour lequel elle a été engagée.
Il convient en conséquence, dans les limites de la demande, de faire droit au rappel de salaire, sur la période du 1er mai 2018 au 12 juillet 2018 d'un montant de 1426,16 euros, outre 142,26 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents, la décision sera confirmée sur ce point.
Les créances de nature salariale produiront effet aux taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation.
Sur les dommages et intérêts :
L'employeur n'établit pas que Mme [L] a agi de mauvaise foi ni qu'elle lui a causé un préjudice, de sorte que la décision sera confirmée en ce qu'elle a rejeté sa demande de dommages et intérêts.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
L'association ASEM sera condamnée à verser à Mme [L] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement en ce qu'il a dit que Mme [L] n'avait pas conclu avec l'association ASEM un CDD allant du 12 mars 2018 au 12 juillet 2019 et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation de la rupture injustifiée du contrat de travail,
Statuant à nouveau des chefs ainsi infirmés :
Dit qu'un CDD a été conclu entre les parties le 12 mars 2018, mais que la relation de travail s'est poursuivie selon un contrat de travail à durée indéterminée conformément à l'avenant daté du même jour.
Dit que la rupture du contrat de travail au 2 juillet 2018 s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Condamne l'association ASEM à verser à Mme [N] [L] la somme de 1 900 euros bruts de dommages intérêts au titre de la rupture injustifiée du contrat de travail.
Confirme la décision en ses autres dispositions critiquées,
Y ajoutant :
Dit que les créances de nature salariale produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation,
Condamne l'association ASEM à verser à Mme [N] [L] la somme de 1500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel et à supporter les entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT