ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre sociale
ARRET DU 27 JUIN 2024
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 21/04240 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PCBP
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 31 MAI 2021
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PERPIGNAN
N° RG F 20/00110
APPELANTE :
GROUPEMENT D EMPLOYEURS DEMETER +
Domicilié [Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Andie FULACHIER, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIME :
Monsieur [R] [T]
Domicilié [Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Michèle BENHAMOU-BARRERE, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/013349 du 10/11/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER)
Ordonnance de clôture du 15 Janvier 2024
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Février 2024,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre
Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère
Monsieur Jean-Jacques FRION, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Naïma DIGINI
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après prorogation de la date du délibéré initialement fixée au 25 avril 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Naïma DIGINI, Greffier.
*
* *
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [R] [T] a été engagé à temps complet par le Groupement d'employeurs Demeter+ en qualité d'employé polyvalent, dans le cadre de cinq contrats de travail à durée déterminée saisonniers, respectivement conclus les :
- 7 mai 2015 pour la « pose de clôtures »,
- 1er octobre 2015 pour « aide à la pose de clôtures »,
- 19 novembre 2015 pour « aide à la pose de clôtures »,
- 4 février 2016 pour « aide à la pose de clôtures »,
- 28 novembre 2016 pour « man'uvre en maçonnerie »,
le taux horaire brut étant fixé à 9,61 euros par les deux premiers contrats puis à 9,67 euros.
Le 23 mars 2016, entre l'avant-dernier contrat et le dernier contrat, le salarié a été victime d'un accident de trajet alors qu'il rentrait à son domicile, reconnu comme accident du travail par la MSA.
Plusieurs arrêts de travail et avis de prolongation ont été délivrés :
du 23 mars 2016 au 5 octobre 2016, pour accident du travail,
du 5 octobre 2016 au 23 novembre 2016, arrêt de droit commun,
du 16 décembre 2016 de manière continue jusqu'au 31 mars 2018, pour rechute.
Par lettre du 1er décembre 2018 distribuée le 5 décembre suivant, le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail.
Par requête reçue le 3 janvier 2019, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Perpignan aux fins d'obtenir la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et la condamnation de l'employeur à lui payer une indemnité de requalification ainsi que des sommes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L'affaire a fait l'objet d'une radiation le 3 juin 2019 avant d'être réinscrite à la demande du salarié un an plus tard.
Par jugement du 31 mai 2021, le conseil de prud'hommes a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- Dit que l'action n'était pas prescrite,
- Requali'é le contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée,
- Dit que la rupture du contrat était aux torts de l'employeur et que la prise d'acte était le 7/12/2018,
- Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- Condamné le GE Demeter+ à payer à M. [T] les sommes suivantes :
' Au titre du au titre du préavis, de mois de salaire : 2 122 euros,
' Au titre des congés payés sur préavis : 212,20 euros,
' Au titre de l'indemnité de licenciement : 928,37 euros,
' Au titre des dommages et intérêts : 6 366 euros,
' Au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros,
- Condamné le GE Demeter+ à la remise sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 15ème jour de la notification du jugement, et dans un délai maximum de 90 jours, les certificats de travail manquants, l'attestation pôle emploi et les bulletins de salaire,
- Débouté M. [T] du surplus de ses demandes et l'employeur de ses demandes ;
- Condamné le GE Demeter+ aux entiers dépens.
Par déclaration enregistrée au RPVA le 30 juin 2021, le Groupement d'employeurs Demeter+ a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées par voie de RPVA le 26 août 2021, le groupement d'employeurs Demeter + demande à la Cour d'infirmer le jugement, de débouter le salarié de l'intégralité de ses demandes, de le condamner aux entiers dépens et à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées par voie de RPVA le 9 novembre 2021, M. [R] [T] demande à la Cour de confirmer l'intégralité des dispositions du jugement, de condamner le Groupement d'employeurs Demeter+ au paiement de la somme de 3 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, et de lui donner acte de ce qu'il a sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 15 janvier 2024.
MOTIFS
Sur la requalification en contrat à durée indéterminée.
Il résulte des dispositions combinées des articles L. 1242-2, L.1242-1, L. 1243-5, L.1243-11 alinéa 1er et L.1245-1 du code du travail qu'un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, notamment un emploi à caractère saisonnier, qu'il ne peut pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et que si ces règles ne sont pas respectées, il est requalifié en contrat de travail à durée indéterminée, enfin qu'il cesse de plein droit à l'échéance du terme et que lorsque la poursuite de la relation contractuelle de travail se poursuit après l'échéance du terme, le contrat devient à durée indéterminée.
En l'espèce, le salarié fait valoir d'une part, que les deux derniers contrats à durée déterminée se sont poursuivis au-delà de leur terme faute pour l'employeur d'avoir préparé les documents de fin de contrat à leur issue et d'autre part, que la tâche à laquelle il était employé ne présentait pas de caractère saisonnier.
L'employeur conteste ces deux points et oppose la prescription de l'action en requalification.
L'article L. 1471-1 alinéa 1 du code du travail dispose que toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Il résulte de ces dispositions légales que l'action en requalification de contrats de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée s'analyse en une action portant sur l'exécution du contrat. Ce délai court à compter, soit de la conclusion du contrat lorsque l'action en requalification est fondée sur l'absence d'une mention au contrat, soit du terme du contrat ou, en cas de successions de contrats à durée déterminée, du terme du dernier contrat lorsque l'action est fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé dans ledit contrat.
En l'espèce, l'action étant fondée sur la poursuite au-delà du terme du contrat à durée déterminée ainsi que sur la contestation du caractère saisonnier de la tâche à laquelle était employée le salarié et celui-ci ayant été engagé dans le cadre de plusieurs contrats de travail à durée déterminée successifs, c'est le terme du dernier contrat qui marque le point de départ de la prescription.
Le dernier contrat saisonnier du 28 novembre 2016 est à terme imprécis.
Il stipule que son terme est fixé « jusqu'à la fin de la saison Automne hiver » et qu'il prendra automatiquement fin au plus tôt le 4/12/2016 et au plus tard à la fin de la saison Automne hiver ».
Il résulte des dispositions combinées des articles L. 1242-2, 3° et L. 1242-7, 4° du code du travail que le contrat de travail à durée déterminée conclu sans terme précis pour pourvoir un emploi à caractère saisonnier a pour terme la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu.
Si l'employeur affirme que le contrat a pris fin le 16 décembre 2016 ' dont la cour relève qu'il coïncide avec la date de la rechute de l'arrêt de travail du salarié ' et qu'il a remis au salarié les documents de fin de contrat le 21 décembre 2016, il ne produit aucun élément susceptible d'établir que la fin des travaux de maçonnerie auxquels était employé le salarié serait intervenue à cette date et qu'il aurait effectivement informé le salarié, alors en arrêt de travail, de la fin de son contrat à durée déterminée.
Le moyen tiré de ce que les documents de fin de contrats sont quérables et non portables et de ce que le salarié était en possession du reçu du solde de tout compte au jour de la saisine de la juridiction prud'homale et du bulletin de salaire de décembre 2016 au jour du dépôt de ses conclusions, est inopérant en ce que l'employeur n'établit pas avoir informé le salarié sur la date du terme de son contrat à durée déterminée et sur la date de mise à disposition des documents de fin de contrat.
Faute de tout élément objectif au dossier concernant la date de la fin de la saison automne-hiver, celle-ci doit être fixée à la date du 21 mars 2017 marquant la fin de l'hiver et le début du printemps.
Le salarié ayant engagé son action en requalification de contrat de travail le 3 janvier 2019, celle-ci n'était pas prescrite.
Aucune pièce du dossier ne permettant d'établir que des travaux de clôture et des travaux de maçonnerie présenteraient un caractère saisonnier et le salarié ayant en réalité pourvu durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la relation de travail sera requalifiée en contrat à durée indéterminée.
Sur la rupture.
L'employeur a signé les documents de fin de contrat et a de ce fait pris l'initiative de la rupture du contrat de travail sans notification d'une lettre de rupture motivée, laquelle s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse qui produit ses effets, à défaut de justification de l'échéance du terme, au 21 mars 2017.
Sur les conséquences pécuniaires de la rupture.
A titre liminaire, il ressort de la copie de la requête initiale que le salarié a sollicité dès ce stade que la rupture soit analysée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, contrairement à ce que soutient l'employeur.
Compte tenu de l'âge du salarié (né le 1er/01/1977), de son ancienneté à la date du licenciement (22 mois), du nombre de salariés habituellement employés (au moins 11 salariés), de sa rémunération mensuelle brut (1 061 euros) et des justificatifs relatifs à sa situation actuelle (aide juridictionnelle totale, arrêts de travail récurrents jusqu'au 19 mars 2021, certificat médical du 20 octobre 2020 relatif aux douleurs neuropathiques),
il convient de fixer les sommes suivantes à son profit :
- 3 700 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1 061 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 106,10 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents,
- 389 euros au titre de l'indemnité de licenciement.
Le jugement sera réformé en conséquence sur les montants des indemnités allouées.
Sur les demandes accessoires.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à délivrer les certificats de travail, l'attestation destinée à France Travail anciennement dénommée Pôle emploi et les bulletins de salaire, rectifiés.
En revanche, il n'y a pas lieu de prononcer une astreinte en cause d'appel.
L'employeur sera tenu aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, par arrêt mis à disposition au greffe ;
CONFIRME le jugement du 31 mai 2021 du conseil de prud'hommes de Perpignan en ce qu'il a :
- Dit que l'action n'était pas prescrite,
- Requali'é le contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée,
- Dit que la rupture du contrat était aux torts de l'employeur,
- Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- Condamné le GE Demeter+ à payer à M. [T] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à délivrer les certificats de travail manquants, l'attestation pôle emploi et les bulletins de salaire et à supporter les dépens,
L'INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs ainsi infirmés,
DIT que la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 21 mars 2017 ;
CONDAMNE le groupement d'employeurs Demeter+ à payer à M. [R] [T] les sommes suivantes :
- 3 700 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1 061 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 106,10 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents,
- 389 euros au titre de l'indemnité de licenciement.
Y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu de prononcer une astreinte assortissant l'obligation de délivrance des documents de fin de contrat conformes ;
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
CONDAMNE le groupement d'employeurs Demeter+ aux entiers dépens d'appel ;
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT