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16/05/2024 | FRANCE | N°21/01583

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 16 mai 2024, 21/01583


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 02 MAI 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/01583 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O5BA





Décision déférée à la Cour : Jugement du 03

FEVRIER 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CARCASSONNE - N° RG F 19/00093









APPELANTE :



Madame [W] [R]-[X]

Née le 28 septembre 1963 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]



Représentée par Me Cloé PERROT, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Assist...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 02 MAI 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/01583 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O5BA

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 FEVRIER 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CARCASSONNE - N° RG F 19/00093

APPELANTE :

Madame [W] [R]-[X]

Née le 28 septembre 1963 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Cloé PERROT, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Assistée sur l'audience par Me Laura BELLINI, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant

INTIMEE :

S.A.S. MEDICA FRANCE

prise en son établissement '[9]' sis [Adresse 3] à [Localité 6], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège, sis

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Anne-Charlotte VILLATIER, substituant Me Yves TALLENDIER de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de MARSEILLE

Ordonnance de clôture du 29 Janvier 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 FEVRIER 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller

Madame Magali VENET, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après prorogation de la date du délibéré initialement prévue le 02 mai 2024 à celle du 16 mai 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE :

Mme [W] [R]-[X] a été engagée par la société Medica France selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 2 octobre 2017 qui prévoyait un forfait annuel de 213 jours de travail, en qualité de Directrice d'Etablissement, pour exercer la direction de l'établissement d'Hospitalisation à Domicile (EHD) '[9]' afin de gérer et superviser les activités ainsi que le personnel administratif ou de santé de la structure.

A compter du 22 janvier 2019, Mme [R]-[X] a été placée en arrêt de travail, et n'a jamais repris ses fonctions au sein de la société.

Le 15 février 2019, l'employeur lui a notifié un avertissement qu'elle a contesté.

Par courrier du 20 mai 2019, la salariée a dénoncé des faits de harcèlement moral exercés à son encontre par un médecin de l'établissement, le Docteur [S], ainsi que par la directrice de réseau HAD, Mme [K].

Par requête du 3 septembre 2019, Mme [R]-[X] a saisi le conseil de prud'hommes de Carcassonne afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail et voir condamner l'employeur au paiement de diverses sommes.

Le 9 février 2022, le médecin du travail l'a déclarée inapte et précisé que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Par courrier du 25 février 2022, l'employeur l'a licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par jugement du 3 février 2021, le conseil de prud'hommes a :

- condamné la société Medica France à payer à lui payer la somme de 8000 euros de dommages-intérêts pour non respect de l'obligation de sécurité

- dit que l'avertissement délivré par l'employeur demeure légitime et proportionné aux faits retenus

- dit que le harcèlement moral n'est pas prouvé

- dit n'y avoir lieu à résiliation judiciaire du contrat de travail

- condamné la société Medica France à lui payer la somme de 2749,55€ au titre du paiement des heures et RTT non prises dans le cadre du forfait annuel en jours

- condamné la société Medica France à payer à Mme [R]-[X] la somme de 1500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration du 10 mars 2021, Mme [R]-[X] a relevé appel du jugement.

Dans ses dernières conclusions en date du 23 janvier 2024 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la salariée demande à la cour de :

Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Carcassonne du 3 février 2021 en ce qu'il a :

- dit que l'avertissement envers Mme [R] [X] demeure légitime et proportionné aux faits retenus

- dit que le harcèlement moral envers Mme [R] [X] n'est pas prouvé

- dit qu'il n'y a pas lieu à résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R]-[X]

- débouté Mme [R]-[X] de ses autres demandes à savoir :

- condamner la société Medica France à payer à Mme [R]-[X] la somme de 15000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

- condamner la société Medica France à payer à Mme [R] [X] la somme de 44280 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

- condamner la société Medica France à payer à Mme [R] [X] 13284 euros à titre d'indemnité de préavis et 1328 euros de congés payés y afférents.

- condamner la société Medica France à payer à Mme [R]-[X] l'indemnité de licenciement dont la somme sera à parfaire au jour du jugement.

- condamner la société Medica-France à payer à Mme [R]-[X] la somme de 4428 euros à titre de dommages -intérêts pour sanction injustifiée et à tout le moins disproportionnée.

- ordonner la remise du bulletin de paie du mois d'août 2019, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

- ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes(reçu pour solde de tout compte, attestation pôle emploi, certificat de travail) sous astreinte de 100 euros par jour de retard

- fixer les dommages intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité à 8000 euros.

Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit et jugé que la société Medica France a manqué à son obligation de sécurité

- condamné la société Medica France à verser à Mme [R] [X] des dommages intérêts pour manquements à l'obligation de sécurité

- condamné la société à lui payer :

- 2749,55 euros au titre des 15,5 heures effectuées au delà de son forfait annuel en jours en 2018 ainsi que pour les deux jours de repos dites RTT

- 274,96€ de congés payés y afférents.

- 1500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

et statuant à nouveau :

- dire et juger que Mme [R] [X] a été victime d'un harcèlement moral

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R] [X] aux torts de la société Medica France

- annuler l'avertissement du 19 février 2019 comme étant infondé et à tout le moins disproportionné.

En conséquence, condamner la société à lui payer :

- 15000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

- 15000 euros pour manquements à l'obligation de sécurité.

- 44280 euros pour licenciement nul.

- 13284 euros à titre d'indemnité de préavis et 1328 euros de congés payés y afférents.

- 2749,55 € au titre des 15,5 heures effectuées au delà de son forfait annuel en jours en 2018 ainsi que pour les deux jours de repos dits RTT non pris, outre la somme de 274,96€ de congés payés y afférents.

- 4428€ de dommages intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée et à tout le moins disproportionnée.

- ordonner la remise du bulletin de paie du mois d'août 2019, sous astreinte de 100€ par jour de retard.

- ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes sous astreinte de 100€ par jour de retard.

- condamner la société aux entiers dépens, y compris au remboursement des frais d'huissier facturés le 16 novembre 2021 par Maître [G] à hauteur de 559,09€.

- condamner la société à lui payer 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- débouter la société de l'intégralité de ses demandes.

Dans ses dernières conclusions en date du 25 janvier 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Medica France demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [R] [X] de ses demandes de dommages intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée et harcèlement moral ainsi que de ses demandes relatives à la résiliation judiciaire du contrat de travail.

- réformer le jugement en ce qu'il a condamné la société au paiement de la somme de 8000 euros de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ainsi qu'à la somme de 2749,55€ au titre du paiement des heures et RTT non prises'forfait jour'(outre les congés payés afférents)

- débouter Mme [R] [X] de l'intégralité de ses demandes et la condamner au paiement d'une somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile , ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture est en date du 29 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur l'exécution du contrat de travail :

Sur l'avertissement du 15 février 2019

En application des articles L1333-1 et L1333-2 du code du travail, l'employeur dispose d'un pouvoir disciplinaire lui permettant de sanctionner le salarié qui ne satisfait pas aux obligations de son contrat de travail.

En cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné , en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l'espèce, le 15 février 2019, l'employeur a notifié à Mme [R]-[X] un avertissement en raison des griefs suivants :

* Sur le droit du travail et les contrats de travail :

' Le docteur [Z] [J] [L] travaille sans contrat....elle n'a pas eu communication de son contrat à durée déterminée tel que décidé ensemble le 31 octobre suite à une première version invalidée..;'...'depuis le début de votre absence, en nous rendons compte de ce fait , un contrat lui a été présenté afin de régulariser sa situation...'

- Le 01 janvier 2019 de Mme [I] [T], en CDD depuis plusieurs mois a signé son CDI dans votre établissement. Cependant le mardi 8 janvier je vous ai demandé de relire le contrat puisqu'il n'avait pas été soumis à ma validation. J'ai ainsi découvert que le statut de Cadre était indiqué , que le coefficient n'était pas conventionnel....je vous ai immédiatement demandé pourquoi une telle prise de décision sur le statut, vous m'avez affirmé ne pas avoir vu cette erreur mais que vous aviez vérifié le coefficient. ....en respectant le processus de Groupe , c'est à dire demander la validation du RRHR et la mienne, nous aurions pu éviter une situation juridiquement opposable. A la suite vous avez expliqué la situation à la salariée qui vous a rendu son contrat et a accepté d'en signer un autre aux bonnes conditions. La encore, vous aviez antidaté le contrat et le RRHR a dû vous informer des règles en la matière. Au delà du fondement juridique, il y va de notre crédibilité et de l'image de notre groupe.'

* Sur la nécessaire bonne gestion du dialogue sociale :

- le 8 janvier 2019, lors d'une réunion, alors que le climat social restait tendu sur l'établissement , l'employeur a constaté que des informations relatives à l'amélioration du pouvoir d'achat des salariées annoncées par la direction à la mi décembre 2018 ne leur avaient pas été communiquées.

* Sur l'information transmise en réunion de réseau :

- L'employeur reproche à la salariée : 'lors de la réunion du personnel de votre établissement , déjà citée plus haut, j'apprends que les décisions prises notamment la mise en place de réunions de fonctionnement pour permettre aux équipes de s'exprimer mensuellement n'a pas été mise en oeuvre sur votre établissement. Par ailleurs, lors d'un tour de table en décembre, entre directeurs, vous avez affirmé alors que ma question était 'avez-vous toutes mises en place vos réunions de fonctionnement' Si oui comment cela s'est-t-il passé' Vous avez répondu à votre tour que tout allait bien , que la réunion était en place depuis un mois et que les retours étaient bons. Je ne peux que constater que vous avez menti sciemment sur la mise en place de ces réunions de fonctionnement'.

* La gestion de la qualité et EPP (évaluation des pratiques professionnelles) :

- 'nous avons découvert, en janvier 2019 , que l'EPP sur les motifs de refus PEC n'a pas été préparée et donc ne sera pas transmis à l'ARS dans les temps attendus.'

* L'activité de l'établissement :

- 'Le 8 janvier , vous m'avez affirmé devant témoin avoir signé 4 conventions. Votre équipe présente alors, vous a indiqué être preneuse de cette information car la prospection pouvait s'ouvrir à de nouveaux prescripteurs. Je vous ai demandé de rendre visibles ces conventions pour développer les territoires . A nouveau, j'ai malheureusement appris par la suite que lesdites conventions, en dehors d'une , n'ont jamais été signées , et que les SSIAD n'ont pas été contactés' Vous comprendrez alors mon agacement de découvrir à nouveau un mensonge de votre part'.

En réponse à ces griefs, Mme [R] [X] fait valoir que :

- Le Docteur [J] [L] a commencé à travailler sans contrat écrit en raison de son refus de signer le CDD qu'elle lui a présenté le 18 janvier 2019, parce qu'elle souhaitait signer un CDI.

- Elle ne conteste pas avoir commis des erreurs de rédaction sur le contrat de Mme [T], consécutive selon elle à son absence de formation sur l'outil informatique qu'elle a utilisé.

- Concernant la prime relative au pouvoir d'achat des salariés : en l'absence d'instruction écrite, elle n'a pas souhaité leur donner des informations imprécises, sachant que Mme [K] ne lui a transmis un courriel sur ce point que le 10 janvier 2019.

- Elle justifie avoir organisé une réunion de fonctionnement le 10 décembre 2018, avec comme ordre du jour le compte-rendu du CODIR du 7 décembre 2018 relatif à la nouvelle organisation suite à l'arrivée de deux nouveaux médecins et qu'une nouvelle réunion était fixée le 25 janvier 2019.

- Concernant le défaut de communication de l'EPP sur les motifs de refus PEC à l'ARS, elle indique avoir tout mis en oeuvre pour rattraper son retard, et produit à ce sujet un échange de mails du mois de décembre 2018.

- Concernant le défaut de contact des SSIAD et de signature des conventions, elle fait valoir que si seule une convention a été signée avec le CIAS Laurageais-Malepère, quatre autres conventions étaient en cours de préparation au sujet desquelles elle produit divers éléments.

Les précisions et éléments produits par la salariée laissent apparaître qu'une première réunion de fonctionnement avait été mise en place en décembre 2018 et qu'il ne peut lui être reproché d'avoir attendu des instructions écrites pour informer ses collaborateurs de la perception d'une prime.

En revanche, elle ne conteste pas avoir laissé un médecin débuter son emploi sans disposer d'un CDD écrit, ni les erreurs entachant la rédaction du contrat à durée indéterminée d'un autre salarié, sachant que son absence de rigueur en ce domaine était susceptible d'entraîner des procédures contentieuses pour l'entreprise, lourdes de conséquences sur le plan pécuniaire.

Par ailleurs, aucune justification n'est apportée quant à la transmission d' informations erronées l' employeur concernant l'effectivité de la signature de conventions qui étaient en cours de négociations, et qui ne se sont finalement pas concrétisées.

Il en découle que'au regard des manquements établis à l'égard de la salariée, l'employeur n'a pas abusé de pouvoir disciplinaire en la sanctionnant, de façon proportionnée, par un avertissement.

La décision sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages et intérêts.

Sur la convention annuelle de forfait en jours

La convention de forfait annuel en jours insérée dans le contrat de travail de Mme [R]-[X] prévoyait 213 jours de travail par an et 12 jours de repos dits 'RTT'.

Elle produit aux débats les feuilles de suivi de temps de travail au titre de l'année 2018 qu'elle a transmises à la société Medica France au mois de janvier 2019, laissant apparaître qu'elle a travaillé 228,5 jours durant l'année 2018 et qu'elle n'a pris que 10 jours de repos dits RTT.

Si l'analyse de ces documents permet de constater que la période du 6 août au vendredi 10 août 2018 a improprement été qualifiée de 'repos hebdomadaire', alors qu'il s'agit d'une période de congés, cette erreur est sans conséquence sur le fait que Mme [R] [X] a bien travaillé 228,5 jours, soit 15,5 jours au delà de son forfait annuel en jours et qu'elle n'a pris que 10 jours de RTT.

L'employeur se borne à mentionner que Mme [R] [X] exerçait son activité en gérant son emploi du temps de manière totalement autonome, sans justifier avoir effectué un quelconque contrôle sur son temps de travail effectif.

La décision sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a condamné la société à lui payer la somme de 2749,55 euros outre 274,95 euros au titre des congés payés afférents.

Sur le harcèlement moral et le manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur

L'article L 1152-1 du code du travail dispose que 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

L'article L1154-1 du code du travail précise qu'il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En application des articles L4121 et suivant du code du travail, l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

L'employeur peut s'exonérer de sa responsabilité s'il démontre avoir respecté les règles imposées par le code du travail en matière d'hygiène et de sécurité.

En l'espèce, Mme [R]-[X] allègue avoir été victime de faits de harcèlement moral qui caractérisent également un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Elle mentionne avoir été confrontée à des conditions de travail insupportables associées à une organisation défaillante et à une surcharge de travail.

Elle ajoute que le docteur [S], médecin au sein de l'HAD et Mme [K], directrice de réseau, ont commis des faits de harcèlement moral à son égard en la dénigrant, la critiquant , y compris devant le personnel, afin de faire obstacle à l'exercice de ses missions et l'isoler.

Elle précise que le harcèlement subi a conduit à une dégradation de son état de santé à l'origine de son licenciement pour inaptitude.

Concernant le contexte dans lequel s'est exercée son activité, elle affirme que la politique de l'employeur est fondée sur des impératifs économiques et financiers incompatibles avec le secteur de la santé et qu'elle entraîne une dégradation des conditions de travail du personnel sur lequel est exercé une pression permanente.

Elle ajoute qu'à sa prise de fonction, le poste de directeur était vacant depuis plusieurs mois et que le docteur [S] qui en a assuré l'intérim de mai à septembre, n'en assumait pas les tâches administratives.

Elle précise que les chiffres de l'établissement étaient catastrophiques, qu'elle a subi une forte pression pour relancer l'activité, tout en étant confrontée à des conflits sociaux liés au non paiement des heures supplémentaires et des astreintes des infirmiers.

Elle précise ne pas avoir été formée sur les nouveaux logiciels qu'elle devait utilise. Concernant cette difficulté, elle verse aux débats un mail adressé à l' employeur le 21 décembre 2018 dans lequel elle mentionne : '....je suis bien convaincue qu'un travail rigoureux de suivi de factures, gestion de stock est à engager au plus vite. Toutefois, en ce qui concerne cette étude précise à réaliser dans le cadre du suivi budgétaire, je n'ai pas eu des formations sur le sujet, je pense tout de même avoir réalisé un travail long , mais assez précis. Je reste très demandeuse d'informations visant à améliorer le travail qui m'est demandé'.

Elle mentionne avoir été confrontée à une surcharge de travail, de mai à septembre 2018, et justifie, au vu des mails produit, avoir assumé des tâches relevant de la compétence du cadre de santé dont le poste était vacant, telles que la gestion des plannings des infirmiers et de la paie. Elle justifie qu'elle assumait également des missions pour les établissements de [Localité 10] et d'[Localité 8]. Le directeur de cet établissement, M. [C] avait lui même alerté sa hiérarchie sur ses difficultés à exercer ses missions par courriel du 01 mars 2019 rédigé ainsi : 'je tiens à vous alerter quant à l'état de fatigue-physique et psychique- dans lequel je me trouve à ce jour. Je suis en limite de rupture. Comme vous vous doutez, cet état est lié à la situation de crise que nous subissons qui génère une charge de travail encore plus lourde qu'à l'accoutumée, mais aussi et surtout une charge de travail extrême'.

Concernant les problèmes organisationnels et structurels, elle se réfère au compte rendu de l'enquête diligentée par la société Medica France qui mentionne notamment; '65% des personnes estiment qu'il y a une mauvaise répartition des tâches notamment liées à l'absence de fiche de poste, et à une organisation instable dans le temps'....'les raison sont pour les sondés très majoritairement à cause du stress(76%) et de l'organisation (65%).' Le manque de moyen humains, et notamment d'aides-soignants, ressort également de l'enquête.

Elle précise que cette situation a été confirmée par Mme [E] [V], cadre de santé qui a également subi et dénoncé cette situation, et produit en ce sens les conclusions de cette dernière devant le conseil de prud'hommes relative au litige l'opposant au même employeur.

Elle fait valoir que le Docteur [S] qui avait assumé l'intérim de directeur de mai à septembre, n'a pas supporté qu'elle prenne la direction de l'établissement, et qu'il l'a dénigrée de façon systématique en présence du personnel qu'il a fédéré contre elle.

Elle ajoute qu'elle était dépourvue de moyens d'action contre ce dernier qui avait pris la présidence de la Commission Médicale d'Etablissement (CME) au mois d'octobre 2018.

A l'appui de ses affirmations, elle produit tous d'abord des mails échangés avec le Docteur [S] sur des sujets techniques, dont l'analyse ne laisse cependant pas apparaître l'existence d'un comportement particulièrement injonctif de ce dernier à son égard.

Elle verse également aux débats des extraits des témoignages recueillis auprès des salariés dans le cadre d'une enquête diligentée au sein de l'entreprise le 29 mai 2019, laissant apparaître que le Docteur [S] leur avait fait part de propos désobligeants que Mme [R] [X] aurait tenus à leur égard, ce qui a eu pour effet de ternir son image auprès de ses collaborateurs.

Elle produit en outre le témoignages de Mme [V], cadre de santé au sein du même établissement, qui a elle même dénoncé les faits de harcèlement exercés à son égard par le Docteur [S] et qui atteste en ces termes : 'avoir été témoin de nombreuses fois depuis ma prise de fonction le 19 octobre 2018 et ce depuis le 1er jour des dires désobligeants du Docteur [S] envers Mme [R]-[X] , en toutes circonstances, et devant un public dans sa majorité amusé : A longueur de staff quotidien, entre autres, le docteur [S] se délectait auprès des équipes de la lenteur administrative de certains dossiers et mettait en avant une soit-disant incompétence de Mme [R]-[X] dans sa fonction de manager ; ce comportement s'accompagnait d'une ironie totalement déplacée notamment au regard de ses fonctions de médecin. La récurrence et l'intensité de ces faits ont eu rapidement pour conséquence de la décridibiliser, de l'isoler et de la stresser....'

Le Docteur [D], autre médecin au sein de l'HAD et compagnon de Mme [V], qui a aussi dénoncé le comportement harcelant du Docteur [S] à son égard visant à le décridibiliser auprès de l'équipe soignante, témoigne également en ce sens : ' j'ai assisté à de très nombreuses situations conflictuelles d'opposition au cadre fixé, à des moqueries, à de l'irrespect, à une démarche d'isolement quasi-permanente envers la directrice et la cadre de santé et cela durant des mois, lors de tous les staffs du matin de la part du docteur [S], des deux secrétaires et de la plupart des jeunes soignants infirmiers'.

Il ressort également des mails échangés entre l'employeur et le Docteur [D] que ce dernier a été temporairement muté sur l'établissement de [Localité 7] à partir du 15 juillet 2019 parce qu'il ne voulait plus travailler au sein de l'HAD de [Localité 6] en présence du Docteur [S], et qu'il a refusé de rejoindre l'établissement de [Localité 6] au mois d'août 2019 au motif qu'il était 'non négociable qu'il croise ce personnage'.

Par ailleurs, l'audition même du Docteur [F] [S], réalisée dans le cadre de l'enquête, laisse apparaître le contexte difficile dans lequel travaillait Mme [R] [X] puisqu'il mentionne:' ....arrive la période de crise des IDEC sur les astreintes, et GN ([W]) s'en débrouille pas mal, cependant elle se fait descendre par les autres directeurs et par Mme [K] en disant jamais on ne cédera. Finalement les IDEC obtiennent gain de cause. ...[W] s'intéresse alors à peine au quotidien de l'établissement et elle n'est pas aidée. J'essaye alors de l'aider. Je lui ai donné des leçons, des propos trop durs et GN se braque un peu même si elle me connaît depuis des années...'

Mme [R]-[X] précise que deux mois après l'enquête diligentée par l'employeur, la société a poussé le docteur [S] à partir, sachant pertinemment qu'il avait un comportement harcelant, en signant avec ce dernier une rupture conventionnelle.

Concernant les circonstances de son départ de la société, elle verse en effet, aux débats les échanges de SMS entre Mme [V] et Mme [K] en date du 1er août 2019, dans lesquels cette dernière souligne que des décisions ont été prises pour que l'L'HAD change grâce au courage de Mme [V] laissant apparaître que le départ du Docteur [F] [S] est consécutif aux témoignages recueillis à son encontre. Dans un premier message, Mme [K] mentionne et effet :

'...hier a été une journée déterminante et surtout faite de décisions prises grâce à votre courage. LHAD change et durablement...'

avant d'ajouter, dans un second message :

'[E], [F] (le docteur [S]) quitte notre établissement. Ainsi que [O] et [A]. Comme vous le savez, le décisions ont été un peu longues car nous avons dû cumuler les divers témoignages. C'est chose faite !

Pour tout vous dire je sais que je le paierai cher avec certains mais je tenais à aller jusqu'au bout. [W] et vous avez été les premières à écrire ce que je pense, c'était sûrement produit avec d'autres ...je serai ravie, à un moment que nous puissions en discuter.....'

Concernant les faits de harcèlement commis par Mme [K], Mme [R] [X] fait valoir que cette dernière l'a tout d'abord soutenue en raison de ses conditions de travail difficiles avant d'adopter à son égard un comportement dénigrant dès lors que le Docteur [S] a présidé la Commission Médicale d'Etablissement à compter du mois d'octobre 2018.

Elle produit l'attestation de son mari, M. [N] [K] qui mentionne : 'très rapidement j'ai constaté une augmentation du stress chez mon épouse dû a: un temps excessif de travail(journée de 9h au bureau, 8h-19h30-20h00). Entre 20h et 21h environ à la maison: traitement des mails reçus après 20h + coups de téléphone quasi quotidien de Mme [K](30-60 minutes de discussion). Une pression incessante de Mme [K] directrice réseau pour l'activité....j'ai également constaté une énorme déception lorsque les moyens(assistante de direction) lui ont été enlevés par Mme [K])

Mme [R]-[X] précise aussi qu'elle seule n'a pas été prévenue d'une réunion organisée en présence de Mme [K] le 18 octobre 2018.

Elle ajoute que cette dernière lui a adressé des reproches injustifiés lors d'une réunion du CODIR le 7 janvier 2019 en présence de ses collègues.

Sur ce point, elle produit l'attestation du docteur [H] qui travaillait au sein de l'HAD avant de démissionner, et qui après avoir souligné les qualité professionnelles de Mme [K] ainsi que son action positive au sein de la structure témoigne en ce sens : 'j'ai donc été très surpris que lors du CODIR de début janvier le Docteur [S] et Mme [K] laissent entendre que son travail était insatisfaisant . Personnellement je n'ai pas du tout apprécié cet épisode que je trouve injuste au regard de son action'.

Elle justifie en outre que Mme [K] lui a reproché le 19 août 2019 d'être en absence injustifiée depuis le 20 juillet 2019 en la convoquant à une visite de reprise, alors qu'elle lui avait transmis la prolongation de son arrêt maladie du 20 juillet par lettre recommandée du 22 juillet dont elle produit l'avis de réception signé. En raison de cette difficulté, son salaire du mois d'août ne lui a été payé qu'à la fin du mois de septembre.

Concernant la dégradation de son état de santé, elle produit :

- ses différents arrêts de travail à compter du 22 janvier 2019 mentionnant 'syndrome anxio-dépressif'.

- son dossier médical de la médecine du travail dans lequel le médecin du travail relate qu'elle lui a fait part de ses difficultés rencontrées avec le médecin en place dans la structure et avec la directrice qui la soutenait initialement mais qui s'est rapprochée de ce médecin pour sa carrière.

- les certificats médicaux du Docteur [H], médecin généraliste, en date du 29 avril 2020 et du 06 octobre qui mentionnent : 'l'état de santé de Mme [R] [W] a nécessité un arrêt de travail à dater du 22.01.2019. Elle souffre de troubles anxio-dépressifs majeurs et angoisses. Un facteur déclenchant a été de grandes difficultés au travail qu'elle décrit comme humiliation conduisant à un repli sur elle-même et une perte de l'énergie vitale et des sauts d'humeur importants...son état n'est actuellement pas compatible avec la reprise d'une activité professionnelle.' ainsi que le certificat du 12/10/2021 dans lequel il énonce: 'il est judicieux de passer en invalidité.'

- le certificat médical du docteur [B] [Y], médecin généraliste en date du 29/11/2019 mentionnant qu'elle 'présente un état de santé dégradé avec nécessité d'arrêt de travail, ceci en rapport avec son dernier poste de travail'ainsi que les prescriptions médicales de ce dernier.

- l'attestation de Mme [M], psychologue du travail , en date du 19 novembre 2019, qui atteste l'avoir reçue en consultation à la demande du médecin du travail.

Les faits ainsi établis, pris dans leur ensemble, au regard notamment du contexte difficile dans lequel Mme [R]-[X] a débuté ses fonctions suite à une vacance de poste, à la surcharge de travail qu'elle a assumé et au comportement du Docteur [S] et de Mme [K] à son égard, laissent présumer l'existence de faits de harcèlement.

Pour justifier que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement, l'employeur fait tout d'abord valoir que l'établissement n'était pas sans directeur lors de l'arrivée de Mme [R] [X] puisque le docteur [S] médecin au sein de l'établissement, en a assuré temporairement la direction de mai 2017 à octobre 2017.

La société ne répond cependant pas à l'argumentation de la salariée selon laquelle pendant son intérim le Docteur [S] n'a pas assumé les tâches administratives afférentes à cette fonction, et Mme [R] [X] produit aux débats son évaluation professionnelle réalisée par la société trois mois après son arrivée dans laquelle est soulignée son importante adaptabilité au regard du contexte de la vacance du poste de direction pendant quatre mois.

Par ailleurs, la société reconnaît que de juillet à octobre 2018, l'appelante a été amenée à assumer temporairement des missions plus larges (gestion de la paie et des plannings) dans l'attente du recrutement d'un nouveau cadre de santé.

Concernant la surcharge de travail de Mme [R]-[X], l'employeur souligne qu'en sa qualité de directrice d'établissement, l'appelante exerçait son activité en gérant son emploi du temps de manière totalement autonome et qu'elle définissait librement ses horaires.

Il n'apporte cependant aucun élément contraire à l'attestation précise et circonstanciée rédigée par l'époux de la salariée dont le contenu a été précédemment détaillé en ce qu'il décrit les missions professionnelles que son épouse continuait d'assumer alors qu'elle rentrait au domicile familial après de longues journées de travail, notamment en raison des appels téléphonique de Mme [K].

Concernant les faits de harcèlements exercés par le docteur [S], l'employeur souligne que les attestations produites par Mme [R] [X] sont peu probantes en ce qu'elles sont rédigées par Mme [V], cadre de santé qu'elle a recrutée, et par le Docteur [D] qui est le compagnon de cette dernière, et posait lui-même des problèmes de comportement.

Il ne produit cependant aucun élément ne nature à remettre en cause la sincérité de leurs témoignages quant aux faits qu'ils décrivent.

Par ailleurs, la société fait valoir que le Docteur [D] a été muté temporairement en raison des problèmes de comportement qu'il posait dans l'établissement de [Localité 6]. Cette affirmation est cependant contredite par les courriels échangés entre ce dernier et l'employeur sur la période du mois juillet et du mois août 2019 qui établissent au contraire qu'il a lui même sollicité son affectation provisoire dans un autre établissement au cours de l'été 2019, et qu'il a refusé de réintégrer la structure de [Localité 6] en raison de la présence du docteur [S] qu'il ne voulait pas côtoyer.

De plus, il n'est pas contesté que le docteur [D] travaille toujours à ce jour pour la société et qu'il préside la commission médicale de son établissement.

L'employeur ajoute ne pas avoir procédé à une rupture conventionnelle du contrat de travail du Docteur [S] en raison de son comportement, mais d'une demande de ce dernier suite à un désaccord les opposant quant l'évolution de l'activité de la société.

Ces affirmations sont cependant démenties par l'échange de mails entre Mme [K] et Mme [V] en date du 1er août 2019 dont le contenu a été précédemment détaillé et laisse apparaître que le départ du Docteur [F] [S] est consécutif aux témoignages recueillis à son encontre.

L'employeur ajoute avoir diligenté une enquête suite au courrier du 20 mai 2019 dans lequel Mme [R] [X] évoquait des faits de harcèlement, tout en précisant avoir informé les salariés de la possibilité d'être entendus à ce sujet par une note d'information diffusée le 13 mai 2019, ce qui relève d'une incohérence puisque cette date est antérieure à celle de la réception du courrier du 20 mai.

Il apparaît qu'en réalité cette enquête a été diligentée suite aux faits de harcèlements dénoncés antérieurement par Mme [V] en mars 2020, tel que cela ressort des conclusions de cette dernière relative à l'instance prud'homale l'opposant au même employeur.

La société soutient que lors des investigations diligentées par deux collaborateurs du service des ressources humaines le 29 mai 2019, seuls le docteur [D], Mme [V] et Mme [R] [X] ont fait part de fait de harcèlements exercés à leur encontre par le docteur [S], alors que les autres salariés ont au contraire exposé rencontrer des difficultés liées au comportement de ces derniers.

L'employeur verse aux débats leurs comptes rendus d'audition dans lesquels ils font notamment état de problèmes de communication rencontrés avec Mme [R]-[X], mais exposent plus globalement travailler dans des conditions difficiles en raison d'une surcharge de travail, d'une pression de la hiérarchie, d'une absence de fiche de poste, de directives contradictoires, d'une désorganisation et d'un turn over important de l'équipe de direction de nature à fragiliser le personnel.

Il apparaît en outre que les propos critiques tenus par le personnel de l'HAD à l'égard de Mme [R] [X], corroborent les faits dénoncés par cette derrière quant au comportement manipulateur du Docteur [S] qui ne cessait de la dénigrer auprès de l'équipe soignante afin de mettre à mal son autorité et les relations qu'elle pouvait entretenir avec ses collaborateurs.

Par ailleurs, de façon contradictoire, l'employeur mentionne que le comportement de Mme [R] [X] associé au manque de maîtrise de ses fonctions étaient à l'origine des difficultés de l'équipe qu'elle était chargée d'encadrer, tout en précisant que cette dernière a bénéficié d'un bonus d'un montant de 3034 € pour les bons résultats obtenus par l'établissement au cours du second semestre de l'exercice 2018.

Il apparaît en effet qu'à plusieurs reprises l'employeur a reconnu les qualités professionnelles de Mme [R] [X] puisque son évaluation réalisée trois mois après sa prise de fonction soulignait son importante adaptabilité au regard notamment du contexte de la vacance du poste de direction pendant quatre mois. L'évaluation précisait 'intégration satisfaisante auprès des équipes et CODIR. Les points de vigilances étaient centrés sur le management d'équipe. Mme [R]-[X] a rapidement pris la mesure des priorités à fixer sur ce point et va engager les actions nécessaires en 2018.'

Mme [R] [X] produit en outre des mails échangés avec Mme [K] au cours des mois des juin et juillet 2018 dans lesquels cette dernière la félicite pour son implication au quotidien, pour sa méthode de travail, ainsi que pour le redémarrage réussi de l'activité.

Il ressort également du courrier adressé par l'employeur à Mme [R] [X] le 17 avril 2019, soit pendant son congé maladie, qu'outre le bonus de 3034 € qui lui a été attribué pour ses bons résultats, un bonus de 2234€ lui a également été attribué pour la performance de son établissement et de 800€ lié à la réalisation de ses objectifs individuels.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société est défaillante dans l'administration de la preuve que les agissements ci-avant caractérisés et notamment les conditions et la surcharge de travail auxquelles la salariée a été confrontée ainsi qu'au comportement inadapté du docteur [S] et de Mme [K], sont objectivement justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement.

La décision sera en conséquence infirmée sur ce point et l'employeur sera condamné à lui verser la somme de 5000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Il apparaît en outre que les faits ont été portés à la connaissance de l'employeur dès le 20 mai 2019, et que l'enquête interne diligentée par la société a révélé l'existence de nombreux dysfonctionnements au sein de l'établissement, sans que l'employeur ne justifie avoir pris les mesures propres à prévenir cette situation, ni à faire cesser les troubles constatés, à l'origine du climat délétère dans lequel Madame [R] [X] travaillait.

Il ressort également des éléments précédemment développés qu'elle justifie avoir travaillé au cours de l'année 2018 au delà du temps de travail prévu dans le cadre de du forfait en jours dans lequel s'exerçait son activité , sans que l'employeur ne justifie avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail de la salariée restaient raisonnables et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé de cette dernière.

Il en découle que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est caractérisé.

La décision sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a condamné la société à lui verser des dommages et intérêts dont le montant a été justement fixé par le conseil des prud'hommes à la somme de 8000 euros.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

En application de l'article L.1231-1 du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié ou d'un commun accord.

Le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison des manquements de son employeur, suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. Saisi d'une telle demande, le juge doit examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté.

Il en résulte que l'action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être introduite tant que le contrat n'a pas été rompu, quelle que soit la date des faits invoqués au soutien de la demande, et qu'il n'y a pas lieu de constater que les manquements exposés au soutien de la demande de résiliation judiciaire sont trop anciens.

Il ressort des éléments précédemment développés que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est caractérisé de même que les faits de harcèlement moral exercés à l'encontre de Mme [R] [X].

Les éléments médicaux produits, dont le contenu a été précédemment détaillé, établissent que ces faits sont à l'origine d'une dégradation de son état de santé caractérisée par un syndrome anxio dépressif réactionnel et à un épuisement professionnel de sorte qu'ils sont d'une gravité telle qu'ils ne permettent pas la poursuite du contrat de travail et justifient de prononcer sa résiliation aux torts de l'employeur, la décision sera infirmée en ce quelle a rejeté la demande et la résiliation du contrat sera prononcée.

Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail :

La résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur en raison des faits de harcèlement moral produit les effets d'un licenciement nul.

La date de la résiliation du contrat de travail doit être fixée à la date à laquelle le contrat a été rompu, soit en l'espèce au 25 février 2022.

Sur les dommages intérêts pour licenciement nul :

Mme [X] a été déclarée inapte par le médecin du travail le 9 février 2022 et licenciée pour cause d'inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier du 25 février 2022. Elle était alors âgée de 58 ans et disposait d'une ancienneté de 4 ans et 4 mois. Son salaire moyen s'élevait à 4428 euros.

Elle a été placée en arrêt de travail jusqu'en février 2022, soit 3 ans au total. Elle bénéficie une pension d'invalidité de 1er catégorie depuis le mois de mars 2022. De février 2022 à octobre 2022 elle a été indemnisée par pôle emploi.

Depuis le mois d'octobre 2022 elle exerce un emploi de Directeur territorial au sein du conseil départemental de l'Aude.

Au regard de ces éléments, il convient de condamner l'employeur à lui verser des dommages intérêts d'un montant de 30 000 euros.

Sur l'indemnité de préavis :

La situation de Mme [R] [X] lui ouvre droit à la perception de la somme de 13 284€ à titre d'indemnité de préavis outre 1328 € au titre des congés payés afférents au préavis.

Sur la délivrance du bulletin de salaire du mois d'août 2019 :

L'employeur justifie avoir déjà transmis à Mme [R] [X] son bulletin de paie du mois d'août 2019 par courrier recommandé du 26 février 2020 auquel était joint la totalité des bulletins de paie de l'année 2019 réédités, de sorte que la demande de la salariée sera rejetée sur ce point.

Sur les documents de fin de contrat :

L'employeur sera condamné à remettre à Mme [R] [X] les documents de fin de contrat rectifiés sans qu'il ne soit nécessaire d'assortir cette condamnation d'une astreinte.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Il convient condamner l'employeur au paiement de la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel ainsi qu'aux dépens de la procédure.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme la décision en ce qu'elle a rejeté les demandes formées au titre du harcèlement moral et de la résiliation judiciaire du contrat de travail.

Statuant à nouveau des chefs ainsi infirmés :

Condamne la société SAS MEDICA France à verser à Mme [W] [R]-[X] la somme de 5000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail et dit qu'elle produit les effets d'un licenciement nul à la date du 25 février 2022.

Condamne la société SAS Medica France à verser à Mme [W] [R]-[X] les sommes suivantes :

- 30 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 13 284 euros à titre d'indemnité de préavis,

- 1 328 euros au titre des congés payés afférents au préavis.

Confirme la décision en ses autres dispositions critiquées.

Y ajoutant :

Rejette la demande de délivrance du bulletin de paie du mois d'août 2019.

Condamne la société MEDICA France à remettre à Mme [W] [R]-[X] les documents de fin de contrat rectifiés.

Rejette la demande d'astreinte.

Condamne la société Medica France à verser à Mme [R] [X] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Condamne la société Medica France aux dépens de la procédure.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01583
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;21.01583 ?
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