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20/06/2024 | FRANCE | N°14/07667

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 3e chambre civile, 20 juin 2024, 14/07667


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



3e chambre civile



ARRET DU 20 JUIN 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 14/07667 - N° Portalis DBVK-V-B66-LXPW



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 09 OCTOB

RE 2014

COUR D'APPEL DE TOULOUSE N° RG 14/4615

- Jugement du TGI de ALBI du 2 avril 2014 RG 12/01758



APPELANTS :



Monsieur [N] [E]

né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 10] (ESPAGNE)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 11]

et

Monsieur [V] [A] [U] [I]

né le [Date naissance 3] 1976 à [Localit...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

3e chambre civile

ARRET DU 20 JUIN 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 14/07667 - N° Portalis DBVK-V-B66-LXPW

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 09 OCTOBRE 2014

COUR D'APPEL DE TOULOUSE N° RG 14/4615

- Jugement du TGI de ALBI du 2 avril 2014 RG 12/01758

APPELANTS :

Monsieur [N] [E]

né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 10] (ESPAGNE)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 11]

et

Monsieur [V] [A] [U] [I]

né le [Date naissance 3] 1976 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 9]

[Localité 4]

et

Monsieur [H] [M] [D] [I]

né le [Date naissance 6] 1978 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 12]

[Localité 5]

Représentés par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et par Me Patrick THEROND, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat plaidant

INTIMEE :

SCP CAMILLE & ASSOCIES inscrite au RCS de Toulouse sous le n° 317 684 330, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités au siège

[Adresse 8]

[Localité 7]

Représentée par Me Jérémy BALZARINI de la SCP ADONNE AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Alysée BECUWE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et par Me Pierre THOUMASIE, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 03 Avril 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 AVRIL 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

M. Gilles SAINATI, président de chambre

M. Thierry CARLIER, conseiller

Mme Emmanuelle WATTRAINT, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Hélène ALBESA

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par M. Gilles SAINATI, président de chambre, et par Mme Hélène ALBESA, greffier.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE :

[S] [E], aux droits de laquelle viennent ses héritiers, [N] [E], [V] et [H] [I], exploitait une activité de fonds de commerce de débit de boissons et restauration rapide, articles fumeurs, bimbeloterie et jeux à enseigne « Le central » à [Localité 11] depuis 2009.

Madame [E] a souhaité acquérir un agrément pour la vente de tabac provenant de la liquidation judiciaire de Monsieur [Y], prononcée le 7 avril 2009 par le tribunal de commerce de Rodez, qui exploitait un café-restaurant, dépôt de journaux, publications et petite librairie dans la même ville.

Le 26 février 2010, la SCP d'avocats Camille et associés, suite à un rendez-vous avec l'administration des douanes, a présenté au mandataire judiciaire de la liquidation [Y] une offre au nom de [N] [E] limitée à la stricte acquisition de la licence de débit de tabac.

Le 2 mars 2010, la vente de gré à gré de la licence de tabac a été ordonnée par le juge commissaire du tribunal de commerce de Rodez au profit de Madame [E] pour un montant de 3000 euros.

La cession a été refusée par l'administration des douanes et droits indirects en raison du fait que l'ordonnance susvisée ne mentionnait pas la vente du débit de boissons de Monsieur [Y], [S] [E] ne pouvant, en conséquence, lui succéder à la gérance du débit de tabac.

Le 31 mai 2010, la SCP Camille & Associés a présenté au juge-commissaire une requête en interprétation de l'ordonnance du 2 mars 2010 en précisant que l'autorisation de la cession de débit de tabac était nécessairement accompagnée de la branche complète d'activités constituée par la clientèle attachée à l'activité de vente de tabac et d'articles de fumeurs, matériel de papeterie, laquelle était elle-même rattachée au contrat de gérance de débit de tabac.

Le 19 juillet 2010, il a été fait droit à la demande dans les termes de la requête.

Le 30 décembre 2010, l'administration des douanes et droits indirects a opposé un nouveau refus à Madame [E] en invoquant l'absence de cession de fonds de commerce. Elle a précisé que la licence tabac n'est pas la propriété du débitant, qui ne pouvait la revendre de manière isolée. Elle a invoqué l'article 4 du décret n° 2007-906 du 15 mai 2007 relatif à l'attribution de la gérance des débits de tabac selon lequel le mandataire judiciaire peut présenter comme successeur au directeur régional des douanes l'acheteur du fonds de commerce auquel est annexé un débit de tabac. Elle a précisé que le fonds de commerce annexé au débit de tabac de Monsieur [Y] était un bar-tabac avec une licence IV.

Le 15 février 2011, Madame [E] a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande aux fins d'annulation de la décision du 30 décembre 2010 et d'injonction à l'administration d'instruire à nouveau sa demande, considérant qu'elle avait commis une erreur manifeste d'appréciation.

Le 9 janvier 2014, cette juridiction a rejeté la requête de Madame [E].

Par acte du 6 août 2012, sans attendre la décision de la juridiction administrative, les époux [E] ont fait assigner la SCP Camille & associés aux fins de voir retenir sa responsabilité dans la rédaction de la proposition tendant à l'acquisition d'un agrément de licence de tabac.

Par jugement du 2 avril 2014, le tribunal de grande instance d'Albi a :

- donné acte à [N] [E], [V] et [H] [I] qu'à la suite du décès de [S] [E], ils interviennent ensemble à la procédure en qualité de demandeurs ;

- débouté les consorts [E]-[I] de leurs demandes à l'encontre de la SCP Camille & associés ;

- condamné les consorts [E]-[I] à payer à la SCP Camille & associés une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour d'appel de Toulouse le 23 juillet 2014, les consorts [E]-[I] ont interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 9 octobre 2014, enregistrée au greffe de la cour d'appel de Montpellier le 13 octobre 2014, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Toulouse a renvoyé, en application de l'article 47 du code de procédure civile, l'affaire devant la cour d'appel de Montpellier.

Par arrêt du 22 mars 2018, la cour d'appel de Montpellier a :

- infirmé en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance d'Albi ;

- dit et jugé que la SCP Camille et associés a commis une faute consistant en un manquement à son obligation d'information et de conseil ;

- ordonné, sur l'existence et le montant du préjudice, une mesure d'expertise judiciaire, aux frais avancés des appelants ;

- désigné M. [F] [T], expert-comptable, pour y procéder.

Par ordonnance de remplacement d'expert du 21 février 2023, la cour d'appel de Montpellier a désigné Monsieur [W] [G] en remplacement de l'expert précédemment commis.

Le rapport d'expertise a été déposé le 15 septembre 2023.

Par leurs dernières conclusions enregistrées au greffe le 2 avril 2024, les consorts [E]-[I] demandent à la cour de :

- réformer le jugement du 2 avril 2014 rendu par le tribunal de grande instance d'Albi.

- dire que la perte de chance d'acquérir l'agrément a été totale à la charge du cabinet Camille & associés.

- condamner la SCP Camille et associés à :

o leur payer la somme de 182 737 euros au titre de la perte de résultat.

o leur payer la somme de 23 471 euros au titre de la perte de valeur de revente.

o leur restituer la somme de 3000 euros déposée pour la cession ayant échoué à titre d'acompte sur le prix.

o leur payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la SCP Camille et associés aux dépens.

Par ses dernières conclusions enregistrées au greffe le 9 février 2024, la SCP Camille & associés demande à la cour de :

- juger que le préjudice indemnisable des consorts [E]-[I] ne saurait excéder la somme de 19 474,50 euros, après application d'un taux de perte de chance évalué à 50 %.

- débouter les consorts [E]-[I] des autres demandes indemnitaires.

- ramener l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile à de plus justes proportions.

- statuer ce que de droit quant aux dépens.

La clôture de la procédure a été prononcée le 3 avril 2024.

Les consorts [E]-[I] ont remis au greffe le 12 avril 2024 des conclusions récapitulatives n°2 avec demande de rabat de la clôture.

MOTIFS DE L'ARRÊT :

Sur la demande de rabat de l'ordonnance de clôture :

Il résulte des dispositions de l'article 803 du code de procédure civile que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.

En l'espèce, les derniers moyens supplémentaires invoqués par les consorts [E]-[I] à l'appui de leur demande de révocation de l'ordonnance de clôture ne constituent pas une cause grave au sens de l'article précité.

Par conséquent, la demande de révocation de l'ordonnance de clôture sera rejetée, les conclusions remises au greffe le 12 avril 2024 étant déclarées irrecevables.

Sur l'évaluation du taux de perte de chance :

Au préalable, il convient de rappeler que la cour a déjà retenu que le préjudice des consorts [E]-[I] ne pouvait s'analyser qu'en une perte de chance d'acquérir le fonds de commerce auquel était attachée la licence de tabac.

Les consorts [E]-[I] exposent que si le dossier avait été correctement présenté, l'acquisition des actifs résiduels du bar tabac failli, et éventuellement de la licence IV qui était détenu par

le précédent exploitant failli n'aurait posé strictement aucun problème financier aux époux [E], évaluant à 14 000 euros ou 15 000 euros la somme nécessaire pour acquérir l'agrément tabac et les éléments résiduels.

Ils en concluent que sans la faute de la SCP Camille et Associés, l'agrément de tabac n'aurait jamais dû leur échapper, leur perte de chance étant donc totale.

En l'espèce, il convient tout d'abord de rappeler qu'il est constant que le préjudice résultant d'une perte de chance ne peut être indemnisé à 100 %.

Par ailleurs, si l'expert judiciaire indique que le refus du transfert du débit de tabac par l'administration des douanes est dû à une mauvaise présentation du dossier, il n'écarte pas cependant d'autres raisons ayant pu conduire au refus de ce transfert.

En effet, après avoir examiné la situation économique et concurrentielle à [Localité 11], l'expert relève que la population de [Localité 11] était de 5 196 habitants en 2020, soit une baisse de 8,62 % par rapport à 2014.

D'autre part, il a recensé 6 bars tabacs autour du bar « Le Central », le plus proche se situant à 94 mètres de ce dernier, démontrant une forte concentration de la concurrence dans une ville aussi petite que [Localité 11].

Il expose en conséquence que la décroissance constante de la population à [Localité 11] est de nature à obérer les perspectives commerciales, les services des douanes pouvant percevoir cette démographie décroissante comme un risque économique, affectant leur volonté de délivrer une nouvelle licence de tabac.

Il fait également remarquer qu'avec un paysage commercial déjà saturé autour du bar « Le Central » et plusieurs établissements offrant des services similaires, la concurrence est féroce, l'administration des douanes pouvant interpréter cette concurrence accrue comme un signe de saturation du marché et donc hésiter à délivrer une nouvelle licence.

Compte tenu de ces différents éléments d'incertitude, la perte de chance sera évaluée à 60 %.

Sur la perte de résultat :

L'expert a évalué le chiffre d'affaires manqué associé à la perte de chance de rajouter l'activité de vente de tabac au sein de l'établissement à la somme de 157 562 euros pour la période 2010-2017 visée dans la mission qui lui a été confiée par la cour d'appel.

Comme le souligne l'intimée, pour déterminer le résultat qui aurait pu être réalisé par l'adjonction de chiffre d'affaires complémentaire résultant de l'activité tabac, il convient de prendre pour référence les statistiques professionnelles publiées par la Fédération Nationale des Centres de Gestion agréé (FNCGA) qui publie, chaque année, une synthèse des données financières de ses adhérents, étant relevé que le coefficient de 40 % à appliquer au chiffre d'affaire non réalisé proposé par les appelants n'est aucunement explicité par ces derniers et ne résulte d'aucun document ni d'aucune donnée.

Au vu des statistiques professionnelles publiées par la FNCGA, un commerce se situant dans la tranche 2 et réalisant un chiffre d'affaires de 117 876 euros réalise un résultat courant de 29 147 euros, ce qui correspond à un ratio résultat courant/chiffre d'affaires de 24,72 % devant être rapporté à la perte de chiffre d'affaires évalué par l'expert à 157 562 euros.

La perte de résultat s'élève donc à la somme de 38 949 euros pour la période 2010-2017, avant l'application du taux de perte de chance de 60 %.

Par conséquent, le préjudice indemnisable des consorts [E]-[I] sera fixé à la somme de 23 369,40 euros (38 949 euros x 60 %), somme que la SCI Camille & Associés sera condamnée à payer aux consorts [E]-[I]..

La demande d'indemnisation pour les pertes de résultat concernant la période 2018-2023 sera rejetée, la cour ayant expressément limité la mission de l'expert aux années 2009 à 2017 et le chiffrage proposé par les appelants pour cette période n'ayant pu être en conséquence discuté contradictoirement dans le cadre de l'expertise.

Sur la perte de valeur du fonds de commerce à la revente  :

L'expert, compte tenu de la situation spécifique de [Localité 11], notamment en ce qui concerne la concurrence voisine, retient le coefficient 2 des barêmes par professions correspondant au seuil bas de la fourchette en intégrant la projection du chiffre d'affaires associé aux ventes de tabac des trois dernières années pour évaluer la valeur du fonds de commerce.

Compte tenu de ces éléments, la perte de valeur du fonds de commerce à la revente est estimée par l'expert à la somme maximale de 23 471 euros , avant application du taux de perte de chance de 60 %.

Par conséquent, le préjudice indemnisable des consorts [E]-[I] à ce titre sera fixé à la somme de 14 082,60 euros (23 471 euros x 60 %), somme que la SCI Camille & Associés sera condamnée à payer aux consorts [E]-[I].

Sur la restitution de la somme de 3 000 euros déposée à la Carpa :

Outre que cette demande n'est nullement motivée par les appelants, ces derniers ne versent aux débats aucune pièce permettant de corroborer son bien-fondé.

Les consorts [E]-[I] seront donc déboutés de leur demande présentée à ce titre.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et déclare en conséquence irrecevables les conclusions remises au greffe le 12 avril 2024 ;

Dit que le taux de perte de chance sera évalué à 60 % ;

Condamne la SCP Camille & Associés à payer à Monsieur [N] [E], Monsieur [V] [I] et Monsieur [H] [I] les sommes suivantes :

* 23 369,40 euros au titre de la perte de résultat

* 14 082,60 euros au titre de la perte de valeur du fonds de commerce à la revente

Rejette la demande formée au titre de la restitution de la somme de 3 000 euros déposée à la Carpa ;

Condamne la SCP Camille & Associés à payer à Monsieur [N] [E], Monsieur [V] [I] et Monsieur [H] [I] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour leurs frais engagés en première instance et en appel ;

Condamne la SCP Camille & Associés aux entiers dépens de première instance et d'appel comprenant les frais d'expertise judiciaire.

le greffier le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 3e chambre civile
Numéro d'arrêt : 14/07667
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;14.07667 ?
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