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07/05/2024 | FRANCE | N°21/05866

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 5e chambre civile, 07 mai 2024, 21/05866


ARRÊT n°2024-



































Grosse + copie

délivrées le

à













COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



5e chambre civile



ARRET DU 07 MAI 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/05866 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PFFH



Décision déférée à la Cour :

Jugement du 02 SEPTEMBRE 2021

Tribunal judiciaire DE MONTP

ELLIER

N° RG 19/02012



APPELANTE :



S.A. GMF prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant et domicilié ès-qualités audit siège.

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Frédéric VERINE de la SCP TRIAS, VERINE, VIDAL, GARDIER LEONIL, avocat au barreau de ...

ARRÊT n°2024-

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

5e chambre civile

ARRET DU 07 MAI 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/05866 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PFFH

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 02 SEPTEMBRE 2021

Tribunal judiciaire DE MONTPELLIER

N° RG 19/02012

APPELANTE :

S.A. GMF prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant et domicilié ès-qualités audit siège.

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Frédéric VERINE de la SCP TRIAS, VERINE, VIDAL, GARDIER LEONIL, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant

INTIMES :

Monsieur [H] [U]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représenté par Me Sophie DEBERNARD JULIEN de la SCP PALIES - DEBERNARD-JULIEN - MARTIN-VELEINE - CLAISE - PJDA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

assisté de Me Brigit VORPSI, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE NIMES prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant et domicilié ès-qualités audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 5]

assignée le 22 novembre 2021 à personne habilitée

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'HERAULT prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant et domicilié ès-qualités audit siège.

[Adresse 3]

34 [Localité 9]

assignée le 18 novembre 2021 à personne habilitée

Ordonnance de clôture du 12 Février 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Mars 2024,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Corinne STRUNK, Conseillère, chargé du rapport.

Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre

M. Emmanuel GARCIA, Conseiller

Mme Corinne STRUNK, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Estelle DOUBEY

ARRET :

- Réputé contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre, et par Mme Estelle DOUBEY, Greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

Le 20 juillet 1985, M. [H] [U] a été victime d'un accident de la circulation alors qu'il se trouvait passager d'un véhicule piloté par M. [I] [N], assuré auprès de la SA GMF.

Sur la base d'un rapport d'expertise médicale du docteur [W] [D] en date du 17 septembre 1986, une transaction est intervenue suivant procès-verbal en date des 12 et 14 mars 1987 aux termes duquel la somme de 96.053,65 francs a été versée à M. [H] [U] en indemnisation des dommages résultant de cet accident et après déduction de la provision de 12.000 francs précédemment versée.

Aux termes d'un nouveau rapport d'expertise en date du 10 septembre 2012, le docteur [D] a caractérisé une aggravation de l'état de santé de M. [H] [U] documentée à compter du 26 février 2008.

Le 31 octobre 2012, M. [H] [U], âgé de 43 ans, a été licencié pour inaptitude après avoir occupé un emploi de carrossier pendant 23 ans.

Le 23 janvier 2013, la Maison départementale des personnes handicapées lui a reconnu le statut de travailleur handicapé et il a été placé en invalidité.

Suivant ordonnance du 26 novembre 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nîmes a ordonné sur requête de M. [H] [U] une expertise médicale confiée au professeur [L] [R] qui a déposé son rapport le 24 janvier 2017.

Par actes en date des 27 mars et 1er avril 2019, M. [H] [U] a fait assigner la SA GMF, la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault et la Caisse primaire d'assurance maladie du Gard aux fins d'indemnisation.

Par ordonnance du 19 novembre 2019, le juge de la mise en état a condamné la SA GMF à payer à M. [H] [U] la somme de 50.000 euros à titre de provision à valoir sur l'aggravation manifestée en 2008 du préjudice corporel résultant de l'accident du 20 juillet 1985.

Le jugement réputé contradictoire rendu le 2 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Montpellier :

Juge que la SA GMF est tenue sur le fondement de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 de réparer les conséquences dommageables supplémentaires de l'accident du 20 juillet 1985 à l'occasion duquel M. [H] [U] a été blessé ;

Fixe le préjudice de M. [H] [U] au titre de l'aggravation de son état de santé aux sommes suivantes

Dépenses de santé actuelles : 5.448,81 euros,

Frais divers : 1.990,24 euros,

Assistance tierce personne : 1.170 euros,

Dépenses de santé futures : 1.315 euros,

Déficit fonctionnel temporaire : 8.851,25 euros,

Souffrances endurées : 8.000 euros,

Déficit fonctionnel permanent : 9.200 euros,

Préjudice esthétique permanent : 1.000 euros,

Total : 36.975,30 euros ;

Dit que la somme revenant à M. [H] [U] au titre de sa part de préjudices, soit la somme de 32.837,80 euros a d'ores et déjà été payée par les provisions qui lui ont été versées par la SA GMF à hauteur de la somme de 60.000 euros ;

Dit que M. [H] [U] peut prétendre à l'indemnisation d'un préjudice au titre de la perte de gains professionnels future ;

Ordonne la réouverture des débats sur l'indemnisation de la perte de gains professionnels actuelle, de la perte de gains professionnels future et de l'incidence professionnelle, à l'audience de mise en état du 16 novembre 2021 afin que M. [H] [U] produise aux débats l'intégralité de ses bulletins de paie de l'année 2010 jusqu'à son licenciement intervenu le 31 octobre 2012 ainsi que ses avis d'imposition de l'année 2012 jusqu'à ce jour, qu'il justifie de sa situation au regard de la perception d'une pension d'invalidité sur la période du 23 janvier 2013 à ce jour et enfin qu'il justifie de sa situation professionnelle actuelle et afin que les parties concluent le cas échéant sur l'indemnisation de ces préjudices ;

Sursoit à statuer sur le surplus des demandes ;

Déclare le jugement commun à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault et à la Caisse primaire d'assurance maladie du Gard ;

Réserve les dépens.

Le premier juge a reconnu l'aggravation de l'état de santé de M. [U] en lien avec l'accident du 20 juillet 1985 se traduisant par une aggravation des lombalgies à compter du 26 février 2008, 90% de cette aggravation étant liée à la fracture initiale et 10% au positionnement atypique de la vis pédiculaire.

Ce magistrat relève à cet égard que la SA GMF a admis qu'elle était tenue d'indemniser en totalité le préjudice corporel subi par M. [H] [U] en suite de cette aggravation.

Il a octroyé à M. [U] diverses sommes au titre des dépenses de santé actuelles et futures ainsi qu'une indemnisation au titre de l'assistance tierce personne sur la base d'une heure par jour pendant 65 jours évaluée à 18 euros de l'heure.

S'agissant de la perte de gains professionnels actuels, le premier juge a relevé que celle-ci devait correspondre à la période durant laquelle M. [H] [U] s'était trouvé en arrêt de travail privé de l'exercice de son activité et de ses revenus professionnels et non depuis la date de l'aggravation. La date de prise en compte devait donc être fixée au 20 décembre 2010. En outre, sur le constat que M. [H] [U] n'avait pas fourni ses bulletins de paie des années 2010 et 2011 rendant impossible l'évaluation du montant d'une perte de revenus, il a ordonné la réouverture des débats afin que la victime produise ces pièces.

S'agissant de la perte de gains futurs et de l'incidence professionnelle, le magistrat a relevé que l'état de M. [H] [U] du point de vue de l'exercice d'une activité professionnelle, contrairement à ce que soutenait la SA GMF, n'était pas strictement identique à son état à la date de la transaction du 12 mars 1987. En effet, si la victime a pu travailler pendant 19 ans, le tribunal rappelle que c'est bien l'aggravation de son état de santé, manifestée par une majoration des lombalgies, qui est à l'origine de la perte définitive de son emploi et de son licenciement pour inaptitude.

Il en déduit que M. [H] [U] peut prétendre au bénéfice d'une perte de gains professionnels futurs et d'une incidence professionnelle, les deux étant cumulables. Sur le constat de l'absence de production de pièces financières, le tribunal a ordonné la réouverture des débats invitant ainsi M. [U] à produire ses bulletins de paie de 2010 jusqu'à son licenciement ainsi que ses avis d'imposition jusqu'au jour de l'audience, outre les documents en lien avec la perception d'une pension d'invalidité depuis le 23 janvier 2013.

Pour le surplus, le premier juge a accordé la somme de 8.851,25 euros au titre du préjudice fonctionnel temporaire sur la base d'une somme journalière de 25 euros et du rapport d'expertise.

Il a également retenu un taux de déficit fonctionnel de 5% sur la base du rapport de l'expert, M. [H] [U] n'apportant pas aucun document médical permettant de mettre en cause le taux retenu par l'expert, et sur la base de 1.840 euros du point.

Le tribunal a fait droit à la demande d'indemnisation au titre du préjudice esthétique permanent au regard des éléments cicatriciels nouveaux décrits par l'expert pour allouer une somme de 1.000 euros.

Il a enfin rejeté la demande au titre de l'indemnisation du préjudice d'agrément tenant l'absence de pièce justificative et la production d'attestations sans valeur probante.

La SA GMF, prise en la personne de son représentant légal en exercice, a relevé appel limité de la décision par déclaration au greffe du 4 octobre 2021.

Dans ses dernières conclusions du 27 octobre 2021, la SA GMF demande à la cour de :

A titre principal,

Rejeter toutes conclusions contraires ;

Réformer le jugement entrepris rendu par le tribunal judiciaire de Montpellier le 2 septembre 2021 sous le n° RG 19/02012 ;

Débouter M. [H] [U] de ses demandes concernant la perte de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle, qui sont irrecevables et mal fondées ;

A titre très subsidiaire,

Dire et juger que la perte de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle ne se cumulent pas automatiquement et qu'il appartiendra à M. [H] [U], sauf à faire un choix entre ces deux chefs de préjudice, d'expliciter en quoi, si sa perte de gains professionnels futurs est indemnisée jusqu'à l'âge de la retraite, il subirait un préjudice dû à l'incidence professionnelle ;

Condamner M. [H] [U] aux entiers frais et dépens de l'instance et à payer à la SA GMF la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SA GMF soutient que les demandes de M. [H] [U] concernant la perte de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle sont irrecevables en l'état de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la transaction du 12 mars 1987. Par ailleurs, ces préjudices sont non fondés puisqu'aucune aggravation de l'état, postérieurement à la transaction, n'est démontrée, M. [H] [U] ayant été consolidé le 28 juillet 1986 à l'âge de 21 ans et alors que ce dernier était au chômage. C'est donc en connaissance de son état que l'intimé a choisi de signer un contrat à durée indéterminée de carrossier en 1989, emploi qui n'allait nécessairement pas pouvoir être exercé pendant toute la vie professionnelle de M. [H] [U] et dont l'impossibilité avait donc déjà été indemnisée en 1987.

Subsidiairement, la SA GMF fait valoir que la perte de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle sont deux postes de préjudice non cumulables.

Dans ses dernières conclusions du 23 décembre 2021, M. [H] [U] demande à la cour de :

A titre principal,

Débouter la SA GMF de ses demandes et de toutes demandes contraires ;

Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire en date du 2 septembre 2021 en ce qu'il a ordonné la réouverture des débats sur l'indemnisation de la perte de gains professionnels actuels, de la perte de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle et prononcé un sursis à statuer ;

A titre subsidiaire,

Juger que l'indemnisation perçue en 1987 au titre de l'incidence professionnelle l'a été en raison de la pénibilité de l'emploi ;

Juger que M. [H] [U] subit une augmentation de la pénibilité de l'emploi, une dévalorisation sur le marché de l'emploi, une perte de retraite et une dévalorisation sociale ressentie du fait de son exclusion du monde du travail en raison de l'aggravation de son état de santé ;

Juger que M. [H] [U] est fondé à solliciter une indemnisation complémentaire au titre de l'incidence professionnelle ;

En tout état de cause,

Réformer le jugement du 2 septembre 2021 en ce qu'il a fixé l'indemnisation des frais divers à la somme de 1.990,24 euros ;

Condamner la SA GMF à verser à M. [H] [U] la somme de 10.054,92 euros se détaillant comme suit :

Frais pour la demande de dossier médical : 53,38 euros,

Frais de transport restés à charge après remboursement des organismes sociaux : 905,07 euros,

Frais d'expert : 1.988,31 euros,

Honoraires d'assistance médecin conseil : 3.000 euros,

Frais divers Clinique [8] (télévision):37,20 euros,

Frais d'huissier : 194,59 euros,

Honoraires d'avocat : 3.876,37 euros ;

Réformer le jugement du 2 septembre 2021 en ce qu'il a fixé l'indemnisation au titre de l'assistance à tierce personne à la somme de 1.170 euros ;

Condamner la SA GMF à la somme de 1.300 euros au titre de l'assistance à tierce personne ;

Réformer le jugement du 2 septembre 2021 en ce qu'il a fixé le déficit fonctionnel permanent à 5% et fixé l'indemnisation à la somme de 9.200 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

Condamner la SA GMF à lui allouer la somme de 22.080 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

Réformer le jugement du 2 septembre 2021 en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation au titre du préjudice d'agrément ;

Condamner la SA GMF à verser à M. [H] [U] la somme de 8.000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

Condamner la SA GMF à payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [H] [U] soutient que les chefs de préjudices de perte de gains professionnels futurs, de gains professionnels actuels et de l'incidence professionnelle n'ont pas été réparés dans la transaction du 12 mars 1987 qui ne détaille pas les postes de préjudices indemnisés. En outre, aucun préjudice professionnel n'a été mentionné dans le rapport d'expertise du 17 septembre 1986 de sorte qu'il n'a pas pu être indemnisé à ce titre. Etant, à l'époque de l'indemnisation, capable d'exercer une activité professionnelle, ces postes n'avaient pas à être indemnisés. Ce n'est que par la suite que l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle nécessitant des manutentions ou des efforts physiques importants ou répétitifs s'est manifestée et nécessite maintenant réparation.

M. [H] [U] soutient que l'aggravation de son état a été constatée tant par le docteur [R] qui relève une augmentation du déficit fonctionnel permanent de 5% que du docteur [D] qui l'estime à 12%. Son état de santé s'est donc bien aggravé par rapport à la consolidation intervenue en 1986 et a été la cause de son licenciement.

L'intimé fait valoir qu'il est fondé à se prévaloir d'une perte de gains professionnels futurs et d'une incidence professionnelle, ces deux postes de préjudices étant par ailleurs parfaitement cumulables, ce dernier n'étant pas privé de toute activité professionnelle mais seulement des activités manuelles nécessitant un effort physique.

M. [H] [U] soutient que la perte de gains professionnels actuels a pour objet de compenser une invalidité temporaire qui concerne uniquement les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime jusqu'à sa consolidation. En l'espèce, durant son arrêt de travail de 3 mois (du 20 décembre 2010 au 22 mars 2011), l'intimé a subi une perte de revenus en partie comblée par les indemnités de la CPAM et qui s'élève donc à la somme de 1.188,33 euros.

L'intimé fait valoir que les frais divers regroupent plusieurs frais et pas uniquement les honoraires du médecin conseil. M. [H] [U] sollicite le remboursement de la somme de 10.054,92 euros et fournit des justificatifs des sommes versées par lui au titre de ses frais qui obéissent au principe de réparation intégrale des préjudices de la victime.

M. [H] [U] sollicite également l'allocation de la somme de 1.300 euros concernant l'assistance tierce personne à raison de 20 euros de l'heure, une fois par jour et ce pendant 65 jours comme l'a estimé le docteur [R]. Il affirme que la cour d'appel de Montpellier applique le forfait horaire de 20 euros et que le fait qu'un membre de sa famille l'assiste dans ses tâches quotidiennes ne justifie pas la réduction de l'allocation.

Au titre du déficit fonctionnel permanent, M. [H] [U] produit le rapport d'expertise du Docteur [D] qui retient un déficit fonctionnel permanent de 22% dont 12% au titre de l'aggravation. L'intimé précise qu'il est lourdement limité dans ses gestes du quotidien et a dû retourner vivre chez ses parents âgés de 81 et 75 ans afin qu'ils puissent l'aider à réaliser les gestes de la vie courante. Il est donc fondé à solliciter la réparation de ce poste de préjudice à hauteur de la somme de 22.080 euros.

Concernant le préjudice d'agrément, l'intimé soutient que la production d'attestations est un moyen de preuve recevable dès lors que cette dernière se fait par tout moyen. Les attestations témoignant de la nécessité d'abandonner les activités de jogging, football, vélo, pétanque et moto depuis l'aggravation de son état de santé sont donc recevables et doivent permettre la réparation de ce préjudice à hauteur de 8.000 euros.

Les CPAM de Nîmes et de l'Hérault n'ont pas constitué avocat.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 12 février 2024.

MOTIFS

1/ Sur la recevabilité des demandes présentées au titre de la perte de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle :

L'appelante oppose l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction datée du 12 mars 1987 considérant que le rapport médical du 28 juillet 1986, sur lequel elle se fonde, avait déjà appréhendé les difficultés professionnelles en lien avec les atteintes corporelles liées à l'accident du 20 juillet 1985.

Selon l'article 2052 du code civil, la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet.

En l'espèce, un procès-verbal de transaction a été signé le 12 mars 1987 entre la garantie mutuelle des fonctionnaires, garantissant M. [N] reconnu à 100% responsable de l'accident survenu le 20 juillet 1985, et M. [H] [U], victime.

Ce protocole visait à réparer les conséquences corporelles de l'accident subies par M. [U] qui ont été déterminées par le docteur [D] « dont le rapport en date du 17 septembre 1986 a été accepté par les parties et constitue la base de la transaction ».

Aux termes de ce protocole, les parties ont convenu de l'allocation à M. [U] d'une indemnité d'un montant de « 96.058,65 francs à forfait et pour solde à titre de transaction en réparation de tous dommages résultant de l'accident et après déduction de la provision déjà versée et s'élevant à 12.000 francs, ainsi que des remboursements effectués, ou à effectuer' M. [U] tient et reconnaît M. [N] et la garantie mutuelle des fonctionnaires entièrement et valablement quittes et déchargés envers lui de toutes réclamations concernant les séquelles décrites dans le rapport mentionné ci-dessus ».

En premier lieu, il doit être précisé que les parties ont prévu dans ce protocole la possibilité de reconsidérer la situation de M. [U] en énonçant que « toutefois, en cas d'aggravation de l'état de M. [U], entraînant un taux global d'IPP supérieur à celui qui sert de base au présent règlement et en relation directe de causalité avec l'accident, cette aggravation pourrait faire l'objet d'indemnisation sans que puissent être remis en question le montant et les conditions de la présente transaction ».

En l'occurrence, le rapport médical du 17 septembre 1986 retient un taux d'incapacité permanente de 17% alors que le rapport d'expertise judiciaire du 24 janvier 2017 fixe un déficit fonctionnel permanent de 22%, donc supérieur à celui ayant servi de base à l'élaboration de la transaction.

Il s'ensuit que M. [U] est recevable dans le principe à saisir la juridiction d'une demande d'indemnisation consécutive à l'aggravation de son état.

En deuxième lieu, l'aggravation s'entend de la détérioration des séquelles de la victime après qu'a été conclue la transaction et qui a une répercussion sur ses besoins. C'est le cas lorsque le dommage, avant l'aggravation, ne s'est pas révélé dans toute son ampleur.

Ainsi, si le rapport établi le 17 septembre 1986 précise, s'agissant des conséquences professionnelles, que « l'intégration du blessé dans le monde du travail s'annonce difficile compte-tenu de son niveau de capacité d'adaptation » et « qu'il est certain qu'il sera gêné, voire empêché, d'exercer une activité professionnelle nécessitant des manutentions ou des efforts physiques importants ou répétitifs », rien ne s'oppose à ce qu'il soit procédé à un réexamen du dommage professionnel dans le cadre d'une aggravation des séquelles corporelles de telle sorte que l'autorité de la chose jugée attachée à cette transaction ne fait pas obstacle à l'examen des prétentions susvisées.

Il convient en conséquence de constater la recevabilité de ses demandes.

2/ Sur le bien-fondé des demandes présentées au titre de la perte de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle :

L'appelante conteste l'aggravation de l'état de M. [U] après la transaction du 12 mars 1987 et en conséquence le bien-fondé des demandes présentées par l'intimé au titre de la perte de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle. Elle oppose également le caractère non-cumulatif de ces deux postes de préjudices.

A titre liminaire, il convient d'indiquer que la cour de cassation reconnaît la possibilité de cumuler l'indemnisation versée au titre de la perte de gains futurs avec celle versée au titre de l'incidence professionnelle sans que cela ne contrevienne au principe de la réparation intégrale du préjudice ce dont il résulte d'ailleurs de la propre documentation produite en appel par l'assureur qui procède à une lecture partielle de l'arrêt versé aux débats (cass, civ 2è, 23 mai 2019).

Ce moyen est par conséquent inopérant.

S'agissant de l'absence d'aggravation de l'état de l'intimé, l'appelante se réfère au rapport d'expertise initial qui selon elle a fait le constat de séquelles corporelles identiques à celles présentées aujourd'hui et qui a déjà émis des réserves sur l'avenir professionnel de M. [U].

Il est effectivement indiqué dans le rapport établi le 17 septembre 1986 par le docteur [D] que « l'accident du 20 juillet 1985 a entraîné chez un garçon de 22 ans un traumatisme lombaire caractérisé par une fracture instable au niveau de la première vertèbre lombaire, traitée chirurgicalement, sans complication neurologique associée ».

Il est encore relevé la persistance des douleurs lombaires lors des variations météorologiques ou lors d'efforts physiques même modérés précisant que « c'est essentiellement cette composante douloureuse qui gêne M. [U] et l'handicapera ultérieurement ».

Il est enfin précisé, s'agissant des conséquences professionnelles, l'existence de réserves sur l'intégration de M. [U] sur le marché du travail en considération de son niveau de capacité d'adaptation, ce dernier disposant d'une qualification de métallier, et indiqué que l'intéressé rencontrera une gêne, voire un empêchement, dans l'exercice d'une profession nécessitant « des manutentions ou des efforts physiques importants ou répétitifs ».

En l'état, et au préalable, il sera relevé que le rapport initial, en-dehors de simples réserves à valoir pour l'avenir, ne conclut pas en faveur d'une impossibilité totale pour M. [U] d'occuper un emploi nécessitant des efforts physiques importants et répétitifs ou nécessitant des manutentions.

M. [U] a ainsi pu travailler en qualité d'ouvrier soudeur du 1er mars 1989 jusqu'au 20 décembre 2010, date de son arrêt de travail, soit pendant plus de 21 ans, et il s'est trouvé dans l'impossibilité de poursuivre son exercice professionnel à la suite d'un licenciement pour inaptitude prononcé le 31 octobre 2012, le médecin du travail l'ayant en effet déclaré inapte à toutes manutentions de charges lourdes supérieurs à 10kg, à la posture penchée en avant et à l'utilisation d'outils vibrants.

Sur ce seul constat, il ne saurait être sérieusement opposé à l'intimé une absence d'aggravation de son état dans la mesure où il passe d'une période de pleine activité professionnelle à une période de cessation d'activité après un licenciement pour inaptitude puis un placement en invalidité alors même que dans son rapport du 24 janvier 2017, l'expert a relevé une majoration des lombalgies chroniques dégénératives à compter du 26 février 2008, une apparition de paresthésies au niveau de la jambe depuis 2012, expliquant une aggravation du déficit fonctionnel permanent fixé à 22%.

Il est par ailleurs incontestable que la détérioration de l'état de santé de M. [U] est en lien avec le traumatisme initial consécutif à l'accident de circulation du 20 juillet 1985.

C'est donc à bon droit que le premier juge a reconnu à M. [U] le droit de se prévaloir d'une indemnisation au titre de la perte de gains professionnels futurs ainsi que de l'incidence professionnelle.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

3/ Sur l'appel incident :

Les frais divers :

La catégorie des frais divers est celle qui a vocation à absorber toutes les dépenses qui ne trouveraient pas leur place dans un autre poste.

Le rapport [X] rattache expressément à ce poste les dépenses suivantes :

Les dépenses de médecin-conseil ;

Les frais de transport ;

Les dépenses destinées à compenser des activités non professionnelles particulières (frais de grade d'enfants, soins ménagers, ') ;

Les frais temporaires ou ponctuels exceptionnels ;

Tous les frais temporaires, dont la preuve et le montant sont établis, et qui sont imputables à l'accident à l'origine du dommage corporel subi par la victime.

Le premier juge a alloué à M. [U] la somme de 1.990,24 euros au titre des frais divers comprenant :

les frais de dossier médical (53,38 euros), les frais de transport (905,07 euros), les frais de télévision (37,20 euros) et les frais d'huissier (194,58 euros).

Ont été réduits les frais d'assistance du médecin conseil sollicités à hauteur de 3.000 euros car considérés par le premier juge comme exorbitants au regard de la prestation fournie qui les a fixés à la somme de 800 euros.

Ont été enfin écartés les frais d'expertise comme étant intégrés dans les dépens, les frais d'avocat comme pouvant être intégrés dans les frais irrépétibles et ne relevant pas directement du préjudice subi par la victime.

Ces points seront confirmés en appel, le premier juge ayant répondu par des motifs pertinents et exempts d'insuffisance s'agissant des dépenses revendiquées, sauf en ce qui concerne les frais d'assistance du médecin conseil qui doivent être indemnisés dans leur intégralité dans la mesure où ils sont justifiés au moyen d'une facture produite en pièce 23-1.

La cour de cassation rappelle en effet que le juge ne doit pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis et que les frais de médecin conseil doivent être intégralement remboursés à la victime dès lors qu'ils sont justifiés (civ 1, 22 mai 2019, n°18-14.063).

Il convient en conséquence d'infirmer la décision déférée sur ce poste de préjudice et de condamner l'appelante au paiement de la somme de 4.990,24 euros au titre des frais divers.

Assistance temporaire par tierce personne :

L'indemnisation au titre de l'assistance tierce personne correspond aux dépenses liées à la réduction d'autonomie. Elle doit se faire en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée de sorte que l'indemnité allouée au titre de ce poste de préjudice ne doit pas être réduite en cas d'assistance bénévole par un proche de la victime.

Le premier juge a alloué à la victime la somme totale de 1.170 euros au titre de l'assistance temporaire par une tierce personne sur la base d'un taux horaire de 18 euros considérant que l'état de santé de M. [U] a nécessité une aide humaine d'une heure par jour du 27 décembre 2010 au 1er mars 2011, soit pour une période de 65 jours.

M. [U] critique cette décision uniquement sur le taux horaire retenu par le premier juge et réclame, en se référant à une précédente décision rendue par la cour d'appel de Montpellier le 8 novembre 2019, l'application d'un taux horaire de 20 euros.

La cour constate en premier lieu que la GMF ne conteste pas le principe d'un besoin en assistance tierce personne pour M. [U] et que ne sont pas remis en cause la période de référence ni le nombre d'heures utile à l'assistance de l'intimé.

Sur ce point, l'expert judiciaire a bien retenu le principe de cette assistance avant consolidation du 27 décembre 2010 au 1er mars 2011 sur une fréquence d'une heure par jour.

Par ailleurs, il est de jurisprudence constante qu'en application du principe de la réparation intégrale et quelles que soient les modalités choisies par la victime, la SA GMF est tenue d'indemniser le recours à cette aide humaine indispensable , indemnisation qui ne saurait être réduite en cas d'aide familiale ni subordonnée à la production des justificatifs des dépenses effectuées de telle sorte que l'assistance portée à M. [U] par ses parents est sans conséquence sur l'appréciation du préjudice.

Eu égard à la nature de l'aide requise et du handicap qu'elle est destinée à compenser, l'indemnisation se fera sur la base d'un taux horaire moyen de 20 euros tel qu'habituellement retenu par la cour et la GMF sera condamnée à verser à M. [U] une somme de 1.300 euros.

La décision de première instance sera ainsi infirmée de ce chef de préjudice.

Le déficit fonctionnel permanent :

Le déficit fonctionnel permanent correspond au préjudice non économique lié à la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel de la victime.

Le tribunal a évalué ce poste de préjudice à la somme de 9.200 euros sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5% et d'un point arrêté à 1.840 euros, cette dernière valeur n'étant pas contestée en appel.

M. [U] sollicite l'allocation d'une somme de 22.080 euros se prévalant du taux fixé par l'expert [D] dans un rapport établi le 10 septembre 2012 rédigé ainsi : 22% dont 12% au titre de l'aggravation.

Il convient d'observer que le taux retenu par l'expert judicaire [R] et celui proposé par le docteur [D] sont identiques puisque le déficit fonctionnel permanent est fixé à 22%.

Ceci étant, il est acquis dans le cadre d'une aggravation que le déficit fonctionnel permanent doit s'apprécier en tenant compte du taux d'incapacité initial fixé au cas d'espèce, dans le rapport du 17 septembre 1986, à 17%, lequel vient en déduction, de telle sorte que le taux à retenir au titre du déficit fonctionnel permanent est de 5% (22%-17%).

Il n'est par ailleurs nullement démontré que ce mode de calcul et les taux arrêtés soient erronés de telle sorte que l'appréciation du premier juge sera confirmé en appel.

Le préjudice d'agrément :

Ce poste de dommage vise exclusivement l'impossibilité ou la difficulté pour la victime à poursuivre la pratique d'une activité sportive ou de loisir pratiquait régulièrement.

Le tribunal a débouté M. [U] de cette demande estimant que l'intéressé ne rapportait pas la preuve de la pratique d'une activité sportive, écartant ainsi les attestations produites aux débats sur le constat de témoignages imprécis, non circonstanciés et non corroborés par des pièces objectives.

M. [U] demande en appel l'allocation de la somme de 8.000 euros au motif qu'il a dû cesser les activités qu'il pratiquait régulièrement à savoir le football, la marche, la randonnée, le jogging, la pétanque et la moto.

Dans ses conclusions, l'expert signale que les activités d'agrément sont rendues difficiles par son tableau lombalgique chronique notamment toutes les activités pratiquées avant son accident tout en listant en page 23 de son rapport les activités signalées par la victime identiques à celles revendiquées en appel.

M. [U] produit des attestations établies par des proches et amis, aux termes desquelles ils témoignent de la cessation de la pratique régulière d'activités sportives (la randonnée, la pétanque et le vélo), depuis 2010 en raison de problème de dos, un des témoins évoquant pour sa part un déclin des activités à compter des années 2000.

Si ces attestations sont suffisantes pour établir la pratique d'activités sportives avant l'aggravation des séquelles corporelles et leur réduction a posteriori, le montant de l'indemnisation réclamé par M. [U] doit être cependant revu à la baisse dans la mesure où l'expert fait état d'une limitation et non d'une impossibilité de poursuivre la pratique des activités revendiquées.

Le préjudice d'agrément de M . [U] ainsi établi a été justement réparé par l'allocation de la somme de 3.000 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

4/ Sur les frais accessoires :

Succombant, la SA GMF supportera la charge des dépens d'appel et sera nécessairement débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Elle sera condamnée à payer à M. [U] la somme de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS,

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant par arrêt réputé contradictoire rendu par mise à disposition au greffe en dernier ressort,

Déclare recevables les prétentions relatives à la perte de gains professionnels futurs et à l'incidence professionnelle présentées par M. [H] [U],

Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne la demande d'indemnisation au titre de l'assistance temporaire par tierce personne, des frais divers et du préjudice d'agrément,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Fixe le préjudice corporel de M. [H] [U] de la manière suivante :

Préjudice patrimonial :

-Frais divers''''''''. : 4.990,24 euros,

- Frais d'assistance temporaire par tierce personne:1.300 euros

- Préjudice extra-patrimonial :

-Préjudice d'agrément....................: 3.000 euros,

Condamne la SA GMF à payer à M. [H] [U] ces sommes,

La condamne à payer à M. [H] [U] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 5e chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/05866
Date de la décision : 07/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-07;21.05866 ?
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