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19/06/2024 | FRANCE | N°22/01796

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 1re chambre sociale, 19 juin 2024, 22/01796


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



1re chambre sociale



ARRET DU 19 JUIN 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/01796 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PLYZ





Décision déférée à la Cour :

Juge

ment du 17 MARS 2022

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE PERPIGNAN -N° RG F18/00447





APPELANTE :



La FONDATION JEAN MOULIN , prise en la personne de son représentant légal en exercice



[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL & ASSOCIES, avocat au ...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 19 JUIN 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/01796 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PLYZ

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 17 MARS 2022

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE PERPIGNAN -N° RG F18/00447

APPELANTE :

La FONDATION JEAN MOULIN , prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me FULACHIER, avocat au barreau de MONTPELLIER (postulant)

Représentée par Me Patrick DAHAN, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES (plaidant)

INTIMEES :

Madame [E] [J],

es qualités d' ayant- droit de son époux Monsieur [N] [J] décédé le 15/03/2020,

domicilié Chez Mme [I] [O]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Céline HERNANDEZ de la SELARL CELINE HERNANDEZ AVOCAT, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES (plaidant)

Représentée par Me Mandine CORTEY LOTZ, avocat au barreau de MONTPELLIER (postulant)

Madame [T] [J],

es qualités d' ayant- droit de son père Monsieur [N] [J] décédé le 15/03/2020,

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Céline HERNANDEZ de la SELARL CELINE HERNANDEZ AVOCAT, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES (plaidant)

Représentée par Me Mandine CORTEY LOTZ, avocat au barreau de MONTPELLIER (postulant)

Ordonnance de clôture du 02 Avril 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 AVRIL 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre

M. Jean-Jacques FRION, Conseiller

Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Véronique ATTA-BIANCHIN

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Véronique ATTA-BIANCHIN, Greffière.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

[N] [J] a été engagé le 19 janvier 1996 par la Fondation Jean MOULIN selon contrat de travail initialement saisonnier. Il exerçait les fonctions d'ouvrier d'entretien, affecté à la maison familiale de vacances '[7]'.

Par lettre du 13 février 2018, il a fait l'objet d'une mise à pied de deux jours pour la qualité non satisfaisante de son travail, de nombreux 'oublis' ainsi que des propos irrespectueux et provocants.

A partir du 9 juin 2018, à la suite d'un accident, ensuite reconnu au titre de la législation professionnelle, il a été en arrêt de travail.

[N] [J] a été licencié par lettre du 26 septembre 2018, avec exécution du préavis, pour diverses fautes, notamment avoir invoqué un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie.

Le 12 novembre 2018, estimant notamment que son licenciement était injustifié, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Perpignan.

[N] [J] est décédé le 15 mars 2020.

Ses ayants droit, [E] [J] et [T] [J], ont repris l'instance.

Par jugement de départage en date du 17 mars 2022, le conseil de prud'hommes de Perpignan a annulé la mise à pied disciplinaire notifiée le 13 février 2018 et condamné la Fondation Jean MOULIN au paiement de :

- la somme de 175,38€ à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied ;

- la somme de 17,54€ à titre de congés payés sur rappel de salaire pendant la mise à pied ;

- la somme de 500€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi résultant de la notification d'une sanction disproportionnée ;

- la somme de 1 779,52€ à titre de solde d'indemnité de licenciement ;

- la somme de 41 381,34€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- la somme de 1 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a également ordonné la remise des documents sociaux rectifiés et le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage payées au salarié licencié dans la limite de six mois.

Le 31 mars 2022, la Fondation Jean MOULIN a interjeté appel. Dans ses dernières conclusions notifiées et enregistrées au greffe le 21 mars 2024, elle conclut à la réformation, au rejet des prétentions adverses et à l'octroi de la somme de 2 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées et enregistrées au greffe le 29 mars 2024, [E] et [T] [J], ès-qualités d'ayants droit de [N] [J], relevant appel incident, demandent d'infirmer partiellement le jugement et de leur allouer :

- la somme de 175,38€ à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied ;

- la somme de 17,54€ à titre de congés payés sur rappel de salaire pendant la mise à pied ;

- la somme de 500€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi résultant de la notification d'une sanction disproportionnée ;

- la somme de 1 779,52€ à titre de solde d'indemnité de licenciement ;

- la somme de 60 000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- la somme de 2 507,96€ à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ;

- la somme de 10 000€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- la somme de 3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, elles demandent l'octroi de la somme de 42 572,81€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se reporter au jugement du conseil de prud'hommes et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le solde d'indemnité de licenciement :

Attendu que, dans la discussion de ses conclusions, l'employeur ne fait valoir aucun élément en fait et en droit propre à remettre en cause l'évaluation par le conseil de prud'hommes du solde d'indemnité de licenciement ;

Attendu que le jugement sera dès lors confirmé ;

Sur l'annulation de la mise à pied disciplinaire :

Attendu qu'il n'est pas discuté que dans le carnet journalier qu'il devait tenir, indiquant les tâches qu'il avait effectuées dans la journée, [N] [J] a écrit sur la page du 16 décembre 2017 : 'j'ai mangé et fait caca' ;

Attendu que même s'il s'en est excusé par la suite, une telle mention, à la fois irrespectueuse et provocante vis-à-vis de son supérieur, justifie à elle seule, quels que soient l'ancienneté du salarié ou son passé exempt de reproche, la sanction limitée que constitue la mise à pied de deux jours qui lui a été infligée le 13 février 2018 ;

Attendu que le jugement sera donc infirmé et le salarié débouté de ses demandes à ce titre ;

Sur le harcèlement moral :

Attendu qu'il résulte des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Attendu qu'en l'espèce, au soutien de leur demande, les héritières de [N] [J] invoquent la mise à pied infligée à celui-ci le 13 février 2018, l'accident du travail dont il a été victime, survenu à la suite d'une directive reçue de son supérieur hiérarchique, deux convocations à des entretiens préalables ayant lieu à [Localité 8] pendant son arrêt de travail ainsi que trois courriers de reproche qui lui ont été adressés les 9 juillet, 19 juillet et 6 août 2018 ;

Attendu qu'il a été jugé que la mise à pied disciplinaire était justifiée ;

Attendu qu'en revanche, il est manifeste que c'est à la demande du directeur de l'établissement que [N] [J] a entrepris de déplacer les plots en béton à l'origine de son accident du travail puisque l'employeur considère lui-même que 's'il avait estimé que la tâche était impossible à réaliser, il n'aurait pas manqué de solliciter l'intervention d'une entreprise extérieure' ;

Qu'il est également apporté la preuve, à partir du mois de juin 2018, d'une accumulation de courriers de reproche, de convocations à des entretiens préalables auxquels il ne pouvait se rendre et de demandes diverses d'explications ;

Qu'il en ressort que la demande est fondée sur des faits matériellement établis et que, pris dans leur ensemble, ces faits permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

Attendu que, pour sa part, la Fondation Jean MOULIN expose que son directeur n'a jamais eu l'intention de provoquer l'accident du travail dont [N] [J] a été victime, qu'il est vain de lui reprocher un acharnement disciplinaire et que c'est de façon légitime qu'elle l'interrogeait sur ses divers manquements ;

Attendu que même s'il est clair que le directeur n'a pas eu l'intention de mettre le salarié en danger en lui demandant de déplacer des plots en béton, le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention malveillante ou non de son auteur ;

Qu'à cet égard, il est évident, au vu des photographies produites, que le salarié ne pouvait, sans risquer une lésion physique, déplacer seul ces plots en béton et qu'il appartenait au directeur de recourir aux services d'une entreprise extérieure ;

Qu'en outre, en multipliant à partir du mois de juin 2018, les convocations à des entretiens préalables, les accusations et les demandes d'explications à l'encontre d'un salarié jusqu'alors exempt de reproche, y compris pendant son arrêt de travail, pour des motifs soit non établis, soit futiles, décrits par le conseil de prud'hommes, l'employeur, qui préparait le licenciement, a commis des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ;

Attendu qu'il est ainsi démontré que les faits dénoncés par le salarié sont constitutifs de harcèlement moral et que les décisions de l'employeur n'étaient pas justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Attendu que ce manquement de l'employeur à ses obligations justifie sa condamnation à une somme que la cour, au vu des éléments soumis à son appréciation, a les moyens de réparer par l'allocation d'une somme de 5 000€ à titre de dommages et intérêt pour préjudice subi ;

Sur le licenciement :

Attendu qu'il résulte de l'article L. 1152-2 du code du travail, qu'aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ;

Qu'en vertu de l'article L. 1152-3 du même code, toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code précité, toute disposition contraire ou tout acte contraire est nul ;

Qu'il s'en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce ;

Attendu qu'il a été jugé que le salarié avait été victime d'agissements de harcèlement moral et que c'est ce harcèlement qui a conduit au licenciement dont il constitue le dernier acte ;

Qu'en outre, dans la lettre de licenciement du 26 septembre 2018, l'employeur invoque, parmi d'autres griefs, les 'propos outranciers' tenus par le salarié dans son courrier du 18 août 2018, lequel dénonce 'une situation de harcèlement moral' à son encontre, ainsi que le fait qu'il ne peut pas 'invoquer un quelconque harcèlement de la part de (sa) hiérarchie' ;

Attendu qu'il en résulte que le licenciement est nul, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs invoqués par l'employeur pour vérifier l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement ;

Attendu qu'au regard de l'ancienneté de [N] [J], de son salaire au moment du licenciement et à défaut d'éléments nouveaux, il y a lieu de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes qui a exactement fixé à 41 381,34€ le montant des dommages et intérêts pour licenciement nul ;

Attendu, sur l'irrégularité de la procédure, que n'étant pas démontré que [N] [J] ait subi d'autre préjudice que ceux déjà réparés par les dispositions qui précèdent, c'est à juste titre que la demande de dommages et intérêts de ce chef a été rejetée par le conseil de prud'hommes ;

* * *

Attendu qu'enfin, l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour d'appel ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirmant le jugement et statuant à nouveau,

Dit la mise à pied du 13 février 2018 justifiée ;

Rejette les demandes à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied, de congés payés afférents et de dommages et intérêts pour préjudice subi résultant de la notification d'une sanction disproportionnée ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Y ajoutant,

Condamne la Fondation Jean MOULIN à payer à la succession de [N] [J] :

- la somme de 5 000€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- la somme de 2 500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Fondation Jean MOULIN aux dépens.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 1re chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/01796
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;22.01796 ?
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