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30/05/2024 | FRANCE | N°21/02480

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 30 mai 2024, 21/02480


ARRÊT n°



































Grosse + copie

délivrées le

à















COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 30 MAI 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/02480 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O6VW





Décision déférée à la Cour :

Jugement du 29 MARS 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMME

S - FORMATION DE DEPARTAGE DE MONTPELLIER

N° RG 19/00401





APPELANT :



Monsieur [K] [U]

né le 27 août 1970 à [Localité 3]

de nationalité Française

Domicilié [Adresse 2]

[Adresse 2]



Représenté par Me Bruno LEYGUE de la SCP CAUVIN, LEYGUE, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me ...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 30 MAI 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/02480 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O6VW

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 29 MARS 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE MONTPELLIER

N° RG 19/00401

APPELANT :

Monsieur [K] [U]

né le 27 août 1970 à [Localité 3]

de nationalité Française

Domicilié [Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Bruno LEYGUE de la SCP CAUVIN, LEYGUE, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Jean-Daniel CAUVIN, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

S.A.S. MEUBLES IKEA FRANCE

Domiciliée [Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Luc ALEMANY de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MARSEILLE

Ordonnance de clôture du 19 Février 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Mars 2024,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Madame Magali VENET, Conseiller

Monsieur Jean-Jacques FRION, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Naïma DIGINI

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Naïma DIGINI, Greffier.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

M. [K] [U] a été engagé, en qualité de responsable sûreté sécurité, statut cadre, groupe 7, niveau 1, par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, à compter du 11 septembre 2017, par la SAS Meubles Ikea France, spécialisée dans le commerce de détail de meubles de la marque Ikea.

La société relève de la convention collective nationale du négoce de l'ameublement du 31 mai 1995.

Le salarié travaillait dans le cadre d'une convention individuelle de forfait de 218 jours par an, en contrepartie d'une rémunération mensuelle brute de base de 3 500 euros.

Convoqué le 24 septembre 2018, à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 8 octobre 2018, le salarié a été licencié par lettre datée du 11 octobre 2018, pour faute grave.

Le 8 avril 2019, il a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier aux fins de contester son licenciement.

Par jugement du 29 mars 2021, le conseil l'a débouté de l'intégralité de ses demandes, a débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et a laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Le 16 avril 2021, M. [U] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 9 janvier 2024, M. [U] demande à la cour :

avant dire droit de condamner l'employeur, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au débat pour les périodes d'août et septembre 2018, les documents suivants :

- Echanges entre le salarié et l'employeur sur la période d'août et septembre 2018;

- Planning RD]

- Comptes rendus du CODIR sur toute la période d'août 2018 jusqu'au 1er septembre 2019,

- Tout 1'historique KLOCKA sur toute la période d'août 2018 jusqu'au 1er septembre 2019,

- Relevé de badgeage

- Tout le fichier gatekeeper sur l'organisation et 1'agenda,

au fond, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de condamner la société à lui verser les sommes suivantes:

- 30 000 euros de dommages et intérêts pour atteinte à son droit au repos, à sa santé et à sa vie familiale,

- 11 826 euros à titre d'indemnité de préavis, outre la somme de 1 182, 60 euros de congés payés afférents,

- 47  304 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens, avec intérêts au taux légal à compter de la date de la saisine du conseil de prud'hommes.

' Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 8 janvier 2024, la société Meubles Ikea France demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes et le condamner à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Par ordonnance rendue le 19 février 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 18 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIVATION

Sur l'étendue de la saisine de la cour :

Aux termes de l'article 954 du code de procédure civile, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il en découle que nonobstant les moyens et, le cas échéant, les demandes formulées dans le corps des conclusions de chacune des parties, la cour n'est saisie que des demandes figurant dans le dispositif des conclusions et pas de celles qui n'auraient pas été reprises dans ce dispositif, telle en l'espèce la demande au titre de l'indemnité de licenciement.

Sur la demande de communication de pièces :

M. [U] a demandé pour la première fois en cause d'appel dans son second jeu de conclusions remis au greffe le 23 novembre 2021, la communication de diverses pièces.

Observations faites que le salarié verse aux débats ses plannings et que l'employeur communique les demandes de congés payés ou de jours de RTT formulées par le salarié sur la période litigieuse, il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande de communication, tardive et imprécise, à charge pour la cour d'apprécier les différentes demandes conformément au régime de preuve applicable pour chaque chef du jugement critiqué.

Sur la demande de dommages et intérêts pour atteinte au droit au repos, à la préservation de sa santé et à sa vie familiale :

Le salarié sollicite la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts pour atteinte à son droit au repos, à sa santé et à sa vie familiale.

Au soutien de sa demande, le salarié présente l'argumentation suivante : 'le temps de repos pour déjeuner n'était pas réalisé dans des conditions normales et les pointages d'horaires, sans système d'alerte individuel des salariés pour les dépassements horaires ne permettent pas au salarié de travailler dans des conditions régulières'.

Le salarié verse aux débats trois plannings hebdomadaires pour la période du 20 août au 9 septembre 2018 mentionnant ses heures journalières d'entrées et de sorties et un nombre total d'heures hebdomadaires effectuées. Les plannings comportent la mention 'état planning validé', à l'exception du planning de la semaine du 27 août au cours de laquelle le salarié était absent.

En réplique, l'employeur, qui conclut à la confirmation du jugement, soutient avoir respecté son obligation de sécurité dès lors qu'il a mis en place un système de badgeage aux entrées et sorties du site permettant de contrôler les temps de repos quotidien et hebdomadaire du salarié.

L'accord de réduction du temps de travail du 31 juillet 2007 Ikea prévoit en son article 15 bis 3 que :

'les cadres autonomes devront badger avec leur carte à leur arrivée et lors du départ, afin de vérifier que l'obligation légale d'un repos quotidien d'une durée minimale de 11 heures consécutives entre deux journées de travail est respectée.

Il est convenu un plafond hebdomadaire de temps de travail effectif de 48h maximum. Ce temps de travail effectif est calculé sur la base de l'amplitude en heures de chaque journée travaillée sur la semaine à partir des états de badgage 'entrée-sortie'de laquelle est déduit un temps de pause forfaitaire à la journée d'une heure 30 minutes (ce temps comprend le temps du repas et les pauses de la journée). Cette limite hebdomadaire s'applique sur toutes les semaines de l'année sauf 9 (semaines) où le cadre autonome pourra, s'il le juge nécessaire, y déroger. D'autre part, il ne pourra effectuer plus de 3 semaines consécutives de 48 heures.

L'amplitude de journée maximale est fixée à 12 heures.

L'organisation du travail, l'amplitude des journées de travail, de la semaine, et la charge de travail qui en résulte feront l'objet d'un suivi par la hiérarchie de telle sorte, notamment, que soient respectées les dispositions relatives au repos quotidien, au nombre de jours de travail maximum par semaine, à la durée minimale du repos hebdomadaire et du plafond hebdomadaire en vigueur dans l'entreprise.

La directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, telle que modifiée par la directive 2000/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 2000, institue des périodes minimales de repos journalier et des durées maximales hebdomadaires pour les travailleurs.

Ce temps minimal de repos nécessaire à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs constitue une des règles du droit social communautaire revêtant une importance particulière. en outre, le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles

En la matière, les dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont applicables ni à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne ni à la preuve de ceux prévus par les articles L. 3121-34 et L. 3121-35 du code du travail, qui incombe à l'employeur.

En l'espèce, il est constant que le salarié travaillait dans le cadre d'une convention de forfait de 218 jours par an lui octroyant une autonomie dans la gestion de son temps de travail, sous réserve du respect des dispositions légales et conventionnelles impératives relatives aux temps de repos quotidien et hebdomadaire.

La société justifie avoir mis en place un système de badgeage aux entrées et sortie de site, permettant d'assurer un suivi des temps de repos des salariés en forfait annuel en jours, lesquels étaient répertoriés sur un logiciel informatisé et faisaient l'objet d'une validation hiérarchique. L'examen des plannings produits aux débats par le salarié, extraits de ce logiciel informatique, qui font état d'une amplitude journalière entre les heures de prise et de fin de service, ne font apparaître aucune infraction aux temps de repos quotidien et hebdomadaire, ni même à la durée hebdomadaire, celle-ci s'établissant à 46h30 pour la semaine du lundi 20 au dimanche 26 août, 23 heures la semaine du lundi 27 au dimanche 2 septembre (travail les samedi et dimanche de cette semaine) et 46h10 la semaine suivante du 3 au 9 septembre 2018.

Si la société justifie avoir mis en place un système de contrôle des temps de repos du salarié, faute de communiquer les relevés de badgeage sur la période antérieure, elle ne rapporte pas la preuve du strict respect de ses obligations en la matière.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ce chef dont le préjudice sera évalué à 1 500 euros.

Sur la cause du licenciement :

La lettre de licenciement du 11 octobre 2018, qui fixe les limites du litige, énonce les motifs suivants:

Pour faire suite à notre entretien préalable du 8 octobre 2018 lors duquel vous étiez assisté de M. [W] [M], Technicien de Maintenance, membre titulaire du comité d'établissement, nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement sans indemnité ni préavis.

Les motifs de votre licenciement sont ceux qui vous ont été exposés, à savoir :

Du 27 août 2018 au 31 août 2018, vous vous êtes absenté de votre poste de travail sans fournir la moindre justification et sans autorisation de votre hiérarchie.

En date du 4 septembre 2018, nous vous avons sollicité pour obtenir les raisons et les justificatifs de votre absence.

Vous n'avez fourni jusqu'à ce jour, y compris lors de l'entretien, aucune justification valable. Vos explications sont contradictoires et confuses, ce qui nous conduit à vous considérer en absence injustifiée et en abandon de poste de travail.

En effet, votre réponse (par courriel du 11 septembre 2018) à notre demande de

justification d'absence, est incompréhensible d'autant que vous attribuez à certains de vos collègues de travail des autorisations ou confirmations qui sont pourtant contestées.

Par ailleurs, vous présentez notamment une procédure de prise de RTT/congés payés qui n'est pas conforme aux règles en vigueur dans l'entreprise.

En définitive, la seule explication que vous avancez réellement est d'avoir choisi et pris, de votre propre chef et donc sans autorisation de votre hiérarchie, des jours d'absence que vous qualifiez à la fois de RTT et de congés payés alors que cela n'est pas possible.

Autrement dit, vous ne pouvez pas prendre des jours de RTT/congés payés sans que vous ayez obtenu l'accord préalable de votre hiérarchie. En outre, le système de gestion de jours d'absence issus des congés payés ou des RTT' n'a pas pu valider vos desideratas pour l'absence de la semaine du 27 août 2018, contrairement à ce que vous affirmez.

La simple lecture du système confirme qu'aucune validation ne vous a été donnée pour la période d'absence du 27 août 2018 au 31 août 2018.

Au delà de constituer un manquement à votre obligation de vous présenter à votre poste de travail pour y accomplir vos missions, cette absence injustifiée nous a causé un dysfonctionnement dans l'installation et la mise en route du projet dit «Gate Keeper » (équipement antivol des chariots du magasin).

En effet, il apparaît étonnant que dans votre réponse vous fassiez peu d'importance de votre absence, comme si cette dernière n'a pas été gênante nonobstant le mépris des procédures de demande d'autorisation d'absence en vigueur.

Or, tel n'est pas le cas puisque vous savez pertinemment que votre présence au magasin était nécessaire et requise au regard du l'installation du système de protection « Gate Keeper '', et de la conduite de ce projet dont vous aviez la responsabilité.

En effet, depuis déjà longtemps vous collaboriez avec d'autres de vos collègues de travail, sur l'opération 'Gate Keeper ' dont l'importance pour le magasin, n'est pas négligeable.

Comme vous le savez, régulièrement le magasin est contraint de renouveler le parc des chariots laissés à la disposition de la clientèle puisque régulièrement un grand nombre de ces derniers sont dérobés et emportés par des utilisateurs indélicats.

Afin de maintenir un nombre suffisant de chariots pour faciliter les achats de nos clients, nous sommes donc obligés d'en acheter de nouveaux pour remplacer ceux qui sont volés.

Le coût global moyen de rachat de ces chariots étant de 6 000 euros par mois, nous avons donc envisagé une solution différente notamment pour éviter (ou en tout cas limiter) le vol de nos chariots. C'est ainsi qu'un prestataire extérieur nous a proposé d'installer un système autobloquant des chariots dès lors que ces derniers franchissent un périmètre bien délimité.

En raison de vos fonctions en qualité de responsable sûreté sécurité, vous avez pris la direction opérationnelle de l'installation de ce système portant le nom de 'Gate Keeper'.

Or, ce dernier devait justement être installé pendant la semaine durant laquelle vous avez abandonné votre poste de travail, pour être actif avant le week-end de la rentrée qui est traditionnellement chargé.

En conséquence de quoi, vous comprendrez que nous ne goûtions que très peu, la désinvolture avec laquelle vous considérez les effets de votre absence injustifiée notamment au regard d'un projet majeur pour le magasin.

Au surplus, il ne vous aura pas échappé qu'en votre qualité de cadre et de responsable de service, vous avez une valeur d'exemple pour les collaborateurs. Que penser d'un responsable qui s'absente à un moment où son intervention était attendue aux côtés de ses collègues de travail dans un projet dont il est le référent' Que penser de ce même responsable qui s'affranchit des procédures en vigueur et de la hiérarchie pour s'absenter quand il le souhaite '

L'ensemble de ces faits concourent malheureusement à rompre immédiatement notre collaboration. Ce licenciement pour faute grave, sans indemnité de préavis ni de licenciement, prend effet immédiatement.

L'employeur, qui conclut à la confirmation du jugement, reproche au salarié son absence injustifiée sur la période du 27 au 31 août 2018, sans autorisation préalable de sa hiérarchie et fait valoir que cette absence a été à l'origine d'un dysfonctionnement dans l'installation et la mise en route du projet d'équipement antivol des chariots du magasin (dit projet Gatekeeper), dont le salarié était référent.

En réplique, le salarié, qui reconnaît s'être absenté sans validation par le logiciel informatique dédié, soutient s'être entretenu avec son responsable hiérarchique dont il est ressorti qu'il 'n'y avait aucune difficulté pour qu'il prenne lesdits congés' litigieux, que l'employeur ne justifie en aucune façon les prétendus dysfonctionnement dans la mise en place du dispositif 'gate-keeper' et que compte tenu du contexte, ce seul fait ne justifiait pas son licenciement pour faute grave. Il explique la tardiveté de sa demande par une précédente demande d'annulation de dates de congés sur demande de sa hiérarchie.

En vertu de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié. Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l'employeur qui l'invoque d'en apporter la preuve.

Il ressort de la pièce n°10 versée aux débats par l'employeur que M. [U] a formé le vendredi 24 août et non le 28 août comme allégué par la société intimée, une demande de 4 jours de RTT du 27 au 30 août 2018, assortie du commentaire suivant : 'modifs suite à installation 'Gatekeeper' a été rejetée au motif suivant : 'demande tardive le 24/08 pour le 25/08".

L'employeur démontre ainsi que le salarié s'est absenté du lundi 27 au jeudi 30 août 2018, sans validation, via le logiciel informatique dédié à la pose des congés payés, de sa demande qu'il avait posée en méconnaissance de la procédure applicable.

Si la société expose que le logiciel dédié ne trouve pas trace d'une demande initiale de congés que M. [U] aurait présentée pour la période du 20 août au 1er septembre, ce que sa pièce n°11, qui présente la gestion de ses demandes de congés ou de repos ARTT pourrait attester, le message automatique du 22 août ayant pour objet 'demande de suppression d'absence du 20/08 au 01/09/2018 validée', ainsi libellé : '[U] [K] : demande de suppression d'absence congés payés du 20/08 au 01/09/2018 - validée', accrédite la thèse développée par le salarié selon laquelle à l'origine il avait bien présenté une demande de congés payés sur cette période.

M. [U] a fait observer dans ses messages des 11 septembre et 11 octobre 2018 (pièce salarié n°7) :

- qu'il avait dans un premier temps posé une demande de RTT du 24 août au 3 septembre 2018, mais que [P] [C], son supérieur, l'avait informé qu'il ne pouvait poser des RTT pendant les vacances scolaires,

- qu'il avait donc demandé deux semaines complètes de congés du 20 août au 3 septembre 2018,

- que pour s'adapter à la livraison des nouveaux chariots et aux impératifs des équipes 'Gatekeeper', le projet ayant commencé la semaine 34, il a, à la demande de M. [C], sollicité l'annulation de cette demande de congés, afin de pouvoir les repositionner sur la semaine 35 seulement.

- que M. [C] lui ayant demandé, lors du CODIR du 21 août 2018, d'être présent pour le Peak day et un inventaire le samedi 1er septembre 2018, il a attendu l'annulation de sa première demande, pour la modifier ; il ajoute que quand il a souhaité poser sa demande de congés modifiée, pour la seconde semaine, le logiciel lui a répondu qu'il ne pouvait le faire car les congés payés devaient être posés par semaine complète ce qui était impossible, sa hiérarchie ayant requis sa présence le samedi 1er septembre 2018 ; il expliquait alors avoir posé 4 jours de RTT du lundi 27 août au jeudi 30 août (le vendredi étant posé en repos hebdomadaire) ;

- qu'il concédait ne pas avoir eu de validation dans le logiciel 'klocka' de ces jours de RTT mais que 'dans la finalité de l'installation gatekeeper, il lui avait semblé beaucoup plus important d'être présent pour l'installation de l'infrastructure et d'organiser pour les lundis 27 et 28 août 2018 l'installation des roues sur les chariots' et, 'dans sa naïveté, qu'il pensait que du fait de son statut autonome et des échanges qu'il avait eus avec son supérieur il pensait que cela n'était qu'une formalité'.

Il ne résulte en aucune façon de ces messages, rédigés peu de temps après les faits reprochés, que son supérieur hiérarchique ait expressément validé son absence du lundi 27 au jeudi 30 août 2018, période durant laquelle devait se poursuivre l'installation de 'roues autobloquantes gatekeeper sur les chariots', ce dont il avisait ses équipes le 24 août à 19h39 (pièce salarié n°30).

Il ne ressort pas davantage des SMS échangés avec son supérieur le 24 août au soir, que M. [C] valide ne serait-ce qu'implicitement son départ en congés du lundi 27 au jeudi 30 août ; en effet, à la question posée par le supérieur sur le point de savoir si M. [U] sera présent 'le lendemain (samedi 25) pour tester avec eux', le salarié répond simplement 'non, mais les tech de Gatekeeper seront présents le matin. On a essayé ça fonctionne'.

Il en ressort par ailleurs que bien qu'informé de l'impossibilité de poser des jours de RTT durant les vacances scolaires et du rejet de sa demande modifiée de congés sur la seule dernière semaine d'août, rejetée par le logiciel au motif que sa demande ne portait pas sur une semaine complète, il a posé, le 24 août, sa demande de prise de jours de RTT de 4 jours du 27 au 30 août.

Alors qu'en sa qualité de responsable de la sécurité de l'établissement, il avait la responsabilité de la mise en oeuvre concrète du projet 'gatekeeper', lequel se mettait en place progressivement sur la période litigieuse, il est établi que le salarié s'est absenté du lundi 27 au jeudi 30 août 2018 sans que sa demande d'absence ne soit validée par sa hiérarchie.

Pour autant, alors que la société soutient que cette absence a été à l'origine d'un dysfonctionnement dans l'installation et la mise en route de ce projet, dont il est établi qu'il a été par la suite retardé pour des raisons logistiques, qui ne sont pas imputables au salarié, elle ne communique aucun élément permettant d'établir un dysfonctionnement dont il soit responsable.

Dès lors, il n'est pas démontré que les faits ainsi partiellement avérés, constitutifs d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, rendaient impossible son maintien dans l'entreprise.

Le jugement sera ainsi réformé et le licenciement pour faute grave de M. [K] [U] requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnisation du licenciement :

Le licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse, c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes a débouté M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Toutefois, le salarié est en droit de solliciter une somme de 11 826 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, correspondant à un préavis d'une durée de trois mois conformément à l'article 7 de l'avenant du 31 mai 1995 relatif aux cadres de la convention collective nationale du négoce de l'ameublement, somme non sérieusement contestée par la société intimée, et aux congés payés afférents.

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil prévoyant que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal, à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, les créances à caractère indemnitaire produisant intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rejette la demande de communication de pièces avant dire droit,

Infirme le jugement des chefs sousmis à la cour en ce qu'il a :

- dit le licenciement fondé sur une faute grave,

- débouté M. [U], d'une part, de sa demande en paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et, d'autre part, de sa demande de dommages-intérêts pour atteinte à son droit au repos, à sa santé et à sa vie familiale,

Statuant à nouveau des chefs ainsi infirmés,

Condamne la société Meubles Ikea France à payer à M. [U] la somme de 1 500 euros pour atteinte à son droit au repos, à sa santé et à sa vie familiale,

Requalifie le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Meubles Ikea France à verser à M. [K] [U] les sommes de 11 826 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de 1 182, 60 euros au titre des congés payés afférents,

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [U] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

y ajoutant,

Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Condamne la SAS Meubles Ikea France à verser à M. [K] [U] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.

Signé par Monsieur Thomas Le Monnyer, Président, et par, Madame Naïma Digini, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/02480
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 06/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;21.02480 ?
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