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19/06/2024 | FRANCE | N°21/01230

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 1re chambre sociale, 19 juin 2024, 21/01230


ARRÊT n°



































Grosse + copie

délivrées le

à















COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



1re chambre sociale



ARRET DU 19 JUIN 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/01230 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O4LU





Décision déférée à la Cour :

Jugement du 27 JANVIER 2021 du CONSEIL DE PRUD'HOMME

S - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F 19/00429





APPELANT :



Monsieur [N] [O]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Marion BEY de la SCP BEY, CARRERE, avocat au barreau de MONTPELLIER (postulant) et par Me CHAZAN, avocat au barreau de TOULOUSE (plaidant)





INTIMEE ET IN...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 19 JUIN 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/01230 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O4LU

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 27 JANVIER 2021 du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER - N° RG F 19/00429

APPELANT :

Monsieur [N] [O]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Marion BEY de la SCP BEY, CARRERE, avocat au barreau de MONTPELLIER (postulant) et par Me CHAZAN, avocat au barreau de TOULOUSE (plaidant)

INTIMEE ET INTERVENANTE :

Société SAS HOLDING ILE-DE-FRANCE, enregistrée par le Tribunal de Commerce de CRETEIL, sous le n° 842 779 662, Venant aux droits de la S.A.R.L. LEADER PRICE FLEMING, prise en la personne de son représentant légal en exercice,

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LX MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me RICHAUD, avocat au barreau de Montpellier (postulant) et Représentée par Me Hayat TABOHOUT, avocat au barreau de PARIS (plaidant)

Ordonnance de clôture du 06 Mars 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Mars 2024,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, chargé du rapport et Mme Madame Magali VENET, Conseillère,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre

Madame Magali VENET, Conseillère

Mme Anne MONNINI MICHEL, Conseillère, en remplacement de Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère, empêchée

Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, la date du délibéré initialement fixée au 15 mai 2024, a été prorogée à celle du 19 juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

M. [N] [O] a été engagé par la société Norma le 2 janvier 2012 selon contrat à durée indéterminée en qualité de responsable de magasin adjoint.

La convention nationale du commerce du détail et de gros à prédominance alimentaire s'applique au contrat.

Le 7 août 2013, le magasin a été racheté par la société Leader Price Fleming , puis par le jeu successif de transmissions universelles de patrimoine, la SAS Holding Ile de France vient désormais aux droits de celle-ci.

Par courrier du 9 mars 2018 , l'employeur a notifié à M. [O] une mise à pied disciplinaire de 5 jours, devant s'exercer du 9 au 13 avril 2018, en raison du vol d'un tire palette qu'il avait laissé à l'extérieur suite à une livraison.

Le salarié a été placé en arrêt de travail à compter du 26 mars 2018, et prolongé jusqu'à l'avis d'inaptitude rendu le 19 juin 2018 lors de la visite de reprise.

Par courrier recommandé du 20 août 2018, l'employeur lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par requête du 14 décembre 2018, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier en référé afin d'obtenir la remise des documents sociaux de fin de contrat, des dommages intérêts pour le préjudice subi suite au retard de paiement du salaire , le paiement du solde des congés payés outre la rectification des bulletins de paie de janvier à septembre 2018.

Par ordonnance du 4 avril 2019, la conseil de prud'hommes statuant en formation de référé a rejeté ses demandes.

Par requête du 11 avril 2019 M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier de demandes indemnitaires liées à l'exécution et la rupture de son contrat de travail.

Par jugement du 27 janvier 2021, M. [O] a été débouté de l'ensemble de ses demandes.

Par déclaration en date du 24 février 2021, M. [O] a relevé appel de la décision.

Vu les dernières conclusions de M. [O] en date du 11 août 2023 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions.

Vu les dernières conclusions de la SAS Holding Ile de France venant aux droits de la société Leader Price Fleming en date du 19 février 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions.

L'ordonnance de clôture est en date du 06 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat de travail:

Sur les heures supplémentaires:

Il résulte des dispositions de l'article L.3171-4 du code du travail , qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur , qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

En l'espèce. M. [O] énonce avoir accompli de nombreuses heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées, ni portées sur ses bulletins de paie. A l'appui de ses allégations, il verse aux débats:

- l'attestation de Mme [R], mentionnant que la direction demandait à M. [O] de travailler au delà de ses heures de travail.

- le témoignage de Mme [B], ancienne salariée: 'j'ai constaté qu'il fesait plus d'heures que prévu des semaines non stop sans jour de repos et cela pouvait aller jusqu'à 50h par semaine et des heures supplémentaires non payées.'

- l'attestation de Mme [F] [X]: 'il effectuait beaucoup d'heures supplémentaires en dehors de ses horaires habituels (50h par semaine) non payés.'

- le témoignage de Mme [D]: 'M. [O] accomplissé un nombre d'heure qui dépassé largement son taux horaire journalier car si la charge de travail n'était pas accomplie M. [O] ne pouvait remettre son travail du jour au lendemain car n'ayant pas l'aide de son responsable'.

- l'attestation de Mme [S]: 'dans le cadre du travail, [N] a toujours effectué 50h par semaine au lieu de 36,75heures par semaine. [N] effectuée des remplacements du directeur [H] [M] qui était en vacances , sachant que [N] n'a jamais été payé de ses heures supplémentaires et n'a jamais reçu ses primes de remplacement, mais aussi aucune récupération.'

- ses plannings de travail relatifs à la période 2016/2018 dont il ressort qu'il effectuait des heures supplémentaires quasi quotidiennement sans qu'elles ne soient portées sur ses bulletins de paie.

- un mail adressé à sa direction le 9 juin 2017 dans lequel il sollicite une prime en ces termes:

'suite au départ en congés de mon directeur du 7 au 12 novembre 2016, du 17 au 23 avril 2017, du 8 au 13 mai 2017, je n'ai reçu aucune prime de remplacement de mon directeur. Je rappelle que mon contrat de travail est de 36,75 heures par semaine or pendant mon remplacement j'ai effectué en moyenne 50h par semaine'.

- le mail de son directeur, M. [H], adressé à sa hiérarchie le 20 mai 2017 : 'lors de mes différents congés, M. [Y] avait indiqué à M. [N] [O] qu'il lui serait attribué une prime pour mon remplacement. J'ai été en congés du 7 au 12 novembre 2017 et du 17 au 23 avril 2017 et il n'a perçu aucune prime. Pouvez-vous faire le nécessaire''

Les éléments produits font ainsi ressortir que sa demande est fondée sur des éléments suffisamment précis

Pour sa part, l'employeur fait valoir que les plannings produits par M. [O] ne correspondent pas à la réalité de son activité et fournit ses propres plannings, sur lesquels sont portés des horaires de travail différents de ceux versés aux débats par le salarié, et dont certains comportent une signature en face de son nom.

L'analyse croisées des documents versés par chacune des parties laisse cependant apparaître que ceux versés par la société concernent 29 semaines de travail sur trois années , alors que ceux produits par le salarié sont relatifs à plus de 90 semaines sur la période concernée.

Par ailleurs, seuls 15 plannings produits par l'employeur comportent une signature en face du nom de M. [O], et seuls 8 d'entre eux comportent une signature proche de celle du salarié telle qu'elle figure sur son contrat de travail.

L'employeur ajoute que M. [O] n'effectuait pas d'heures supplémentaires et qu'il a bénéficié d'une prime de remplacement de 600€ bruts lorsqu'il a remplacé provisoirement M. [H], ainsi que de majorations afférents aux inventaires outre prime de 30% pour les dimanches matin travaillés.

Pour autant, hormis les quelques plannings relatifs aux semaines de travail signés par le salarié, l'employeur ne produit aucun élément propre à justifier des heures de travail effectivement réalisées par M. [O].

Ainsi, après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, la cour est en mesure d'évaluer à 5966,40 euros le montant dû au salarié à titre d'heures supplémentaires, augmenté des congés payés afférents d'un montant de 596,64 euros.

Sur le temps de repos hebdomadaire:

Au terme de l'article 5.13 de la convention collective applicable, les salariés travaillant habituellement le dimanche , doivent bénéficier 'd'une journée entière et d'une demi-journée de repos en principe consécutives.'

M. [O] sollicite 4000 euros de dommages intérêts au motif qu'il lui arrivait de travailler deux semaines consécutives sans aucune journée entière d'interruption.

Il verse aux débats ses plannings de travail laissant apparaître qu'il a travaillé:

- du 5 au 18 septembre 2016 14 jours consécutifs, dimanche inclus. Son bulletin de paie de septembre ne mentionne aucune heure supplémentaire excepté 9 heurs majorées pour le dimanche.

- du lundi 2 janvier 2017 au samedi 14 janvier, repos le 15 janvier puis reprise du 16 janvier au 21 janvier

Concernant ces périodes, l'employeur ne produit qu'un planning de travail relatif à la première quinzaine du mois de janvier 2017 qui n'est pas signé du salarié, de sorte qu'il n'apporte aucun élément probant de nature à justifier du respect de son temps de repos hebdomadaire

Au regard de ces éléments, sachant que l'absence de respect du temps de repos hebdomadaire porte atteinte à la santé du salarié, il convient de condamner l'employeur à verser à M. [O] la somme de 500 euros de dommages intérêts en réparation du préjudice subi.

Sur le travail dissimulé:

En application des articles L.8221-3 et L.8221-5 du code du travail, le fait pour l'employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations qui doivent être effectuées aux organismes de sécurité sociale ou à l'administration fiscale, est réputé travail dissimulé, ainsi que le fait de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement des formalités de délivrance d'un bulletin de paie ou de déclaration préalable à l'embauche. De même est réputé travail dissimulé le fait de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué.

L' article L.8223-1 prévoit en cas de rupture du contrat de travail, l'octroi au salarié en cas de travail dissimulé, d'une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

M. [O] fait valoir que l'employeur était informé qu'il effectuait de nombreuses heures supplémentaires au regard des deux mails qui lui ont été adressés en ce sens, et précise que certaines heures étaient compensées par le versement de 'prime de remplacement' pour échapper au régime des heures supplémentaires.

L'employeur soutient que les primes de remplacement visait à compenser le surcroît de responsabilité, et non de temps de travail. Cependant, il ne peut ignorer que M. [O] qui assumait ses propres missions ainsi que celle de son supérieur, a nécessairement travaillé davantage lorsqu'il l'a remplacé, tel qu'il le précise dans le courriel adressé à l'employeur le 9 juin 2017.

Il en découle que le caractère intentionnel du travail dissimulé est établi par la volonté de l'employeur de compenser une partie du travail supplémentaire accompli par le versement de primes visant à contourner les règles du travail supplémentaire et ainsi ne pas faire figurer sur les bulletins de paie les heures supplémentaires accomplies.

Il convient en conséquence de condamner l'employeur à verser au salarié la somme de 11710 euros de dommages intérêts, équivalents à 6 mois de salaire.

Sur le retard dans le paiement des salaires:

L'article 7.4 de la convention collective applicable prévoit le maintien du salaire net durant 75 jours pour les TAM ayant entre 5 et 10 ans d'ancienneté, texte applicable à la situation de M. [O] qui compte une ancienneté supérieure à 6 ans.

M. [O] allègue avoir rencontré de nombreuses difficultés dans le paiement de ses salaires à compter de son arrêt de travail . Il fait valoir qu'entre le mois d'avril et le mois d'août 2018, l'employeur ne lui a pas versé la part complémentaire de sa rémunération . Il justifie avoir saisi l'inspection du travail de cette difficulté qui a adressé un courrier à la société le 7 mai 2018 pour lui rappeler ses obligations, sans réponse de ce dernier.

Il fait également valoir que son salaire ne lui a pas été payé sur la période du 29 mai au 18 juin 2018 et que l'employeur ne lui a finalement réglé la totalité du complément de salaire qu'au mois de janvier 2019, lors de la procédure de référé qu'il a été contraint d'initier au regard des manquements de la société.

L'employeur objecte que le versement du complément de salaire n'est pas intervenu dans des délais excessifs puisqu'il est conditionné à la réception des relevés d'indemnités journalières du salarié réglées par la sécurité sociale, ainsi qu'aux délais de traitement administratif de la CPAM et de la prévoyance.

Il ne justifie cependant qu'aucun retard des organismes concernés dans le traitement de la situation administrative du salarié, ni d'une réponse aux mails de M. [O] adressés en avril et mai 2018, accompagnés des attestations de paiement par la CPAM et par lesquels il sollicitait le paiement du complément de salaire qu'il n'a perçu que plusieurs mois plus tard.

M. [O] dont la rémunération a été amputée pendant plusieurs mois, justifie ainsi d'un préjudice qu'il convient d'indemniser en condamnant l'employeur à lui verser 500 euros de dommages et intérêts.

Sur la sanction disciplinaire :

En application des articles L1333-1 et L1333-2 du code du travail, l'employeur dispose d'un pouvoir disciplinaire lui permettant de sanctionner le salarié qui ne satisfait pas aux obligations de son contrat de travail.

En cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné , en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Par courrier du 9 mars 2018, M. [O] a été sanctionné par une mise à pied disciplinaire de 5 jours en raison des faits suivants:

'...Le 29 janvier 2018, vous avez laissé le tire palette manuel en dehors du magasin après une livraison, entraînant le vol de celui-ci par des personnes externes à l'entreprise'...'votre inattention qui a entraîné la perte du matériel du magasin, causé un préjudice financier grave à la société , mais nuit également à la bonne marche du magasin....'

M. [O], faits valoir que les faits reprochés sont consécutifs à sa surcharge de travail, sachant que le déchargement des livraisons ne lui incombait pas , mais qu'il s'en acquittait en raison d'un manque d'effectif.

Il estime que la sanction disproportionnée au regard de son absence de sanction disciplinaire depuis son embauche , du faible préjudice financier de l'entreprise(entre 200 et 500 euros), et des conditions de travail dégradées dans lesquelles les salariés travaillaient . Il produit en ce sens l'attestation de Mme [R] qui mentionne:

'La chambre froide, cassée, hors service depuis un an...rideau de fer ne remonte plus automatiquement depuis plus d'un an et toujours actuellement...obligé de le soulever à bout de bras! Aucun surveillant pour assurer la sécurité des clients et du personnel. Auto-laveur cassé(obligé de laver la surface de vente à la serpillière). La réserve infestée de rongeurs(rats, souris.)

Il produit en outre une photographie sur laquelle il apparaît ouvrant le rideau de fer manuellement , ainsi qu'un autre cliché représentant une salariée retenant la porte de la chambre froide qui s'effondrait.

L'employeur fait valoir que le vol d'une transpalette consécutive à la négligence de M. [O] a occasionné un préjudice de plus de 500 euros à l'entreprise, et nuit au bon fonctionnement de l'établissement ,sachant que cet appareil permet aux salariés de ne pas porter mais de déplacer des charges lourdes, et qu'en conséquence la mise à pied disciplinaire était proportionnée à la faute commise.

Il ressort cependant des témoignages produits que les faits se sont inscrits dans un contexte général de dégradation des conditions de travail des salariés due aux manquements de la société qui les laissaient à leur disposition du matériel dégradé et alors que M. [O] , en raison d'un manque de personnel, assumait une tâche qui ne relevait pas de ses attributions en manipulant un transpalette.

Dès lors, il apparaît que la faute commise par le salarié ne revêt pas un caractère de gravité qui justifie la sanction prononcée à son encontre.

L' employeur a ainsi abusé de son pouvoir disciplinaire en lui notifiant une mise à pied de 5 jours, portant ainsi atteinte à la rémunération d'un salarié qui disposait de 6 ans d'ancienneté et qui n'avait antérieurement jamais fait l'objet d'une sanction .

Il convient en conséquence d'annuler la mise à pied et de condamner l'employeur à verser à M. [O] la somme de 500 euros de dommages et intérêts compte tenu du caractère vexatoire de la sanction prononcée.

En revanche, il est justifié que la sanction qui devait s' appliquer en avril 2018 n'a pas été mise en oeuvre en raison de l'arrêt maladie du salarié qui a débuté le 19 mars 2018 et s'est poursuivi jusqu'au licenciement, pendant lequel il a été rémunéré, peu importe l'erreur de saisie figurant sur son bulletin de paie, de sorte qu'il convient de rejeter la demande de rappel de salaire formée à ce titre.

Sur le harcèlement moral:

L'article L 1152-1 du code du travail dispose que 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

L'article L1154-1 du code du travail précise qu'il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [O] soutient avoir été victime de fait de harcèlement moral caractérisés par les pressions constantes et les propos dénigrants que lui faisait subir sa hiérarchie. Il ajoute avoir subi une surcharge de travail ainsi une sanction disciplinaire disproportionnée et précise que l'employeur lui a opposé un refus injustifié à une demande de congés.

Il soutient que ces agissements sont à l'origine d'une dégradation de son état de santé et de son inaptitude.

M. [O] expose tout d'abord avoir été victime des pressions constantes et des propos dénigrants de son supérieur hiérarchique et directeur du magasin, M. [H].

A l'appui de ses prétentions, il produit :

- l'attestation de Mme [R] , qui a travaillé trois ans auprès de lui en qualité d'hôtesse de caisse puis de responsable de caisse qui témoigne ainsi:

'Nous évoluions dans un magasin où le directeur était M. [H]. Nos conditions de travail étaient difficiles. Manque de personnel, suppression de poste, retrait d'heures de travail sur le magasin, hiérarchie instable (beaucoup de changements) .

Pendant mes années de travail, j'ai constaté plusieurs choses à l'égard de M. [O] par la direction: demande de travail au delà des heures de travail, changement des planning semaine au dernier moment sans consentement de sa part, changements de ses jours de repos, suppression totale des repos compensateur, certaine semaine travaille 7 jours sur 7, changement de ses congés annuels après accord de sa hiérarchie.

M. [O] a essuyé beaucoup de critiques, d'accusations, de paroles néfastes qui à mon sens étaient là pour le faire craquer. Le cadre de travail était déjà assez compliqué....M. [O] a beaucoup supporté, encaissé a très souvent porté son équipe à bout de bras. Malheureusement sans aucune gratitude de la hiérarchie'.

- l'attestation de Mme [A] [B], ancienne collaboratrice:

'J'ai constaté aussi que M. [O] a subi plusieurs pressions moral de la part du directeur M. [H] [M] qui disait je cite: 'il ne fout rien je vais le virer'. De plus, il accusait M. [O] de ne pas avoir passé des commandes alors que c'était à lui de le faire. Ainsi que beaucoup de charges par rapport à son contrat'.

- le témoignage de Mme [K] , ancienne collaboratrice de 2012 à 2017:

'M. [H] lui parlait très mal, le rabaissait, le dénigrait, disait sur son dos que c'était un connard qu'il travaillait mal et que c'était un mauvais adjoint et plus d'une fois...[N] faisait des horaires de malade , terminait le soir à 20h00 et commençait à 6h00 le lendemain. M. [H] [M] avait toujours de mauvais inventaires il accusé toujours l'adjoint M. [O] que c'était à cause de lui. Il a un jour traité de voleur.'

- le témoignage de Mme [C] [D], ancienne collègue de travail pendant deux ans, rédigé ainsi:

'Au moment des visites commerciales, M. [O] n'étant pas présent, était toujours accusé à tort de la mauvaise tenue du magasin, alors que ces tâches ne lui incombé pas. Le directeur le lendemain le prenait en entretient afin de lui mettre un énorme pression psychologique......pour conclure, M. [O] a subit une pression de ses supérieurs pour le pousser à bout et démissionner ....'

- l'attestation de Mme [T] [S], ancienne collaboratrice de 2013 à 2015:

'[H] [M] a tout le temps dénigré [N] sur ses fonctions d'adjoint directeur et [N] a subi des pressions morales. Pendant ma collaboration avec [N] [O], ce que j'ai constaté, de la part de [H] [M], des menaces verbales et de fausses accusations de vol à l'encontre de [N] [O].

Lors d'un inventaire qui se termine à 1h00 du matin, [H] [M] a insulté [N] devant toute l'équipe, il l'a rabaissé , inacceptable. [N] et moi-même avons constaté que le directeur jetait la marchandise sans la comptabiliser, cela a jour sur le résultat d'inventaire dont le résultat était mauvais. Suite à ses incompétences, nous étions accusés à tort'.

- les attestations de M. [Z] [P], collaborateur pendant trois ans:

'.....lors des visites commerciales, les dirigeants ainsi que le directeur du magasin mettaient en faute le travail de M. [N] [O] qui pourtant était absent en raison de son jour de repos. Par conséquence, lors de sa reprise de poste, le directeur mettait la pression sur [N] lorsque les visites commerciales ne se passaient pas bien'

'...on lui changeait constamment ses missions au niveau au niveau le travail et lui remettent la faute des mauvais résultats'

- Il ajoute avoir déposé le 26 février 2018 une demande de congés pour la période du 26 février au 04 mars 2018 que son employeur , après l'avoir verbalement acceptée, a finalement refusé, ce qui lui a occasionné des frais d'annulation du séjour qu'il avait réservé pour sa famille.

- Il fait valoir que les griefs précédemment développés relatifs à la sanction disciplinaire qu'il a injustement subi , ainsi qu'à sa surcharge de travail, aux heures supplémentaires et à l'irrespect des repos hebdomadaires sont également constitutifs de faits de harcèlement.

Concernant ls conséquences du harcèlement sur la dégradation de son état de santé, M. [O] verse aux débats:

- son arrêt de travail initial du 23 mars 2018 pour 'syndrome anxieux'.

- deux attestations médicales de son psychiatre, le docteur [J], dont la premier en date du 20 mai 2018 relève un syndrome de 'burn out' faisant état des éléments suivants:

'le décalage entre une intensité de travail et le poste occupé dans les condition qu'il décrit est devenu axénique. Plus de reconnaissance, demandes incessantes le jour, plusieurs fois refus de ses vacances, heures supplémentaires non reconnues, provocation pour mise en faute...plusieurs démissions de ses collègues(8 sur 10). Le surmenage, les conséquences sur sa santé et sa famille commencent à empiéter sur sa santé physique et psychologique. Les troubles du sommeil, anxiété, l'instabilité, le sentiment d'angoisse ont entraîné une fatigue voir un épuisement avec impossibilité de se lever, plus de désir. Problème de dos du coccyx, ne peut plus se projeter dans un retour au travail(angoisse provoquée en passant devant son lieu de souffrance).....Il me semble absolument nécessaire pour sa santé de mettre en route une inaptitude au poste vu les conditions inacceptables ...de travail'. La seconde attestation datée du 7 décembre 2018 fait état du suivi dont il a bénéficié en mai et juin 2018.

- son avis d'inaptitude du 19 juin 2018.

- les ordonnances médicales à compter du 20 mars 2018 relatives au traitement qui lui a été prescrit: Panax, Lamaline, Valium, Seroplex....

- son dossier médical médecine du travail dans lequel il a fait part lors de la visite médicale du 19 avril 2018 d'un 'burn out pour raison professionnelle' , de harcèlement moral en raison de reproches injustifiés sur son travail, d'horaires excessifs de pression++'

Ces éléments, pris dans leur ensemble, notamment en ce qu'ils mettent en exerguent la surcharge de travail du salarié également confronté à l'attitude dénigrante de sa hiérarchie , laissent supposer l'existence de faits de harcèlement.

Pour établir que ces agissements ne sont pas constitutif de faits de harcèlement, l'employeur fait valoir que :

- Mme [B] et Mme [K], qui ont témoigné en faveur de M. [O], ont été licenciés par M. [H] pour faute grave, et M. [W] a contesté son inaptitude. Elle précise que des procédures concernant ces salariés sont en attente d'une audience de départage.

Il convient cependant de relever que la sincérité des faits relatés dans leurs témoignages est corroborée par les attestations de plusieurs autres salariés qui ne sont pas en litige avec l'employeur.

- Concernant le refus injustifié de congés: l'employeur se borne à mentionner que le salariés devaient former leurs demandes de congés au moins un mois à l'avance alors que M. [O] a formé sa demande le 28 janvier pour un départ le 26 février, sans toutefois justifier que la prise de congés au cours de cette période aurait occasionné des difficultés pour la société. En revanche l'intéressé justifie au vu des pièces et de l'attestation produites, avoir dû annuler son séjour et payer des frais d'annulation en raison du refus de l'employeur.

- L'argumentation de l'employeur relative à l'exercice de son pouvoir disciplinaire, ainsi qu'au temps de travail et à la rémunération du salarié, a été précédemment développée lors de l'analyse distincte des différents griefs qui lui étaient reprochés sur ces points, au titre desquels la cour a retenu que les manquements allégués étaient établis.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société est défaillante dans l'administration de la preuve que les agissements ci-avant caractérisés sont objectivement justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement

Au regard du préjudice subi par le salarié, il convient de condamner l'employeur à lui verser des dommages et intérêts d'un montant de 8000 euros.

Sur la rupture du contrat de travail:

Sur la nullité du licenciement:

Aux termes de l'artiche L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail résultant d'un harcèlement moral est nulle de plein droit.

Plus spécifiquement, lorsqu'il existe un lien certain entre la dégradation de l'état de santé du salarié à l'origine de son inaptitude et le harcèlement moral qu'il a subi, le licenciement pour inaptitude physique doit être déclaré nul.

En l'espèce, le harcèlement subi par le salarié est caractérisé. Par ailleurs, il ressort des éléments médicaux précédemment détaillés, que suite aux agissements dont il a été victime, M. [O] a été placé en arrêt de travail pour syndrome anxieux et burn out de façon continue à compter 26 mars 2018 et jusqu'à l'avis d'inaptitude rendu par la médecin du travail le 19 juin 2018. Il a par la suite été licencié pour inaptitude le 20 août 2018, de sorte que le lien entre le harcèlement moral et le licenciement est établi , et qu'en conséquence le licenciement est nul.

Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail:

Sur les dommage et intérêts:

En application de l'article L.1235-3-1 du code du travail, lorsque le licenciement est entaché de nullité, le juge lui octroie une indemnité , à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois.

Lors de la rupture du contrat de travail, M. [O], âgé de 35 ans, disposait d'une ancienneté de 6 ans et 7 mois au sein de l'entreprise. Suite au licenciement, il a connu une période de chômage au cours de l'année 2018/2019 puis a débuté une carrière d'agent immobilier qu'il n' a pu réellement exercer qu'à compter du mois de mai 2020.

Au regard du préjudice subi, il convient de condamner l'employeur à lui verser des dommages intérêts d'un montant de 11710 euros.

Sur la remise tardive des documents de fin de contrat:

Au terme de l'article L1234-19, L1234-20 et R1234-9 du code du travail, l'employeur doit remettre à l'issue du contrat de travail , le certificat de travail, le solde de tout compte et l'attestation pôle emploi.

En l'espèce, M. [O] fait valoir que suite à son licenciement en date du 20 août 2018, et malgré ses relances et celles de l'inspection du travail, son employeur ne lui a remis les documents de fin de contrat que par mail du 29 janvier 2019, ce qui lui a occasionné un retard dans la perception de ses indemnités chômage.

L'employeur précise avoir répondu à l'inspection du travail le 22 novembre 2018, en joignant à son courrier les documents sollicités, sans toutefois justifier les avoirs adressés au salarié avant le courriel du 29 janvier 2019.

Au vu des justificatifs produits, il est établi que M. [O] a subi un préjudice financier lié au paiement tardif de ses indemnités chômage qu'il convient d'indemniser en condamnant l'employeur à lui verser 500 euros de dommages et intérêts.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis:

La situation de M. [O] lui ouvre droit au versement de la somme de 3903,40 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 390,34 euros de congés payés afférents.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens:

Il convient de condamner l'employeur à verser à M. [O] la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de la procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de M. [N] [O].

Statuant à nouveau:

- Annule la mise à pied disciplinaire notifiée le 09 mars 2018 à M. [N] [O] .

- Rejette la demande de rappel de salaire au titre de la mise à pied disciplinaire

- Dit que le licenciement notifiéle le 20 août 2018 par.la société Leader Price Flemingà M. [N] [O] est nul.

Condamne la Société SAS Holding Ile de France, qui vient aux droits de la SARL Leader Price Fleming à verser à M. [N] [O] les sommes suivantes:

- 500 euros de dommages intérêts pour sanction injustifiée.

- 5966,40 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires.

- 596,64 euros au titre des congés payés afférents.

- 500 euros de dommages intérêts pour le non respect du temps de repos hebdomadaire.

- 11 710 euros de dommages intérêts pour le travail dissimulé.

- 500 euros de dommages intérêts pour le retard dans le paiement des salaires.

- 500 euro de dommages intérêts pour remise tradive des documents de fin de contrat.

- 8000 euros de dommages intérêts pour harcèlement moral.

- 11 710 euros de dommages intérêts pour licenciement nul.

- 3903,40 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.

- 390,34 euros au titre des congés payés afférents

- 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société SAS Holding Ile de France qui vient aux droits de la SARL Leader Price Fleming aux dépens de la procédure.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 1re chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01230
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;21.01230 ?
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