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20/06/2024 | FRANCE | N°23/03778

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 1re chambre civile, 20 juin 2024, 23/03778


N° RG 23/03778 - N° Portalis DBVK-V-B7H-P43B

ORDONNANCE N°

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



Procédure de réparation à raison d'une détention



ORDONNANCE DU 20 JUIN 2024



Nous, Jonathan ROBERTSON, conseiller désigné par ordonnance du premier président, assisté de Béatrice MARQUES, greffier.



Entre :



D'UNE PART :



Monsieur [K] [L]

Chez M [P] [L]



Représenté par Maître Cécile SAUVAGE, avocat au barreau de MONTPELLIER



et



D'AUTRE PART :>


L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l`Economie

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représenté par Maître Catherine GUILLEMAIN avocat associé de la SCP...

N° RG 23/03778 - N° Portalis DBVK-V-B7H-P43B

ORDONNANCE N°

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

Procédure de réparation à raison d'une détention

ORDONNANCE DU 20 JUIN 2024

Nous, Jonathan ROBERTSON, conseiller désigné par ordonnance du premier président, assisté de Béatrice MARQUES, greffier.

Entre :

D'UNE PART :

Monsieur [K] [L]

Chez M [P] [L]

Représenté par Maître Cécile SAUVAGE, avocat au barreau de MONTPELLIER

et

D'AUTRE PART :

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l`Economie

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représenté par Maître Catherine GUILLEMAIN avocat associé de la SCP DORIA AVOCATS, avocats au barreau de MONTPELLIER,

EN PRESENCE DE :

MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Monsieur Damien KINCHER, avocat général

A l'audience du 16 mai 2024 l'affaire a été mise en délibéré au 20 juin 2024 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Décision rendue le 20 juin 2024 par mise à disposition au greffe, signée par Jonathan ROBERTSON, conseiller, et Béatrice MARQUES, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * *

Monsieur [K] [L] a été placé en détention provisoire le 16 novembre 2017 (date de sa mise sous écrou) par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Narbonne, dans le cadre d'une information judiciaire du chef de tentative de meurtre.

Par ordonnance du 27 novembre 2018, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Narbonne a ordonné sa mise en liberté assortie d'une mesure de contrôle judiciaire (date de sa levée d'écrou).

Par ordonnance du 11 mars 2021, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Narbonne a révoqué le contrôle judiciaire de Monsieur [L] qui a de nouveau été incarcéré (date de sa deuxième mise sous écrou).

Par ordonnance du 8 juillet 2021, le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Narbonne a ordonné sa mise en liberté assortie d'une mesure de contrôle judiciaire (date de sa deuxième levée d'écrou).

Par ordonnance du 8 août 2022, le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Narbonne a prononcé une décision de non-lieu au bénéfice du requérant, ordonnance confirmée par arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier du 2 février 2023.

***

Par requête reçue le 12 juillet 2023 au secrétariat de la première présidence de la cour d'appel de Montpellier, au détail de laquelle il sera renvoyé, Monsieur [L] a sollicité l'indemnisation du préjudice qu'il a subi du fait de la détention provisoire injustifiée qu'il estime avoir accomplie, au visa des dispositions combinées des articles 149 et suivants et R 26 et suivants du code de procédure pénale.

Le dossier a été appelé à l'audience du 16 mai 2024, et, à l'issue de l'audience, le délégué du premier président de la cour d'appel de Montpellier a fixé la date du délibéré au 20 juin 2024.

***

Aux termes de ses dernières conclusions du 23 avril 2024 auxquelles il est expressément renvoyé, Monsieur [L] demande une indemnisation à hauteur de 74 550 euros en réparation de son préjudice moral, 8 960 euros au titre de son préjudice matériel, et 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions du 14 mai 2024 auxquelles il est expressément renvoyé, l'agent judiciaire de l'État propose une somme de 26 000 euros en réparation du préjudice moral de Monsieur [L], conclut au débouté de sa demande d'indemnisation du préjudice matériel, et sollicite que soit ramenée à de plus justes proportions la demande formée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général, dans ses dernières conclusions du 31 octobre 2023, requiert que soit fixée à 30 000 euros l'indemnisation au titre du préjudice moral du fait de la détention provisoire, conclut à l'absence de toute indemnisation au titre du préjudice matériel, et que soit fixée à 750 euros la somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

EN LA FORME

En application de l'article R.26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R.27, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit, ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.

L'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier du 2 février 2023 est définitif compte tenu du certificat de non pourvoi, et la requête en indemnisation de détention provisoire a été enregistrée au secrétariat de la première présidence de la cour d'appel de Montpellier le 12 juillet 2023, de sorte qu'elle est recevable au regard des dispositions des articles 149 et R 26 du code de procédure pénale, étant intervenue dans le délai de six mois.

AU FOND

Il résulte des articles 149 à 150 du code de procédure pénale qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.

Ayant subi une détention provisoire à l'occasion d'une procédure pénale, le requérant, qui a bénéficié d'une décision définitive de non-lieu, est sur le principe, bien fondé à solliciter la réparation du préjudice directement causé par cette privation de liberté ayant duré du 16 novembre 2017 au 27 novembre 2018 (376 jours), puis, après révocation de son contrôle judiciaire, du 11 mars 2021 au 8 juillet 2021 (119 jours), soit une durée totale de 495 jours.

Toutefois, il ressort de la fiche pénale de Monsieur [L] qu'il a été détenu entre le 27 décembre 2017 et le 12 mars 2018 (75 jours) dans le cadre d'une procédure correctionnelle pour des faits de violences aggravées, étrangère à la procédure criminelle pour laquelle il sollicite une indemnisation. Ayant été détenu pour autre cause, il convient donc de réduire le nombre de jours à indemniser au requérant à 420 jours (495 ' 75).

Sur le préjudice moral

Le préjudice moral, au sens de l'article 149 du code de procédure pénale, résulte du choc carcéral ressenti, au regard des éléments relatifs à sa personnalité et à son mode de vie, par une personne brutalement et injustement privée de liberté. Ce préjudice peut en outre être aggravé, notamment, par une séparation familiale et des conditions d'incarcération particulièrement difficiles. Il peut au contraire être minoré par l'existence de périodes d'incarcération déjà effectuées en exécution de condamnations antérieures.

Agé de 17 ans en 2017 et jeune majeur en 2021, Monsieur [L] vivait chez ses parents au moment de ses deux placements en détention. Il n'était pas scolarisé et ne travaillait pas.

Il fait valoir que l'éloignement entre le premier établissement dans lequel il a été incarcéré et le domicile familial ne lui permettait pas de recevoir de visites de son entourage pendant presque la moitié de sa première détention (il a été transféré le 29 mars 2018), causant chez lui un isolement certain confirmé par les pièces produites. Cet élément est de nature à aggraver le préjudice moral subi.

Son casier judiciaire fait état de deux mentions, or il en ressort qu'il n'avait pas été incarcéré avant la détention effectuée dans le cadre de la présente procédure ; le requérant a donc nécessairement subi un choc psychologique important.

S'agissant des conditions de prise en charge médicale de Monsieur [L] au cours de sa détention, il ne ressort pas des pièces versées qu'un dysfonctionnement au sein des établissements pénitentiaires ait aggravé la santé de celui-ci. En effet, il est attesté d'un suivi médical entre chaque établissement, et d'une prise en charge médico-psychologique adaptée à Monsieur [L] (notamment une opération) en sa condition de détenu.

Le requérant fait valoir en outre les conditions difficiles de détention dans les établissements où il a été incarcéré. S'il est produit des rapports sur les conditions de détention des établissement pénitentiaires, force est de constater que le rapport de 2019 sur l'établissement pénitentiaire pour mineurs de [Localité 5] est postérieur à sa première période d'incarcération de 2017 à 2018, et le rapport de visite du centre pénitentiaire de [Localité 6] daté de 2014 est antérieur à celle-ci. Il en est de même pour l'extrait des recommandations d'urgence du contrôleur général des lieux de privation et de liberté relatives à l'établissement de [Localité 6] de 2023, rappel fait que sa deuxième incarcération a eu lieu en 2021. Faute d'être utilement documenté, cet élément de majoration du préjudice ne pourra donc être retenu.

En conséquence, compte tenu notamment du jeune âge du requérant et l'absence de passé carcéral, une somme de 32 000 euros correspond à une juste indemnisation de son préjudice moral.

Sur le préjudice matériel

Si la réparation du préjudice matériel peut être prise en compte au titre du préjudice causé par la détention, la demande doit être prouvée par la production de pièces justificatives et avoir un lien exclusif et direct avec la privation de liberté.

En l'espèce, Monsieur [L] fait valoir avoir perdu la chance de suivre une formation dans l'électricité, et qu'il était en recherche de stage et de contrat d'apprentissage au moment de son incarcération.

La perte de chance d'avoir suivi une formation doit présenter un caractère sérieux et s'apprécie compte tenu de plusieurs éléments, tels que la situation scolaire ou universitaire du requérant au moment de son incarcération, ou encore s'il a suivi une formation postérieurement à sa période de détention.

La seule attestation de fin de formation (d'une journée) produite est datée du 20 décembre 2023, soit plus de deux ans après la fin de sa détention. Le requérant verse également aux débats des demandes de stage, dont les dates ne peuvent être vérifiées, et sollicite une indemnisation à hauteur de la rémunération d'un salaire d'apprenti. Or s'il produit trois demandes de contrat d'apprentissage, il ne justifie que de réponses négatives à ses demandes. Aussi, il n'était plus détenu entre novembre 2018 et mars 2021, et il ressort pourtant qu'il a travaillé en tout et pour tout 6 jours dans des missions d'intérim, sur près de trois ans. Aucun contrat d'apprentissage ou d'alternance concomitant avec ses périodes de détention n'est versé, le contrat de mission de monteur de réseau produit (mission d'une durée de 6 jours) étant daté de 2024 soit presque 3 ans après sa deuxième incarcération.

Dès lors, ces pièces ne sauraient constituer des éléments de nature à établir une perte de chance sérieuse de Monsieur [L] d'avoir suivi une formation CAP ou signé un contrat d'apprentissage au cours de sa détention, le requérant ne démontrant pas le lien direct et exclusif entre le fait qu'il n'ait pu étudier ni travailler et sa détention provisoire.

Compte tenu de ces éléments, la perte de chance alléguée n'apparaît ni sérieuse ni établie, rappel fait que les pertes de chances hypothétiques ne sont pas indemnisées. Il n'y a en conséquence pas lieu de faire droit à la demande indemnitaire faite au titre du préjudice matériel.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens seront laissés à la charge du Trésor Public.

La somme de 800 euros sera accordée à Monsieur [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, contradictoirement, par décision susceptible de recours,

ACCORDONS à Monsieur [K] [L] une indemnité de 32 000 euros en réparation de son préjudice moral,

ACCORDONS à Monsieur [K] [L] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETONS le surplus de ses demandes,

RAPPELONS que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision,

LAISSONS les dépens à la charge du Trésor public.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 1re chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/03778
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;23.03778 ?
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