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20/06/2024 | FRANCE | N°23/02297

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 1re chambre civile, 20 juin 2024, 23/02297


N° RG 23/02297 - N° Portalis DBVK-V-B7H-PZ24

ORDONNANCE N°

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



Procédure de réparation à raison d'une détention



ORDONNANCE DU 20 JUIN 2024



Nous, Jonathan ROBERTSON, conseiller désigné par ordonnance du premier président, assisté de Béatrice MARQUES, greffier.



Entre :



D'UNE PART :



Monsieur [W] [X]

[Adresse 1]

[Localité 4]





Représenté par Me Jean-Marc DARRIGADE membre de la SCP DARRIGADE, MALGRAS, DOLEZ, avocats au barr

eau de MONTPELLIER substitué par Maître Cécile SAUVAGE avocat au barreau de MOntpellier,



et



D'AUTRE PART :



L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction des Affaires Juridiq...

N° RG 23/02297 - N° Portalis DBVK-V-B7H-PZ24

ORDONNANCE N°

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

Procédure de réparation à raison d'une détention

ORDONNANCE DU 20 JUIN 2024

Nous, Jonathan ROBERTSON, conseiller désigné par ordonnance du premier président, assisté de Béatrice MARQUES, greffier.

Entre :

D'UNE PART :

Monsieur [W] [X]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Jean-Marc DARRIGADE membre de la SCP DARRIGADE, MALGRAS, DOLEZ, avocats au barreau de MONTPELLIER substitué par Maître Cécile SAUVAGE avocat au barreau de MOntpellier,

et

D'AUTRE PART :

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l`Economie

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représenté par Me Catherine GUILLEMAIN avocat associé de la SCP DORIA AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER

EN PRESENCE DE :

MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Monsieur Damien KINCHER, avocat général

A l'audience du 16 mai 2024 l'affaire a été mise en délibéré au 20 juin 2024 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Décision rendue le 20 juin 2024 par mise à disposition au greffe, signée par Jonathan ROBERTSON, conseiller, et Béatrice MARQUES, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * *

Monsieur [W] [X] a été placé en détention provisoire le 1er avril 2013 (date de sa mise sous écrou) par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Montpellier dans le cadre d'une information judiciaire ouverte du chef de tentative de meurtre.

Par ordonnance du 1er octobre 2013, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier a ordonné sa mise en liberté assortie d'une mesure de contrôle judiciaire (date de sa levée d'écrou).

La cour d'assises de l'Hérault a acquitté Monsieur [X] par arrêt du 4 mars 2022, confirmé par un arrêt de la cour d'assises d'appel de l'Aude du 11 avril 2023.

***

Par requête reçue le 28 avril 2023 au secrétariat de la première présidence de la cour d'appel de Montpellier, au détail de laquelle il sera renvoyé, Monsieur [X] a sollicité l'indemnisation du préjudice qu'il a subi du fait de la détention provisoire injustifiée qu'il estime avoir accomplie, au visa des dispositions combinées des articles 149 et suivants et R.26 et suivants du code de procédure pénale.

Le dossier a été appelé à l'audience du 16 mai 2024, et, à l'issue de l'audience, le délégué du premier président de la cour d'appel de Montpellier a fixé la date du délibéré au 20 juin 2024.

***

Aux termes de ses dernières conclusions du 28 avril 2023 auxquelles il est expressément renvoyé, Monsieur [X] demande une indemnisation à hauteur de 18 300 euros en réparation de son préjudice moral, 64 012,78 euros au titre de sa perte de revenus, 5 000 au titre des frais exposés pour sa défense, et 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions du 19 février 2024 auxquelles il est expressément renvoyé, l'agent judiciaire de l'État propose une somme de 12 000 euros en indemnisation du préjudice moral, 22 781,64 euros au titre de la perte de salaires durant la période de détention, sollicite que le requérant soit débouté de sa demande d'indemnisation au titre de la perte de revenus après sa mise en liberté, conclut à la somme de 5 000 euros au titre des honoraires d'avocat exposés dans le cadre de ses demandes de mise en liberté, et demande que soit ramenée à de plus justes proportions la demande formée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général, dans ses dernières conclusions du 25 octobre 2023, requiert que soit fixée à 12 000 euros l'indemnisation au titre du préjudice moral du fait de la détention provisoire, 22 781,64 euros au titre de la perte de salaires et 5 000 euros au titre des honoraires d'avocat, outre 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

EN LA FORME

En application de l'article R.26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R.27, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit, ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.

L'arrêt de la cour d'assises d'appel de l'Aude du 11 avril 2023 est définitif compte tenu du certificat de non pourvoi, et la requête en indemnisation de détention provisoire a été enregistrée au secrétariat de la première présidence de la cour d'appel de Montpellier le 28 avril 2023, de sorte qu'elle est recevable au regard des dispositions des articles 149 et R 26 du code de procédure pénale, étant intervenue dans le délai de six mois.

AU FOND

Il résulte des articles 149 à 150 du code de procédure pénale qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive.

Ayant subi une détention provisoire à l'occasion d'une procédure pénale, le requérant, qui a bénéficié d'un arrêt d'acquittement, est sur le principe, bien fondé à solliciter la réparation du préjudice directement causé par cette privation de liberté ayant duré du 1er avril 2013 au 1er octobre 2013, soit 183 jours.

Sur le préjudice moral

Le préjudice moral, au sens de l'article 149 du code de procédure pénale, résulte du choc carcéral ressenti, au regard des éléments relatifs à sa personnalité et à son mode de vie, par une personne brutalement et injustement privée de liberté. Ce préjudice peut en outre être aggravé, notamment, par une séparation familiale et des conditions d'incarcération particulièrement difficiles. Il peut au contraire être minoré par l'existence de périodes d'incarcération déjà effectuées en exécution de condamnations antérieures.

Agé de 43 ans en 2013, Monsieur [X], père de deux enfants dont il ressort qu'il n'était pas particulièrement proche, était en couple avec Madame [J] au moment de son incarcération. Il vivait seul et travaillait comme responsable commercial et gestionnaire de clientèle dans une discothèque depuis plusieurs années.

Son casier judiciaire fait état de deux mentions, et il ressort des pièces qu'il avait déjà été incarcéré à deux reprises avant 2013 ; or il convient de rappeler que le choc psychologique enduré par une personne en raison de l'importance de la peine encourue pour un crime dont elle se savait innocente n'est pas nécessairement amoindrie par des incarcérations antérieures subies à l'occasion de procédures correctionnelles.

En conséquence, une somme de 15 000 euros correspond à une juste indemnisation de son préjudice moral.

Sur le préjudice matériel

Si la réparation du préjudice matériel peut être prise en compte au titre du préjudice causé par la détention, la demande doit être prouvée par la production de pièces justificatives et avoir un lien exclusif et direct avec la privation de liberté.

Sur la perte de salaires

Il convient de rappeler que lorsque le demandeur a perdu son emploi en raison de l'incarcération, la réparation du préjudice matériel doit prendre en compte les pertes de salaire subies pendant la durée d'emprisonnement, et après la libération, pendant la période nécessaire à la recherche d'un emploi. Ce sont les salaires nets qui sont indemnisés, dès lors qu'il existait avant la détention un contrat de travail prévu à des dates auxquelles le requérant était incarcéré.

En l'espèce, Monsieur [X] justifie qu'il était salarié au sein de la SARL [7] puis de la SARL [9] (qui s'avèrent être le même employeur), dont l'objet est l'exploitation de la discothèque [8] située à [Localité 10]. Il ressort des pièces (bulletins de salaires et attestation expert-comptable) qu'il percevait en moyenne un salaire de 4 011,28 euros nets mensuels (5 100 euros bruts mensuels).

Ayant été incarcéré du 1er avril 2013 au 1er octobre 2013, il convient d'indemniser Monsieur [X] au titre de son préjudice matériel à hauteur de 24 067,68 euros (à savoir 4 011,28 euros nets mensuels x 6 mois pleins de détention), correspondant aux salaires nets perdus pendant sa période de détention.

S'agissant de sa demande d'indemnisation du préjudice matériel postérieur à sa détention, Monsieur [X] sollicite l'indemnisation de la différence entre les salaires nets perçus avant son incarcération et les sommes perçues au titre de l'aide au retour à l'emploi, en ce que le contrôle judiciaire lui interdisait de retourner sur son lieu de travail et dans tout établissement de la nuit.

Or cette demande est strictement liée aux conséquences découlant de la mesure de contrôle judiciaire dont Monsieur [X] a fait l'objet, et il convient de rappeler que la réparation d'un préjudice résultant du contrôle judiciaire échappe aux prévisions de l'article 149 du code de procédure pénale.

Sa demande à ce titre sera en conséquence rejetée.

Sur les frais d'avocat

S'agissant des frais de défense, selon une jurisprudence constante, les honoraires d'avocat ne sont pris en compte, au titre du préjudice causé par la détention, que s'ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté et aux procédures engagées pour y mettre fin.

Monsieur [X] demande l'indemnisation des deux factures du 4 avril 2013 et du 30 septembre 2013, aux montants respectifs de 2 000 euros TTC et de 3 000 euros TTC, dont les libellés mentionnent « Préparation débat contradictoire juge des libertés et de la détention du 1er avril 2013, Assistance et intervention à l'audience, Plaidoirie » et « Audience du 24 septembre 2013 devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, Préparation et rédaction mémoire suite à ordonnance de rejet de demande de mise en liberté, Assistance et intervention à l'audience, Plaidoirie » ; les diligences facturées ayant trait au contentieux de la détention provisoire, il sera entièrement fait droit à cette demande.

Il convient donc d'accorder à Monsieur [X] la somme de 5 000 euros TTC au titre de l'indemnisation de ses frais d'avocat relatifs à la détention.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens seront laissés à la charge du Trésor Public.

La somme de 800 euros sera accordée à Monsieur [X] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, contradictoirement, par décision susceptible de recours,

ACCORDONS à Monsieur [W] [X] une indemnité de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral,

ACCORDONS à Monsieur [W] [X] une indemnité de 29 067,68 euros en réparation de son préjudice matériel, à savoir 24 067,68 euros au titre de la perte de salaires et 5 000 euros au titre des frais d'avocat,

ACCORDONS à Monsieur [W] [X] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETONS le surplus de ses demandes,

RAPPELONS que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision,

LAISSONS les dépens à la charge du Trésor public.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 1re chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/02297
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;23.02297 ?
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