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19/06/2024 | FRANCE | N°21/06445

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 1re chambre sociale, 19 juin 2024, 21/06445


ARRÊT n°



































Grosse + copie

délivrées le

à















COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



1re chambre sociale



ARRET DU 19 JUIN 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/06445 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PGIV





Décision déférée à la Cour :

Jugement du 05 OCTOBRE 2021 du CONSEIL DE PRUD'HOMME

S - FORMATION DE DEPARTAGE DE MONTPELLIER - N° RG F16/01640





APPELANTE :



Socété TAOE MANAGEMENT, immatriculée au RCS de Montpellier sous le n° 800 363 905

ancienne adresse : [Adresse 1] - [Localité 9])

nouvelle adresse du siège social :

[Adresse 2] - [Localité 3]

Représentée par Me Ma...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 19 JUIN 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/06445 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PGIV

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 05 OCTOBRE 2021 du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE MONTPELLIER - N° RG F16/01640

APPELANTE :

Socété TAOE MANAGEMENT, immatriculée au RCS de Montpellier sous le n° 800 363 905

ancienne adresse : [Adresse 1] - [Localité 9])

nouvelle adresse du siège social :

[Adresse 2] - [Localité 3]

Représentée par Me Marie odile LAMOUREUX DE BELLY de la SELARL LEXIATEAM SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée par Me GOUTORBE, avocat au barreau de Montpellier

INTIMEE :

Madame [G] [N] [L], née [X]

[Adresse 4] - [Localité 5]

Représentée par Me Alexandra DENJEAN DUHIL DE BENAZE de la SELARL LEXEM CONSEIL, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 21 Février 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Mars 2024,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, chargé du rapport et Mme Madame Magali VENET, Conseillère,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre

Madame Magali VENET, Conseillère

Mme Anne MONNINI-MICHEL, Conseillère, en remplacement de Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère, empêchée

Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, la date du délibéré initialement fixée au 15 mai 2024, a été prorogée à celle du 19 juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

M. [Y] [R] dirige la société holding Tao Management ainsi que ses filiales, la société M. Design Cuisines Bains Rangements, qui exploite le magasin [6] situé à [Localité 8] et la société M. Espace Design, qui exploite le magasin [6] situé à [Localité 9].

La société M. Design Cuisines Bains Rangements a engagé Mme [G] [N] [L] selon contrat à durée déterminée du 27 juillet 2013 au 31 janvier 2014 en qualité de vendeur concepteur nivrau II échelon 3 de la convention collective de négoce de l'ameublement, puis la relation de travail s'est poursuivie à durée indéterminée.

Le 1er avril 2014, le contrat de travail de la salariée a été transféré, sans contrat écrit signé par les parties, à la société Tao Management pour qu'elle occupe le poste de responsable Back Office, statut cadre.

Le 25 septembre 2015, un entretien informel s'est déroulé entre Mme [N] [L] et son employeur, à la suite duquel, par courrier du 06 octobre 2015, le conseil de la salariée a mis en demeure l'employeur de cesser toute pression à son égard visant à obtenir son accord pour mettre fin à la relation contractuelle, et de cesser de lui verser pour partie sa rémunération par le biais de remboursement d'indemnités kilométriques fictives.

Le 19 octobre 2015, la salariée a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 29 octobre 2015 avec mise à pied à titre conservatoire.

Le 26 octobre 2015, Mme [N] [L] a été placée en arrêt maladie.

Le 4 novembre 2015, la salariée a été licenciée pour faute grave.

Par requête du 4 décembre 2015, Mme [N] [L] a saisi le conseil de Prud'hommes de Montpellier de diverses demandes liées à l'exécution et la rupture de son contrat de travail.

Par jugement en date du 05 octobre 2021, le conseil de prud'hommes a :

- dit que la S.A.R.L. Tao Management a procédé au transfert unilatéral et illégal de la salariée en son sein au 1er avril 2014.

- dit que la société n'a pas programmé de visite médicale d'embauche , ne lui a pas payé toutes les heures de travail effectuées, l'a rémunérée en partie par le biais de remboursement de notes de frais fictives, a commis à son préjudice un travail dissimulé.

- dit que le licenciement s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse

- condamné la S.A.R.L. Taoe Management à payer à Mme [N] les sommes suivantes:

- 100€ de dommages intérêts pour absence de visite médicale d'embauche.

- 2000€ de dommages intérêts pour transfert unilatéral du contrat de travail .

- 7870,50€ de rappel d'heures supplémentaires et 787,05 € de congés payés afférents, en brut.

- 17 364€ d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

-18 000€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- 8682€ d'indemnité compensatrice de préavis et 868,20€ de congés payés afférents.

-916,43€ d'indemnité de licenciement .

- 1000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- débouté les parties de leurs autres demandes.

- ordonné le remboursement par l'employeur des indemnités chômage versées à la salariée dans la limite de 6 mois.

Par déclaration en date du 04 novembre 2021, la S.A.R.L. Tao Management a relevé appel de la décision.

Dans ses dernières conclusions en date du 18 mai 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande tendant à condamner l'employeur au paiement de la somme de 5788€ de dommages intérêts pour défaut d'application de la convention collective nationale du négoce et de l'ameublement.

- l'infirmer en ses autres dispositions et statuant à nouveau:

- dire et juger que la société n'a manqué à aucune de ses obligations.

- dire et juger que la salariée a été entièrement remplie de ses droits.

- dire et juger que le licenciement pour faute grave est parfaitement justifié.

- débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire:

-ramener le montant des somme réclamées à de plus justes proportions.

En tout état de cause:

Condamner Mme [N] [L] à 3000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions en date du 22 mars 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, Mme [N] [L] demande à la cour de :

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions.

- subsidiairement, dans l'hypothèse où le jugement dont appel serait infirmé en ce qu'il lui a alloué une indemnisation pour transfert irrégulier de son contrat de travail, statuant à nouveau, accueillir l'appel incident et condamner la société Taoe Management à lui verser la somme de 5788 € à titre de dommages intérêts pour défaut d'application de la convention collective du Négoce de l'ameublement.

En tout état de cause:

- Condamner la S.A.R.L. Taoe Management à lui verser 2000€ au titre des frais irrépétibles de l'instance d'appel.

-Laisser les entiers dépens à la charge de la S.A.R.L. Taoe Management.

L'ordonnance de clôture est en date du 21 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le transfert du contrat de travail:

Lorsque les conditions d'application de l'article L.1224-1 du code du travail ne sont pas réunies, le transfert du salarié constitue une modification de son contrat de travail qui requiert son accord exprès recueilli par écrit et de manière non équivoque. Il ne peut se déduire de la seule poursuite du contrat sans contestation de sa part.

En l'espèce, La société M. Design Cuisines Bains Rangements a engagé Mme [G] [N] [L] à compter du 27 juillet 2013 en qualité de vendeur concepteur, selon contrat de travail à durée déterminée qui s'est poursuivi à durée indéterminée.

Il est constant que le 1er avril 2014, le contrat de travail a été transféré, sans contrat écrit signé par les parties, à la société Tao Management pour que Mme [N] [L] occupe le poste de responsable Back Office, statut cadre.

L'employeur ne rapporte pas la preuve d'un accord exprès de la salariée pour ce transfert au seul motif qu'elle a choisi la prévoyance dont elle souhaitait bénéficier au sein de la société Tao Management.

Mme [N] [L] sollicite des dommages intérêts en raison du préjudice subi suite au transfert du contrat de travail qui lui a fait perdre le bénéfice de la convention collective du négoce et de l'ameublement ainsi que son ancienneté acquise auprès de son premier employeur.

L'employeur fait valoir que la salariée n'a subi aucun préjudice au motif qu'il lui a remis les bulletins de salarie émis par la S.A.R.L. TAOE Management rectifiés ainsi que les documents de fin de contrat eux aussi rectifiés.

Si le transfert du contrat de travail sans accord exprès de la salariée lui a causé un préjudice au regard des éléments qu'elle invoque, ce préjudice est cependant limité compte tenu des rectifications opérées par l'employeur , sachant qu'au surplus, au titre de la présente procédure, les demandes de la salariée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de licenciement se fondent sur la convention collective dont elle n'a en conséquence pas perdu le bénéfice.

Il convient en conséquence de limiter l'indemnisation de son préjudice à la somme de 500 euros; le jugement sera réformée en ce sens.

Sur l'absence de visite médicale d'embauche:

En application de l'article R 4624-10 du code du travail en sa version applicable au litige, 'le salarié bénéficie d'un examen médical avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin d travail'

S'il est constant que Mme [N] [L] n'a pas bénéficié d'une visite médicale d'embauche lorsqu'elle a commencé à travailler pour la sociégté TAOE Management, en revanche cette dernière ne justifie d'aucun préjudice, de sorte que sa demande de dommages intérêt sera rejetée; la décision sera infirmée en ce sens.

Sur la réintégration des indemnités kilométriques dans le calcul du salaire:

Mme [N] [L] sollicite la réintégration dans le calcul de son salaire de référence d'indemnités kilométriques fictives avec lesquelles elle affirme que son employeur lui réglait mensuellement une partie de son salaire.

Il ressort de l'analyse des pièces produites (notes de frais détaillées, relevés télépéage...) que sur la période de mai 2014 à juin 2015, une partie des indemnités kilométriques versée à la salariée ne correspondait pas à la réalité des trajets effectués.

Mme [N] [L] fait valoir que l'employeur avait sciemment mis en place ce système de remboursement de frais fictifs à son égard comme à celui d'autres salariés pour échapper au paiement d'une partie des charges sociales afférentes aux salaires.

Pour sa part, l'employeur affirme qu'il ignorait tout de cette pratique dont il n'a pris connaissance que le 06 octobre 2015, par un courrier du conseil de l'intimée.

Pour établir que l'employeur était informé de cette pratique qu'il avait lui même mis en place, Mme [N] [L] verse notamment aux débats:

- les attestations de Mme [S] [A], responsable technique des magasins de [Localité 7] et [Localité 8], de Mme [K] [Z], commerciale au sein du magasin [6] de [Localité 9], et de Mme [V] [I], cuisiniste, mentionnant qu'une partie des primes étaient payées en frais kilométriques et que l'employeur leur demandait d'établir des notes de frais fictifs pour régler une partie des salaires

- les notes de frais de Mme [A] et de Mme [I] qui établissent qu'elles ont bénéficié de remboursement pour des déplacements fictifs chez des clients et notamment en ce qui concerne un déplacement chez un client pour effectuer un pré-métré alors que ce dernier avait commandé une poubelle ainsi qu'une note de frais pour une visite de fin de chantier d'une cuisine commandée postérieurement outre un courriel de M. [R] avec en pièce jointe une note de frais fictive relative au pré-métré d'une cuisine dont la pose était terminée deux semaines plus tard, soit dans un délai trop bref.

- un tableau comparatif laissant apparaître qu'au chiffre d'affaires des vendeurs concepteurs en magasin correspondait des indemnités kilométriques, établissant ainsi que ces sommes rémunéraient en réalité leurs primes sur objectifs.

- le jugement afférent au litige ayant opposé Mme [A] au même employeur, au titre duquel ce dernier avait exposé voir découvert l'existence de difficultés liées au problème des notes de frais fictives que le 23 septembre 2016, alors même qu'au titre du présent litige , il indique en avoir été informé à compter du 6 octobre 2015 par un courrier du conseil de l'intimée.

La société conteste l'objectivité des attestations produites au motif que le mari de Mme [Z] a été licencié pour faute grave, qu'elle même a bénéficié d'une rupture conventionnelle, et que Mme [A] et de Mlle [I] sont également en litige avec l'employeur.

Il produit également une note de service qui rappelle les règles de remboursement des frais dans l'entreprise ainsi que le témoignage de salariés indiquant que leurs indemnités kilométriques étaient conformes aux frais engagés, outre l'attestation de M. [E], manager de ventes chargé du contrôle des notes de frais , témoignant corriger les notes lorsqu'elles sont erronées, et appeler les salariés à plus de vigilance. Il verse un tableau relatif à l'absence de corrélation entre le chiffre d'affaires et le remboursement de notes de frais des salariés.

Nonobstant la contradiction opérée par l'employeur au regard des éléments qu'il produit, il est indéniable que l'absence de concordance entre les notes de frais produites par Mme [N] [L] et ses factures mensuelles de télépéage démontre qu'une réelle vigilance de l'employeur ou de ses subordonnés dans le contrôle des documents produits aurait aisément permis de déceler le caractère fictif des ses indemnités kilométriques, de sorte que l'employeur ne pouvait ignorer qu'elles ne correspondait pas à la réalité.

Par ailleurs, les instances prud'homales engagées par Mmes [A] et [I] visant également à dénoncer le même système de notes de frais fictifs mis en place par l'employeur ne saurait amoindrir la portée de leur témoignage.

Il est ainsi établi qu'à l'initiative de l'employeur, une partie du salaire de Mme [N] [L] lui était payé par le biais de remboursement de frais fictifs.

Les justificatifs produits établissent en outre que la somme de 500 euros(694 € bruts) par mois était ainsi réglée à la salariée qu'il convient en conséquence de réintégrer dans le calcul de son salaire de référence dont le montant sera ainsi fixé à la somme de 2 894 euros par mois.

Sur les heures supplémentaires:

Selon l'article L.3171-4 du code du travail, 'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable'.

Mme [N] [L] fait valoir que l'employeur ne l'a pas rémunérée pour toutes les heures supplémentaires qu'elle a effectuées, affirmant avoir travaillé au moins 9h par jour suite à son affectation en qualité de responsable Back Office sur le deux magasins de [Localité 8] et [Localité 9].

Elle produit aux débats

- un décompte précis mentionnant le nombre d'heures effectuées par semaine depuis avril 2014, avec les majorations.

- les relevés de télépéage détaillant ses heures de passages aux péages de [Localité 8] qu'elle empruntait pour quitter le magasin nimois dont elle avait la charge.

- des attestations de nombreux salariés: Mme [A], Mme [B] , commerciale au sein de l'entreprise , Mme [I] , M. [C] , M. [D], M. [J], qui témoignent des nombreuses heures supplémentaires effectuées par Mme [N] [L] , mentionnant qu'elle était présente de l'ouverture à la fermeture du magasin, et parfois même sur des plages horaires plus importantes.

- les dépôts de chèques auprès de la banque sur lesquels apparaissent les heures tardives de dépôt : 20h20; 19h47; 19h21; 19h33; 20h40; 19h43.

Les éléments présentés par la salariée font ainsi ressortir que sa demande est fondée sur des éléments suffisamment précis.

Pour sa part, l'employeur souligne certaines incohérences entre le tableau récapitulatif des heures de passage péage ASF produit par la salariée et ses demandes au titre des heures supplémentaires. Il produit en outre des témoignages de M. [U], [C] et [B], qui reviennent partiellement sur les attestations qu'ils ont rédigé en faveur de Mme [N] [L] et mentionnent, en des termes pour partie similaires, ne pas être en mesure de confirmer les horaires de travail de cette dernière ne les ayant jamais pointés, et avoir constaté que le gérant lui laissait du temps libre pour s'occuper de ses enfants. Il ressort cependant du témoignage de Mme [I] que l'employeur a exercé des pressions à son égard pour qu'elle revienne sur l'attestation produite en faveur de Mme [N] [L], et qu' il n'est en conséquence pas exclu qu'une telle pression ait été exercée sur les salariés qui sont revenus sur leur preier témoignage.

En tout état de cause, ces témoignages, ainsi que celui de M. [E], qui restent imprécis et non circonstanciés sur la réalité des horaires effectués par la salariée, n'excluent pas qu'elle ait réalisé des heures supplémentaires, et l'employeur ne justifie d'aucun élément propre à justifier des heures de travail effectivement réalisées par la salariée.

Ainsi, après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, la cour est en mesure d'évaluer à 3935,25 euros le montant dû à la salariée à titre d'heures supplémentaires, augmenté des congés payés afférents, la décision du premier juge sera sur ce point réformée en son quantum.

Sur le travail dissimulé:

En application des articles L.8221-3 et L.8221-5 du code du travail, le fait pour l'employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations qui doivent être effectuées aux organismes de sécurité sociale ou à l'administration fiscale, est réputé travail dissimulé, ainsi que le fait de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement des formalités de délivrance d'un bulletin de paie ou de déclaration préalable à l'embauche. De même est réputé travail dissimulé le fait de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué. L' article L.8223-1 prévoit en cas de rupture du contrat de travail, l'octroi au salarié en cas de travail dissimulé, d'une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l'espèce, il ressort des éléments précédemment développés que la salariée effectuait de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées , mais aussi que l'employeur lui réglait une partie de son salaire par le biais d'un système de remboursement de frais fictifs pour échapper au paiement des charges sociales, de sorte que le travail dissimulé est caractérisé ; la décision sera confirmée en ce qu'elle a condamné l'employeur au paiement de l'indemnité forfaitaire prévue par la loi.

Sur la rupture du contrat de travail:

La faute grave est définie comme la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise .

En l'espèce, Mme [N] [L] a été licenciée pour faute grave par lettre du 4 novembre 2015 rédigée ainsi:

'Tout d'abord, nous vous rappelons que nous avions décidé de renforcer le service back office afin d'améliorer notre service de qualité aux clients. Vous aviez ainsi pour mission d'encadrer le service technique des magasins. Or, nous avons été saisis régulièrement par les entreprises Fournier sur la mauvaise qualité de notre service clients des magasins de [Localité 8] et de [Localité 9].

Au fil des mois, les enquêtes qualité diligentées auprès des clients ont fait ressortir très régulièrement, de mauvaises notes.

Nous travaillons sous l'enseigne [6] au sein de laquelle nous nous devons d'avoir un standard de qualité de service élevé auprès de nos clients sous peine d'être pénalisés par l'enseigne.

Le 18 septembre dernier, le directeur d'enseigne et le responsable réseau nous ont rencontré pour nous mettre en garde sur le niveau catastrophique de la qualité de notre service back office, dont vous êtes responsables, au regard des enquêtes de satisfaction clients et de l'augmentation des plaintes constatées par courriers clients

au service consommateurs [6], insistant sur le fait que la sanction pourrait aller jusqu'au retrait de l'enseigne.

Nous avons reçu un avertissement concernant ces mauvais résultats avec la menace d'être sanctionné si nous ne nous reprenions pas.

Cette situation s'est vue s'aggraver dans les jours qui ont suivi.

En effet, le 24 septembre, un de nos clients, Monsieur [O] m'écrit pour se plaindre des échanges que vous avez eus avec lui vous mettant directement en cause en voyant également le courrier au service consommateurs de [6].

Monsieur [O] se plaint de la façon dont il a été traité et cela à plusieurs reprises affirmant que vos discussions se sont très mal déroulées.

Bien qu'informés, nous ne pouvons que constater votre carence de telle sorte que l'enseigne nous en fait régulièrement le reproche et pénalise financièrement les entreprises M.DESIGN et ESPACE DESIGN. En effet, comme vous le savez, seuls les magasins dont la notation satisfaction client est supérieure à celle de la moyenne nationale, ont droit à une aide de l'enseigne. Mais même sans compter sur cela nous sommes moins après moi régulièrement positionné pour nos deux magasins dans les derniers du classement des magasins.

Lors de notre entretien, vous l'avez reconnu.(' Concernant le service technique oui j'en suis responsable et c'est bien moi qui gère les SAV. Pour la satisfaction client, on est mal noté certes! Mais les clients sont mécontents au niveau des SAV et de la pose et des délais').

Il s'agit bien là de vos responsabilités en tant que responsable du back office.

Votre inconséquence a des répercussions désastreuses tant au niveau du réseau auquel nous appartenons que vis-à-vis de nos clients qui en sont les premiers concernés, sans parler de l'atteinte incontestable à notre image de marque, ce qui n'est pas tolérable, spécialement en votre qualité de responsable back office.

Ensuite, nous vous rappelons que la pose de nos produits est assurée soit par nos salariés qui sont placés directement sous votre responsabilité, soient confiés à des entreprises extérieures. Nous vous rappelons également que les coûts d'intervention sont bien supérieurs lorsque nous faisons intervenir une société externe.

Malgré les différents rappels que nous vous avons adressés, nous constatons, à la lecture des plannings, que vous avez privilégié l'intervention d'entreprises extérieures laissant ainsi nos équipes inactives, et ce, au mépris des instructions que nous vous avons données et dont vous avez fait fi.

Pire encore, le 6 octobre dernier, nous avons découvert, à la lecture du courrier que votre conseil a cru nous adresser, que nous vous avons réglé, sursis de frais établi par vos soins, des notes de frais fictifs. Vous vous êtes ainsi totalement affranchis des obligations de loyauté et d'exécution de bonne foi inhérente à toute relation contractuelle et de la confiance réciproque qu'elle sous-entend.

Votre soustraction volontaire à tout lien hiérarchique, le non-respect de nos instructions, l'atteinte portée à notre image de marque et la présentation volontaire de notes de frais fictives constitue des manquements intolérables vos obligations.

Nous considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien même temporaire dans l'entreprise.....'

Il est ainsi reprochée à la salariée d'avoir établi des notes de frais fictives ainsi que des carences dans l'exercice de ses fonctions de responsable du back office .

Le premier grief sera écarté puisqu'il a été précédemment retenu que les notes de frais fictives étaient établies à la demande de l'employeur.

Concernant le second grief :

-L'employeur fait tout d'abord état d'une insatisfaction de la clientèle liée à la mauvaise qualité du service back office dont Mme [N] [L] était responsable. Il précise avoir été régulièrement alerté et pénalisé financièrement par le franchiseur en raison de la mauvaise qualité du service client des magasins de [Localité 8] et [Localité 9].

Il produit une analyse satisfaction client , réalisée sur le magasin de [Localité 9] de janvier à octobre 2015 dont il ressort que parmi les clients insatisfaits, le magasin est le dernier sur 251 au niveau national en raison des critères de gestions du back office et donc sur le bon suivi de la pose et le travail sur les délais de SAV.

Les avis clients font ainsi état d'un SAV inexistant, d'une absence de suivi des commandes , d'un désintérêt sur le suivi des travaux, de la pose, de l'installation et de la réception de la cuisine , ainsi que d'une absence d'amabilité des collaborateurs une fois les commandes payées.

L'employeur produit en outre la même analyse satisfaction client réalisée sur la période de janvier à août 2017 sur les magasins de [Localité 8] et [Localité 9], laissant apparaître l'existence d'une nette amélioration des performances des magasins et de leur classement suite au départ de Mme [N] [L].

L'entreprise verse également aux débats le courrier d'un client M. [O] en date du 24 septembre 2015, se plaignant de l'absence de politesse et de disponibilité de la salariée lors d'un échange téléphonique relatif aux délais d'installation de sa cuisine.

Mme [N] [L] affirme qu'elle n'était pas responsable de la dégradation des services constatés , consécutive selon elle au retard de l'employeur dans le paiement des prestations des poseurs les conduisant à réclamer un paiement directement auprès des clients ou à refuser d'intervenir.

Elle justifie de plaintes de la clientèle relatives au paiement d'une somme de 180 euros auprès d'un poseur, ainsi que de l'absence d'exécution des prestations programmées.

Elle produit également l' attestation de M. [M] [J], poseur, mentionnant avoir cessé sa collaboration avec la société en octobre 2015 en raison des difficultés rencontrées pour le paiement de ses prestations, ainsi qu'en raison du comportement de M.[R] qui n'assumait pas ses erreurs, ne comprenait pas l'aspect technique de son métier et lui imposait d'intervenir gratuitement chez des clients en échange de prestations de pose qu'il annulait par la suite.

Ce témoignage est cependant contredit par les courriels produits par l'employeur qui établissent que M. [J] travaillait pour la société à la demande de Mme [N] [L] laquelle lui adressait néanmoins des rappels à l'ordre en raison de difficultés liées à ses prestations, que le travail effectué par ce dernier n'était pas satisfaisant et nécessitait de nombreuses reprises, qu'il avait indûment réclamé la somme de 180 euros à un client, et qu'en tout état de cause, il n'avait jamais effectué de réclamation pour les prestations effectuées qui lui étaient régulièrement payées.

Par ailleurs, Mme [N] [L] énonce avoir réglé le différent l'opposant au client M. [O], sans toutefois en justifier.

Il ressort de ces éléments que la salariée, en sa qualité de sa responsable du service back office, ne peut s'exonérer de sa responsabilité relative à la dégradation du service back office.

- L'employeur reproche également à Mme [N] [L] d'avoir confié la pose de cuisine à des prestataires extérieurs alors que le poseur salarié de l'entreprise était disponible pour intervenir, générant ainsi des frais supplémentaires pour la société. Il produit l'attestation de M. [H] [T], contrôleur technique, métreur, poseur salarié qui témoigne ainsi:

'j'étais placé sous l'autorité directe du responsable back office, Madame [L] au sein de la société TAO Management. J'avais en charge dans un premier temps de réaliser les contrôles techniques des ventes et le passage des commandes. Madame [L] était toujours soutenu par Monsieur [R] compte-tenu de leurs relation amicale. Par la suite, j'ai été chargé de réaliser les pauses et les SAV des deux magasins de [Localité 8] et [Localité 9]. Madame [L] ne souhaitant pas me remplacer, il a fallu trouver un responsable technique pour chaque magasin. Madame [L] organisait mon planning de pose sur ces deux magasins. Alors que mon planning aurait dû être optimisé des rentiers en priorité, j'ai dû constater plusieurs fois que je n'avais pas de pause planifiée. Cette situation arrivait alors que les poseurs extérieurs eux avaient leurs plannings occupés par des pauses du magasin. J'ai signalé cela à plusieurs reprises car cela me pénalisait dans ma rémunération. En effet pour la réalisation mensuelle de quatre pose minimums j'ai droit à une prime. Madame [L] était au courant de cela 10 ans tenir compte mais cela se répétait. J'étais furieux car je perdais mes primes et ne comprenait pas pourquoi les poseurs extérieurs étaient privilégiés, surtout que cela coûtait plus cher à la société elle me faisait faire de plus en plus de SAV des autres poseurs. Malgré plusieurs relances auprès de Madame [L], voyant que cela ne s'arrangeait pas j'ai fini par demander à Monsieur [R] de ne plus avoir à dépendre de Madame [L] et de lui être rattaché directement'.

Mme [N] [L], se borne à soutenir que l'employeur ne lui avait pas donné d'instruction pour privilégier l'intervention du poseur de l'entreprise alors qu'en sa qualité de cadre responsable du back office, il lui appartenait d'optimiser les interventions de ce dernier afin de limiter les coûts supplémentaires générés par l'intervention de prestataires extérieurs

Il en découle que les faits invoqués relatifs à la défaillance de la salariée dans l'encadrement de l'activité de poseurs ainsi qu'à la mauvaise qualité du service back office dont Mme [N] [L] avait la responsabilité sont établis. Cependant, ils ne sont pas constitutifs d'une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, mais d'une simple faute constitutive d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

La décision sera infirmée en ce qu'elle a dit que le licenciement s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'elle a accordé des dommages et intérêts à la salariée sur ce fondement.

Sur les conséquence de la rupture du contrat de travail:

Le licenciement ne repose pas sur une faute grave de la salariée, mais sur une cause réelle et sérieuse; en conséquence, cette dernière a droit à une indemnité compensatrice de préavis ainsi qu'à une indemnité de licenciement, sachant qu'elle disposait d'une ancienneté de 2 ans et trois mois et que son salaire brut s'élevait à la somme de 2894euros par mois.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis:

La convention collective applicable prévoit un préavis de trois mois pour les cadres. Il convient en conséquence de condamner l'employeur à lui verser à ce titre la somme de 8682 euros bruts ainsi que les congés payés afférents.

Sur l'indemnité de licenciement :

La convention collective applicable prévoit une indemnité de licenciement d'un montant de 1/5 de mois par année d'ancienneté. Il convient en conséquence de condamner l'employeur à lui verser la somme de 916,43 euros.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens:

Il convient de condamner la société à verser à Mme [N] [L] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et accordé des dommages et intérêts à la salariée sur ce fondement ainsi qu'au titre de l'absence de visite médicale d'embauche.

Confirme la décision en son principe en ce qu'elle a accordé une indemnité à la salariée au titre du transfert de contrat, et au titre des heures supplémentaires mais l'infirme en leur quantum.

Statuant à nouveau:

- Dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse .

- Rejette la demande de dommages intérêts fondée sur l'absence de visite médicale d'embauche.

- Rejette la demande de dommages intérêts consécutive à la rupture du contrat de travail.

- Condamne la société Taoe Management à verser à Mme [G] [N] [L] la somme de 500 euros de dommages intérêts au titre du transfert du contrat de travail.

-Condamne la société Taoe Management à verser à Mme [G] [N] [L] la somme de 3935,25 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires.

- Condamne la société Taoe Management à verser à Mme [G] [N] [L] la somme de 393,52 euros au titre des congés payés afférents.

- Confirme le jugement en ses autres dispositions critiquées.

Y ajoutant:

- Condamne la société Taoe Management à verser à Mme [G] [N] [L] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamne la société Taoe Management aux dépens de la procédure.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 1re chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/06445
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;21.06445 ?
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