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10/07/2024 | FRANCE | N°21/03687

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 10 juillet 2024, 21/03687


ARRÊT n°

































Grosse + copie

délivrées le

à















COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 10 JUILLET 2024





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/03687 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PBAB



Décision déférée à la Cour : Arrêt du 17 MAI 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION P

ARITAIRE DE CARCASSONNE - N° RG F 20/00060









APPELANTE :



Madame [Y] [J], épouse [C]

née le 22 mars 1977 à [Localité 5] (94)

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée sur l'audience par Me Mylene MARCHAND, avocat au barreau de CARCASSONNE











INTIME...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 10 JUILLET 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/03687 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PBAB

Décision déférée à la Cour : Arrêt du 17 MAI 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CARCASSONNE - N° RG F 20/00060

APPELANTE :

Madame [Y] [J], épouse [C]

née le 22 mars 1977 à [Localité 5] (94)

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée sur l'audience par Me Mylene MARCHAND, avocat au barreau de CARCASSONNE

INTIMEE :

E.P.I.C. OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT DE L'AUDE

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, sis

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée sur l'audience par Me Antoine SOLANS de la SELARL ANTOINE SOLANS, avocat au barreau de CARCASSONNE

Ordonnance de clôture du 29 Avril 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Thomas LE MONNYER, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Madame Magali VENET, Conseiller

Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant divers contrats de travail à durée déterminée de droit public, Mme [Y] [J], épouse [C], a été engagée du 1er juin 2013 au 30 juin 2014, en qualité d'adjointe administrative, par le Centre de gestion de la fonction publique territoriale de l'Aude et mise à disposition de l'EPIC Office public de l'habitat de l'Aude (Habitat Audois) dont l'activité relève de la convention collective des Offices Publics de l'Habitat du 06 avril 2017.

A compter du 1er juillet 2014, Mme [J] a été engagée en contrat à durée indéterminée à temps complet par Habitat Audois, en qualité d'assistante recouvrement et pré-contentieux.

Le 6 décembre 2018, elle a été élue membre titulaire au CSE.

A compter du 16 janvier 2019, la salariée a été placée en arrêt maladie, lequel a été continûment prolongé jusqu'au 14 avril 2020.

Le 15 juin 2020, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Carcassonne aux fins notamment d'entendre prononcer la résiliation de son contrat de travail en invoquant une situation de harcèlement moral et le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Le 16 juin 2020, à l'issue de la visite de reprise, la salariée a été déclarée inapte à son poste, avec dispense de l'obligation de reclassement, le médecin ayant indiqué la mention exprès selon laquelle son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Convoquée le 13 juillet 2020 à l'entretien préalable fixé au 21 juillet suivant, Mme [J] a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement le 11 septembre 2020, après autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail le 8 septembre 2020.

Par jugement du 17 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Carcassonne l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens.

Le 7 juin 2021, Mme [J] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 29 avril 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 29 mai 2024.

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 6 septembre 2021, Mme [J] demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

A titre principal, prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur produisant les effets d'un licenciement nul, et à titre subsidiaire, prononcer la nullité de son licenciement pour inaptitude,

Fixer son salaire mensuel moyen à la somme de 2 021,07 euros brut,

Condamner l'EPIC Office public de l'habitat de l'Aude à lui verser les sommes suivantes :

- 15 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et à l'obligation de sécurité de résultat,

- 174,97 euros net à titre de rappel d'indemnité de licenciement,

- 4 042,16 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 404,22 euros brut de congés payés afférents,

- 60 632 euros net à titre d'indemnité spéciale pour violation du statut protecteur,

- 36 378 euros net de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

Ordonner la délivrance sous astreinte de 50 euros net par jour de retard à compter du huitième jour suivant notification du jugement, des bulletins de salaires et des documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir (certificat de travail, attestation Pôle Emploi, solde de tout compte),

Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 13 décembre 2021, l'EPIC Office public de l'Habitat de l'Aude demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La cour a invité les parties à présenter leurs observations en délibéré sur la recevabilité des demandes tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur et, subsidiairement, de juger le licenciement nul en l'état de la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement.

Mme [J] et l'EPIC ont déposé leurs observations respectivement les 7 et 11 juin 2024.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

Sur le harcèlement moral :

En application des articles L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon les dispositions de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version issue de la loi nº2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait, précis et concordants, constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, Mme [J] invoque les faits suivants, constitutifs selon elle d'un harcèlement moral :

1. Une surcharge de travail, à compter de sa date d'embauche en contrat à durée indéterminée le 1er juillet 2014, due à une situation de sous-effectif au sein du service recouvrement, au remplacement d'une salariée au poste de régisseuse en 2016, ainsi qu'au processus de changement de régime comptable à compter de l'année 2018 ayant, selon elle, engendré un surcroît d'activité avec ajout de nouvelles missions. Elle indique avoir signalé cette situation de surcharge à sa hiérarchie, sans suite ;

2. Le comportement inapproprié de son responsable hiérarchique, M. [L], directeur financier et comptable, à compter de sa prise de poste en juillet 2013, à l'égard de plusieurs collaborateurs du service comptabilité et dont elle estime avoir été personnellement victime. Elle évoque des méthodes de managements délétères, des remarques déplacées, des pressions, une promesse de promotion sur un poste de responsable non honorée, ayant contribué à la dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé ;

3. Une agression verbale par sa collègue de travail, Mme [U], référente contentieuse qui l'aurait traité de 'voleuse de dossiers', dans un contexte ou elle sentait son poste menacé, et en réaction au comportement manipulatoire de leur responsable, M. [L], qui cherchait à mettre les deux salariées en concurrence.

Il convient de reprendre les différents faits invoqués par la salariée :

1. Sur la surcharge de travail :

Il est constant que la salariée a signalé, lors de son entretien professionnel du 24 mars 2016, au titre de l'année 2015, son refus d'occuper le poste de régisseuse en caisse et qu'elle a, pour autant, occupé ce poste, en remplacement d'une salariée absente entre le 15 et le 26 août 2016. Néanmoins, elle ne justifie pas avoir été confrontée à une situation de surcharge de travail résultant de ce remplacement temporaire ni d'un signalement en ce sens, étant précisé que l'employeur lui a retiré ces missions suite aux préconisations du médecin du travail en date du 28 novembre 2016.

Il est également établi que la cellule recouvrement a connu des évolutions organisationnelles à compter de l'année 2017, en raison de la mise en oeuvre d'un changement de régime de comptabilité impactant les membres du personnel de la direction financière et comptable et engendrant l'accroissement de l'activité de certains postes de travail.

La salariée produit aux débats une attestation de M. [V], agent de recouvrement, qui indique avoir, avec Mme [J], signalé à leur directeur que 'leur travail était impossible à réaliser dans le temps au vu du grand nombre de dossiers à gérer au quotidien et que rien ne fut fait pour alléger leur charge de travail'. Elle produit également une capture d'écran d'ordinateur réalisée le 5 décembre 2018 indiquant qu'elle assurait le suivi précontentieux de 1673 débiteurs.

Ces éléments ne suffisent pas à établir une situation de surcharge de travail dont la salariée aurait été personnellement victime. Comme l'ont retenu les premiers juges, ses comptes rendus d'entretien annuels ne font aucune mention d'une surcharge de travail et elle ne justifie avoir réalisé qu'un faible nombre d'heures supplémentaires, sans augmentation significative en 2017.

Ce fait sera considéré comme non établi.

2. Sur le comportement inapproprié du directeur financier et comptable :

- Sur les méthodes de management

Plusieurs salariés du service ont remonté des problèmes relationnels, organisationnels et managériaux attribués à leur directeur, M. [L].

Le rapport diligenté par la directeur général suite à la démarche de qualité de vie au travail engagée à compter de l'année 2017 fait état de la remontée des faits suivants :

- 'problèmes relationnels : une attitude de M. [L] majoritairement décriée, qui se traduit par un comportement inadapté : 'absence d'écoute, propos grossiers, propos dégradants, déplacés, dévalorisants, geste inapproprié en réunion, vulgaire, langage autoritaire ou dénigrant, intimidation'. Les ressentis dont ont fait part les salariés étaient les suivants : 'manque de respect, sentiment d'humiliation en réunion, manque de considération, crainte de représailles, sentiment de peur voire d'agression' ;

- problèmes organisationnels : pas de cadre de travail, fiches de poste non actualisées, organigramme non finalisé, absence de réponse suite à des demandes (pas de retour suite à des questions posées par mail), personnel livré à lui-même sans cadre précis, l'impression générale est que le changement de comptabilité repose sur trois personnes (directeur financier et comptable, chargée d'opérations d'investissement et chargé informatique des méthodes et progiciel 'métiers' et le reste du personnel de cette direction a le sentiment d'être écarté de tout, les salariés ne savent pas le 'qui fait quoi', n'ont pas d'idée précise et n'ont pas connaissance de la totalité des missions des collègues, absence de lisibilité sur les missions exercées par le trésor public et transférées à la direction financière et comptable'

La salariée produit plusieurs attestations de salariés faisant état de propos déplacés tenus par M. [L] à l'encontre de ses collaborateurs. Mme [O] rapporte notamment'son vocabulaire vulgaire, ses blagues douteuses et ses regards insistants sur les femmes' ; M. [V] indique qu'il 'présentait des familiarités avec certains agents du service alors que pour d'autres ils devenaient la proie de sarcasmes et de moqueries voire même de harcèlement' ; Mme [D] décrit 'une personne imbue d'elle même, aux propos et gestes grossiers, des propos à caractère sexiste et sexuel avec allusion à l'âge (vieille peau), la physionomie de ses collaboratrices ou employées de l'office (gros cul-mal foutue) ou leur vie intime (mal baisée)'.

Elle produit également les courriers circulaires adressés à l'ensemble des salariés du service ainsi qu'à M. [L] par lesquels le directeur général a reconnu l'existence d'un 'mal-être au travail provenant avant tout de problèmes relationnels dus à un comportement inapproprié du directeur financier et comptable'.

Ces faits sont établis.

- Sur les remarques déplacées adressées à Mme [J]

La salariée produit des attestations de salariés rapportant qu'elle a été personnellement victime des propos déplacés de M. [L]. Ainsi, M. [K] déclare 'j'ai pu constater certaines phrases déplacées envers la gente féminine', et ajoute que M. [L] s'est adressé à Mme [J] en ces termes : 'tu n'es pas très grande, remarque tu es à la bonne taille mais fait attention ça rend la tête plate....!', Mme [D] déclare que M. [L] 'la rabaissait, l'humiliait, lui disait qu'elle n'avait pas l'échelon pour ce poste' et évoque 'pression, humiliation, manque de considération, de reconnaissance, le cocktail parfait pour faire craquer une personne, [Y] déclenche de gros soucis de santé et se met en arrêt' ; Mme [O], déclare que M. [L] l'a traitée de "chieuse".

Ces faits sont établis.

- Sur les pressions

La salariée produit aux débats une attestation de Mme [O] qui déclare : 'à partir de l'été 2017, la préparation du passage à la comptabilité commerciale (gros chantier pour notre service) pour le 1er janvier 2019, [E] [L], s'est mis à me (nous') mettre une pression énorme lors des réunions (qui duraient des heures voire la demi-journée) avec des discours menaçants et anxiogènes 'il va falloir sortir les muscles' ; 'c'est fini le club med' 'il va falloir se sortir les doigts du ***' 'vous allez voir quand le commissaire aux comptes sera là', de manière très autoritaire il demandait au service de tenir des délais intenables'.

Il n'est pas contesté que Mme [J], qui a participé à ces réunions, a personnellement subi ces pressions. Ces faits sont établis.

- Sur la promesse de promotion au poste de responsable

La salariée justifie avoir, lors de son entretien professionnel en mars 2016, manifesté son souhait d'accéder à un poste de responsable et un passage au niveau 2, ce à quoi il lui a été répondu que ce sujet serait abordé à moyen terme, sous réserve d'une maîtrise de l'ensemble des missions de la cellule recouvrement.

Elle soutient que M. [L] aurait annoncé lors d'une réunion de service au début de l'année 2018 qu'il souhaitait la nommer au poste de responsable du service pré-contentieux. Elle produit :

- une attestation de Mme [F], chargée des procédures précontentieuses, qui indique qu'au cours d'une réunion de service courant 2018, M. [L] a indiqué que Mme [J] dirigerait le service pré-contentieux, sous réserve qu'elle fasse ses preuves sur le poste et d'une validation de cette décision en comité de direction,

- une attestation de Mme [D] qui déclare que M. [L] a 'évoqué le souhait de lui proposer le poste de responsable du service recouvrement',

- une attestation de M. [V] qui indique que lors d'une réunion de service organisée au début de l'année 2018, M. [L] a indiqué que Mme [J] occuperait le poste de responsable du service recouvrement.

M. [L] reconnaît que lors d'une réunion de service en décembre 2018, il a évoqué le projet de confier à Mme [J] la gestion des locataires partis, mais que ces missions ne lui ont finalement pas été attribuées en raison de son absence maladie.

Il est constant que la promotion de Mme [J] au poste de responsable du service pré-contentieux a été évoquée par M. [L] lors d'une réunion de service au cours de l'année 2018. Cependant, Mme [J] ne justifie pas avoir bénéficié d'un engagement ferme à ce titre, une telle décision étant soumise à la validation par la direction générale. En outre, la salariée a été placée en arrêt de travail à plusieurs reprises à compter du mois de novembre 2018 et continûment à compter du 16 janvier 2019, impliquant son remplacement.

Hormis cette promesse de promotion imparfaitement caractérisée, les éléments produits permettent d'établir les méthodes de management pathogènes de M. [L], se caractérisant notamment par des propos déplacés à l'égard de plusieurs salariés du service,

et une mise en concurrence des salariés, dont elle a été personnellement victime.

3. Sur l'agression verbale par sa collègue, Mme [U] :

Il n'est pas contesté que Mme [U], référente contentieuse, s'est vu confier la responsabilité de former Mme [J] sur la dimension contentieuse de son activité.

Mme [J] produit trois attestations de Mme [D], Mme [O] et M. [A] dont il ressort que Mme [U] a senti son poste menacé, qu'elle a traité Mme [J] de 'voleuse de dossiers' et que M. [L] mettait ces deux salariées en concurrence, cherchant à les diviser, notamment en les convoquant séparément, sans les confronter. Mme [O] ajoute avoir également victime du comportement manipulateur de M. [L], qui la mettait en concurrence avec deux autre salariés, M. [A] et M. [S].

Dans ce contexte de mise en concurrence par le supérieur de collaboratrices placées sous son autorité, la salariée justifie de l'agression verbale subie de la part de sa collègue. Les attestations qu'elle verse aux débats corroborent les problématiques managériales attribuées à M. [L], dont elle a été personnellement victime.

Par ailleurs, Mme [J] justifie de la dégradation de son état de santé psychique :

Placée continûment en arrêt maladie du 16 janvier 2019 au jour de son licenciement pour inaptitude, elle a été déclarée à l'issue de la visite de reprise du 16 juin 2020, inapte à son poste en précisant que 'l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'.

Elle communique le certificat de son médecin psychiatre, le docteur [H] [P], en date du 12 février 2020, qui indique que 'l'état de santé de Mme [J] [Y] ne lui permet plus d'effectuer son retour dans son activité professionnelle (Habitat Audois) au risque de la mettre en danger psychique' et recommande son licenciement pour inaptitude.

Il en ressort que la salariée établit la dégradation de son état de santé psychique, la continuité de l'arrêt maladie jusqu'à la visite de reprise et l'inaptitude prononcée par le médecin du travail.

' Pris dans leur ensemble, les faits précis et concordants établis par la salariée, à savoir le comportement inapproprié de M. [L] à l'égard de plusieurs collaborateurs de la direction comptable et financière, se caractérisant notamment par des méthodes de management pathogènes et des remarques déplacées dont elle a été personnellement victime, ayant contribué à la dégradation du climat social, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il incombe donc à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement.

L'établissement reconnaît le comportement inapproprié de M. [L], notamment caractérisé par 'des pratiques managériales quelques peu brutales'. Cependant, il fait valoir que ces agissements ne caractérisent pas un harcèlement moral à l'encontre de Mme [J].

Il produit aux débats le témoignage de M. [L] qui conteste avoir tenu des propos désobligeants, grossiers ou agressifs à l'égard de Mme [J]. Il a en revanche reconnu'des familiarités ou des plaisanteries qui, sorties de leur contexte, peuvent être évidemment mal interprétées'.

Ce témoignage n'établit pas que son comportement était étranger à une situation de harcèlement moral à l'encontre de Mme [J].

Il ne ressort d'aucun élément qu'elle acceptait de telles remarques comme des plaisanteries et usait du même type de langage à son encontre.

Par ailleurs, aucun élément ne permet de contredire les déclarations concordantes de Mesdames [M] et de M. [A] qui rapportent qu'elle a été victime du comportement manipulateur de M. [L].

C'est par une motivation erronée que le conseil de prud'hommes, après avoir relevé les problématiques managériales liées au comportement de M. [L] a considéré que ces faits ne pouvaient être constitutifs de harcèlement moral à l'encontre de Mme [J] au motif que 'les agissements du directeur n'étaient pas dirigés envers elle seule mais sur toute son équipe'.

En effet, l'existence de plusieurs victimes des agissements commis par M. [L] n'exonère pas l'employeur des conséquences de tels agissements à l'égard de Mme [J] qui justifie en avoir été personnellement victime.

Faute pour l'employeur de rapporter la preuve que les faits établis par la salariée étaient étrangers à tout harcèlement moral, le jugement sera réformé en ce qu'il a débouté Mme [J] de sa demande, et l'intimé sera condamné à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi à ce titre.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur l'obligation de sécurité :

La salariée reproche à l'employeur de ne pas avoir mis en oeuvre des mesures suffisantes pour prévenir la dégradation du climat social au sein de la direction financière et comptable alors qu'il avait pleinement connaissance de la situation.

La société réfute tout manquement à ce titre.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

En vertu de ces textes, l'employeur est tenu à l'égard de son salarié d'une obligation de sécurité. Il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, actions d'information et de formation, mise en place d'une organisation et de moyens adaptés) en respectant les principes généraux de prévention suivants : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé, tenir compte de l'état d'évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle, donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Dès lors que le salarié invoque précisément un manquement professionnel en lien avec le préjudice qu'il invoque, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve du respect de son obligation de sécurité à l'égard du salarié.

La société fait valoir qu'elle a suffisamment réagi et expose avoir mis en oeuvre les mesures suivantes :

- une démarche de qualité de vie au travail initiée en février 2017, en lien avec le cabinet Umamove spécialisé dans l'amélioration des conditions de travail, suite au constat d'un fort taux d'absentéisme et d'une dégradation du climat social, au sein de la direction financière et comptable. Le projet prévoyait les étapes suivantes : des questionnaires à remplir par les salariés avec garantie de l'anonymat, des entretiens collectifs sous forme de groupes de paroles puis l'analyse des résultats par le cabinet et la définition d'un plan d'action et d'un suivi programmé jusqu'en mars 2018. Un comité de pilotage de ce projet avait été constitué, dont Mme [J] était membre ;

- l'élaboration d'une charte managériale en février 2018, présentée au personnel en avril 2018, suivie d'une session de formation sur le management à laquelle ont participé l'ensemble des directeurs et responsables opérationnels ;

- l'organisation, entre janvier et février 2019, de plusieurs entretiens menés par la direction des ressources humaines, avec M. [L], puis avec les salariés en réunion collective, et en entretiens individuels ;

- l'envoi d'un courriel à M. [L] par le directeur général le 26 février 2019 lui demandant de changer son comportement relationnel et de faire évoluer ses pratiques professionnelles ;

- la mise en place d'un contrat de coaching renforcé pour M. [L], réalisé par un organisme extérieur spécialisé sur une durée de 4 à 6 mois débutant en mars 2019, dont il était mentionné qu'il se concrétiserait par 'la conclusion d'objectifs précis d'évolution à atteindre avec des bilans intermédiaires d'évaluation et un bilan final'.

La société justifie avoir mis en place des mesures, à compter du mois de février 2017 aux fins de remédier à l'accroissement du taux d'absentéisme et à la dégradation du climat social touchant le service comptable et financier et mettant en cause le comportement de M. [L].

Néanmoins, le simple rappel à l'ordre de M. [L] par courrier du 26 février 2019 et l'allégation, non démontrée, selon laquelle un coaching du supérieur hiérarchique a été mis en oeuvre, dont aucun bilan d'évaluation n'est en toute hypothèse versé aux débats, ne suffisent pas à démontrer qu'une fois le comportement harcelant du supérieur hiérarchique établi, l'employeur a pris les mesures appropriée pour faire cesser le risque auquel ses salariées étaient exposées.

En outre, l'établissement ne justifie pas de la mise à jour de son document unique d'évaluation des risques, ni avoir réalisé une évaluation des risques psychosociaux au sein de son établissement, malgré plusieurs relances par la médecine du travail et l'inspecteur du travail.

Il ressort de ces éléments que l'employeur ne justifie pas avoir pris les mesures suffisantes et en temps utiles afin de prévenir les risques psychosociaux et les résoudre une fois ceux-ci identifiés, et a ainsi manqué à son obligation de sécurité.

Par suite, le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [J] de ce chef dont le préjudice en découlant sera réparé par l'allocation de la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur la rupture :

Dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration du travail de vérifier que celle-ci est réelle et justifie son licenciement. Il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral dont l'effet, selon les dispositions combinées des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 du code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail. Ce faisant, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations.

A cet égard, si le juge ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire postérieurement au prononcé du licenciement notifié sur le fondement d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, il lui appartient, le cas échéant, de faire droit aux demandes de dommages-intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

En l'espèce, il est constant que le licenciement pour inaptitude de Mme [J], alors salariée protégée, a été autorisé par l'inspecteur du travail.

Il s'ensuit que la salariée n'est pas fondée à solliciter du juge prud'homal qu'il prononce la résiliation judiciaire de son contrat aux torts de l'employeur ou juge la nullité du licenciement.

En revanche, elle est recevable à solliciter du juge prud'homal l'indemnisation de la perte injustifiée de son emploi dès lors que serait établi un manquement de l'employeur à l'origine de l'inaptitude, cause du licenciement.

Le jugement sera complété en ce sens.

En l'espèce, il ressort des éléments précédemment développés que le harcèlement moral est caractérisé, ainsi qu'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

La salariée a été placée en arrêt de travail à compter du 16 janvier 2019 jusqu'à sa déclaration d'inaptitude le 16 juin 2020 en précisant que 'l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'.

Il résulte des éléments ci-avant analysés que la dégradation de l'état de santé qui a justifié son arrêt de travail, puis son inaptitude, est en lien avec le harcèlement moral qu'elle a subi, de sorte que la

salariée est bien fondée à solliciter l'indemnisation de la perte injustifiée de son emploi.

Sur l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi :

Les parties s'opposent sur l'ancienneté à prendre en compte pour le calcul des indemnités de rupture.

La salariée fait valoir que les périodes au cours desquelles elle était employée par le centre de gestion de la Fonction Publique Territoriale de l'Aude et mise à disposition d'Habitat Audois auraient du être prise en compte dans le calcul de son ancienneté. Elle revendique une reprise d'ancienneté à compter du 9 septembre 2013 et se réfère à l'article 4 de la convention collective des Offices Publics de l'Habitat dispose que 'l'indemnité de licenciement est calculée en prenant en compte, le cas échéant et outre l'ancienneté acquise dans l'office public de l'habitat, la durée des fonctions du salarié dans cet établissement avant sa transformation en office public de l'habitat'.

En réplique l'établissement soutient qu'il n'avait aucune obligation de reprendre l'ancienneté acquise chez le précédent employeur et relève que les contrats à durée déterminée relevaient du droit public.

Les dispositions conventionnelles ne faisant aucune distinction pour son application selon que la relation de travail a commencé dans le cadre d'un contrat de droit public ou d'un contrat de droit privé, la date d'effet de l'ancienneté de la salariée sera retenue au 9 septembre 2013.

Conformément au calcul détaillé fourni par la salariée de ce chef, lequel n'est pas utilement discuté par l'employeur, ce dernier sera condamné à verser un rappel de ce chef à hauteur de 174,97 euros net. Le jugement sera réformé sur ce point.

La salariée est fondée à obtenir :

- une indemnité compensatrice d'un montant égal à l'indemnité compensatrice de préavis dont le montant n'est pas critiqué par l'employeur. L'indemnité sera arrêtée à la somme de 4 042,16 euros brut euros, correspondant à deux mois de salaire, outre celle de 404,22 euros brut au titre des congés payés afférents,

- une indemnité pour licenciement nul : la salariée sollicite la somme de 36 378 euros correspondant à 18 mois de salaire. En application de l'article L.1235-3-1 du code du travail, lorsque le licenciement est entaché de nullité, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois. Compte tenu du montant de sa rémunération moyenne qui n'est pas contestée (2 021,07 euros), de son ancienneté (6 ans), de son âge au moment du licenciement

(43 ans), et de l'absence de justification de sa situation personnelle et professionnelle postérieure à la rupture, il convient de fixer à 18 000 euros bruts correspondant à six mois de salaire, le montant des dommages et intérêts pour licenciement nul dus à Mme [J].

En revanche, la salariée sera déboutée de sa demande d'indemnité pour violation de son statut protecteur à hauteur de 60 632 euros, dans la mesure où aucune violation de ce statut n'est avérée, son licenciement ayant été autorisé par l'autorité administrative. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée sur ce point.

Il sera ordonné à l'employeur de remettre au salarié les documents de fin de contrat régularisés, mais sans astreinte laquelle n'est pas nécessaire à assurer l'exécution de cette injonction.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme le jugement rendu le 17 mai 2021 par le conseil de prud'hommes de Carcassonne uniquement en ce qu'il a débouté Mme [J] de sa demande en paiement de l'indemnité spéciale pour violation du statut protecteur,

Infirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le principe de séparation des pouvoirs,

Rejette les demandes formées par Mme [J] tendant à voir, à titre principal, prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur et, à titre subsidiaire, juger la nullité du licenciement autorisé par l'inspecteur du travail,

Juge que Mme [J] a été victime de harcèlement moral,

Dit que le licenciement de la salariée pour inaptitude, autorisé par l'inspecteur du travail, repose sur des manquements de l'employeur,

Condamne l'EPIC Office Public de l'Habitat de l'Aude à payer à Mme [J] les sommes suivantes :

- 5 000 euros net de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 3 000 euros net de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- 4 042,16 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 404,22 euros au titre des congés payés afférents,

- 18 000 euros bruts d'indemnité pour la perte injustifiée de son emploi,

- 174,97 euros net à titre de rappel d'indemnité de licenciement,

- 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Ordonne à l'EPIC Office public de l'Habitat de l'Aude de remettre à Mme [J] les documents de fin de contrat (attestation Pôle-emploi, solde de tout compte et certificat de travail) conformes à la présente décision dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt,

Rejette la demande d'astreinte.

Condamne l'EPIC Office public de l'Habitat de l'Aude aux entiers dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas Le Monnyer, Président, et par Madame Marie-Lydia Viginier, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/03687
Date de la décision : 10/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-10;21.03687 ?
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