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07/05/2024 | FRANCE | N°21/04539

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 5e chambre civile, 07 mai 2024, 21/04539


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



5e chambre civile



ARRET DU 07 MAI 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/04539 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PCUK





Décision déférée à la Cour : Jugement du 09

JUIN 2021

Tribunal Judiciaire de MONTPELLIER

N° RG 19/03419





APPELANTE :



S.A. POLYCLINIQUE [20] S.A. immatriculée au RCS de MONTPELLIER sous le n° 582 680 427, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège social sis

[Adresse 13]

[Localité 11]

Représentée...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

5e chambre civile

ARRET DU 07 MAI 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/04539 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PCUK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 JUIN 2021

Tribunal Judiciaire de MONTPELLIER

N° RG 19/03419

APPELANTE :

S.A. POLYCLINIQUE [20] S.A. immatriculée au RCS de MONTPELLIER sous le n° 582 680 427, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège social sis

[Adresse 13]

[Localité 11]

Représentée par Me Arnaud LAURENT de la SCP SVA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

assistée de Me Sophie MAUREL, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

INTIMES :

Madame [U] [I] ès qualités de victime et

ès qualités d'ayants droits de [Z], [B], [W] [P] né le [Date naissance 1]2014 et décédé le [Date décès 5]2014

née le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 19]

[Adresse 10]

[Localité 12]

Représentée par Me Jérémy BALZARINI de la SCP ADONNE AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER,avocat postulant

assistée Me Christophe DE ARANJO, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

Monsieur [E] [P] ès qualités de victime et

ès qualités d'ayants droits de [Z], [B], [W] [P] né le [Date naissance 1]2014 et décédé le [Date décès 5]2014

né le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 17] (ESPAGNE)

[Adresse 10]

[Localité 12]

Représenté par Me Jérémy BALZARINI de la SCP ADONNE AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER,avocat postulant

assisté Me Christophe DE ARANJO, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

Mademoiselle [R] [N] (soeur de [Z], [B], [W] [P] né le [Date naissance 1]2014 et décédé le [Date décès 5]2014)

née le [Date naissance 3] 1995 à [Localité 19]

[Adresse 15]

[Localité 9] (ESPAGNE)

Représentée par Me Jérémy BALZARINI de la SCP ADONNE AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER,avocat postulant

assistée Me Christophe DE ARANJO, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

Mademoiselle [D] [N] (soeur de [Z], [B], [W] [P] né le [Date naissance 1]2014 et décédé le [Date décès 5]2014)

née le [Date naissance 8] 1999 à [Localité 19]

[Adresse 16]

[Localité 14]

Représentée par Me Jérémy BALZARINI de la SCP ADONNE AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER,avocat postulant

assistée Me Christophe DE ARANJO, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

Mademoiselle [C] [P] (soeur de [Z], [B], [W] [P] né le [Date naissance 1]2014 et décédé le [Date décès 5]2014) représentée par ses parents Madame [U] [I] et Monsieur [E] [P]

née le [Date naissance 6] 2012 à [Localité 11] (34)

[Adresse 10]

[Localité 12]

Représentée par Me Jérémy BALZARINI de la SCP ADONNE AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER,avocat postulant

assistée Me Christophe DE ARANJO, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

Monsieur [J] [T]

né le [Date naissance 4] 1967 à [Localité 11] (34)

Polyclinique [20]

Centre de Gynécologie Obstétrique

[Adresse 13]

[Localité 11]

Représenté par Me Philippe GRILLON de la SCP GRILLON PHILIPPE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant

Ordonnance de clôture du 21 Février 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 MARS 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre

M. Emmanuel GARCIA, Conseiller

Mme Corinne STRUNK, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie SABATON

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre, et par Madame Sylvie SABATON, greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

Mme [U] [I] a été suivie pour sa quatrième grossesse à la Polyclinique [20] à [Localité 11]. Au cours de la grossesse, il a été diagnostiqué un diabète gestationnel insulino-requérant, dans un contexte d'obésité morbide.

Le 14 novembre 2014, en l'état de la suspicion d'une macrosomie, le poids de l'enfant étant estimé alors à 3,5 kilogrammes, il a été décidé du déclenchement de l'accouchement. Mme [U] [I] a ainsi été hospitalisée le 1er décembre 2014, pour un accouchement prévu le lendemain.

Elle a été prise en charge pour cet accouchement par Mme [S] [L], sage-femme salariée de la polyclinique [20], et par le docteur [J] [T].

Elle a été placée en salle d'accouchement à 14 heures 15 et, à 18 heures 08, Mme [S] [L] a procédé à la rupture artificielle des membranes, ensuite de laquelle une procidence de la main est survenue, puis, à 18 heures 22, une procidence du cordon ombilical a été diagnostiquée.

Le docteur [J] [T] a alors décidé de pratiquer une césarienne en urgence.

L'enfant [Z] est né à 18 heures 45, avec un score d'Apgar à 0/7.

Il a en conséquence été transféré au centre hospitalier de [Localité 18], où il est décédé le [Date décès 5] 2014.

Le 11 janvier 2016, Mme [U] [I] et M. [E] [P], parents de l'enfant, et leurs trois autres enfants ont saisi la commission de conciliation d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) qui, par décisions en date des 13 janvier et 8 février 2016, a ordonné une expertise confiée au professeur [O] [V], expert en gynécologie-obstétrique, et au docteur [F] [A], expert en pédiatrie.

Le rapport d'expertise a été déposé le 22 septembre 2016.

Par décision du 23 février 2017, la CCI a retenu la responsabilité de la polyclinique [20], dans la limite de 50 % des préjudices subis.

N'ayant reçu aucune offre d'indemnisation officielle de la compagnie AXA, assureur de la polyclinique [20], par acte du 26 juin 2019, Mme [U] [I], M. [E] [P] et les s'urs de l'enfant [Z], Mme [R] [N], Mme [D] [N] et Mme [C] [P] ont fait assigner la polyclinique [20] ainsi que le docteur [J] [T] aux fins d'indemnisation de leurs préjudices et, subsidiairement, afin de voir ordonner une expertise complémentaire.

Par jugement rendu le 9 juin 2021, le tribunal judiciaire de Montpellier a :

Dit que la polyclinique [20] était responsable tenant la faute médicale commise par sa salariée, Mme [S] [L], sage-femme, lors de l'accouchement de Mme [U] [I], entraînant une perte de chance de 75 % pour l'enfant [Z], né le [Date naissance 7] 2014 et décédé le [Date décès 5] 2014, de ne pas subir une procidence du cordon qui a conduit à son décès ;

Dit que la polyclinique [20] était en conséquence tenue d'indemniser le préjudice résultant des conséquences dommageables de cette faute ;

Fixé le montant des préjudices subis par l'enfant [Z], au titre de l'action successorale, à la somme totale de 26 526 euros ;

Dit que cette somme devait être répartie conformément aux règles de dévolution successorale prévues à l'article 738 du code civil, soit un quart, à chacun des père et mère et, la moitié restante, aux frères et s'urs ;

Condamné en conséquence la polyclinique [20] à payer à Mme [U] [I] et à M. [E] [P], parents de l'enfant [Z], au titre de l'action successorale, à chacun la somme de 6 631,50 euros ;

Dit que le surplus de l'indemnisation du préjudice de l'enfant [Z], soit la somme de 13 263 euros, devra être répartie entre ses s'urs, soit Mmes [R] [N], [D] [N] et [C] [P] ;

Condamné la polyclinique [20] à payer à Mme [U] [I] et à M. [E] [P], au titre de leur préjudice d'affection et d'accompagnement, à chacun, la somme de 20 000 euros ;

Condamné la polyclinique [20] à payer à Mme [U] [I] et à M. [E] [P] la somme de 366,80 euros au titre des frais de déplacement, et la somme de 6 465,80 euros au titre des frais d'obsèques ;

Condamné la polyclinique [20] à payer à Mme [R] [N], Mme [D] [N] et Mme [C] [G] la somme de 4 500 euros, à chacune, au titre de leur préjudice d'affection et d'accompagnement ;

Dit que les sommes allouées porteraient intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

Dit que les intérêts dus pour une année entière porteraient eux-mêmes intérêts ;

Dit qu'en ce qui concerne Mme [C] [P], mineure, compte tenu des sommes qui lui ont été allouées, une copie du présent jugement serait adressée au juge des tutelles du lieu de son domicile ;

Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;

Condamné la polyclinique [20] à payer en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à Mme [U] [I], M. [E] [P], Mme [R] [N] et Mme [D] [N] la somme de 4 000 euros, et à M. [J] [T] la somme de 2 000 euros ;

Rejeté les demandes formées à l'encontre de M. [J] [T] ;

Rejeté le surplus des demandes ;

Condamné la polyclinique [20] aux dépens, dont distraction au profit de maître Philippe Grillon, avocat de M. [J] [T], pour les dépens engagés pour le compte de ce dernier.

Pour l'essentiel, sur les responsabilités, les premiers juges ont relevé du rapport d'expertise que l'enfant [Z] [P] était décédé des suites d'une encéphalopathie anoxo-ischémique, en lien direct et certain, selon les experts, avec la procidence du cordon, laquelle avait été favorisée par la rupture artificielle de la poche des eaux, pratiquée par la sage-femme, de son propre chef, rupture qu'ils ont qualifiée comme « imprudente » ou « intempestive » et qui « n'était pas médicalement indiquée », de sorte que les expertes ont conclu à un accident médical fautif, sous la responsabilité de la sage-femme, et qu'aucune faute ne pouvait être caractérisée à l'encontre du docteur [J] [T].

Les premiers juges ont relevé à ce titre du rapport d'expertise que cette procidence aurait pu survenir indépendamment de la rupture artificielle des membranes et qu'il était impossible de savoir comment aurait évolué le travail ou à quel moment serait survenue la rupture des membranes dès lors que Mme [U] [I] présentait par ailleurs plusieurs facteurs, en l'occurrence un excès de liquide amniotique et une multiparité, favorisant un risque de procidence du cordon dans le cadre d'une rupture des membranes spontanée, de sorte que les expertes ont rappelé que « la rupture intempestive des membranes est responsable à 50 % de la survenue d'une procidence du cordon et de 50 % des séquelles présentées par l'enfant ».

En considération de cette lecture, les premiers juges ont retenu que le préjudice subi par l'enfant [Z] [P] devait être analysé comme étant une perte de chance de ne pas subir une procidence du cordon qui conduira à son décès qui, au regard des circonstances de l'espèce, de la nature de la faute commise, des trois précédents accouchements de Mme [U] [I] qui, aux termes de l'expertise s'étaient déroulés normalement et sans qu'il soit démontré qu'elle se trouvait alors sur le plan physique et de sa santé dans une situation différente de celle présentée lors de l'accouchement litigieux, qu'ils ont fixée à 75 %.

La polyclinique [20] a relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe du 13 juillet 2021.

Dans ses dernières conclusions du 18 mars 2022, la polyclinique [20] demande à la cour de :

« Vu l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique,

Vu le rapport d'expertise CCI du Pr [V] et du Dr [A],

Vu les pièces produites,

Vu le jugement du 9 juin 2021 du tribunal judiciaire de Montpellier ;

A titre principal,

Dire et juger qu'aucune faute n'est imputable à polyclinique [20] ayant un lien de causalité direct, certain et exclusif avec le décès d'[Z] [P] ;

En conséquence,

Réformer le jugement dont appel en ce qu'il a dit que la Polyclinique [20] était responsable tenant la faute médicale commise par sa salariée Mme [L], sage-femme, lors de l'accouchement de Mme [I], entraînant une perte de chance de 75 % pour l'enfant [Z] né le [Date naissance 7] 2014 et décédé le [Date décès 5] 2014 de ne pas subir une procidence du cordon qui conduira à son décès ;

Et, statuant à nouveau,

Débouter les consorts [P]-[I] de l'intégralité de leurs demandes dirigées à l'encontre de polyclinique [20] ;

Débouter les consorts [P]-[I] de leur appel incident tendant à voir réformer le jugement en ce qu'il a dit que polyclinique [20] était responsable tenant la faute médicale commise par sa salariée Mme [L], sage-femme, lors de l'accouchement de Mme [I], entraînant une perte de chance de 75 % pour l'enfant [Z] né le [Date naissance 7] 2014 et décédé le [Date décès 5] 2014 de ne pas subir une procidence du cordon qui conduira à son décès ;

Les débouter de leur demande tendant à voir réformer le jugement en ce qu'il a fait courir les intérêts à compter du jugement rendu ;

A titre subsidiaire,

Constater que le retard de prise en charge retenu à l'encontre de la sage-femme salariée de polyclinique [20] est dépourvu d'incidence médico-légale ;

Constater que la sage-femme salariée de polyclinique [20] a procédé à une rupture prématurée des membranes ayant pu favoriser la survenue de la procidence du cordon, étant rappelé que Mme [I] présentait plusieurs facteurs de risques favorisant la survenue de cette procidence ;

Constater qu'une procidence du cordon aurait ainsi pu survenir en dehors d'une rupture artificielle des membranes, les membranes pouvant se rompre spontanément ;

Constater que la rupture de la poche des eaux sur une présentation appliquée, avec une stagnation de la dilatation depuis 2 heures malgré la perfusion de Syntocinon, avec un rythme cardiaque f'tal normal, était conforme aux règles de l'art ;

En conséquence,

Réformer le jugement dont appel en ce qu'il fixé un taux de perte de chance de 75 % pour l'enfant [Z] né le [Date naissance 7] 2014 et décédé le [Date décès 5] 2014 de ne pas subir une procidence du cordon qui conduira à son décès ;

Et, statuant à nouveau,

Relever que la rupture prématurée des membranes opérée par la sage-femme salariée de polyclinique [20] peut être à l'origine d'une perte de chance qui ne saurait être supérieure à 30 % ;

Relever que seuls les préjudices en lien exclusif, direct et certain avec cette perte de chance pourront faire l'objet d'une offre d'indemnisation ;

A titre infiniment subsidiaire,

Si par extraordinaire, la cour devait estimer que la perte de chance s'évaluait à 50 %, alors même qu'il a été précédemment démontré que tel n'était pas le cas,

Homologuer le rapport d'expertise établi par le Pr [V] et le Dr [A] ;

Réformer le jugement dont appel en ce qu'il fixé un taux de perte de chance de 75 % pour l'enfant [Z] né le [Date naissance 7] 2014 et décédé le [Date décès 5] 2014 de ne pas subir une procidence du cordon qui conduira à son décès ;

Relever que la rupture prématurée des membranes opérée par la sage-femme salariée de polyclinique [20] peut être à l'origine d'une perte de chance qui ne saurait être supérieure à 50 % ;

Dire et juger que la liquidation des préjudices des consorts [P]-[I] interviendra tel qu'il suit, avant application du pourcentage de perte de chance retenu :

352 euros au titre du DFTT, en conséquence réformer le jugement dont appel en ce qu'il a fixé l'indemnisation à 368 euros,

30 000 euros au titre des souffrances endurées, en conséquence réformer le jugement dont appel en ce qu'il a fixé l'indemnisation à 35 000 euros,

8 621,07 euros au titre des frais d'obsèques, en conséquence confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a fixé l'indemnisation à 8 621,07 euros,

489,06 euros au titre des frais de déplacement, en conséquence confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a fixé l'indemnisation à 489,06 euros,

15 000 euros à chacun des parents au titre de leur préjudice d'affection et d'accompagnement, en conséquence réformer le jugement dont appel en ce qu'il a fixé l'indemnisation à 20 000 euros à chacun des parents,

6 000 euros à Mesdemoiselles [R] [N], [D] [N] et [C] [N] au titre de leur préjudice d'affectation et d'accompagnement, en conséquence confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a fixé l'indemnisation à 6 000 euros,

frais d'assistance par le Dr [K], débouté, en conséquence confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté les consorts [P]-[I] de cette demande ;

En tout état de cause,

Débouter les consorts [P]-[I] de leur demande tendant à voir reconnaître une prétendue faute quant à l'absence de mesure du Ph au cordon, mais également dans la réalisation de la césarienne et sur l'appréciation du rythme cardiaque f'tal, en ce qu'elles sont infondées et injustifiées, l'avis technique médical du Dr [K] étant au plus fort dépourvu de valeur juridique et probatoire ;

En conséquence,

Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il n'a retenu aucune faute de ce chef ;

Ramener à de plus justes mesures les frais irrépétibles de première instance et d'appel. »

Pour l'essentiel et sur sa responsabilité, la polyclinique [20] avance que les explications données a posteriori par la sage-femme n'ont pas été prises en compte dans l'analyse des faits de l'espèce, ni dans le cadre du rapport d'expertise, ni devant le tribunal judiciaire.

S'agissant de la rupture artificielle des membranes, l'appelante soutient qu'aucun élément certain ne permet de prouver l'existence d'une faute pouvant lui être imputée.

A ce titre, la polyclinique [20] entend souligner que si les expertes ont retenu l'existence d'une faute au motif que la rupture des membranes avait été notamment pratiquée dans un contexte d'excès de liquide amniotique, il n'existe pourtant pas, selon elle, dans le dossier médical de la clinique de notion d'hydramnios en fin de grossesse, qu'elle n'a pas eu communication du dossier de surveillance de grossesse de Mme [U] [I] par le docteur [J] [T] dans le cadre de la réunion d'expertise, que les seuls comptes-rendus d'examens ont été ceux du dossier de la clinique et que l'excès de liquide amniotique n'y était pas noté, de sorte que cette particularité n'était pas connue de la sage-femme le jour de l'accouchement et, qu'ainsi, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir pris en compte la majoration du risque de procidence du cordon lié à cet excès de liquide lors de la rupture des membranes alors qu'elle n'en avait pas été informée par l'accoucheur.

Au surplus, l'appelante avance que les expertes n'ont pas pris en compte le récit établi par la sage-femme le 10 juin 2016, qui leur avait été pourtant adressé, étant précisé que Mme [S] [L] était absente lors de la réunion d'expertise du 7 juin 2016, étant alors hospitalisée à cette date pour son accouchement, que néanmoins, elle avait ultérieurement adressé trois jours après la réunion d'expertise un historique circonstancié et complet retraçant les faits, en exposant notamment qu'elle avait « décidé de rompre la poche pour accélérer le travail ayant une cinétique des contractions satisfaisante et une analgésie péridurale fonctionnelle », qu'ainsi, contrairement aux observations des expertes, en page 24 de leur rapport, elle n'a donc pas rompu les membranes à cause de « deux anomalies de rythme cardiaque f'tal peu sévères », mais pour accélérer le travail, ceci conformément aux bonnes pratiques.

La polyclinique [20] estime ainsi que le professeur [O] [V] a jugé a postériori que la rupture était fautive sans prendre en compte les explications de la sage-femme puisqu'elle n'a pas noté dans son rapport sa version des faits, qui lui avait été adressée sur sa demande après la réunion d'expertise, qu'ainsi, la description des conditions de cette rupture par l'experte ne correspond pas à la réalité des faits, alors qu'aucune faute n'est imputable à la sage-femme, celle-ci ayant réalisé la rupture conformément aux règles de l'art, de sorte que le jugement dont appel doit être infirmé en ce qu'il a retenu sa responsabilité.

Dans leurs dernières conclusions du 20 décembre 2021, les consorts [P]-[I] demandent à la cour de :

« Vu l'article 1142-1 du code de la santé publique,

Vu l'article 1384 ancien du code civil, devenu 1242, et la jurisprudence d'application dite Costedoat ;

A titre principal,

Réformer le jugement dont appel en ce qu'il a dit que la polyclinique [20] était responsable tenant la faute médicale commise par sa salariée, Mme [L], sage-femme, lors de l'accouchement de Mme [I], entraînant une perte de chance de 75 % pour l'enfant [Z] né le [Date naissance 7] 2014 et décédé le [Date décès 5] 2014 de ne pas subir une procidence du cordon qui conduira à son décès ;

Réformer le jugement en ce qu'il a fait courir les intérêts à compter du jugement rendu ;

Réformer le jugement en ce qu'il a forfaitairement alloué 4 000 euros d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

Condamner in solidum la polyclinique [20] et M. [T] à indemniser les concluants en leur allouant les indemnités suivantes :

Mme [U] [I] et M. [E] [P]

35 368,00 euros en réparation du préjudice personnel souffert par [Z] et recueilli dans leur patrimoine,

11 310,13 euros en réparation de leur préjudice matériel,

30 000,00 euros chacun au titre de leur préjudice d'affection et d'accompagnement ;

Mlle [R] [H] [Y] [N], 10 000 euros au titre de son préjudice d'affection et d'accompagnement,

Mlle [D] [H] [Y] [N], 10 000 euros au titre de son préjudice d'affection et d'accompagnement,

Mlle [C] [M] [Y] [P], 10 000 euros au titre de son préjudice d'affection et d'accompagnement ;

Dire que ces condamnations porteront intérêts à compter de l'assignation ;

Ordonner la capitalisation des intérêts ;

Condamner in solidum la polyclinique [20] et M. [T] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à payer aux requérants une somme calculée sur la base de 10 % HT des indemnités allouées représentant le montant des honoraires conventionnellement fixés ainsi qu'aux entiers dépens ;

A titre subsidiaire,

Confirmer le jugement rendu dans toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a forfaitairement alloué 4 000 euros d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Y ajoutant,

Condamner in solidum les requis, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à payer aux requérants une somme calculée sur la base de 10 % HT des indemnités allouées représentant le montant des honoraires conventionnellement fixés, ainsi qu'aux entiers dépens. »

Sur la responsabilité de la polyclinique [20] et du docteur [J] [T], les consorts [P]-[I], reprenant les conclusions des expertes, estiment qu'il est établi que la faute de la sage-femme a augmenté de manière très significative le risque de procidence du cordon, risque qui s'est réalisé, et que cette faute ne peut profiter aux professionnels de santé, qui doivent donc l'indemnisation intégrale du préjudice subi et non seulement limitée à 50 %, considérant pour l'essentiel que le taux de risque de procidence auquel elle a été exposé donc été multiplié, non pas par deux mais par 250 à 300, sauf à démontrer par exemple que l'hydramnios ou la multiparité sont des facteurs aussi impactants que la rupture artificielle des membranes, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Dans ses dernières conclusions du 30 décembre 2021, le docteur [J] [T] demande à la cour de :

« Vu l'article L. 1152-1 du code de la santé publique,

Vu les articles 06, 09, 696 et 700 du code de procédure civile,

Vu les pièces produites,

Vu le rapport d'expertise CCI du professeur [V] et du docteur [A] ;

Il est demandé à la cour d'appel de Montpellier de bien vouloir,

Sur la saisine de la cour,

Juger que la cour n'est saisie d'aucune demande d'infirmation et/ou de réformation concernant les dispositions ayant mis hors de cause le docteur [J] [T] ;

Juger que les demandes formulées à l'encontre du docteur [J] [T] sont irrecevables ;

Sur la responsabilité du docteur [J] [T],

Confirmer le jugement attaqué, en ce qu'il a considéré que :

« Aucune faute n'est caractérisée à l'endroit du docteur [J] [T] »,

« Rejeté les demandes formées à l'encontre de docteur [J] [T] » ;

Juger que le docteur [J] [T] n'a commis aucune faute, ayant un lien de causalité direct, certain et exclusif avec le décès d'[Z] [P] ;

Débouter la Polyclinique [20] et les consorts [I]-[P]-[N] de toute demande à l'égard du docteur [J] [T] ;

Sur la responsabilité de la polyclinique [20],

Donner acte au docteur [J] [T] du fait qu'il s'en remet à justice concernant l'existence d'une faute commise par la Polyclinique [20] ;

Donner acte au docteur [J] [T] du fait qu'il s'en remet à justice concernant l'éventuelle perte de chance liée à cette faute ;

Donner acte au docteur [J] [T] du fait qu'il s'en remet à justice concernant les préjudices en lien avec la faute de la Polyclinique [20] ;

Statuer ce que de droit sur la question de la responsabilité de la Polyclinique [20] ;

Sur les dépens et frais irrépétibles,

Confirmer le jugement attaqué, en ce qu'il a :

« Condamné la polyclinique [20] à payer en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au docteur [J] [T] la somme de 2 000 euros » ;

Y ajoutant,

Condamner la polyclinique [20] à payer au docteur [J] [T] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner les consorts [I]-[P]-[N] à payer docteur [J] [T] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouter la polyclinique et les consorts [I]-[P]-[N] de toute demande au titre de l'article 700 et des dépens à l'égard du docteur [J] [T] ;

Condamner la polyclinique [20] ou tout succombant aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de maître Grillon, sur son affirmation de droit et au visa de l'article 699 du code de procédure civile. »

Pour l'essentiel, le docteur [J] [T] rappelle que le tribunal n'a retenu aucune faute à son encontre et que la polyclinique [20], appelante principale, ne conteste pas cette mise hors de cause et ne formule aucun grief à son encontre, de sorte que la cour n'est pas saisie d'une demande tendant à obtenir l'infirmation du jugement sur ce point.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 21 février 2024 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 13 mars 2024 pour y être plaidée.

MOTIFS

1. Sur la responsabilité de la polyclinique [20]

L'article L. 1142-1 du code de la santé publique dispose en son premier alinéa que hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Constitue une faute au sens de ce texte toute violation, même involontaire, par le praticien ou les préposés de l'établissement de soins de leur obligation de donner des soins attentifs, consciencieux et, sous réserve de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science, que ce soit dans la phase de diagnostic et d'investigations préalables, de traitement lui-même ou de suivi.

La preuve de l'existence d'une faute incombe au patient, dès lors que les professionnels de santé et les établissements de soins ne sont soumis qu'à une obligation de moyens, et non de résultat, et peut être rapportée par tous moyens.

S'agissant de la rupture artificielle des membranes, ou amniotomie, réalisée de sa seule initiative par Mme [S] [L], sage-femme salariée de la polyclinique [20], les premiers juges ont retenu que l'état d'anoxo-ischémie qu'a présenté l'enfant [Z] à la naissance était en lien direct et certain avec la procidence du cordon, qui a été favorisée par la rupture artificielle de la poche des eaux, ce qui n'est pas contesté en cause d'appel.

Sur la question de savoir si cette rupture artificielle était fautive, les premiers juges, tirant lecture du rapport du professeur [O] [V], experte en gynécologie-obstétrique, et du docteur [F] [A], experte en pédiatrie, ont retenu qu'elles l'avaient qualifiée d'« imprudente » ou « intempestive », que cette amniotomie « n'était pas médicalement indiquée » car « pratiquée sur une présentation haute et mobile alors même que le travail progressait normalement et dans un contexte d'excès de liquide amniotique », les expertes précisant qu'« il ne s'agit pas d'une affection iatrogène mais d'un accident médical fautif sous la responsabilité de la sage-femme ».

Toutefois, comme le soutient justement la polyclinique [20], pour que la faute de la sage-femme soit établie, il faut qu'elle ait eu connaissance de ce contexte d'excès de liquide amniotique, c'est-à-dire qu'il exista dans le dossier médical de l'établissement la notion d'hydramnios en fin de grossesse.

Or, cet élément n'est rapporté ni par les expertes ni par les consorts [P]-[I], de sorte qu'il ne peut en conséquence être fait reproche à Mme [S] [L] de ne pas avoir pris en compte la majoration du risque de procidence du cordon liée à cet excès de liquide amniotique, consécutivement à la rupture artificielle des membranes, dont il n'est pas démontré, au cas d'espèce, qu'elle aurait été fautive en dehors de ce contexte, étant souligné que l'amniotomie est l'un des gestes obstétricaux les plus couramment réalisés par la sage-femme en salle de naissances, au cours du travail, geste médical autorisé par les dispositions de l'article

R. 4127-318 du code de la santé publique, dont il n'est également pas rapporté qu'il n'aurait pas été réalisé, au cas d'espèce, conformément aux données acquises de la science.

A ce titre, la cour relève du courrier de Mme [S] [L] du 10 juin 2016, rédigé trois jours après la réunion d'expertise qui s'est tenue le 7 juin 2016, à laquelle elle n'a pu assister car hospitalisée à ce moment, et qui consiste en un historique circonstancié des faits, éléments factuels qui n'ont pas été pris en compte par les expertes dans leur rapport du 22 septembre 2016, qu'elle y indiquait notamment que :

« A 17h15, l'examen du col était identique à celui de 16h15 et il en sera de même à 18h05.

La présentation céphalique étant alors appliquée, j'ai décidé de rompre la poche pour accélérer le travail ayant une cinétique des contractions satisfaisante et une analgésie péridurale fonctionnelle ».

Ainsi, il en ressort que Mme [S] [L] n'a pas rompu les membranes à cause de « deux anomalies de rythme cardiaque f'tal peu sévères », comme ont pu l'indiquer les expertes en page 24 de leur rapport, mais pour accélérer le travail.

Cette version n'étant pas contredite, puisque non débattue contradictoirement devant les expertes, et à défaut de toute preuve contraire rapportée par les consorts [P]-[I], il doit être retenu qu'en l'état des informations qui étaient à sa dispositions, les soins dispensés par Mme [S] [L], en sa qualité de sage-femme, ont été attentifs et consciencieux, conformes aux données acquises de la science et réalisés dans le périmètre de ses compétences, telles que prévues par les articles R. 4127-301 et suivants du code de la santé publique.

Il s'ensuit que même si le lien de causalité est établi entre la rupture artificielle des membranes et le décès de l'enfant [Z], il ne peut être retenu une faute à l'encontre de Mme [S] [L], de sorte que le jugement dont appel sera infirmé en ce qu'il l'a déclarée responsable des conséquences de cet acte.

Il s'ensuit que le jugement sera infirmé en ce qu'il a dit que la polyclinique [20] était responsable tenant la faute médicale commise par sa salariée, Mme [S] [L], sage-femme, lors de l'accouchement de Mme [U] [I], entraînant une perte de chance de 75 % pour l'enfant [Z], né le [Date naissance 7] 2014 et décédé le [Date décès 5] 2014, de ne pas subir une procidence du cordon qui conduira à son décès.

2. Sur la responsabilité du docteur [J] [T]

Comme l'avance justement le docteur [J] [T], le tribunal n'a retenu aucune faute à son encontre, ce qui n'est contesté en cause d'appel ni par la polyclinique [20], appelante principale, ni par les consorts [P]-[I], qui reprennent pour l'essentiel les moyens soutenus en première instance, sans apporter de critique utile aux motifs pris par les premiers juges, qui ont retenus que les manquements soutenus par eux étaient sans lien de causalité avec le décès de l'enfant [Z] et les préjudices subis en conséquence de ce décès, surtout, les consorts [P]-[I] ne demandent pas l'infirmation du jugement dont appel en ce qu'il a rejeté la responsabilité du docteur [J] [T], de sorte que la cour n'est pas valablement saisie d'une demande de condamnation à son encontre.

Il suit de ce qui précède que le jugement rendu le 9 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Montpellier sera infirmé en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes formées à l'encontre de M. [J] [T].

3. Sur les dépens et les frais non remboursables

Le jugement sera également infirmé en ce qui concerne les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les consorts [P]-[I] seront condamnés aux dépens de l'appel, avec droit de recouvrement direct au bénéfice des avocats qui peuvent y prétendre.

Il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe ;

INFIRME le jugement rendu le 9 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Montpellier, en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes formées à l'encontre de M. [J] [T] ;

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais non remboursables d'appel ;

CONDAMNE les consorts [P]-[I] aux dépens de l'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre, le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 5e chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/04539
Date de la décision : 07/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-07;21.04539 ?
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