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18/06/2024 | FRANCE | N°21/03371

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 5e chambre civile, 18 juin 2024, 21/03371


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



5e chambre civile



ARRET DU 18 JUIN 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/03371 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PAMC





Décision déférée à la Cour : Jugement du 04

MAI 2021

Tribunal judiciaire de PERPIGNAN

N° RG 19/00288





APPELANTE :



S.A. TROIS MOULINS HABITAT

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentée par Me Céline FLORENTIN, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant







INTIMES :



Monsieur [D] [Y]

né le [Date naissance 3] 1929 à [Localité 1...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

5e chambre civile

ARRET DU 18 JUIN 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/03371 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PAMC

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 MAI 2021

Tribunal judiciaire de PERPIGNAN

N° RG 19/00288

APPELANTE :

S.A. TROIS MOULINS HABITAT

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentée par Me Céline FLORENTIN, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant

INTIMES :

Monsieur [D] [Y]

né le [Date naissance 3] 1929 à [Localité 14]

[Adresse 2]

[Localité 12]

Représenté par Me David DUPETIT de la SCP GIPULO - DUPETIT - MURCIA, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant

Madame [K] [U] épouse [Y]

née le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 13]

[Adresse 2]

[Localité 12]

Représentée par Me David DUPETIT de la SCP GIPULO - DUPETIT - MURCIA, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant

Ordonnance de clôture du 22 Avril 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 MAI 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre

M. Emmanuel GARCIA, Conseiller

Mme Corinne STRUNK, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie SABATON

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre, et par Madame Sylvie SABATON, greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

La S.A Trois Moulins Habitat a fait construire dans le courant de l'année 2014 une résidence dénommée « Les Portes de la Mer » comprenant 36 logements, une salle de réunion et des commerces sur la commune de [Localité 12].

L'immeuble réalisé est un bâtiment linéaire en L évasé et surélevé de deux étages sur rez-de-chaussée en façade ouest et trois étages en façade nord. Il présente une hauteur de 13 mètres.

Il est situé sur une parcelle cadastrée section AW n°[Cadastre 4] qui est mitoyenne des parcelles cadastrées AW n° [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10] et [Cadastre 11] qui font partie du lotissement « Los Planassos ».

M et Mme [Y] sont propriétaires depuis le 6 avril 1993 d'une maison d'habitation de plain-pied, située au [Adresse 2], construite sur la parcelle AW n° [Cadastre 11] avec jardin attenant sur l'arrière de la maison.

Considérant que la présence de cet immeuble leur cause un trouble de voisinage et arguant de multiples nuisances, les époux [Y] ont saisi le juge des référés du tribunal judiciaire, qui par une ordonnance rendue le 5 juillet 2017, a fait droit à leur demande d'expertise judiciaire qu'il a confié à M. [E] chargé notamment de donner tout élément utile de nature à apprécier les effets de la construction dudit immeuble sur la propriété [Y] ( préjudice de jouissance, perte de valeur, les vues, la perte d'ensoleillement').

Le rapport a été déposé le 4 mars 2018.

Sur saisine des époux [Y] par acte d'huissier délivré le 7 janvier 2019, et par jugement rendu le 4 mai 2021, le tribunal judiciaire de Perpignan:

Déboute M. et Mme [Y] de leur demande de complément d'expertise ;

Juge que l'immeuble, propriété de la S.A Trois Moulins Habitat situé sur la commune de [Localité 12] sur une parcelle cadastrée section AW n°[Cadastre 4], cause à M. et Mme [Y] un trouble anormal de voisinage ;

Condamne la S.A Trois Moulins Habitat à leur payer les sommes suivantes :

- 50.000 euros en indemnisation de leur préjudice de jouissance ;

- 18.000 euros en indemnisation de la perte de valeur de leur immeuble ;

- 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Prononce l'exécution provisoire du jugement ;

Déboute les parties de toutes de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la S.A Trois Moulins Habitat aux entiers dépens en ce compris le frais de l'instance de référé et d'expertise judiciaire.

Le premier juge rejette en premier lieu la demande de complément d'expertise présentée par les époux [Y] fondée sur les articles 233 et 276 du code de procédure civile, considérant que si l'expert se montre peu précis et laconique sur le point de mission n°3 relatif à l'examen de la conformité des constructions au permis de construire, cette question n'est pas utile à la résolution du litige qui repose sur l'existence d'un trouble anormal du voisinage et non sur la question distincte du respect ou non des prescriptions d'un permis de construire précisant en effet que l'existence de tels troubles peut être retenue même en présence d'une construction conforme aux règles d'urbanisme. Ainsi, bien que fondée en son principe, cette demande de complément est rejetée pour être inopportune et sans effet sur la résolution du litige.

En deuxième lieu, le premier juge retient l'existence d'un trouble anormal du voisinage rappelant l'existence d'une discordance entre le projet initial et le bâtiment effectivement réalisé, mais également l'environnement urbanistique des habitations litigieuses s'agissant d'une zone pavillonnaire calme uniquement composée de petites habitations bénéficiant d'une vue et d'une perspective agréable pour être situées en bordure de parcelles de vigne.

Il considère que la présence de vues plongeantes sur les parties habitables et le jardin des époux [Y] provenant des balcons et fenêtres de la résidence est de nature à réduire leur intimité dans l'usage des espaces extérieurs intégrant notamment la piscine. De même, l'édification du bâtiment entraine une perte d'ensoleillement le matin jusqu'en milieu de journée. Il juge encore que ces troubles sont anormaux et excessifs, la construction de cet immeuble massif dans une zone pavillonnaire préexistante constituée d'habitations modestes et de petite taille entraîne une proximité prégnante préjudiciable à l'intimité de chacun et au respect de la vie privée.

Le premier juge rejette par contre l'existence de nuisances sonores en l'absence de pièces attestant de la diffusion de bruits en provenance des terrasses des logements créés qui leur est préjudiciable.

Enfin, le premier juge reconnaît l'existence d'une perte de valeur de l'habitation des époux [Y] découlant des nuisances générées par cet immeuble reprenant ainsi l'estimation proposée par l'expert.

La S.A Trois Moulins Habitat a relevé appel de la décision par déclaration au greffe du 25 mai 2021.

Les dernières conclusions déposées par la S.A Trois Moulins Habitat ont été notifiées par RPVA le 23 août 2021.

Les dernières conclusions déposées par les époux [Y] ont été notifiées par RPVA le 17 avril 2024.

Dans ses dernières conclusions, la SA Trois Moulins Habitat demande à la cour de :

A titre principal,

Réformer le jugement dont appel en ce qu'il juge que Monsieur et Madame [Y] souffrent d'un trouble anormal du voisinage causé par les vues, la perte d'ensoleillement et le phénomène de réverbération créés par l'immeuble de la S.A Trois Moulins Habitat ;

Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il juge qu'ils ne souffrent d'aucun trouble anormal de voisinage résultant de troubles sonores ;

Dire et juger qu'ils ne souffrent d'aucun trouble anormal de voisinage ;

Condamner solidairement Monsieur et Madame [Y] à rembourser à S.A Trois Moulins Habitat la somme de 68.000€ ;

Condamner solidairement Monsieur et Madame [Y] au paiement de la somme de 5.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner solidairement les époux [Y] au paiement des entiers dépens d'instance et d'appel ;

A titre subsidiaire, si la cour devait retenir un ou plusieurs troubles anormaux du voisinage ;

rejeter toute demande indemnitaire au titre d'une perte de valeur vénale pour reposer uniquement sur une estimation forfaitaire à dire d'expert ;

rejeter toute demande indemnitaire au titre des préjudices de jouissance invoqués et non justifiés ;

A titre infiniment subsidiaire,

Réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires formées au titre des préjudices de jouissance invoqués et de la perte de valeur vénale au regard des explications qui précèdent ;

Condamner les intimés, par le jeu de la compensation visée aux articles 1347 et suivants du Code Civil, à rembourser à S.A Trois Moulins Habitat le trop-perçu ;

Statuer ce que de droit sur les dépens.

Au soutien de son appel, la SA Trois Moulins Habitat rappelle que la proximité immédiate d'une propriété génère par nature des inconvénients sans que cela ne soit constitutif de troubles anormaux de voisinage. Aussi, selon elle, si la construction de la résidence litigieuse occasionne une gêne, encore faut-il qu'elle revête un caractère anormal ce qui n'est pas le cas pour les époux [Y].

L'appelante conteste en premier lieu l'existence de vues se référant ainsi au rapport d'expertise judiciaire qui relève uniquement la présence de trois fenêtres ayant une vue sur l'arrière de la maison étant relevé qu'aucune vue n'existe du rez-de-chaussée et du premier étage du fait de la présence d'une haie de pyracanthas.

Elle dénombre pour sa part six fenêtres litigieuses qui selon elle, présentent une vue latérale réduite sur la propriété des époux [Y] et pour certaines aucune vue en raison de la hauteur et de la densité de la haie. Elle précise également qu'aucune vue n'est permise sur le fonds litigieux depuis le parking. L'appelante fait valoir qu'il n'existe aucune vue sur la terrasse et à l'intérieur de l'habitation. Elle conteste enfin l'existence d'une piscine sur la parcelle des époux [Y].

Elle conclut en l'absence d'anormalité des vues rappelant que l'expert judiciaire a écarté l'anormalité des troubles eu égard à l'environnement immédiat dans lequel se trouvent les bâtiments à savoir une zone urbaine en pleine expansion étant relevé que la commune de [Localité 12] est en pleine croissance démographique. Elle souligne enfin que la parcelle des époux [Y] est située dans une zone urbanisée et qu'ils ne pouvaient ignorer son expansion future.

A titre subsidiaire, elle sollicite une réduction de l'indemnité allouée pour tenir compte de la configuration réelle des lieux à savoir que les vues sur le fond des époux [Y] proviennent uniquement de trois fenêtres.

Pour le surplus, l'appelante conteste toute perte d'ensoleillement du fait de l'imprécision du rapport judiciaire sur ce point et soutient encore son caractère minime dénué de toute anormalité. A titre subsidiaire, elle demande une réduction de l'indemnisation allouée compte-tenu du caractère minime de la nuisance dénoncée.

Sur le phénomène de réverbération entraînant une hausse des températures l'été dans le jardin et les pièces habitables des époux [Y], l'appelante soutient que l'expert judiciaire n'a pas constaté un tel phénomène se contentant de reprendre les doléances des intimés.

Elle conclut enfin en l'absence de perte valeur de l'immeuble en lien avec les troubles dénoncés, la seule baisse provenant de la situation nouvelle de mitoyenneté.

Dans leurs dernières conclusions, les époux [Y] demandent à la cour de :

Vu le rapport d'expertise établi par Monsieur [E],

Vu le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage,

A titre principal,

En tant que de besoin, organiser un transport sur les lieux ;

Juger que l'immeuble, propriété de la S.A Trois Moulins Habitat situé sur la commune de [Localité 12] sur une parcelle de terre cadastrée Section AW n° [Cadastre 4], cause à Monsieur et Madame [Y] des troubles anormaux de voisinage, se caractérisant notamment par les éléments suivants :

* Implantation d'un immeuble collectif de 13 m. de hauteur à proximité de la ligne divisoire entraînant une perte de vue, de perspective et d'ensoleillement ;

* Phénomène de diffusion sonore des bruits en provenance des terrasses des logements créés, compte tenu de la forme en arc-de-cercle du bâtiment ;

* Phénomène de réverbération de la chaleur solaire vers le jardin et les parties des villas des requérants en période estivale, entraînant un accroissement de la température ambiante ;

* Création de balcons et fenêtres donnant vue plongeante et directe sur les jardins et pièces à vivre coté jardins des villas des requérants ;

* Perte globale de valeur des propriétés des requérants liée à l'implantation d'un ensemble collectif à proximité de la ligne divisoire ;

En conséquence,

Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la S.A Trois Moulins Habitat à payer à Monsieur et Madame [Y], ensemble, les sommes de 50.000 € en indemnisation de leur préjudice de jouissance, et de 18.000 € en indemnisation de la perte de valeur de leur immeuble ;

Juger que lesdites sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation au fond, avec capitalisation annuelle le 1er janvier de chaque année ;

Débouter la S.A Trois Moulins Habitat de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions ;

Á titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour réformerait le jugement dont appel et considérerait que le trouble anormal de voisinage n'est pas établi,

Juger que l'expert judiciaire a méconnu à ses obligations en :

- Ne répondant pas au 3ème point de mission qui lui était imparti,

- Ne répondant pas aux dires transmis par les requérants (qu'il a pourtant bien réceptionné puisqu'il figure dans la liste des pièces annexes)

- Ne procédant pas personnellement aux mesures des distances qui figurent dans son rapport, s'étant contenté de reprendre celles figurant sur les plans du permis '

Juger que l'expert judiciaire n'a pas complètement et correctement répondu au troisième point de mission qui lui était confié, visant à vérifier la conformité de l'immeuble litigieux avec les plans du permis de construire ;

En conséquence,

Ordonner un complément d'expertise en imposant à Monsieur [E] de répondre complètement aux points de mission qui lui avaient été impartis ;

Juger que ce complément de mission résultant d'une carence de l'expert à l'accomplissement de sa mission initiale, se fera à ses frais exclusifs et sans demande de consignation complémentaire à la charge des demandeurs.

Et en toute hypothèse,

Condamner la S.A Trois Moulins Habitat à payer à Monsieur et Madame [Y] une somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Condamner la S.A Trois Moulins Habitat aux entiers dépens de référé, de 1ère instance et d'appel incluant le coût de l'expertise judiciaire ;

Les intimés font valoir que leur habitation, bordée de vignes, s'intégrait dans un environnement pavillonnaire calme qui n'a pas été respecté par lors de la construction de la résidence litigieuse.

Ils ajoutent que le projet initial portait sur la construction d'un éco quartier en mitoyenneté et que l'immeuble devait être situé à plusieurs dizaines de mètres de leur habitation et séparé par un jardin arboré, raison pour laquelle ils ne se sont pas opposés à cette construction qui leur paraissait respectueuse de leur cadre de vie.

Or, ils font valoir que le projet réalisé ne correspond en rien au plan diffusé auprès de la population et que les nuisances générées par la présence de cet immeuble sont réelles et excessives justifiant la reconnaissance d'un trouble anormal du voisinage. Ils ajoutent que les aménagements, qui devaient réduire les nuisances, n'ont jamais été réalisés (absence d'espace arboré').

Ainsi, l'immeuble se trouve situé à 5 mètres de leur parcelle avec une hauteur conséquente et présente neuf fenêtres ainsi que plusieurs balcons disposant d'une vue plongeante sur leur parcelle. Il entraîne également une perte d'ensoleillement jusqu'à 11 heures en matinée, puisque les façades arrière ne sont plus ensoleillées dès le lever du soleil. Ils prétendent également qu'il créé un phénomène de réverbération occasionnant un accroissement des températures en période estivale qui est également favorisé par la présence d'un parking goudronné.

Ils ajoutent que la forme en arc de cercle du bâtiment favorise la diffusion des bruits provenant des fenêtres et des balcons ce qui leur cause une nuisance sonore constitutive d'un trouble anormal de voisinage.

Pour finir, ils font valoir que l'expert judiciaire a indiqué que la perte de vue et de perspective ainsi que la création de vues sur le jardin outre la perte d'ensoleillement sont évidentes à constater. Aussi, si les vues sont atténuées en rez-de-chaussée, tel n'est pas le cas pour les ouvertures pratiquées sur les étages supérieurs. La partie intimée ajoute que le choix d'implantation du bâtiment à un emplacement autre que celui prévu initialement qui était plus éloigné et le défaut d'aménagement destiné à réduire les nuisances expliquent seuls le trouble anormal subi.

A titre subsidiaire, ils réclament un complément d'expertise motivé par l'absence d'examen de la question de l'adéquation du permis de construire avec le projet réalisé alors qu'ils soutiennent que la résidence litigieuse n'est pas conforme aux documents urbanistiques déposés dans le cadre du permis de construire.

La clôture de la procédure est intervenue le 22 avril 2024.

MOTIFS

1/ Sur l'existence d'un trouble anormal de voisinage :

Il est de principe que nul ne doit causer à autrui un dommage excédant les inconvénients normaux de voisinage.

Il est constant que ce régime de responsabilité est autonome par rapport au droit commun de la responsabilité. Il s'agit d'une responsabilité objective qui est subordonnée uniquement, la preuve d'une faute n'étant nullement requise, à l'existence d'un trouble anormal qui doit être apprécié in concreto, en fonction des circonstances de temps et de lieu. Le respect des normes, notamment en matière d'urbanisme, n'est pas exclusif de l'existence d'un trouble anormal de voisinage, et inversement, la méconnaissance de ces normes n'implique pas nécessairement un tel trouble.

Ainsi que l'a relevé à bon droit le premier juge, le caractère licite ou non de la construction édifiée est sans incidence sur l'existence éventuelle d'un trouble anormal de voisinage de sorte que la demande d'expertise complémentaire ne se justifie nullement.

Pour le surplus, il appartient aux époux [Y], qui se prévalent d'une privation d'ensoleillement, d'un préjudice de vue ainsi que d'un phénomène de réverbération outre des nuisances sonores, d'établir que les inconvénients dénoncés excèdent les troubles normaux du voisinage.

Le trouble anormal dénoncé par les intimés s'apprécie à l'aune de l'environnement dans lequel s'inscrit le trouble supposé.

Il n'est nullement contesté que la SA Trois Moulins Habitat a fait édifier un immeuble linéaire en L évasé et surélevé composée de 4 bâtiments séparés constitués de deux étages sur rez-de-chaussée en façade ouest et trois étages en façade nord, présentant une hauteur de 13 mètres, sur une parcelle cadastrée section AW n°[Cadastre 4], autrefois en nature de vignes, mitoyenne de la parcelle appartenant depuis 1993 aux époux [Y], propriétaires d'une maison et d'un jardin attenant faisant partie du lotissement « Los Planassos » constituant une zone résidentielle.

La construction d'un immeuble collectif de trois étages sur une parcelle jouxtant la propriété des époux [Y] leur cause nécessairement un trouble puisqu'ils se voient imposer la proximité immédiate d'un bâtiment au lieu et place de parcelles de vigne de nature à modifier leur environnement.

Cela étant, ce seul constat ne peut suffire à établir l'anormalité du trouble dénoncé, l'immeuble des époux [Y] se situant dans une zone urbanisée vouée à s'étendre.

Il convient donc d'examiner les griefs dénoncés par les intimés à la lumière du rapport d'expertise déposé par M. [E] le 31 janvier 2018 et des pièces communiquées par les époux [Y].

L'expertise judiciaire, qui a été initialement diligentée à la demande de Mme [P] et des époux [G], est opposable aux époux [Y] qui sont les voisins directs de ces derniers, leurs habitations étant mitoyennes, de sorte qu'ils peuvent se prévaloir des constatations reprises dans le rapport étant relevé que par une ordonnance de référé du 5 juillet 2017, la mission de l'expert a été étendue à leur parcelle.

Selon l'expert, les conditions urbanistiques ont évolué avec la construction des bâtiments. La perte de vue et de perspective, la création de vues donnant sur le jardin privatif de M. et Mme [Y], tout comme la perte d'ensoleillement sont évidentes à constater.

Il n'est d'ailleurs nullement contesté par l'appelante l'existence de ces modifications, celle-ci contestant seulement l'anormalité des troubles dénoncés.

En l'état, à l'examen des pièces produites, il convient de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a écarté l'existence de nuisances sonores excessives imputables à la construction de ce nouvel immeuble.

En effet, les époux [Y], qui dénoncent la forme en arc de cercle du bâtiment comme favorisant la diffusion des bruits provenant des fenêtres et des balcons ainsi que la présence du parking pour expliquer l'existence de nuisances sonores constitutives d'un trouble anormal de voisinage, ne confortent leur analyse par aucune pièce justificative alors même que l'expert judiciaire n'a pas retenu ce grief considérant les désagréments normaux au regard de l'urbanisation de la zone.

L'expert indique en effet dans la conclusion du rapport qu'« il est difficile de parler d'un trouble anormal du voisinage. La construction des bâtiments par la SAS Trois Moulins a créé, c'est certain, plus d'activité sur ce secteur par rapport à l'existant antérieur (circulation plus importante, voisinage plus dense') et certains désagréments (bâtiments en perspective, perte d'ensoleillement') cela résulte de l'urbanisation de la zone, phénomène que l'on retrouve fréquemment dans toutes les communes. Il est logique que cette zone soit moins calme qu'avant la construction du lotissement les Portes de la Mer ».

Par ailleurs, l'analyse des pièces ne met pas en évidence, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, l'existence d'une perte d'ensoleillement ni un phénomène de réverbération, et rien ne permet de retenir que les inconvénients dénoncés excèdent les troubles normaux du voisinage.

S'agissant du phénomène de réverbération, l'expert judiciaire n'a procédé à aucun constat ni analyse se contentant de reprendre les doléances des époux [Y] qui évoquent une augmentation de température sans plus de précision. Le préjudice dénoncé n'est donc pas justifié.

S'agissant des conditions d'ensoleillement, l'expert retient que « la création de l'immeuble entraîne une perte d'ensoleillement ; elle est similaire aux précédentes (le bien bénéficie quelques minutes lors du lever du soleil et en est privé jusqu'en milieu de journée) ; il nous est indiqué que l'après-midi, le soleil se reflétant sur la façade de l'immeuble créé une réverbération et un accroissement de température (surtout gênants aux beaux jours)».

L'imprécision de l'expertise sur ce point ne permet pas d'apprécier l'importance de la perte évoquée étant relevé que M.[E] indique, s'agissant des maisons mitoyennes à celle des époux [Y], qu' « actuellement la maison de M et Mme [G] n'est ensoleillée sur sa façade arrière qu'à partir de 10h30 / 11h selon la saison (certainement plus tôt en été) celle de Mme [P] l'est 15 à 30 minutes plus tôt. Nous ne pouvons déterminer très précisément ce qu'il en était avant la construction des bâtiments ' mais nous pouvons imaginer qu'elles devaient l'être peu après le lever du soleil ». Il ajoute que « la création de l'immeuble entraîne une perte d'ensoleillement ; elle est similaire aux précédentes (le bien bénéficie quelques minutes lors du lever du soleil et en est privé jusqu'en milieu de journée) ».

Ces constatations ne permettent pas de retenir que le caractère excessif de cette perte d'ensoleillement qui découle naturellement de la construction en mitoyenneté d'un immeuble, peu importe sa nature.

Si elle est effective, aucun élément ne permet de retenir son anormalité étant rappelé qu'elle résulte de l'urbanisation de la zone. La privation de quelques heures de soleil ne peut être considérée comme excessive sauf à interdire toute construction dans la zone considérée.

La décision entreprise sera donc infirmée sur ce point.

Par contre, s'agissant du préjudice de vue, le jugement sera confirmé en ce qu'elle a retenu l'existence d'un trouble anormal et excessif.

En effet, si l'urbanisation d'une zone s'accompagne de désagréments évidents impliqués par la construction d'un bâtiment de plusieurs étages, en l'espèce 3 étages avec une hauteur de 13 mètres, celle-ci ne peut se faire néanmoins s'en tenir compte de l'environnement dans lequel elle s'intègre et doit faire en sorte de réduire les inconvénients induits pour le voisinage déjà présent en procédant notamment à une implantation judicieuse du bâtiment de nature à limiter les vues.

Ceci est tellement vrai que la plaquette informant le voisinage de la création d'un nouveau lotissement « Les portes de la Mer », comprenant l'édification de plusieurs logements individuels sur des parcelles localisées autour de l'avenue Jean Zay ainsi qu'un bâtiment collectif jouxtant leur parcelle, a été faite dans cet esprit.

Elle présente en effet l'immeuble comme étant situé à proximité de la route, à l'opposé de la parcelle des intimés étant précisé que l'illustration jointe comporte un espace vert composé d'arbustes servant de séparation végétale entre la maison des époux [Y] et la nouvelle construction laissant supposer l'existence d'une certaine distance entre les deux immeubles.

Or, les photos produites aux débats contredisent cette plaquette de présentation et révèlent au contraire une certaine proximité, le bâtiment présentant une hauteur de 13 mètres se situant en effet à 5 mètres des habitations mitoyennes comme l'a constaté l'expert, et il est à noter l'absence d'aménagements verts et de séparation arborée remplacés par un parking. Il peut être ainsi constaté la présence de fenêtres qui disposent d'une vue plongeante sur le jardin des intimés.

L'expert judiciaire relève en effet la présence de « trois fenêtres au dernier niveau de l'immeuble qui ont une vue plongeante sur l'arrière de la maison (jardinet). Il ajoute que « les époux [Y] se sont cependant protégés en élevant une haie de pyracanthes assez efficace (bien que plus haute que la hauteur autorisée par les règlements) ; elle les protège des perspectives des appartements du rez-de-chaussée et du premier niveau de l'immeuble mais demande un entretien supplémentaire ».

Cette constatation n'est pas contredite par le procès-verbal produit par l'appelante dans la mesure où les photos jointes laissent apparaître des vues latérales mais plongeantes sur le jardin qui se trouve dès lors à découvert.

Cette vue plongeante sur leur jardinet, offerte par les trois fenêtres situées au dernier niveau, est de nature à réduire leur intimité dans l'usage des espaces extérieurs de sorte qu'elle caractérise un trouble anormal de voisinage.

Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

2/ sur la réparation du trouble :

Le premier juge a accordé une indemnisation d'un montant de 50.000 euros au titre du préjudice de jouissance subi ainsi qu'une somme de 18.000 euros correspondant à la perte de la valeur vénale de l'habitation subie du fait de ce trouble anormal du voisinage.

En appel, la demande indemnitaire sera revue à la baisse dans la mesure où seul un préjudice de vue est retenu.

Eu égard à l'importance des désagréments subis, les époux [Y] se verront alloués une somme de 10.000 euros au titre du préjudice de jouissance ainsi que la somme de 5.000 euros résultant de la perte de la valeur vénale de l'habitation.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

En dernier lieu, l'appelante réclame la condamnation des intimés, par le jeu de la compensation visée aux articles 1347 et suivants du code Civil, à rembourser à S.A Trois Moulins Habitat le trop-perçu.

La cour rejettera cette demande qui a trait à l'exécution des décisions en cause.

3/ Sur les frais accessoires :

Le jugement déféré sera confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.

L'appelante, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et d'allouer aux intimés une somme de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe ;

Confirme le jugement rendu le 4 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Perpignan sauf en ce qu'il a condamné la S.A Trois Moulins Habitat à payer à M. et Mme [Y] les sommes suivantes :

50.000 euros en indemnisation de leur préjudice de jouissance ;

18.000 euros en indemnisation de la perte de valeur de leur immeuble ;

Statuant à nouveau,

Condamne la S.A Trois Moulins Habitat à payer à M. et Mme [Y] les sommes suivantes :

10.000 euros en indemnisation de leur préjudice de jouissance,

5.000 euros en indemnisation de la perte de valeur de leur immeuble,

Condamne la S.A Trois Moulins Habitat à payer à M. et Mme [Y] la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la S.A Trois Moulins Habitat au paiement des entiers dépens.

Le Greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 5e chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/03371
Date de la décision : 18/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-18;21.03371 ?
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