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07/05/2024 | FRANCE | N°21/04508

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 5e chambre civile, 07 mai 2024, 21/04508


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



5e chambre civile



ARRET DU 07 MAI 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/04508 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PCSM





Décision déférée à la Cour : Jugement du 19

AVRIL 2021

Tribuanl Judiciaire de BEZIERS

N° RG 18/01055





APPELANT :



Monsieur [L] [J] mineur représenté par son père Monsieur [M] [J] et par sa mère Madame [D] [J], ès qualités de représentants légaux de leur enfant mineur

né le [Date naissance 2] 2009 à [Localité 13] (ESPAGNE)

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représ...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

5e chambre civile

ARRET DU 07 MAI 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/04508 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PCSM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 AVRIL 2021

Tribuanl Judiciaire de BEZIERS

N° RG 18/01055

APPELANT :

Monsieur [L] [J] mineur représenté par son père Monsieur [M] [J] et par sa mère Madame [D] [J], ès qualités de représentants légaux de leur enfant mineur

né le [Date naissance 2] 2009 à [Localité 13] (ESPAGNE)

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représenté par Me Jean-François ANDUJAR de la SCP 2A 2C, avocat au barreau de BEZIERS, avocat postulant

assisté de Me Emily APOLLIS, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Jean-François ANDUJAR, avocat au barreau de BEZIERS, avocat plaidant

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/007871 du 16/06/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER)

INTIMES :

Monsieur [A] [Z]

né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 14]

[Adresse 9]

[Localité 7]

Représenté par Me Mélanie BAUDARD, avocat au barreau de BEZIERS postulant non plaidant

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/001393 du 16/02/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER)

ordonnance d'irrecevabilité des conclusions déposées le 2 mai 2022 en date du 23 juin 2022

S.A. SOGESSUR Société Anonyme immatriculée au RCS de Nanterre sous le n°379.846.637, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités audit siège social

[Adresse 3]

[Localité 11]

Représentée par Me Marie Pierre VEDEL SALLES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

assistée de Me Marie Pierre VEDEL SALLES, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Nicolas STOEBER, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

MUTUALITÉ SOCIALE AGRICOLE DU LANGUEDOC ROUSSILLON prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés ès qualités au siège

[Adresse 8]

[Localité 5]

Assignée le 2 septembre 2021- A personne habilitée

U.R.S.S.A.F. LANGUEDOC ROUSSILLON venant aux droits du RSI LANGUEDOC ROUSSILLON, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés au siège

[Adresse 4]

[Localité 5]

Assignée le 2 septembre 2021- A personne habilitée

Ordonnance de clôture du 21 Février 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 MARS 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre

M. Emmanuel GARCIA, Conseiller

Mme Corinne STRUNK, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie SABATON

ARRET :

- réputé contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre, et par Madame Sylvie SABATON, greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

Suivant contrat de bail en date du 29 décembre 2009, les époux [J] ont pris en location un immeuble d'habitation appartenant alors à M. et Mme [E], situé [Adresse 10]). L'immeuble a, par la suite, été vendu à Monsieur [A] [Z], assuré auprès de la SA Sogessur sous le contrat n° 47823612.

Le 30 septembre 2011, le jeune [L] [J], fils des époux [J], âgé de deux ans, a fait une chute de plusieurs mètres après avoir escaladé la fenêtre de sa chambre.

Il a immédiatement été transporté au centre hospitalier de [Localité 12]. Le certificat médical établi à la date du 6 octobre 2011 fera état :

- D'un traumatisme crânio-facial avec obnubilation transitoire,

- D'une dermabrasion du front de 4 cm de diamètre,

- D'une plaie transfixiante de la lèvre inférieure,

- D'une fissure de la branche montante maxillaire supérieure paranasale droite avec hématome de la région nasogénienne droite,

- D'une dermabrasion avec plaie superficielle sous-costale droite de huit centimètres,

- De troubles psychologiques post-traumatiques.

M. [L] [J] a fait l'objet d'hospitalisations et d'interventions chirurgicales, présentant une paralysie faciale ainsi qu'un trouble de l'audition.

Suivant ordonnance de référé en date du 12 juillet 2013, deux expertises ont été ordonnées, l'une visant à déterminer la conformité des équipements du logement loué aux normes de sécurité et l'autre étant une expertise médicale de l'enfant.

L'expert immobilier M. [T] a déposé son rapport le 29 octobre 2013.

L'expert médical, le docteur [O] [H], a déposé son rapport le 28 octobre 2013 et indiquait qu'au jour de l'accédit, l'état de santé de M. [L] [J] n'était pas encore consolidé.

Par ordonnance de référé du 17 février 2017, une nouvelle expertise médicale a été ordonnée et confiée au docteur [O] [H], qui a déposé son rapport définitif le 24 juillet 2017.

Les tentatives de règlement amiable du litige étant demeurées infructueuses, M. [M] [J], en sa qualité de représentant légal de son fils, M. [L] [J], a saisi le tribunal de grande instance de Béziers, par assignation au fond du 26 mars 2018, à l'encontre de M. [A] [Z], son bailleur, et de la société Sogessur, assureur multirisques habitation sollicitant l'indemnisation des séquelles corporelles de son fils, consécutives à sa chute.

Par jugement réputé contradictoire rendu le 19 avril 2021, le tribunal judiciaire de Béziers :

Déclare irrecevable la demande de M. [M] [J] ès qualités d'administrateur légal de son fils mineur [L] fondée sur la responsabilité délictuelle de son bailleur, M. [A] [Z] ;

Reçoit la demande fondée sur la responsabilité contractuelle du bailleur ;

Au fond, rejette la demande d'indemnisation de M. [L] [J] représenté par son père M. [M] [J] ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [L] [J] représenté par son père M. [M] [J] aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise.

Le tribunal a retenu que l'action de M. [L] [J] fondée sur la responsabilité contractuelle de M. [A] [Z] devait être déclarée recevable dès lors que ce dernier était lié par un contrat de bail avec les époux [J] et devait donc, au titre de sa responsabilité contractuelle, garantir, envers le preneur et les occupants de son chef, le logement de tous les vices et défauts de la chose louée quand bien même il ne les aurait pas connus lors du bail. Il a également retenu que l'action en responsabilité délictuelle devait être déclarée irrecevable sur le fondement du principe de non-cumul des responsabilités.

Pour le tribunal il apparaissait que l'état de l'appartement loué ne pouvait être considéré comme la cause immédiate du dommage subi par l'enfant. Le premier juge a retenu que le non-respect de la réglementation concernant la barre d'appui de la fenêtre située à 94,5 cm de hauteur par rapport au plancher, n'était pas à l'origine immédiate de l'accident survenu dès lors que M. [L] [J] aurait pu, de la même façon, escalader et passer par-dessus un garde-corps régulièrement installé à 1 mètre. Il ajoute que la première responsabilité envisageable était celle des parents pour défaut de surveillance manifeste de leur très jeune enfant, aggravé par le fait qu'ils avaient nécessairement conscience du caractère dangereux de la fenêtre en question.

M. [L] [J], représenté par M. [M] [J] et Mme [D] [J] ès qualités de représentants légaux de l'enfant mineur, a relevé appel de la décision par déclaration au greffe du 12 juillet 2021.

Les dernières conclusions des appelants ont été notifiées par RPVA le 7 mars 2022,

Les dernières conclusions de M. [Z] ont été notifiées par RPVA le 2 mai 2022.

Les dernières conclusions de la SA Sogessur ont été notifiées par RPVA le 11 juillet 2022.

Par ordonnance rendue le 23 juin 2022, le magistrat chargé de la mise en état a prononcé l'irrecevabilité des conclusions déposées le 2 mai 2022 par Me [I] aux intérêts de M. [A] [Z].

Dans leurs dernières conclusions du 7 mars 2022, M. [L] [J], représenté par M. [M] [J] et Mme [D] [J] agissant en qualité de représentants légaux de leur fils mineur, demande à la cour de :

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Béziers ;

Dire et juger que M. [A] [Z] a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle ;

Dire et juger que la faute commise par M. [A] [Z] est la cause exclusive du préjudice subi par M. [L] [J] ;

Condamner solidairement M. [A] [Z] et la S.A Sogessur prise en la personne de son représentant légal en exercice à payer à M. [L] [J] représenté par M. [M] [J] et Mme [D] [J] agissant en qualité de représentants légaux de leur fils mineur, M. [L] [J], les sommes suivantes :

Déficit fonctionnel temporaire total : 1.120 euros,

Déficit fonctionnel temporaire partiel : 11.944 euros,

Préjudice esthétique temporaire : 6.000 euros,

Souffrances endurées : 20.000 euros,

Préjudice esthétique après consolidation :10.000 euros,

Déficit fonctionnel permanent : 22.000 euros ;

Condamner solidairement M. [A] [Z] et la S.A Sogessur prise en la personne de son représentant légal en exercice à payer à M. [L] [J] représenté par M. [M] [J] et Mme [D] [J] agissant en qualité de représentants légaux de leur fils mineur, M. [L] [J], la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner solidairement M. [A] [Z] et la S.A Sogessur prise en la personne de son représentant légal en exercice aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais des expertises judiciaires.

Les appelants soutiennent que M. [A] [Z], bailleur, est le responsable exclusif du dommage et qu'il est soumis à l'obligation de délivrer un logement qui ne présente aucun risque pour la santé et la sécurité de ses occupants.

Ils font valoir que le rapport d'expertise du 29 octobre 2013 conclut en faveur de la non-conformité du logement aux prescriptions du décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 issu de l'article 6 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 et plus particulièrement s'agissant de la hauteur de la barre d'appui placée à 88 cm du sol et non à 1 mètre comme le prévoient les dispositions légales. Il ajoute que la distance sous la barre d'appui est de 36,5 cm et non 18 cm comme le prévoit la réglementation en vigueur (NF P01-012).

Les appelants précisent que l'étendoir, sur lequel leur fils a pris appui et qui a entrainé sa chute, n'a pas été installé par leurs soins mais était bien présent lorsque la famille a pris possession du logement en 2009, excluant de ce fait leur responsabilité. En outre, ils affirment que le défaut de surveillance des parents à l'égard de leur enfant mineur n'est pas une cause d'exonération de la responsabilité contractuelle du bailleur alors que le défaut de conformité du logement a été constaté par l'expert judiciaire.

Ils sollicitent en conséquence l'indemnisation des préjudices d'[L] sur la base du rapport du docteur [O] [H] en retenant la date de consolidation du 14 novembre 2015 et conformément à la jurisprudence habituelle.

Dans ses dernières conclusions du 11 juillet 2022, la S.A Sogessur, prise en la personne de son représentant légal en exercice, demande à la cour de :

A titre principal,

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Juger que constitue un manque de surveillance caractérisé, cause exclusive de l'accident, le fait d'avoir laissé seul le jeune [L], enfant de 2 ans, dans la pièce d'un appartement du troisième étage, dont la fenêtre munie d'un étendoir à linge avait été préalablement ouverte ;

Débouter M. et Mme [J] de toutes leurs demandes ;

Subsidiairement,

Limiter la part de responsabilité de M. [A] [Z] à une proportion de 10% ;

Plus subsidiairement, sur le quantum des réclamations,

Statuer sur l'indemnisation des préjudices avant partage de responsabilité dans les conditions des présentes conclusions :

DFT : 3.815 euros,

Préjudice esthétique temporaire : 3.000 euros,

Déficit fonctionnel permanent : 22.000 euros,

Préjudice esthétique permanent : 5.000 euros,

Souffrances endurées : 8.000 euros ;

Réduire l'indemnité pour frais non répétibles sollicitée à de plus justes proportions sans pouvoir excéder la somme de 1.000 euros ;

Condamner M. [L] [J] aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

A la lumière du rapport d'expertise, la S.A Sogessur soutient que la cause de l'accident provient non pas de la barre d'appui de la fenêtre mais du fait que M. [L] [J] ait escaladé cette dernière pour s'appuyer sur l'étendoir qui y était fixé et qui a cédé sous son poids, entrainant sa chute, ce qui a été constaté par l'expert judiciaire. Elle affirme donc que l'appartement n'est pas la cause directe de la chute de l'enfant qui a été laissé sans surveillance.

Le non-respect de la réglementation n'est pas à l'origine immédiate de l'accident survenu, seul le défaut de surveillance manifeste des parents explique cet incident.

L'intimée soutient en effet que le dommage subi par M. [L] [J] relève de la faute exclusive des époux [J]. Elle affirme qu'ils ont commis un manquement caractérisé en laissant seul leur enfant de deux ans face à une fenêtre ouverte et alors même qu'ils connaissaient les risques, ayant apposé du grillage sur toutes les autres fenêtres de l'appartement loué.

En outre, la S.A Sogessur précise que l'étendoir n'était pas présent à la prise de possession de l'appartement, en atteste le bail qui stipule « contrat de location de locaux vacants non meublés » et que les parents, occupant ce logement depuis deux ans avant l'accident, avaient tout le loisir de le retirer.

Très subsidiairement, la S.A Sogessur conteste les sommes demandées par M. [L] [J]. Elle sollicite que l'indemnisation des déficits fonctionnels temporaires total et partiel soit ramenée à la somme totale de 3.815 euros. Concernant les autres postes de préjudices, elle rejoint les demandes formulées par M. [A] [Z].

L'URSSAF et la MSA, régulièrement assignés ne sont pas représentées.

Par courrier du 11 août 2021, la MSA a fait part d'une créance de 375,49 euros tout en avisant la cour qu'elle ne constituerait pas avocat.

Les conclusions de M. [A] [Z] ont été déclaré irrecevables.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 21 février 2024.

MOTIFS

1/ Sur la responsabilité du bailleur :

A titre liminaire, il sera précisé que le fondement de la responsabilité encourue n'est plus discuté en appel par les parties. Il conviendra ainsi de procéder à l'examen de la responsabilité contractuelle de M. [Z], comme retenu par les premiers juges, le dommage étant en effet intervenu dans le cadre de l'exécution d'un contrat de bail d'habitation en date du 29 décembre 2009.

La responsabilité contractuelle du bailleur est régie par les articles 1709 à 1727 du code civil.

En application de l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière de délivrer au preneur un logement décent, c'est-à-dire qu'il ne doit laisser apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation lesquels sont précisés par le décret numéro 2002-120 du 30 janvier 2002.

La délivrance d'un logement décent, qui est une règle d'ordre public, relève d'une obligation à valeur constitutionnelle.

Le décret dispose qu'un logement décent doit satisfaire aux conditions suivantes au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires : 

« '

3 ° les dispositifs de retenue des personnes, dans le logement et ses accès, tels que garde-corps des fenêtres, escaliers, loggias et balcons, sont dans un état conforme à leur usage ».

En application de l'article 1721 du code civil, le bailleur est tenu de garantir le preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail. S'il résulte de ces vices ou défauts quelque perte pour le preneur, le bailleur est tenu de l'indemniser.

En l'espèce, le 30 septembre 2011, [L] [J], alors âgé de deux ans, a fait une chute de plusieurs mètres après avoir escaladé la fenêtre de sa chambre.

Il résulte de la déclaration d'accident établie par le père que l'enfant s'est « accroché à la barre de la corde à linge installée sur le mur de la fenêtre. La barre s'est détachée du mur » entraînant la chute de l'enfant. Il est par ailleurs noté que l'enfant était seul dans la chambre avec son frère âgé de huit ans, la mère se trouvant alors dans une autre pièce.

Au préalable, il convient d'écarter l'application des dispositions de l'article 1721 du code civil en raison de la dangerosité apparente de la fenêtre qui résulte tant des photos produites aux débats que des propres constatations de l'expert judiciaire lequel a en effet relevé la protection par le père de la victime, des trois autres baies de la façade principale qui ne peut se motiver que par la dangerosité avérée des lieux.

La responsabilité du bailleur sera donc examinée au visa de l'article 1719 du code civil et de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989, modifié par la loi du 13 décembre 2000, qui fait peser sur le bailleur une obligation de sécurité.

Il s'évince du rapport d'expertise établi le 29 octobre 2013 par [O] [T] que [L] [J] a chuté d'une fenêtre, située au 3ème étage, munie d'une allège de 58 cm du plancher de l'habitation et d'une barre d'appui métallique qui elle-même est située à une hauteur de 88 cm du sol et placée à 36,5 cm au-dessus de l'appui béton.

L'expert note également la présence d'un étendoir à linge, matérialisé par deux fers à U de 30mmx20mmx800mm, situé à l'extérieur de la fenêtre reposant sur les embrasures de la baie et fixé par deux vis cruciformes situés juste sous la barre d'appui.

Sur les circonstances de l'accident, l'expert relate que l'enfant, âgé de deux ans au moment des faits, « a pu monter sur l'appui de la fenêtre qui n'est qu'à 58 cm de hauteur, ensuite il s'est probablement appuyé ou allongé sur l'étendoir à linge situé au-dessus de la barre d'appui métallique' qui n'était fixé dans l'embrasure de la baie que par deux vis cruciforme, a cédé ce qui a entrainé la chute de l'enfant dans un premier temps sur la toiture ondulée en fibro ciment située à 4m30 en-dessous puis sur le carrelage de la terrasse du premier étage 3,95 mètres plus bas, soit une chute totale de 8,25 mètres.

L'enfant de deux ans aurait tout aussi bien pu passer sous la barre d'appui métallique (28x15mm) dont la hauteur libre est de 36,5 cm, ce qui démontre à quel point les baies de la façade arrière étaient dangereuses ».

[O] [T] affirme que la fenêtre de la chambre du troisième étage, par laquelle s'est produit l'accident du 30 septembre 2011, n'est pas conforme à la législation en vigueur rappelant à cet égard les dispositions énoncées à l'article R 111-15 du code de la construction et de l'habitation qui précise :

« aux étages autre que le rez-de-chaussée :

Les fenêtres autres que celles ouvrant sur les balcons, terrasses ou galeries et dont les parties basses se trouvant à moins de 0,90 mètres du plancher doivent, si elles sont au-dessus du rez-de-chaussée, être pourvues d'une barre d'appui et d'un élément de protection s'élevant au moins jusqu'à un mètre du plancher ».

L'expert relève en effet que la hauteur actuelle de cette barre d'appui est de 88 cm par rapport au niveau du plancher, et non d'un mètre comme prescrit, avec de surcroît un vide important de 36,5 cm entre la barre et l'appui béton alors que la norme NF P 01-012 impose une distance maximale de 18 cm.

L'expert judiciaire retient la responsabilité du bailleur considérant que l'appartement loué à la famille [J], consistant à un grenier transformé et aménagé, ne correspond pas aux critères de décence posés par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 et que le bailleur n'a pas protégé les baies malgré leur dangerosité évidente tout en soulignant que M. [Z], lors de son achat, aurait dû faire expertiser l'appartement et exiger la présence des diagnostics obligatoires lors de la vente d'un immeuble, ce qui l'aurait informé de cette non-conformité.

Il propose néanmoins un partage des responsabilités, faisant grief à la famille [J] de ne pas avoir alerté le propriétaire des dangers évidents présentés par les fenêtres tout en relevant que les locataires pouvaient protéger les fenêtres situées à l'arrière de la même manière qu'ils ont procédé pour les fenêtres situées sur l'avant.

En premier lieu, la non-conformité de la fenêtre aux normes prescrites n'est pas contestée par les parties qui reconnaissent en effet une hauteur de la barre d'appui munissant la fenêtre, située à 58 cm du plancher de l'habitation, de 88 cm par rapport au niveau du plancher, et non d'un mètre comme prescrit, avec de surcroît un vide important de 36,5 cm entre la barre et l'appui béton alors que la norme NF P 01-012 impose une distance maximale de 18 cm.

Par ailleurs, il convient de préciser que si la chute de l'enfant est liée à la détérioration de l'étendoir qui a cédé sous son poids, il n'en demeure pas moins que l'accès à cet étendoir situé à l'extérieur de la fenêtre a été facilité par la configuration des lieux qui révèle une anormalité au regard des critères énoncés par l'expert judiciaire et qui ne sont pas discutés par les parties au litige.

Il ne peut être exclu que l'escalade d'une fenêtre par un enfant âgé de deux ans, présentant en moyenne une taille de 85 cm, soit rendue impossible en présence d'une sécurisation de l'ouverture selon les normes visées par l'expert judiciaire. La dangerosité des lieux est confirmée à plusieurs reprises par M. [T] et s'évince de leur simple configuration en présence d'une ouverture située à 0,58 mètres du sol et d'une barre d'appui située à 0,88 mètres du sol.

La non-conformité de la fenêtre est en conséquence en lien direct avec la chute de l'enfant en ce qu'elle a rendu possible son escalade, étape préalable et essentielle à l'accès à l'étendoir.

Il s'ensuit que le bailleur a indéniablement manqué à son obligation de sécurité envers le locataire, celui-ci étant en effet tenu de remettre au preneur un logement décent ne laissant apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique et à la santé des occupants.

L'intimée conclut en faveur de l'exonération de la responsabilité de son assuré considérant que l'accident est à mettre en lien uniquement avec un défaut de surveillance.

Si le bailleur a manqué à son obligation de délivrance, il ne saurait être toutefois écarté dans la survenance du dommage le rôle causal joué par le défaut de surveillance des parents, qui ayant conscience de la dangerosité de la fenêtre auraient dû s'assurer soit de la sécurisation temporaire des lieux (fermeture) soit par une surveillance effective de leur enfant.

Il convient en conséquence de procéder à un partage de responsabilité et de retenir une responsabilité du bailleur limitée à 80%.

2/ Sur la fixation des préjudices extra-patrimoniaux :

Consécutivement à une chute de plus de 8 mètres survenue le 30 septembre 2011, [L] [J] a présenté diverses séquelles corporelles constatées dans un premier temps au cours de son hospitalisation à l'hôpital de [Localité 12] et reprises dans un certificat médical établi le 6 octobre 2011 par le docteur [F] qui a fait état :

- D'un traumatisme crânio-facial avec obnubilation transitoire,

- D'une dermabrasion du front de 4 cm de diamètre,

- D'une plaie transfixiante de la lèvre inférieure,

- D'une fissure de la branche montante maxillaire supérieure paranasale droite avec hématome de la région nasogénienne droite,

- D'une dermabrasion avec plaie superficielle sous-costale droite de huit centimètres,

- De troubles psychologiques post-traumatiques.

La victime a été hospitalisée sur [Localité 15] jusqu'au 8 octobre 2011 au sein d'un service ORL, puis bénéficiait de plusieurs consultations au sein de ce service. Deux nouvelles hospitalisations se sont avérées nécessaires à la réalisation d'interventions chirurgicales commandées par l'état physique d'[L], qui présentait une paralysie faciale partielle.

Parallèlement, la victime devait consulter plusieurs spécialistes et s'astreindre à de nombreux suivis (ophtalmologie, kinésithérapeute). Il était également relevé que l'enfant devait bénéficier d'un suivi psychiatrique, ce dernier développant un stress post-traumatique.

Dans le cadre d'une première expertise en date du 28 octobre 2013, le docteur [H] a conclu en faveur de l'imputabilité des lésions à l'accident sans participation d'un état antérieur. Aucune date de consolidation n'a été fixée, l'expert se limitant à évaluer les postes de préjudices suivants :

Souffrances endurées regroupant les douleurs éprouvées lors de l'accident, au cours des périodes d'hospitalisations et de soins comprenant les séances de rééducation ainsi que le syndrome post-traumatique : 3/7 ;

Préjudice esthétique temporaire : 1/7 (visage au repos) et 3/7 ( à la mimique) ;

Dans le cadre d'une seconde expertise en date du 24 juillet 2017, le docteur [H] a fixé la date de consolidation au 14 novembre 2015 dans la mesure où la paralysie faciale de l'enfant ne devrait plus évoluer, et a évalué les postes de préjudices suivants :

Déficit fonctionnel temporaire total : 14 jours comprenant 11 jours d'hospitalisation et les trois premiers jours d'hospitalisation consécutifs à l'accident ;

Déficit fonctionnel partiel (10%) du 12 octobre 2011 au 14 novembre 2015, date de consolidation ;

Déficit fonctionnel permanent correspondant aux conséquences de la paralysie faciale gauche et la perte d'audition du même côté : 12% ;

Souffrances endurées regroupant les douleurs éprouvées lors de l'accident, au cours des périodes d'hospitalisations et de soins comprenant les séances de rééducation ainsi que le syndrome post-traumatique : 4/7 ;

Préjudice esthétique temporaire : 3/7;

Préjudice esthétique permanent : 3/7;

Le déficit fonctionnel temporaire :

Ce préjudice inclut pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante, en tenant compte des conditions plus ou moins pénibles de cette incapacité.

Les appelants sollicitent l'allocation d'une somme de 1.120 euros pour le déficit fonctionnel temporaire total et 11.944 euros pour le déficit fonctionnel partiel, la société Sogessur proposant la somme 3.815 euros.

Le déficit fonctionnel temporaire total porte sur 14 jours correspondant aux périodes d'hospitalisation.

Conformément à la jurisprudence constante de la cour, la base à retenir est de 25 euros par jour de telle sorte que la victime se verra allouer la somme de 350 euros.

Le déficit fonctionnel partiel a été arrêté à 10% sur la période allant du 12 octobre 2011 au 14 novembre 2015.

Les appelants réclament la somme de 11.944 euros pour le déficit fonctionnel partiel pour 1493 jours d'indemnisation.

En l'état, il est justifié d'un période d'indemnisation de 1493 jours avec une base à retenir de 25 euros par jour.

Il s'ensuit que le déficit partiel doit être arrêté à la somme de 3.732,50 euros.

Il convient de fixer l'indemnisation à la somme de 4082,50 euros. Après application du partage de responsabilité, les intimés seront condamnés à verser à M. [L] [J], représenté par M. [M] [J] et Mme [D] [J] ès qualités de représentants légaux, la somme de 3.266 euros.

Le déficit fonctionnel permanent :

Le déficit fonctionnel permanent correspond au préjudice non économique lié à la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel de la victime.

L'expert judiciaire a fixé un taux d'incapacité permanente de 12 % qu'il justifie par les conséquences de la paralysie faciale gauche et la perte d'audition du même côté. L'expert relève une faiblesse du muscle buccinateur qui ne joue pas complètement son rôle puisque le nettoyage naturel du vestibule buccal gauche lors de la mastication ne se fait pas comme du côté opposé.

Les appelants sollicitent l'allocation d'une somme de 22.000 euros, ce à quoi n'est pas opposée la société Sogessur qui propose subsidiairement la même somme.

Il convient de fixer l'indemnisation à la somme de 22.000 euros. Après application du partage de responsabilité, les intimés seront condamnés à verser à M. [L] [J], représenté par M. [M] [J] et Mme [D] [J] ès qualités de représentants légaux, la somme de 17.600 euros.

Sur les souffrances endurées :

L'expert a évalué les douleurs éprouvées par [L] [J] lors de l'accident, au cours des périodes d'hospitalisations et de soins comprenant les séances de rééducation ainsi que le syndrome post-traumatique à 4/7.

Les appelants sollicitent une somme de 20.000 euros tandis que la société Sogessur propose une somme de 8.000 euros.

Compte-tenu de l'âge de la victime au moment des faits et des souffrances décrites par l'expert, outre le traumatisme occasionné par l'accident, il convient de fixer l'indemnisation à la somme de 13.000 euros. Après application du partage de responsabilité, les intimés seront condamnés à verser à M. [L] [J], représenté par M. [M] [J] et Mme [D] [J] ès qualités de représentants légaux, la somme de 10.400 euros.

Sur le préjudice esthétique temporaire :

La victime peut subir, pendant la maladie traumatique, et notamment pendant l'hospitalisation, une altération de son apparence physique, même temporaire, justifiant une indemnisation.

Au cas présent, ce préjudice consiste à une asymétrie faciale de la mimique que l'expert évalue à 3/7.

Les appelants sollicitent une somme de 6.000 euros tandis que l'intimé propose une somme de 3.000 euros.

Au regard des éléments recueillis par l'expert judiciaire, il convient de fixer l'indemnisation à la somme de 4.000 euros. Après application du partage de responsabilité, les intimés seront condamnés à verser à M. [L] [J], représenté par M. [M] [J] et Mme [D] [J] ès qualités de représentants légaux, la somme de 3.200 euros.

Sur le préjudice esthétique permanent :

Ce préjudice consiste à une asymétrie faciale de la mimique que l'expert évalue à 3/7.

Les appelants sollicitent une somme de 10.000 euros tandis que l'intimé propose une somme de 5.000 euros.

Si l'expert relève que la paralysie présentée par la victime a régressé suite aux traitements médicaux puis chirurgical, [L] [J] présente néanmoins une paralysie qualifiée de gênante au plan esthétique puisqu'elle entraîne une déformation du visage lors des mouvements (pleurs, sourire'). Il est également relevé l'existence de cicatrices des plaies simples (thorax, menton) qui sont stabilisées. Elles restent visibles sans être disgracieuses.

Au regard des éléments recueillis, il convient de fixer l'indemnisation à la somme de 10.000 euros. Après application du partage de responsabilité, les intimés seront condamnés à verser à M. [L] [J], représenté par M. [M] [J] et Mme [D] [J] ès qualités de représentants légaux, la somme de 8.000 euros.

Il convient de fixer la créance de la MSA à hauteur de 375,49 euros.

3/ Sur les frais accessoires :

Le jugement entrepris sera infirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.

En appel, les intimés, succombant, seront condamnés aux dépens comprenant le coût des expertises judiciaires, ainsi que la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 19 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Béziers en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Dit que M. [A] [Z] a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle,

Dit que la faute commise par M. [A] [Z] a contribué à hauteur de 80% à la survenance du préjudice subi par M. [L] [J],

Fixe les préjudices subis par M. [L] [J] :

Déficit fonctionnel temporaire: 4.082,50 euros,

Préjudice esthétique temporaire : 4.000 euros,

Souffrances endurées : 13.000 euros,

Préjudice esthétique après consolidation :10.000 euros,

Déficit fonctionnel permanent : 22.000 euros,

Condamner in solidum M. [A] [Z] et la S.A Sogessur prise en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à M. [L] [J], représenté par M. [M] [J] et Mme [D] [J] agissant en qualité de représentants légaux de leur fils mineur, après application du partage de responsabilité, les sommes suivantes :

Déficit fonctionnel temporaire: 3.266 euros,

Préjudice esthétique temporaire : 3.200 euros,

Souffrances endurées : 10.400 euros,

Préjudice esthétique après consolidation : 8.000 euros,

Déficit fonctionnel permanent : 17.600 euros,

Total : 42.466 euros,

Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

Déclare le jugement opposable à l'URSSAF et la MSA,

Fixe la créance de la MSA à hauteur de 375,49 euros,

Condamne in solidum M. [A] [Z] et la S.A Sogessur prise en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à M. [L] [J], représenté par M. [M] [J] et Mme [D] [J] agissant en qualité de représentants légaux de leur fils mineur, la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner in solidum M. [A] [Z] et la S.A Sogessur prise en la personne de son représentant légal en exercice, aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais des expertises judiciaires.

Le Greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 5e chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/04508
Date de la décision : 07/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-07;21.04508 ?
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