ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre sociale
ARRET DU 10 JUILLET 2024
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 21/03647 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PA5R
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 MAI 2021
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE RODEZ - N° RG F 20/00072
APPELANTE :
S.A.S. SOCIETE AVEYRONNAISE CENTRE PRESSE
Pris en la personne de son représentant légal agissant poursuites et diligences, domicilié en cette qualité audit siège social, sis
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée sur l'audience par Me Olivier BONIJOLY de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Monsieur [O] [B]
né le 20 Juin 1989 à [Localité 3] (62)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté sur l'audience par Me Pauline LE BOURGEOIS, avocat au barreau de TOULOUSE
Ordonnance de rabat de la clôture du 29 Avril 2024, et après accord des parties, nouvelle clôture prononcée le 29 Mai 2024.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Thomas LE MONNYER, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre
Madame Magali VENET, Conseiller
Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère
Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE
De janvier 2017 à décembre 2019, M. [O] [R], qui se nomme désormais [O] [B], a fourni à la société Aveyronnaise Centre Presse (ci après SAS SACEP) des articles sur les actualités sportives en contrepartie d'une rémunération versée sous forme d'honoraires et ce, sans qu'un contrat écrit ne soit formalisé.
Exposant que la société SACEP a rompu les relations contractuelles après qu'il a publié sur les réseaux sociaux un avis critique sur un éditorial publié dans le journal, M. [B] a saisi, le 29 octobre 2020, le conseil de prud'hommes de Rodez aux fins d'entendre prononcer la requalification de la relation contractuelle en un emploi salarié à temps complet de journaliste, et la condamnation de la société au paiement d'un rappel de salaire, de l'indemnité pour travail dissimulé et des indemnités de rupture.
La société a plaidé le rejet de l'ensemble de ses prétentions en objectant que M. [B] exerçait son activité de manière indépendante en qualité de correspondant local de presse.
Par jugement du 10 mai 2021, le conseil a statué comme suit :
Dit qu'il existe une relation de travail entre M. [R] et la société SACEP qui relève d'un contrat de travail à durée indéterminée dont la moyenne mensuelle brute de salaire s'élève à 1 549 euros,
Déboute le salarié de ses demandes d'indemnité au titre du travail dissimulé et de dommages et intérêts pour atteinte à la liberté d'expression,
Dit que la rupture de la relation de travail entre les parties produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la société SACEP à verser à M. [R] les sommes suivantes :
- 42 852 euros à titre de rappel de salaires pour la période d'octobre 2017 à décembre 2019 outre 4 285 euros de congés payés afférents,
- 4 647 euros au titre de rappel de salaires au titre du 13ème mois conventionnel,
- 1 549 euros au titre de l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
- 3 098 euros au titre de l'indemnité de préavis, outre 309,80 euros au titre des congés payés y afférents,
- 4 647 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ,
- 6 196 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Ordonne à la société de remettre au salarié l'attestation Pôle Emploi, le certificat de travail et le reçu pour solde de tout compte,
Déboute le salarié de sa demande d'astreinte de 50 euros par jour de retard et par document passé un délai de 15 jours suivant la notification du jugement,
Condamne la société à verser au salarié la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux éventuels dépens.
Le 4 juin 2021, la société Aveyronnaise Centre Presse a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Par ordonnance rendue le 29 avril 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 29 mai 2024.
' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 13 septembre 2022, la société appelante demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
Juger que le salarié était correspondant local de presse et que la collaboration entre les parties ne s'analysait pas comme un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein,
Débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes,
Le condamner à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens.
La société objecte que l'activité exercée par M. [B] correspond à la définition légale du correspondant local de presse quotidienne régionale ou départementale (ci- après CLP) et que c'est sous ce régime juridique que leurs relations contractuelles se sont poursuivies jusqu'en décembre 2019. Elle précise que ses journalistes professionnels procédaient à l'examen des informations transmises par M. [B], lesquelles portaient sur les actualités sportives locales, les révisaient puis les mettaient en forme. Elle ajoute qu'au vu du relevé qu'il établissait, elle lui versait des honoraires dont le montant était déterminé par le nombre et la nature des éléments communiqués (photographie, textes) lesquels variaient chaque mois.
Opposant au requérant le fait que sa collaboration a donné lieu au versement d'une rémunération qui n'était pas fixe, la société soutient qu'en application des textes régissant les fonctions de correspondant local de presse et de journaliste professionnel et de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, M. [B] n'est pas fondé à solliciter la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail.
La société appelante conteste que M. [B] ait exercé ses fonctions sous un lien de subordination et fait valoir que l'envoi d'un 'programme hebdomadaire', adressé également aux correspondants pour leur information, ne saurait caractériser une instruction donnée à ces collaborateurs, et souligne que l'un d'entre eux témoigne de ce qu'ils n'étaient pas tenus de respecter ce programme.
Elle soutient encore que rien dans les éléments communiqués par le salarié ne démontre que M. [B] participait à la politique rédactionnelle du journal, à la hiérarchisation et la vérification de l'information. Elle relève dans ses propres écrits que M. [B] se qualifiait de correspondant local de presse.
Elle en conclut que M. [B] ne peut invoquer la présomption de salariat mentionnée à l'article L.7111-2 du code du travail pour obtenir la requalification de sa relation professionnelle en contrat de travail.
' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 29 avril 2024, M. [B] demande à la cour de :
Confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a débouté de ses demandes indemnitaires au titre du travail dissimulé, de la nullité du licenciement, de l'exécution défaillante du contrat de travail, de l'atteinte à sa liberté d'expression et du caractère brutal et vexatoire de la rupture,
Statuant à nouveau,
Condamner la société au paiement des sommes suivantes :
Sur l'exécution du contrat :
- 9 294 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé,
- 4 647 euros de dommages et intérêts pour exécution défaillante du contrat de travail,
Sur la rupture :
A titre principal,
- 9 294 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul sur le fondement de l'article L. 1235-3-1 du Code du travail,
A titre subsidiaire,
- 6 196 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L.1235-3 du Code du travail,
- 4 647 euros de dommages et intérêts pour atteinte à la liberté d'expression en application de L. 1235-3-1 du Code du travail,
A titre infiniment subsidiaire,
- 1 549 euros sur le fondement de l'article L. 1235-2 du Code du travail au titre de l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
En tout état de cause,
- 4 647 euros dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
Ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,
Condamner la société à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Maître Pauline Le Bourgeois, M. [B] s'engageant à renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle, ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de son action et de sa demande de confirmation du jugement entrepris, M. [B] se prévaut, au visa des articles L. 7111-3 et L. 7111-4 du code du travail de la présomption de salariat en raison de sa qualité de journaliste professionnel.
Il expose que son activité ne se limitait pas à la collecte d'informations de proximité pour le compte de la société SACEP mais que celle-ci le sollicitait afin de rédiger de véritables articles de presse, signés sous son nom, équivalents en qualité et tailles à ceux rédigés par les autres salariés.
L'intimé indique qu'il satisfait aux 3 conditions légales prescrites par l'article L. 7111-3 du code du travail.
Il réfute le critère que lui oppose la société appelante, tiré de l'absence de fixité de sa rémunération, en objectant sur ce point qu'elle ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude et du dévoiement des dispositions légales régissant le contrat de travail qu'elle a opéré pour faire échec à sa légitime réclamation. L'intimé considère en toute hypothèse que ce qui importe ce n'est pas tant le montant de la rémunération servie que la régularité du paiement, tous les mois.
Enfin, il estime réunir les conditions de droit commun d'un contrat de travail à savoir une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination caractérisée par l'envoi toutes les semaines de son planning sans conditionnalité, assorti d'instructions sur la pagination(taille du texte et date et heures limites) et l'exercice par la société de son pouvoir disciplinaire en rompant les relations contractuelles pour avoir osé émettre un commentaire critique sur un éditorial publié dans le journal.
M. [B] considère ainsi devoir bénéficier de la présomption de salariat et de l'existence d'un contrat de travail, présomption qui ne pourra être renversée au regard des conditions réelles dans lesquelles il exerçait son activité et dont indique justifier.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
MOTIVATION
Se prévalant de la présomption de travail salarié liée à sa qualité alléguée de journaliste professionnel, M. [B] sollicite la requalification de la relation de travail en un emploi salarié et le bénéfice de la convention collective des journalistes, qu'il s'agisse de sa demande en paiement de rappel de salaire que de celles en paiement des indemnités de rupture.
L'article L.7111-3 du code du travail dispose que :
« Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
Le correspondant, qu'il travaille sur le territoire français ou à l'étranger, est un journaliste professionnel s'il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa. »
Selon l'article L. 7112-1, toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.
Les textes conventionnels reprennent les définitions données par le législateur. Ainsi l'article 1er de la Convention collective nationale des journalistes du 1er novembre 1976, refondue le 27 octobre 1987 (IDCC 1480), se rapportant à l'objet et au domaine de la convention dispose :
' La présente convention collective nationale règle les rapports entre les employeurs et les journalistes professionnels, salariés des entreprises tels qu'ils sont définis à l'article L. 761-2 du code du travail et à l'article 93 de la loi du 29 juillet 1982.
Alinéa 1 :
Le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques, ou dans une ou plusieurs agences de presse ou dans une ou plusieurs entreprises de communication audiovisuelle et qui en tire le principal de ses ressources.
Alinéa 2 :
Le correspondant, qu'il travaille sur le territoire français ou à l'étranger, est un journaliste professionnel s'il reçoit des appointements fixes et remplit les conditions prévues au paragraphe précédent.
Alinéa 3 :
Sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction : rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l'exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n'apportent, à un titre quelconque, qu'une collaboration occasionnelle.
La présente convention s'applique à l'ensemble du territoire national, et ce dès le premier jour de la collaboration. Les dispositions de la présente convention remplaceront les clauses des contrats ou accords existants, dès lors que ceux-ci seraient moins avantageux pour les journalistes professionnels.
Les parties reconnaissent l'importance d'une éthique professionnelle et l'intérêt que celle-ci représente pour une bonne information du public.'
Par ailleurs, il convient de relever que l'article 6 de cette même convention, situé dans une partie traitant des principes professionnels, dispose qu' 'aucune entreprise visée par la présente convention ne pourra employer pendant plus de 3 mois des journalistes professionnels et assimilés qui ne seraient pas titulaires de la carte professionnelle de l'année en cours ou pour lesquels cette carte n'aurait pas été demandée. Cette mesure ne s'applique pas aux correspondants locaux dont la collaboration ne constitue qu'une occupation accessoire. Toutefois, ces dispositions n'interdisent pas la collaboration de personnalités du monde politique, littéraire, scientifique, technique, etc., sous la signature ou le pseudonyme de l'auteur ou la responsabilité de la direction du journal. En aucun cas, ces personnalités ne devront tenir un emploi salarié qui pourrait être assuré par un journaliste professionnel.'
L'article 10 de la loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses dispositions d'ordre social, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que :
« I.- Le correspondant local de la presse régionale ou départementale contribue, selon le déroulement de l'actualité, à la collecte de toute information de proximité relative à une zone géographique déterminée ou à une activité sociale particulière pour le compte d'une entreprise éditrice.
Cette contribution consiste en l'apport d'informations soumises avant une éventuelle publication à la vérification ou à la mise en forme préalable par un journaliste professionnel.
Le correspondant local de la presse régionale et départementale est un travailleur indépendant et ne relève pas au titre de cette activité du 16° de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale ni de l'article L. 761-2 du code du travail.
II.- Lorsque le revenu tiré de leur activité n'excède pas 15 % du plafond annuel de la sécurité sociale, les correspondants locaux de la presse régionale et départementale visés au I ne sont affiliés au régime de sécurité sociale dont relèvent les travailleurs indépendants que s'ils le demandent.
III.-Lorsque le revenu tiré de leur activité reste inférieur à 25 % du plafond mentionné au II, les correspondants locaux de la presse régionale et départementale visés au II bénéficient d'un abattement de 50 % pris en charge par l'Etat sur leurs cotisations d'assurance maladie-maternité et d'assurance vieillesse.»
Il résulte donc de ces textes que le journaliste professionnel qui remplit les conditions énoncées à l'article L. 7111-3 du code du travail bénéficie de la présomption de salariat prévue par l'article L. 7112-1.
En revanche, la situation du correspondant est particulière puisqu'il est, en principe, exclu du statut des journalistes et ne bénéficie pas de la présomption légale de salariat. Il peut toutefois être réputé journaliste professionnel et bénéficier de la présomption légale de salariat lorsque les conditions posées par l'article L. 7111-3 al 2 du code du travail sont réunies c'est à dire s'il perçoit des rémunérations fixes et répond à la définition du journaliste posée par l'alinéa 1er de ce même article.
Par ailleurs, il est de droit que si le travailleur a la qualité de correspondant local de presse, il ne peut revendiquer l'existence d'un contrat de travail que dans les conditions prévues par l'article L. 7111-3 du code du travail. Dans le prolongement de sa jurisprudence, la Cour de cassation a, par arrêt en date du 15 novembre 2023 (N° 23-14.979), dit n'y avoir lieu à transférer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ainsi libellée :
« Le second alinéa de l'article L. 7111-3 du code du travail n'est-il pas contraire au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, d'une part, en ce qu'il crée une inégalité de traitement entre le correspondant de presse et le journaliste professionnel en exigeant du correspondant pour qu'il puisse être assimilé à un journaliste professionnel et bénéficier de la présomption de contrat de travail posée par l'article L. 7112-1 du code du travail qu'il justifie non seulement remplir les conditions posées par l'alinéa 1 de l'article L. 7111-3 pour être journaliste professionnel mais aussi de la fixité de ses revenus, et, d'autre part, en ce que, tel qu'il est interprété de façon constante par la Cour de cassation, il crée une inégalité de traitement entre le correspondant local de presse et les personnes physiques dont l'activité donne lieu à immatriculation sur les registres ou répertoires énumérés par l'article L. 8221-6 du code du travail dès lors que le correspondant local de presse ne peut revendiquer l'existence d'un contrat de travail que dans les conditions prévues par l'article L. 7111-3 du code du travail tandis qu'il suffit pour les personnes physiques immatriculées aux registres du commerce ou des métiers de prouver, pour renverser la présomption de non-salariat, qu'elles fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre ', et ce pour les motifs suivants :
« Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
8. L'article L. 7111-3, alinéa 2, du code du travail qui détermine les conditions dans lesquelles un correspond local de presse est assimilé à un journaliste professionnel est applicable au litige.
9. Il n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
10. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
11. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
12. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
13. Concernant la première partie de la question, par la loi du 29 mars 1935 relative au statut professionnel des journalistes, dont sont issues les dispositions contestées, le législateur a mis en place un régime spécifique pour les journalistes compte tenu de la nature particulière de leur travail. Dans ce but, le législateur a entendu réserver la protection qu'offre le statut aux personnes répondant à la définition du journaliste professionnel comme étant toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources. Le législateur a également assimilé aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l'exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n'apportent, à un titre quelconque, qu'une collaboration occasionnelle.
14. Pour ce qui est du correspondant, qu'il travaille sur le territoire français ou à l'étranger, le législateur l'assimile à un journaliste s'il perçoit des rémunérations fixes et répond à la définition du journaliste professionnel.
15. Cette différence de traitement tenant à la fixité des rémunérations est justifiée par l'objectif d'exclure du champ de la protection offerte par le statut de journaliste professionnel les correspondants qui n'exercent qu'à titre occasionnel. En cela, la différence de traitement est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
16. Concernant le second aspect de la question, le correspondant local de presse qui revendique l'existence d'un contrat de travail de journaliste n'est pas placé dans la même situation qu'un travailleur indépendant qui revendique l'existence d'un contrat de travail de droit commun lorsqu'il soutient qu'il fournit des prestations dans des conditions qui le placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre.
17. En effet, les règles particulières applicables à une personne exerçant en qualité de correspondant local de presse pour invoquer l'existence d'un contrat de travail en qualité de journaliste, sont justifiées par l'objectif poursuivi par le législateur de garantir l'indépendance des journalistes en prenant en compte les conditions particulières dans lesquelles s'exerce la profession ainsi que par celui de réserver la protection offerte par le statut de journaliste professionnel aux personnes qui répondent aux conditions qu'il détermine. En cela la différence de situation se trouve en rapport direct avec la loi qui l'établit.
18. En conséquence, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel. »
Sur ce,
Pour apprécier la demande du salarié de se voir reconnaître le statut de journaliste et l'existence d'un contrat de travail, il convient en premier lieu de déterminer si M. [B] a exercé ses fonctions en qualité de correspondant local de presse ou si l'intéressé, comme il le soutient, a été victime d'un abus de la société SACEP dans l'exécution de la relation de travail par le dévoiement de ces textes, en s'attachant aux conditions de fait dans lesquelles l'activité du travailleur s'est exercée.
En l'espèce, il est constant que :
- la relation contractuelle n'a pas été formalisée par écrit,
- M. [B] était rémunéré, en contrepartie de ses prestations et depuis l'origine, par des honoraires.
Au vu des pièces communiquées, il est établi que M. [B] fournissait à la SACEP des articles sur l'actualité sportive locale, portant pour l'essentiel soit sur des compétitions régionales organisées dans le département de l' Aveyron (gymnastique rythmique, Badmington, ping-pong), soit sur le suivi d'équipes sportives. Il ressort des éléments communiqués, qu'il ne suivait pas l'équipe première du club de football professionnelle de [Localité 4], le RAF, qui évoluait en National en 2017 et 2018, puis en Ligue 2 à compter de la saison 2019/2020, mais son équipe masculine réserve ([Localité 4] II, évoluant alors en Nationale 3) et la formation féminine de ce club.
À juste titre, M. [B] objecte à l'argumentation développée par l'employeur qui lui oppose le message qu'il a publié sur les réseaux sociaux à l'occasion de la rupture de la relation contractuelle dans lequel il évoque son poste de 'correspondant local de presse', qu'en réalité il critique l'application qui lui a été faite de ce statut. C'est ainsi qu'il y indique ceci :
« j'avais accepté de faire le taf d'un pigiste sport mais sans contrat, parce que c'est plus simple, 5 ans sans contrat, sans cotiser pour ses droits, sans chômage maintenant.
La raison (de la rupture) ' J'ai critiqué, sur mon FB un édito sur les gilets jaunes que Centre Presse a publié. Le rédac'chef a été outré et m'a appelé pour me dire de dégager. Sans autre forme.
Je n'avais jamais eu d'appel de sa part. Jamais de nouvelles, jamais de conseils. On m'a envoyé chaque semaine une liste de tâches à faire (un CLP n'a pas à faire ça, c'est illégal, mais chez Centre presse et dans le groupe La dépêche, ça passe [...]' 5 ans à me taper des matchs sous la flotte pour des 'honoraires' de merde. Impossible à négocier. 5 ans. 5 ans de mépris du droit du travail le plus basique que j'acceptais parce que j'étais content d'écrire.
De faire ce qu'il me plaisait et même d'aller voir ces matches sous la flotte et le froid. Quitte à casser mon portable, ne pas me faire rembourser l'essence et tout ça pour un papier payé 17 euros.
Alors oui, je suis peut-être con, mais ça me plaisait d'avoir mes heures choisies, par exemple. Ça me plaisait de me rapprocher d'un monde que je ne pouvais pas atteindre parce que je n'ai pas fait les bonnes études.
Et puis donc j'ai critiqué cet édito. [...] ».
M. [B] y critique donc le statut qui lui était appliqué, tout en reconnaissant qu'il organisait son travail avec une certaine liberté.
Il ressort du listing des articles publiés qu'il indique avoir rédigés, sans être contredit par la société appelante, que ceux-ci pouvaient être publiés sous sa signature, avec la mention de ses initiales, ou anonymement.
La société établit néanmoins que ces articles étaient sérieusement remaniés dans leur expression et leur présentation, par l'équipe journalistique, ainsi qu'il ressort de la lecture comparée de 4 textes qu'il a transmis à la rédaction et des articles effectivement publiés (pièces employeur n°5 à 10).
M. [B] rapporte la preuve qu'en 3 ans, il a reçu :
- deux messages, qui lui étaient personnellement adressés, en date des 14 mai 2018 et 2 septembre 2019, par lesquels la rédaction sport lui adressait un 'programme' pour la semaine à venir avec des indications sur l'activité attendue (exemple : '2700 signes d'interview avec Boscus + 1000 signes d'encadré pour le match du lendemain [...]')
- du 9 septembre au 12 décembre 2019, un message hebdomadaire, ayant pour objet 'pagination et contenu sports semaine du // eu //', message circulaire transmis aux journalistes du service et de divers correspondants, présentant les actualités et manifestations sportives à venir, lesquelles étaient pour l'essentiel réparties entre les différents destinataires identifiés par leurs prénoms mentionnés entre parenthèse après la rubrique ou l'événement sportif, la société SACEP ne contestant pas que le prénom '[O]' mentionné identifiait le requérant, à l'exception toutefois de la rubrique 'divers local' laquelle n'était pas attribuée.
- un message lui communiquant les 'codes de messagerie Gmail' de la rédaction sportive.
Le témoignage de M. [F], qui se présente comme correspondant local de presse depuis 2014 pour la rédaction sportive de Centre Presse, dont se prévaut la SACEP, aux termes duquel ce collaborateur 'affirme que le mail hebdomadaire envoyé par le service des sports concernant le programme du week-end à venir, n'a jamais constitué une obligation faite aux correspondants', n'est pas probant faute pour l'intéressé d'attester qu'il a connaissance que son témoignage est destiné à être produit en justice et que toute fausse attestation l'expose à des sanctions pénales.
Pour autant, il ne résulte pas de ces éléments que le correspondant était placé sous un lien de subordination, lequel est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
En effet, ces mails s'analysent comme étant la présentation par le responsable de la rédaction des sujets à traiter en fin de semaine, propice aux manifestations sportives, en vue de leur publication et surtout de leur répartition entre les différents collaborateurs, journalistes et CLP, sans pour autant qu'il ressorte de ces messages un ordre à exécuter sous peine de l'exercice d'un pouvoir disciplinaire.
Si, conformément au cadre régissant la relation correspondant local de presse /entreprise de presse, la rédaction de la SACEP justifie avoir effectivement vérifié, réaménagé et mis en forme les articles communiqués par M. [B], il n'est pas allégué par ce dernier que la société appelante ait manifesté une quelconque critique sur sa prestation.
La rupture unilatérale de la relation contractuelle par la SACEP, sans motif, ne suffit pas à démontrer que M. [B] s'est trouvé soumis, lors de l'exécution de la relation contractuelle, au pouvoir disciplinaire de son co-contractant qui n'a pas formalisé sa décision de cesser leur collaboration.
Observation faite que les indications de pagination et d'heure limite de remise des informations figurant sur certains messages, liées aux contraintes horaires d'édition et de publication auxquelles sont soumises les entreprises de presse ne caractérisent pas la cadre horaire auquel serait soumis un salarié, il doit être relevé que M. [B] concédait dans son message ci-avant reproduit, la liberté dont il bénéficiait pour organiser son temps et effectuer sa prestation de travail.
L'actualité sportive locale, dans le cadre de laquelle M. [B] a exclusivement exercé son activité, répond à la notion d' 'activité sociale particulière' visée par l'article 10 de la loi n° 87-39 du 23 décembre 1987.
Si M. [B] recevait, à partir de septembre 2019 ce message circulaire hebdomadaire répartissant les sujets à traiter, la facturation de ses honoraires sur les 6 derniers mois travaillés précédant la rupture, de juin à novembre 2019 est extrêmement variable ainsi qu'il ressort du décompte de rémunération et des bordereaux d'honoraires qu'il verse aux débats (pièces salarié n°1 et 5) : 120 euros en juin, 70 euros en juillet, 220 euros en août, 868 euros en septembre, 348 euros en octobre et 0 euros en novembre, soit avant même la rupture abusive de la relation contractuelle qu'il reproche, censée être advenue à la mi-décembre 2019.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera jugé que M. [B] ne démontre pas l'exécution déloyale de la relation contractuelle et le prétendu dévoiement du statut de correspondant local de presse, dans le cadre duquel il a exercé concrètement ses fonctions.
Par suite et en application des textes légaux ci-avant rappelés, M. [B] ne peut revendiquer l'existence d'un contrat de travail en tant que journaliste professionnel, dont le statut est protégé, que dans les conditions prévues par l'article L. 7111-3 du code du travail, c'est à dire en établissant qu'il percevait des rémunérations fixes et qu'il remplissait les conditions prévues au premier alinéa de ce texte, à savoir d'avoir pour activité principale, régulière et rétribuée l'exercice de sa profession dans une entreprise de presse et d'en tirer le principal de ses ressources.
Certes, il établit qu'il avait pour activité principale, régulière et rétribuée, celle de fournir des informations et articles à la SACEP, entreprise de presse, dont il tirait le principal de ses ressources, dans la mesure où il percevait par ailleurs un complément au titre du RSA.
Toutefois, force est de relever que M. [B] ne satisfait pas à la condition légale de percevoir une rémunération fixe. En effet, sa rémunération annuelle est passée de 2 923 euros en 2017, à 4 669 euros en 2018 et 5 320 euros en 2019 en fonction de l'activité fournie, sa rémunération mensuelle variant également dans des proportions importantes d'un mois sur l'autre ; c'est ainsi que sur cette dernière année pour les dix mois au cours desquels M. [B] a perçu une rémunération, celle-ci s'est établie entre 70 et 1 000 euros.
Le fait qu'une rémunération était régulièrement perçue par le correspondant (10 mois sur 12 en 2018 et 2019, 11 mois en 2017) ne caractérise pas la fixité requise par le texte légal, le montant de ses honoraires attestant du caractère occasionnel de l'activité exercée.
L'argumentation développée par M. [B] relativement à une prétendue violation par la société SACEP des règles liées à la mensualisation est inopérante au stade de l'appréciation par le juge des conditions requises pour bénéficier d'une présomption de salariat.
Dans la mesure où M. [B], correspondant local de presse, ne percevait pas des rémunérations fixes, il n'est pas fondé à revendiquer la présomption énoncée par l'article L.7111-3 du code du travail qu'il exerçait des fonctions de journaliste professionnel, et par suite, celle de salariat prévue par l'article L. 7112-1 du même code.
Faute pour M. [B] de pouvoir se prévaloir d'un contrat de travail de journaliste professionnel, l'ensemble de ses demandes sont dénuées de fondement. Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions et l'intimée débouté de l'intégralité de ses prétentions.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
Dit que M. [B] a collaboré à la société SACEP en qualité de correspondant local de presse,
Déboute M. [B] de sa demande de reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail de journaliste professionnel, de celle tendant à voir juger que la rupture de la relation contractuelle s'analyse et produit les effets d'un licenciement nul et de l'ensemble de ses demandes financières et de remises de documents de fin de contrat en découlant, ainsi que de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société SACEP de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Condamne M. [B] aux entiers dépens.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Thomas Le Monnyer, Président, et par Madame Marie-Lydia Viginier, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT