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07/05/2024 | FRANCE | N°23/04626

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 5e chambre civile, 07 mai 2024, 23/04626


ARRÊT n°





















































































5e chambre civile



ARRÊT DU 07 Mai 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/04626 - N° Portalis DBVK-V-B7H-P6SM





Décisions déférées à la Cour : Jugement du 2

2 février 2019 Tribunal d'instance de FREJUS - Cour d'Appel d'Aix en Provence du 8 juillet 2021 - Cour de Cassattion en date du 29 juin 2023







DEMANDEURS A LA SAISINE :



Madame [N] [E] [X] ès qualités d'héritière de [J] [G] décédée le 26 octobre 2020

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Mandine CORTEY LOTZ de la SELARL CORTEY LOTZ & MARCHAL AVOCATS,...

ARRÊT n°

5e chambre civile

ARRÊT DU 07 Mai 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/04626 - N° Portalis DBVK-V-B7H-P6SM

Décisions déférées à la Cour : Jugement du 22 février 2019 Tribunal d'instance de FREJUS - Cour d'Appel d'Aix en Provence du 8 juillet 2021 - Cour de Cassattion en date du 29 juin 2023

DEMANDEURS A LA SAISINE :

Madame [N] [E] [X] ès qualités d'héritière de [J] [G] décédée le 26 octobre 2020

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Mandine CORTEY LOTZ de la SELARL CORTEY LOTZ & MARCHAL AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER

assistée de Me Samuel CREVEL, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Autre(s) qualité(s) : Partie intervenante devant la 1ère cour d'appel

Monsieur [C] [R] [V] [X] ès qualités d'héritier de [J] [G] décédée le 26 octobre 2020

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentant : Me Mandine CORTEY LOTZ de la SELARL CORTEY LOTZ & MARCHAL AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER

assisté de Me Samuel CREVEL, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Autre(s) qualité(s) : Partie intervenante devant la 1ère cour d'appel

S.C.E.A. LA FERME DE LEA représentée par son représentant légal domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentant : Me Mandine CORTEY LOTZ de la SELARL CORTEY LOTZ & MARCHAL AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER

assistée de Me Samuel CREVEL, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Autre(s) qualité(s) : Appelant devant la 1ère cour d'appel

DEFENDEUR A LA SAISINE :

Monsieur [T] [U]

[Adresse 7]

[Localité 2]

Représentant : Me Caroline VARLET-ANGOVE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant et plaidant

Autre(s) qualité(s) : Intimé(e) devant la 1ère cour d'appel

En application de l'article 937 du code de procédure civile, les parties ont été convoquées à l'audience.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 MARS 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre

M. Emmanuel GARCIA, Conseiller

Mme Corinne STRUNK, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie SABATON

ARRÊT :

- contradictoire.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre, et par Madame Sylvie SABATON, greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 23 juillet 2009, M. [T] [U] a pris à bail à métayage, à compter du 1er octobre 2009, diverses parcelles de terres vinicoles appartenant à Mme [J] [G].

Par acte extrajudiciaire du 6 août 2015, M. [T] [U] a délivré à Mme [J] [G] une demande de reconversion du métayage en fermage, à laquelle celle-ci n'a pas répondu.

Le 8 décembre 2015, M. [T] [U] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Fréjus aux fins voir ordonner, sur le fondement de l'article L. 417-11 du code rural, la reconversion du métayage en fermage.

Par acte d'huissier du 29 avril 2016, la SCEA La Ferme de [J], invoquant un apport de terres réalisé par Mme [J] [G], a délivré à M. [T] [U] un congé pour reprise à son profit, plus précisément au profit de M. [C] [X], l'un de ses membres.

Le 28 mars 2017, elle a délivré un second congé aux fins de reprise et ce pour compléter le premier, qui avait omis l'une des parcelles.

Le 11 août 2016 et le 19 juillet 2017, M. [T] [U] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Fréjus d'une contestation de ces deux congés aux fins de reprise, qui lui ont été successivement délivrés.

Par décision du tribunal paritaire des baux ruraux du 27 janvier 2017, l'action de M. [T] [U] et sa demande d'intervention forcée ont été jugées recevables.

Par jugement du 16 juillet 2018, le tribunal de commerce a relevé M. [T] [U] de la mesure d'interdiction de gérer prononcée à son encontre, en qualité de dirigeant de droit de la SARL [Adresse 5].

Par jugement du 22 février 2019, le tribunal d'instance de Fréjus, statuant en matière de baux ruraux, a :

Ordonné la jonction des procédures n° 15-6, 16-2 et 17-2 sous le même numéro de répertoire général 15-6 ;

Déclaré recevable la demande en nullité des congés formée par M. [T] [U] ;

Annulé les congés pour reprise délivrés par la SCEA La Ferme de [J] à M. [T] [U] les 29 avril 2016 et 28 mars 2017 ;

Rappelé que la demande de conversion du bail formée par M. [T] [U] avait déjà été déclarée recevable par le tribunal paritaire des baux ruraux de Fréjus le 27 janvier 2017 ;

Rejeté cette demande de conversion ;

Condamné M. [T] [U] aux dépens ;

Condamné M. [T] [U] à payer à Mme [J] [G] et la SCEA La Ferme de Léa la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Pour l'essentiel, le premier juge a retenu que M. [T] [U] ayant été relevé de l'interdiction de gérer prononcée à son encontre, il était recevable à contester les congés litigieux, que l'apport de terres réalisé par Mme [J] [G] au profit de la SCEA La Ferme de [J] lui était opposable, que les congés encouraient la nullité compte tenu de l'absence de mention de la profession du bénéficiaire de la reprise, au mépris de l'article L. 411-47 du code rural, que l'action en conversion du bail intentée par M. [T] [U] était recevable, en l'état notamment du jugement du tribunal paritaire des baux ruraux du 27 janvier 2017, et, sur le fond, que cette demande n'était pas fondée au motif que les conditions édictées par l'article L. 417-11 du code rural n'étaient pas remplies.

Plus particulièrement, sur la validité des congés pour reprise et s'agissant de la mention de la profession du bénéficiaire de la reprise, au visa de l'article L. 411-47 du code rural, qui dispose que le congé pour reprise doit, à peine de nullité, indiquer les nom, prénom, âge, domicile et profession du bénéficiaire ou des bénéficiaires devant exploiter conjointement le bien loué, M. [T] [U] reprochant aux congés de ne pas mentionner la profession du bénéficiaire de la reprise, le premier juge a relevé qu'en l'espèce, il était indiqué dans les deux congés : « Monsieur [C] [X] réside à proximité des biens objets de la reprise ['] et remplit les conditions de capacité et d'expérience professionnelle. Il est également en règle avec le contrôle des structures et possède le matériel nécessaire à la reprise. » et a retenu qu'un tel libellé, contrairement à ce que soutenaient les défenderesses, manquait manifestement de précision, les « conditions de capacité et d'expérience professionnelle » constituant, selon lui, une locution extrêmement imprécise et ne permettant pas de se faire une idée de la profession exacte du bénéficiaire de la reprise, de sorte que, nonobstant l'exception posée par le dernier alinéa de l'article L. 411-47, qu'il a prononcé l'annulation desdits congés au motif qu'ils comprenaient une mention qui ne permettait pas à M. [T] [U], en sa qualité de preneur, de vérifier immédiatement le sérieux du projet de reprise, aucun élément ne permettant de démontrer qu'il connaissait préalablement la profession du bénéficiaire de cette reprise.

Mme [J] [G] et la SCEA La Ferme de Léa ont relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe du 5 mars 2019.

Mme [J] [G] est décédée le 26 octobre 2020.

M. [C] [X] et Mme [S] [X] sont intervenus volontairement à l'instance, en leur qualité d'héritiers de Mme [J] [G].

Par arrêt du 8 juillet 2021, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a :

Confirmé le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux déféré, en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Débouté la SCEA La Ferme de [J], M. [C] [X] et Mme [S] [X] de leur demande de dommages et intérêts ;

Condamné in solidum la SCEA La Ferme de Léa, M. [C] [X] et Mme [S] [X] à payer M. [T] [U] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la SCEA La Ferme de [J], M. [C] [X] et Mme [S] [X] aux dépens de la procédure d'appel.

Plus particulièrement, sur la validité des congés pour reprise et au visa de l'article L. 411-60 du code rural, les juges d'appel ont dit qu'il en résultait que, dans le cas où les biens loués appartenaient à une personne morale, celle-ci pouvait exercer la reprise à son profit, l'exploitation étant en ce cas assurée par l'un des associés de la personne morale, ont rappelé que lorsque le bailleur était une personne morale, elle seule pouvait bénéficier de la reprise avec, pour conséquence, que cette reprise à son profit devait être expressément mentionnée dans le congé et ont relevé, au cas d'espèce, que les deux congés pour reprise, respectivement en date des 29 avril 20l6 et le 28 mars 20l7, avaient été délivrés à la demande de la SCEA La Ferme de Léa, laquelle n'apparaissait à aucun endroit comme étant le bénéficiaire de la reprise, qu'il apparaissait au contraire que le seul bénéficiaire de la reprise désigné dans les congés était M. [C] [X], qu'il était à chaque fois uniquement indiqué que « Sous réserve des procédures en cours, la SCEA La Ferme de [J] entend reprendre lesdits biens au profit de son associé majoritaire et exploitant M. [C] [X], 37 ans, né le 12 avril 1979 à [Localité 4] ».

Les juges d'appel en ont tiré pour conséquence qu'au regard des dispositions de l'article susvisé, la SCEA La Ferme de Léa, personne morale bailleresse, est l'unique bénéficiaire admissible de la reprise exercée, l'exploitation devant être confiée à l'un de ses membres, que les congés litigieux ne la mentionnaient pas comme bénéficiaire du droit de reprise, M. [C] [X] étant désigné en cette qualité, et qu'il ne suffisait pas que la société soit mentionnée dans le congé, qu'elle devait figurer expressément comme bénéficiaire de la reprise, qu'en outre, les congés ne précisaient pas que M. [C] [X] devait exploiter les biens objets de la reprise par la SCEA La Ferme de [J], de sorte que congés ne répondaient pas aux exigences de l'article L. 411-60 du code rural et de la pêche maritime et qu'il devaient, en conséquence, être annulés.

La SCEA La Ferme de Léa, M. [C] [X] et Mme [S] [X] ont formé un pourvoi en cassation.

Par arrêt du 29 juin 2023, la Cour de cassation a :

Cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il annule les congés pour reprise délivrés les 29 avril 2016 et 28 mars 2017 à M. [U] par la société civile d'exploitation agricole La Ferme de [J], l'arrêt rendu le 8 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remis, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamné M. [U] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par M. [U] et l'a condamné à payer à la société civile d'exploitation agricole La Ferme de Léa, ainsi qu'à Mme [X] et M. [X], en leur qualité d'ayants droit de [J] [G], la somme globale de 3 000 euros.

Au visa des articles L. 411-47, alinéa 2, et L. 411-60 du code rural et de la pêche maritime, la Cour de cassation a rappelé que selon le second de ces textes, les personnes morales, à la condition d'avoir un objet agricole, peuvent exercer le droit de reprise sur les biens qui leur ont été apportés en propriété ou en jouissance et l'exploitation doit être assurée conformément aux prescriptions des articles L. 411-59 et L. 411-63 du même code par un ou plusieurs membres de ces sociétés, et que selon le premier, en cas de congé pour reprise, le congé doit, à peine de nullité, indiquer les nom, prénom, âge, domicile et profession du bénéficiaire ou des bénéficiaires devant exploiter conjointement le bien loué et, éventuellement, pour le cas d'empêchement, d'un bénéficiaire subsidiaire, ainsi que l'habitation ou éventuellement les habitations que devront occuper après la reprise le ou les bénéficiaires du bien repris, et qu'il en résulte qu'en cas de reprise par une personne morale, le congé doit indiquer, à peine de nullité, le nom de la société bénéficiaire de la reprise et celui du ou de ses membres devant assurer l'exploitation du bien repris.

Pour annuler les congés, la Cour de cassation a relevé au cas d'espèce que l'arrêt constate, d'abord, qu'il est indiqué dans chaque congé que la SCEA « entend reprendre » les biens donnés à bail « au profit de son associé majoritaire et exploitant », M. [X], qu'ensuite, il retient que les congés ne mentionnent pas expressément la SCEA comme bénéficiaire de la reprise, ni M. [X] comme l'associé qui exploitera les biens repris, pour conclure qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que ces mentions figuraient dans les congés, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

La SCEA La Ferme de [J], M. [C] [X] et Mme [S] [X] ont saisi la cour d'appel de Montpellier, sur renvoi après cassation, par déclaration au greffe du 16 septembre 2023.

La SCEA La Ferme de Léa, M. [C] [X] et Mme [S] [X] demandent à la cour de :

« Infirmer le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de Fréjus le 22 février 2019 en ce qu'il a :

« Déclaré recevable la demande de nullité des congés formée par Monsieur [T] [U],

Annulé les congés pour reprise délivrés par la SCEA La Ferme de [J] à Monsieur [T] [U] les 29 avril 2016 et 28 mars 2017 » ;

Rejeter l'ensemble des prétentions de Monsieur [T] [U] comme mal fondées ;

A titre principal et reconventionnel,

Refuser à Monsieur [T] [U] le droit au renouvellement du bail rural du 23 juillet 2009 ;

A titre subsidiaire,

Déclarer irrecevables l'ensemble des prétentions de Monsieur [T] [U] tendant à la nullité des congés du 29 avril 2016 et 28 mars 2017 à raison de prétendus vices de forme ;

Déclarer en conséquence valides lesdits congés ;

A titre infiniment subsidiaire,

Valider les congés des 29 avril 2016 et 28 mars 2017 ;

En tout état de cause,

Ordonner à Monsieur [T] [U] de libérer les lieux loués, avec tous biens et occupants de son chef, à compter de la notification à venir du présent arrêt, sous une astreinte de 250 euros par jour de retard ;

Condamner Monsieur [T] [U] à payer à Monsieur [C] [X],

Madame [S] [X] et la SCEA La Ferme de Léa la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens. »

A titre principal, la SCEA La Ferme de [J], M. [C] [X] et Mme [S] [X] entendent rappeler que le preneur ne peut prétendre au renouvellement s'il ne justifie pas de sa régularité au regard du contrôle des structures, qu'il incombe aux juges du fond, statuant sur la validité d'un congé, de rechercher, au besoin d'office, si le preneur est en règle au regard de cette règlementation et, dans la négative, refuser au preneur le bénéfice du renouvellement. Ils entendent également rappeler que la jurisprudence de la Cour de cassation admet que dans le cadre d'une contestation d'un congé pour reprise, le bailleur puisse former une demande reconventionnelle visant au non renouvellement du bail, sans nécessité pour lui d'avoir délivré préalablement un congé à cette fin.

Au visa de l'article 1353 du code civil, ils avancent qu'il incombe au preneur de démontrer la régularité de sa situation au regard des dispositions du contrôle des structures à la date du renouvellement du bail, qu'en l'espèce, la décision critiquée ne précise nullement que le tribunal de première instance a recherché, même d'office, alors qu'il y était selon eux tenu, si M. [T] [U] était en règle avec les dispositions du contrôle des structures et que, faute pour lui de justifier la régularité de son exploitation au regard des dispositions du contrôle des structures au 31 septembre 2018, ils demandent à la cour d'appel d'infirmer le jugement critiqué et, statuant à nouveau, de déchoir M. [T] [U] de son droit au renouvellement.

A titre subsidiaire, la SCEA La Ferme de Léa, M. [C] [X] et Mme [S] [X] avancent que le jugement critiqué précise que le jour de l'audience, M. [T] [U] s'est rapporté à ses écritures, visées par le greffe, aux termes desquelles il a chronologiquement demandé de « Convertir le bail à métayage en bail à ferme à compter du 1er octobre 2016, Fixer son loyer à la somme de 2 499,53 euros à compter de la même date et Annuler les congés délivrés les 29 avril 2016 et 28 mars 2017 », qu'ayant ainsi soulevé plusieurs défenses au fond avant de formuler des moyens de nullité des congés litigieux à raison de potentiels vices de forme, c'est à tort que la juridiction de première a déclaré recevables ces demandes en nullité, de sorte qu'ils demandent à la cour d'infirmer le jugement critiqué et, statuant à nouveau, de déclarer irrecevables l'ensemble des prétentions de M. [T] [U] tendant à solliciter la nullité du congé pour vice de forme.

Enfin, à titre infiniment subsidiaire et au visa des articles L. 411-47 et L. 411-60 du code rural, ils avancent que chacun des congés litigieux ont été délivrés au nom de la SCEA La Ferme de [J], pour qu'elle puisse reprendre l'exploitation des vignes louées, comme le lui permettent ses statuts partiellement reproduits au congé, que si son associé exploitant, M. [C] [X], désigné au congé, assurera les travaux d'exploitation, seule la SCEA La Ferme de Léa sera la bénéficiaire de cette reprise, qu'ainsi, les mentions imposées par l'article L .411-47 du code rural, propres aux bénéficiaires personnes physiques, n'avaient pas lieu de s'appliquer à son égard, que c'est ainsi à tort que le tribunal paritaire des baux ruraux de Fréjus a annulé les congés litigieux à raison d'une prétendue omission de la profession de M. [C] [X] et sur la croyance erronée qu'il était bénéficiaire de la reprise.

Enfin, si jamais la cour d'appel devait estimer que l'auteur du congé devait aussi renseigner la profession de M. [C] [X], ils demandent qu'il soit reconnu que cette mention a bien été renseignée, qu'en effet, chacun des congés litigieux mentionnait que « la SCEA La Ferme de [J] entend reprendre lesdits biens au profit de son associé majoritaire et exploitant, M. [C] [X], 37 ans, né le 12 avril 1979 à Gassin ».

M. [T] [U] demande à la cour de :

« Vu les articles L. 411-47, L. 411-58, L. 411-59, L. 411-60 du code rural et de la pêche maritime ;

Confirmer le jugement rendu le 22 février 2019 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Fréjus en ce qu'il a :

déclaré recevable la demande de nullité des congés formée par Monsieur [T] [U] ;

annulé les congés pour reprise délivrés par la SCEA La Ferme de Léa à Monsieur [T] [U] les 29 avril 2016 et 28 mars 2017 ;

En tout état de cause,

Débouter Mme [J] [G] et la SCEA La Ferme de [J] de l'ensemble de leurs demandes ;

Condamner solidairement les consorts [X] et la SCEA La Ferme de Léa à payer à M. [U] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner solidairement les consorts [X] et la SCEA La Ferme de [J] aux entiers dépens. »

M. [T] [U] entend tout d'abord rappeler que les moyens relatifs à la nullité de forme des congés litigieux ont bien été invoqués en première instance, que s'agissant de l'ordre dans lequel les moyens d'annulation du congé ont été présentés dans la requête ou dans les conclusions de première instance, la procédure devant le tribunal paritaire des baux ruraux étant une procédure orale, l'ordre dans lequel les demandes et moyens sont présentés ne s'apprécie pas en fonction de ce qui figure dans les conclusions mais en fonction de ce qui est soulevé oralement, lors de l'audience de plaidoirie et qu'il est nullement démontré, en l'espèce, que le moyen tiré de la nullité de forme des congés aurait été soulevé après la défense au fond et les fins de non-recevoir lors de l'audience devant le tribunal paritaire des baux ruraux, que ce moyen a bien été soulevé in limine litis lors de cette audience puisque Mme [J] [G] et la SCEA La Ferme de Léa n'ont pas invoqué l'irrecevabilité de ce moyen, de sorte qu'il demande à la cour de constater qu'il est recevable à soulever la nullité de forme des congés litigieux.

Au visa de l'article L. 411-47 du code rural, il soutient que les congés litigieux ne mentionnent ni la profession ou plutôt les professions exercées par M. [C] [X], associé de la SCEA La Ferme de [J], devant exploiter les biens litigieux, ni l'habitation qu'il occupera après la reprise, qu'ainsi, les congés litigieux encourent, selon lui, l'annulation pour ce motif.

Sur la mention de la profession du bénéficiaire de la reprise et au visa du même article, M. [T] [U] soutient que le fait que l'indication des activités professionnelles exercées par M. [C] [X] ne figure pas dans les congés litigieux suffit à entraîner l'annulation de ces congés, puisque cette absence ne lui a pas permis, alors qui ignorait leur existence, de vérifier qu'il pourrait se consacrer à l'exploitation du bien repris, qu'ainsi, il a nécessairement subi un grief du fait de cette omission, conformément à la jurisprudence constante en la matière, de sorte qu'il demande que le jugement entrepris soit confirmé en ce qu'il a annulé les congés délivrés les 29 avril 2016 et 28 mars 2017 pour ce motif.

Subsidiairement, au fond et au visa de l'article L. 411-60 du code rural, M. [T] [U] entend rappeler qu'il incombe à la SCEA La Ferme de Léa et aux consorts [X] de démontrer que M. [C] [X] et la SCEA La Ferme de [J] réunissent les conditions exigées du bénéficiaire de la reprise et demande à la cour de constater que leurs conclusions ne contiennent strictement aucun développement et qu'aucune pièce n'est produite à ce sujet, qu'ainsi il ignore les conditions dans lesquelles ils entendent exploiter les parcelles objet des congés litigieux.

En l'absence de toute information sur les conditions de la reprise et dès lors que la charge de la preuve de ces conditions repose sur le bailleur, en application de l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime, auquel renvoie l'article L. 411-60 du même code, il estime que les congés litigieux ne peuvent qu'être annulés.

Enfin, sur le refus de renouvellement de bail que la SCEA La Ferme de Léa, M. [C] [X] et Mme [S] [X] sollicitent reconventionnellement, et pour la première fois en cause d'appel, au motif qu'il ne justifierait pas d'être en conformité avec les règles relatives au contrôle des structures, M. [T] [U] avance qu'il exploite une superficie de 83 ha 99 a 39 ca, soit une superficie inférieure au seuil d'application de l'autorisation d'exploiter, fixé à 85 ha, de sorte que sa situation est conforme aux règles relatives au contrôle des structures et que les appelants doivent donc être déboutés de leur demande tendant au refus de renouvellement du bail rural qui lui a été consenti.

MOTIFS

1. Sur la validité des congés pour reprise délivrés les 29 avril 2016 et 28 mars 2017

Sur la recevabilité de la demande de nullité de ces congés, présentée par M. [T] [U], la cour constate qu'elle n'est saisie, sur renvoi de la Cour de cassation, que de la question de leur validité formelle, de sorte que la question de la recevabilité de cette demande ne fera pas l'objet d'un examen puisque déjà tranchée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui, dans son arrêt du 8 juillet 2021, a dit que M. [T] [U] était recevable en sa demande de nullité des deux congés litigieux.

Sur la forme, l'article L. 411-47, alinéa 2, du code rural prévoit qu'en cas de congé pour reprise, le congé doit, à peine de nullité, indiquer les nom, prénom, âge, domicile et profession du bénéficiaire ou des bénéficiaires devant exploiter conjointement le bien loué et, éventuellement, pour le cas d'empêchement, d'un bénéficiaire subsidiaire, ainsi que l'habitation ou éventuellement les habitations que devront occuper après la reprise le ou les bénéficiaires du bien repris.

L'article L. 411-60 du même code prévoit que les personnes morales, à la condition d'avoir un objet agricole, peuvent exercer le droit de reprise sur les biens qui leur ont été apportés en propriété ou en jouissance et l'exploitation doit être assurée conformément aux prescriptions des articles L. 411-59 et L. 411-63 du même code par un ou plusieurs membres de ces sociétés.

Il résulte de ces dispositions qu'en cas de reprise par une personne morale, le congé doit indiquer, à peine de nullité, le nom de la société bénéficiaire de la reprise et celui du ou de ses membres devant assurer l'exploitation du bien repris.

En l'espèce, la cour constate que les congés pour reprise délivrés les 29 avril 2016 et 28 mars 2017 mentionnent, chacun, la SCEA La Ferme de [J] comme bénéficiaire de la reprise et M. [C] [X] comme l'associé qui exploitera les biens repris, de sorte qu'ils doivent être déclarés valides pour répondre aux conditions des textes susvisés.

Sur le fond, il résulte des articles L. 411-58 et L. 411-59 du code rural que le membre qui assure l'exploitation en cas de reprise par une personne morale doit justifier des éléments suivants :

être titulaire d'un diplôme lui conférant la capacité professionnelle agricole ou d'une expérience professionnelle agricole équivalente,

résider à proximité des biens objet de la reprise,

posséder le matériel nécessaire à l'exploitation des biens objet de la reprise ou, à défaut, les moyens financiers pour l'acquérir,

avoir obtenu l'autorisation administrative d'exploiter les biens litigieux.

Plus généralement le bénéficiaire de la reprise doit démontrer qu'il a la volonté réelle et la capacité d'exploiter personnellement et effectivement les biens objet de la reprise.

Il incombe donc à la SCEA La Ferme de Léa et aux consorts [X] de démontrer que la société et M. [C] [X] réunissent les conditions exigées du bénéficiaire de la reprise.

Or, en l'espèce, la cour constate que leurs conclusions ne contiennent aucun développement et qu'aucune pièce n'est produite à ce sujet.

En l'absence de toute information sur les conditions de la reprise et dès lors que la charge de la preuve de ces conditions repose sur le bailleur en application de l'article L. 411-59 précité du code rural, auquel renvoie l'article L. 411-60 du même code, les congés litigieux ne pourront qu'être annulés.

Il s'ensuit que le jugement déféré sera confirmé, par moyen substitué, en ce qu'il a annulé les congés pour reprise délivrés par la SCEA La Ferme de [J] à M. [T] [U] les 29 avril 2016 et 28 mars 2017.

2. Sur le refus de renouvellement du bail en litige

Dans le cadre d'une contestation d'un congé pour reprise, le bailleur peut former une demande reconventionnelle visant au non renouvellement du bail, sans nécessité pour lui d'avoir délivré préalablement un congé à cette fin.

Selon l'article L. 411-46 du code rural, le preneur a, par principe, droit au renouvellement de son bail.

L'article L. 331-6 du même code prévoit que si le preneur est tenu d'obtenir une autorisation d'exploiter en application de l'article L. 331-2, la validité du bail ou de sa cession est subordonnée à l'octroi de cette autorisation.

Il en résulte que le preneur ne peut prétendre au renouvellement s'il ne justifie pas de sa régularité au regard du contrôle des structures.

La SCEA La Ferme de Léa et les consorts [X] avancent, au visa de l'article 1353 du code civil, qu'il incombe à M. [T] [U] de démontrer la régularité de sa situation au regard des dispositions du contrôle des structures à la date du renouvellement du bail.

En l'espèce, le schéma directeur régional des exploitations agricoles de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur fixe à 85 ha le seuil de surface exploitée au-delà duquel une autorisation d'exploiter est requise.

Afin de démontrer la régularité de sa situation au regard de ces dispositions, M. [T] [U] produit un tableau qui récapitule, à partir de son casier viticole informatisé, qu'il verse au débat, les parcelles qu'il exploite, en faisant application d'un coefficient d'équivalence fixé à 4 pour les parcelles classées en AOP et à 3 pour les parcelles classées en IGP.

Il en résulte que la superficie totale exploitée est de 83 ha 99 a 39 ca équivalence, soit une superficie inférieure au seuil de l'autorisation d'exploiter, de 85 ha, de sorte que la situation de M. [T] [U] est conforme aux règles relatives au contrôle des structures.

Il s'ensuit que la SCEA La Ferme de [J] et les consorts [X] seront déboutés de leur prétention tendant au refus de renouvellement du bail rural consenti à M. [T] [U].

3. Sur les dépens et les frais non remboursables

La SCEA La Ferme de Léa et les consorts [X] seront condamnés solidairement aux dépens de l'appel.

La SCEA La Ferme de [J] et les consorts [X], qui échouent, seront en outre condamnés solidairement à payer à M. [T] [U] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe ;

CONFIRME, par moyen substitué, le jugement rendu le 22 février 2019 par le tribunal d'instance de Fréjus statuant en matière de baux ruraux, en ce qu'il a annulé les congés pour reprise délivrés par la SCEA La Ferme de Léa à M. [T] [U] les 29 avril 2016 et 28 mars 2017 ;

Statuant pour le surplus,

DEBOUTE la SCEA La Ferme de [J] et les consorts [X] de leur prétention tendant au refus de renouvellement du bail rural consenti à M. [T] [U] ;

CONDAMNE solidairement la SCEA La Ferme de Léa et les consorts [X] à payer à M. [T] [U] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais non remboursables d'appel ;

CONDAMNE solidairement la SCEA La Ferme de [J] et les consorts [X] aux dépens de l'appel.

Le Greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 5e chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/04626
Date de la décision : 07/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-07;23.04626 ?
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