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26/06/2024 | FRANCE | N°21/03563

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 26 juin 2024, 21/03563


ARRÊT n°





























Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 26 JUIN 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/03563 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PAYJ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 MAI 2021
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APPELANTE :



Madame [X] [S]

née le 28 Octobre 1969 à [Localité 7] (67)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 1]



Représentée par Me David VAYSSIE de la SCP DAVID VAYSSIE, avocat au barreau de NARBONNE


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ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 26 JUIN 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/03563 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PAYJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 MAI 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NARBONNE - N° RG F 19/00132

APPELANTE :

Madame [X] [S]

née le 28 Octobre 1969 à [Localité 7] (67)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me David VAYSSIE de la SCP DAVID VAYSSIE, avocat au barreau de NARBONNE

INTIMEE :

S.A CORDIER BY INVIVO, venant aux droits de la SAS VIGNERONS DE LA MÉDITERRANÉE

(adresse postale : [Adresse 6])

Prise en la personne de son représentant légal, dont le siège social, sis

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée sur l'audience par Me Marie-Hélène REGNIER de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de CARCASSONNE

Ordonnance de clôture du 04 Mars 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 AVRIL 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Monsieur Patrick HIDALGO, Conseiller

Monsieur Jean-Jacques FRION, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

Assistée de Madame Elissa HEVIN, greffier stagiaire

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après prorogation de la date du délibéré initialement prévue le 05 juin 2024 à celle du 26 juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme [S] a été engagée par la SAS les Vignerons de la Méditerranée à compter du 9 mai 2000 en qualité d'assistante au service échantillons suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective des Vins, cidres et jus de fruits , la société gérant plus de cinquante salariés.

L'employeur précise que la société était dotée lors des faits d'un comité d'entreprise, d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et de délégués syndicaux.

Considérant avoir été victime d'un harcèlement moral et avoir fait l'objet de sanctions disciplinaires dont elle demande l'annulation, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Narbonne qui, par jugement du 3 mai 2021, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Elle a interjeté appel le 02 juin 2021 du jugement rendu le 03 mai 2021 qui lui a été signifié le 07 mai 2021.

Aux termes de ses conclusions enregistrées le 05 août 2021, l'appelante demande à la cour de dire l'appel recevable et bien fondé, d'infirmer en tous ses éléments le jugement rendu, de condamner la SAS les Vignerons de la Méditerranée à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, d'annuler la mise à pied disciplinaire du 31 mai 2017, d'annuler l'avertissement du 21 mars 2017, de condamner employeur à lui payer 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions enregistrées le 15 novembre 2021 la société Cordier by Invivo venant aux droits de la SAS les Vignerons de la Méditerranée demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter Mme [S] de l'ensemble de ses demandes, de la condamner à lui verser une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par décision en date du 04 mars 2024, le conseiller de la mise en état a clôturé l'instruction du dossier et fixé l'affaire à l'audience du 03 avril 2024.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, aux écritures qu'elles ont déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Les parties précisent que Madame [S] a été licenciée pour motif économique après autorisation de l'inspection du travail en date du 26 juin 2020.

Sur les sanctions disciplinaires :

Au soutien de sa demande d'annulation des sanctions dont elle a fait l'objet, Mme [S] invoque l'inopposabilité du règlement intérieur. Elle conteste en outre le bien-fondé de l'avertissement du 21 mars 2017 ainsi que la mise à pied disciplinaire du 31 mai 2017 faute pour l'employeur d'établir les faits reprochés.

La société Cordier by Invivo soutient que le règlement intérieur est opposable à l'intimée en raison du dépôt justifié auprès du conseil de prud'hommes de Narbonne le 15 octobre 2015 et de sa notification à l'inspection du travail.

Elle considère l'avertissement et la mise à pied parfaitement fondés en raison des faits reprochés.

Selon l'article L.1333-2 du code du travail, le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

Conformément aux dispositions de l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, forme sa conviction au vu des éléments retenus par l'employeur pour prendre la sanction et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En outre, il ressort des dispositions de l'article L.1321-4 du contrat de travail, dans sa version applicable au litige que le règlement intérieur ne peut être introduit qu'après avoir été soumis à l'avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ainsi que, pour les matières relevant de sa compétence, à l'avis du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Une sanction disciplinaire autre que le licenciement ne peut être prononcée contre un salarié par un employeur employant habituellement au moins vingt salariés que si elle est prévue par le règlement intérieur prescrit par l'article L.1311-2 du code du travail et si ce règlement intérieur est opposable au salarié (Soc., 1 juillet 2020, pourvoi n° 18-24.556).

L'opposabilité du règlement intérieur est subordonnée à la consultation des instances représentatives du personnel et à la communication à l'inspection du travail (articles L.1321-4 et R.1321-4 du code du travail dans sa version en vigueur jusqu'au 1er janvier 2018) ainsi qu'au dépôt au greffe du conseil de prud'hommes du ressort de l'entreprise ou de l'établissement ainsi que le prévoit l'article R.1321-2 du code du travail (Soc., 9 mai 2012, pourvoi n° 11-13.687)

En l'espèce l'employeur ne justifie pas avoir préalablement consulté les représentants du personnel ni le CHSCT avant la transmission effective du règlement intérieur au conseil de prud'hommes de Narbonne ainsi qu'à la DIRECCTE.

Il en résulte que ledit règlement intérieur, en date du 15 septembre 2015 qui est signé par le seul chef d'entreprise n'était pas opposable à Mme [S].

Il convient en conséquence d'infirmer la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Narbonne qui a rejeté la demande d'annulation de l'avertissement du 21 mars 2017 et la mise à pied disciplinaire du 31 mai 2017.

Sur le harcèlement moral :

L'article L.1152-1 du code du travail prévoit qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Enfin, l'article L.1154-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, un stage ou à une période de formation en entreprise, ou le salarié, présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il est admis que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Il peut notamment en être ainsi en cas de méthode de gestion applicable aussi à d'autres salariés.

En premier lieu, le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Pour cela, le salarié doit établir la matérialité de chacun des faits invoqués pour permettre de déterminer s'ils sont ou non établis.

A titre liminaire, Mme [S] expose sans autre précision qu'elle a été élue déléguée du personnel, membre du comité d'entreprise et membre du CHSCT.

Elle indique subir des agissements répétés, constitutifs d'un harcèlement moral depuis 2008 qui se traduirait par les éléments suivants :

- Elle n'a pas été augmentée pendant 19 années ;

- Suite à son retour au sein de l'entreprise à mi-temps thérapeutique, après son arrêt maladie, l'employeur avait organisé son travail par demi-journée sans son accord et en l'absence de signature d'un avenant ;

- Elle ne disposait pas d'une fiche de poste ;

- Son employeur contrôlait ses heures de délégation ;

- Elle considère avoir été mise à l'écart de la direction ;

- Elle a eu de nombreuses altercations avec un autre salarié, M. [O] qui n'a pas hésité à être vindicatif à plusieurs reprises à son encontre ;

- Elle a fait l'objet d'un avertissement le 21 mars 2017 ;

- Elle a fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire le 31 mai 2017 ;

- Son employeur, par l'intermédiaire de ses subordonnés l'a insultée ;

- Elle porte des charges lourdes malgré l'avis du médecin du travail ;

- Elle indique qu'elle n'est pas tenue informée des réunions du personnel ;

- Son employeur refuse d'accéder à sa demande de prime de paniers.

En premier lieu, les faits suivants ne sont pas caractérisés :

S'agissant de la mise à l'écart de la direction :

Il ressort des éléments du dossier que l'intéressée a adressé un courriel le 10 février 2017 à sa direction par lequel elle indiquait « (...) depuis 2 jours j'ai très peu de travail à effectuer alors que l'intérimaire a un travail régulier. Je suis très surprise de cette situation (...) », message auquel l'employeur a répondu en lui indiquant que la période était calme et lui demandait d'en profiter pour ranger le local échantillon ajoutant que l'intérimaire avait elle-même été affectée à d'autres tâches pour les mêmes raisons.

Il ne résulte pas de cet échange une quelconque mise à l'écart de la salariée. Ce grief n'est pas établi.

Sur le défaut d'information des réunions du personnel et le refus d'accéder à la prime paniers :

Mme [S] qui ne développe pas plus avant ces griefs, ne fournit aucune précision temporelle et ne communique aucun élément à l'appui de ceux-ci susceptible de permettre à l'employeur de discuter utilement ces allégations.

Ces manquements ne sont pas établis.

En revanche, la salariée établit les faits suivants :

Sur l'allégation de contrôle des heures de délégation :

La salariée établit simplement avoir été destinataire le 16 décembre 2013 d'un courrier par lequel l'employeur lui rappelant qu'elle bénéficiait d'un crédit d'heures de délégation de 20 heures, lui demandait de fournir les explications relatives aux activités justifiant qu'une partie de ces heures soit prise en dehors de son temps de travail, auquel la salariée a répondu le 07 janvier 2014.

S'agissant du port de charges lourdes :

Mme [S] fait grief à l'employeur de lui avoir imposé le port de charges lourdes à l'encontre de l'avis rendu par le médecin du travail. Elle communique une lettre adressée le 17 décembre 2008 par laquelle l'inspectrice du travail rappelait à l'employeur que la salariée bénéficiait d'un avis d'aptitude avec réserves portant sur le port de charges supérieures à huit kilogrammes.

L'employeur qui invoque une méconnaissance du maintien de la prescription du médecin du travail ne conteste pas la matérialité de ce fait.

Sur les sanctions disciplinaires :

Il est constant que la salariée a été sanctionnée d'un avertissement par lettre du 21 mars 2017 et d'une mise à pied disciplinaire en date du 31 mai 2017, ci-avant annulés.

Sur l'absence d'augmentation :

Il est constant que Mme [S] n'a pas été augmentée depuis 2004, comme le confirme la société intimée dans ses écritures.

Sur l'organisation de son travail en mi-temps thérapeutique :

Il ressort d'un échange de courrier entre l'inspecteur du travail et la société qu'à la suite de son retour au sein de l'entreprise à mi-temps thérapeutique, après son arrêt maladie, son travail était organisé par demi-journée sans son accord, nonobstant son statut de salariée protégée.

C'est ainsi que par lettre du 21 septembre 2009, l'inspectrice du travail le 21 septembre 2009 signalait à l'employeur qu'à la suite d'un arrêt de travail pour maladie, l'avis d'aptitude délivré par le médecin du travail était assorti du souhait que soit proposé à Mme [S] une organisation de son travail sur deux jours et demi de travail par semaine et non pas par demi-journées sur toute la semaine tel que mis en place et ce malgré le désaccord de Mme [S] sur cette organisation.

Cette lettre rappelait également que le retour au travail à mi-temps thérapeutique devait faire l'objet d'un avenant au contrat de travail, ce qui n'avait pas été le cas, et que s'agissant d'un salarié protégé, l'employeur ne pouvait mettre en 'uvre unilatéralement une modification du contrat.

La même lettre relevait que : « (') la situation de Mme [R] avait précédemment fait l'objet d'une lettre en décembre 2008 dans laquelle je vous avais demandé de clarifier le périmètre de son intervention dans son service. Il me semble que cet exercice est désormais nécessaire. En effet, j'ai pu constater à l'occasion de mes visites dans l'entreprise que ce service présente une organisation peu construite, les responsabilités et les tâches des salariés ne sont pas clairement établies, les lignes hiérarchiques ne sont pas définies clairement, notamment en ce qui concerne l'échelon intermédiaire. Cette situation est génératrice de nombreuses tensions qui ont fait l'objet de réclamations portées à ma connaissance (...) ».

Mme [S] justifie qu'elle ne disposait pas de fiche de poste,

Et ce, malgré une demande de clarification sur le périmètre de son intervention dans son service, effectuée par deux lettres de l'inspectrice du travail adressées en décembre 2008 et le 21 septembre 2009 à l'employeur, fait que l'employeur ne conteste pas considérant qu'aucune obligation légale ou conventionnelle ne lui imposait d'en établir une.

Sur les insultes proférées par Mme [G] :

Il ressort de l'attestation établie par Mme [P] que le 06 juin 2017 une autre salariée, Mme [G], supérieure hiérarchique de l'appelante lui a dit à deux reprises en s'adressant à Mme [S] « quel boulet ».

La société Cordier by Invivo relève en réponse que Mme [P] est très régulièrement absente de l'entreprise, amie avec l'appelante et que son attitude ainsi que celle de l'appelante ont été à plusieurs reprises fustigées par plusieurs salariés dont le représentant d'une autre organisation syndicale.

Toutefois, cette argumentation n'est pas à même de remettre en question le contenu de l'attestation produite par l'appelante qui est précise et circonstanciée.

Ce fait sera considéré établi.

S'agissant de propos dénigrants et d'une altercation avec son supérieur hiérarchique N+2.

Un incident avait également opposé le 19 janvier 2017 l'appelante à la salariée intérimaire, Mme [M] ce qui donnait lieu à la création d'une commission ad hoc par l'employeur pour instruire la plainte en harcèlement moral de Mme [S] qui s'était plainte de ce que son supérieur M. [B] lui avait alors déclaré que « (') si je n'étais pas contente il fallait que je me mette en arrêt maladie (...) ».

Les conclusions de la commission qui lui étaient notifiées le 29 mars 2017 reconnaissaient qu'il y avait bien eu une altercation entre elle-même et M. [B] mais sans qu'il soit retenu l'existence d'un harcèlement moral à son encontre de la part de M. [B] dans la mesure où il y avait très peu de contact, soit trois à quatre rencontres en cinq années et qu'il n'y avait jamais eu d'antécédent à cette altercation.

Pour autant, la commission ne s'explique pas sur les propos dénoncés par Mme [S], ni les mesures prises à cet égard, alors même que les propos tenus ne pouvaient qu'entrer en résonance avec sa situation personnelle et donc comme une stigmatisation, ainsi qu'une proposition de mise à l'écart par sa direction s'agissant de propos tenus par M. [B] lequel est : « (...) son N+2, basé à [Localité 5] (...) ».

Par ailleurs la lettre de notification adressée à l'appelante relève qu'il a été « (...) mis en exergue vos difficultés relationnelles manifestes à l'encontre de votre collègue de travail, Mme [I] [M], générant des nombreux conflits, dont l'un serait à la source de l'altercation avec M. [U] [B] (...) ».

Toutefois les conclusions notifiées à l'appelante portaient uniquement sur l'absence de harcèlement moral résultant des propos tenus par son supérieur hiérarchique M. [B] le 19 janvier 2017 de sorte que le courrier de notification reprochant à Mme [S] ses difficultés relationnelles manifestes générant de nombreux conflits était sans lien avec les conclusions notifiées .

Ce fait sera considéré établi.

Mme [S] établit encore que le 6 juillet 2017, elle adressait un nouveau courriel à sa direction par lequel elle signalait que Mme [G] lui avait alors demandé si ce n'était pas elle qui avait volé le portable de Mme [M] au motif qu'elle la haïssait, elle précisait dans une lettre du 07 juillet 2017 qu'elle avait été traitée par sa hiérarchie, sans autre précision sur l'auteur, « d'incompétente, grande malade, va te faire soigner » et reprochait à la direction de cautionner ces agissements par son silence.

Elle était placée en arrêt de travail le 07 juillet 2017 par son médecin en raison d'un état anxio-dépressif sévère réactionnel et elle produit des certificats médicaux de prolongation jusqu'au 01 juin 2018.

Le 03 octobre 2017 la MSA notifiait à Mme [S] son accord de prise en charge de l'accident du travail survenu le 07 juillet 2017.

Par ces pièces, Mme [S] établit ainsi la dégradation de son état de santé.

Les faits ci avant identifiés comme établis, pris dans leur ensemble, sont de nature à faire présumer un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 précité.

Dès lors, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Certes, l'employeur justifie certains de ses agissements par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

C'est ainsi qu'il démontre que :

S'agissant des sanctions :

Si les sanctions prononcées ont été annulées en raison de l'irrespect du formalisme imposé par le législateur, il convient toutefois d'en examiner la justification quant aux faits de harcèlement reprochés.

S'agissant de l'avertissement notifié le 21 mars 2017 :

Il ressort du courrier adressé par Mme [S] le 19 janvier 2017 à son employeur qu'elle signalait avoir eu un incident avec Mme [M], et M. [B].

Elle expliquait que Mme [M] était venue dans le bureau où elle travaille aux environs de midi, afin de faire chauffer son plat dès lors qu'un micro-onde est dans le bureau lequel est uniquement destiné à faire chauffer des boissons chaudes (thé, café).

La salariée intérimaire ne cessant de faire chauffer son repas, Mme [S] débranchait le micro-onde afin ajoute t'elle : « (...) qu'elle [Mme [M]] cesse son petit manège (...) » et elle confirme dans le même courrier avoir vidé le tiroir dans lequel Mme [M] avait mis ses affaires personnelles au prétexte qu'elle-même l'utilisait à des fins professionnelles.

Il ressort donc de ces éléments que l'engagement de la procédure disciplinaire reposait sur le comportement excessif adopté par la salariée à l'égard d'une collègue, de sorte que le prononcé de l'avertissement est étranger à tout harcèlement.

S'agissant de la mise à pied de trois jours notifiée le 31 mai 2017 :

L'employeur reprochait à Mme [S] une attitude négative et un rejet de la salariée intérimaire missionnée en remplacement de la salariée absente pour raison de maladie en faisant état notamment de ce que Mme [M] était très affectée par le comportement de l'appelante à son encontre laquelle refusait de la laisser intervenir sur l'ordinateur commun et alors qu'une nouvelle altercation avait eu lieu le 31 mars 2017, Mme [S] l'invectivant et la poussant par les épaules pour l'empêcher d'entrer dans le bureau ce dont un autre salarié a pu attester.

La salariée intérimaire a également établi une attestation détaillant les agissements de l'appelante à son encontre, en outre la société intérimaire, Manpower interpellait la SAS le 14 avril 2017 signalant pour la seconde fois les faits de violence dont sa salariée, Mme [M] était victime de la part de Mme [S] (de comportements inappropriés) et demandant quelles dispositions étaient prises pour faire cesser ces faits de discrimination.

Il résulte des justificatifs communiqués par l'employeur que le comportement agressif adopté par la salariée à l'égard de sa collègue, nonobstant le récent avertissement, est avéré. Ces faits justifiaient l'engagement de la procédure disciplinaire de sorte que la sanction prise à l'encontre de Mme [S] est étrangère à tout harcèlement.

S'agissant du courrier adressé par l'employeur le 16 décembre 2013 :

Les articles L. 2315-1 à L. 2315-3, L. 2142-1-3, L. 4614-3,

L.4614-6 du code du travail, qui imposent à l'employeur de payer à l'échéance normale le temps alloué aux délégués du personnel, aux délégués syndicaux et aux représentants du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ne dispensent pas les bénéficiaires de ce versement de fournir, sur la demande de l'employeur, au besoin formée par voie judiciaire, des précisions sur les activités exercées pendant les heures de délégation.

En l'espèce, l'employeur a pu légitimement demander à la salariée pour quelle raison les heures de délégations étaient prises en dehors de son temps de travail alors même que si Mme [S] pouvait librement utiliser ses heures de délégation en  dehors des dits horaires, elles devaient alors lui être payées comme temps de  travail et qu'en outre, dès lors que cette prise était justifiée par les nécessités du mandat, elles devaient être considérées comme  prises en  heures  supplémentaires et à cet égard, Mme [S] ne manquait pas dans sa réponse de mentionner : « (...) je porte à votre connaissance que vous devez effectuer la majoration d'heures supplémentaires pour le 13.11.2013 et le 14.11.2013 (...) ».

L'employeur justifie ainsi par des éléments étrangers à tout harcèlement avoir sollicité des précisions à la salariée sur la prise de ses heures de délégation en dehors de son temps de travail.

S'agissant du port de charges lourdes :

L'employeur justifie de ce que la salariée avait fait l'objet d'un avis d'aptitude sans réserves établi par le médecin du travail le 20 octobre 2008 et que ce n'est que par le courrier de l'inspectrice du travail du 17 décembre 2018 qu'il a appris, alors que cette dernière avait pris contact avec le médecin du travail, que Mme [S] bénéficiait toujours, même si les réserves n'avaient pas été reprises formellement, d'un poste aménagé.

Dans ces circonstances, il est établi par des éléments étrangers à tout harcèlement que l'employeur ait pu, par ignorance, ne pas respecter une restriction médicale que le médecin du travail avait omis de reprendre dans son dernier avis médical. Ce grief est ainsi justifié par des éléments étrangers à tout harcèlement.

En revanche, alors que Mme [S] était salariée protégée, l'employeur ne justifie pas par des éléments étrangers à tout harcèlement :

- d'une part, l'absence de toute augmentation, de janvier 2004 au jour du licenciement : si l'employeur justifie avoir accordé par lettre du 20 avril 2004 une augmentation de salaire à Mme [S] à partir du mois de janvier 2004 d'un montant de 20 euros, soit donc une augmentation quatre années après son recrutement, il ne s'explique pas sur l'absence d'augmentations ultérieures sur une période de treize années.

Si l'employeur invoque avoir permis à la salariée d'accéder aux primes paniers via la réalisation d'horaires de travail (08 h 30 ' 16 h 30) lui ouvrant droit à perception de primes de paniers, pour autant cette prime panier ne peut être confondue ni assimilée avec une augmentation de salaire.

Aucune explication pertinente et objective n'est fournie par l'employeur sur cette situation, ni même alléguée que d'autres salariés relevant de la même catégorie professionnelle et/ou accomplissant des fonctions de valeur égale n'auraient pas davantage bénéficier d'augmentation sur toute cette période.

Il sera relevé que l'absence d'augmentation sur la période sus-mentionnée ne pouvait être vécue que comme une absence de reconnaissance professionnelle alors même que la lettre adressée à Mme [S] le 20 avril 2004 pour faire état de l'augmentation de 20 euros ne manquait pas de préciser : « (...) vous allez bénéficier d'une augmentation de 20 euros sur votre salaire mensuel de base à partir du 1er janvier 2004, récompensant les efforts que vous avez fournis dans votre travail (...) ».

En ce sens, il ressort de la copie du dossier médical de la MSA que Mme [S] indiquait le 08 décembre 2014, que son entretien annuel n'avait pas été réalisé, qu'elle avait l'impression d'être mise de côté et défavorisée, qu'elle avait demandé une formation promise depuis deux ans et non encore effectuée, elle décrivait un appauvrissement de son travail et des augmentations dont profitent ses collègues mais pas elle.

- d'autre part, l'absence de formalisation par avenant des modalités de reprise de la salariée en mi-temps thérapeutique.

C'est ainsi que l'employeur ne justifie pas de la réponse apportée aux interrogations de l'inspectrice du travail portant sur l'organisation du temps de travail de la salariée en raison du mi-temps thérapeutique, ni dans ce contexte de reprise, de tensions pré existantes et de recommandations faites par l'inspecteur du travail tendant à ce qu'un « (') point précis soit réalisé sur le périmètre d'intervention de Mme [R] (...) », de l'absence d'établissement d'une fiche de poste.

Par ailleurs, s'agissant des insultes proférées par Mme [G] :

Si l'employeur objecte que l'attitude de Mmes [S] et [P] est fustigée par plusieurs salariés aucun élément probant n'est soumis à l'examen de la cour pour étayer cette affirmation.

La société Cordier by Invivo indique que Mme [G] a fait l'objet d'un avertissement sans toutefois justifier dans les pièces communiquées dudit avertissement.

Les propos injurieux ainsi tenus par Mme [G] ne sont pas justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement.

Par ailleurs, alors que la société était interpellée par l'inspecteur du travail sur le traitement de cet incident par une première lettre du 27 juillet 2017 suivie d'une relance du 30 août 2017, elle indiquait dans sa lettre en réponse du 11 septembre 2017 : « (...) nous attirons néanmoins votre attention sur le fait que ces salariés n'avaient jamais posé la moindre difficulté préalablement (Mme [G] avec 9 ans d'ancienneté (...)» établissant ainsi qu'elle considère malgré l'avertissement qu'elle mentionne avoir infligé à la salariée concernée, outre une mise en garde qu'elle indique avoir adressé à un second salarié, M. [O], que Mme [S] est pour sa part la source de difficultés ce qui ne peut qu'accroître le sentiment d'un traitement différencié de l'intéressée alors que les réponses apportées par sa direction mettent en avant les difficultés relationnelles de Mme [S].

En ce qui concerne l'altercation avec son N+2, la société Cordier by Invivo produit un ensemble de trente-quatre attestations dont il ressort que tant Mme [G] que M. [O], avec lesquels Mme [S] a rencontré des difficultés relationnelles, entretenaient d'excellentes relations avec leurs interlocuteurs alors même que Mme [S] est décrite par Mme [V] comme répondant de façon agressive, avec qui elle a rencontré de grandes difficultés, avec l'impossibilité de lui demander d'améliorer quoi que ce soit sans qu'elle n'exprime un sentiment de persécution.

Pour autant ces attestations, si elles établissent pour leur quasi-totalité les bonnes relations qu'entretenaient Mme [G] et M. [O] avec leurs interlocuteurs, ne sauraient remettre en question les faits reprochés.

Il apparaît dès lors au vu de ces derniers éléments, réitérés, lesquels ne sont pas justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement moral, que c'est par des motifs erronés que le conseil a débouté la salariée de sa demande de reconnaissance d'un harcèlement moral. Le jugement sera infirmé de ce chef.

En l'état de ces éléments retenus et de l'impact sur la santé de Mme [S] il lui sera allouée à titre de dommages et intérêts la somme de 12.000 euros.

Sur les autres demandes :

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la société Cordier by Invivo qui succombe en ses prétentions est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Mme [S] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement en dernier ressort, par mise à disposition au greffe :

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Narbonne le 03 mai 2021 sauf en ce qu'il a débouté la SAS Les Vignerons de la Méditerranée de ses demandes reconventionnelles ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Ordonne l'annulation de l'avertissement du 21 mars 2017.

Ordonne l'annulation de la mise à pied disciplinaire du 31 mai 2017 ;

Condamne la société Cordier by Invivo, venue aux droits de la SAS Les Vignerons de la Méditerranée à payer à Mme [S] 12.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne la société Cordier by Invivo aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à Mme [S] la somme de 3.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Signé par Monsieur Thomas Le Monnyer, Président, et par Madame Marie-Lydia Viginier, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/03563
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;21.03563 ?
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