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02/05/2024 | FRANCE | N°21/02415

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2e chambre sociale, 02 mai 2024, 21/02415


ARRÊT n°

































Grosse + copie

délivrées le

à















COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2e chambre sociale



ARRET DU 02 MAI 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/02415 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O6RZ





Décision déférée à la Cour :

Jugement du 12 MARS 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORM

ATION PARITAIRE DE MONTPELLIER

N° RG 20/00475





APPELANTE :



S.A.R.L. TECHNICFER,

Domiciliée [Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me Jérôme PASCAL de la SARL CAP-LEX, avocat au barreau de MONTPELLIER







INTIMES :



Monsieur [U] [Z]

né le 06 Avril 1991 à [Localité 2]

de nat...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 02 MAI 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/02415 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O6RZ

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 12 MARS 2021

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER

N° RG 20/00475

APPELANTE :

S.A.R.L. TECHNICFER,

Domiciliée [Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Jérôme PASCAL de la SARL CAP-LEX, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMES :

Monsieur [U] [Z]

né le 06 Avril 1991 à [Localité 2]

de nationalité Française

Domicilié [Adresse 5]

[Localité 2]

Représenté par Me Emilie NOLBERCZAK, avocat au barreau de MONTPELLIER

S.A.R.L.U. GIMA INTERIM

Domiciliée [Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Marie odile LAMOUREUX DE BELLY de la SELARL LEXIATEAM SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée par Me Gladys GOUTORBE, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 12 Février 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mars 2024,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, chargé du rapport et Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller

Monsieur Patrick HIDALGO, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Naïma DIGINI

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Naïma DIGINI, Greffier.

*

* *

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant 31 contrats de mission, la société de travail temporaire 'Pil emploi' a mis à disposition M. [U] [Z] au profit de la société Technifer sur la période du 5 juillet 2014 au 29 décembre 2017 et ce afin d'exercer des fonctions d'aide manutention.

À compter du 2 janvier 2018, M. [Z] a été engagé par la société Gima Interim et mis à disposition de la société Technifer, dans le cadre de 28 contrats de mission conclus jusqu'au 30 septembre 2019. Au cours de l'exécution du dernier contrat de mission, M. [Z] a été victime le 20 septembre 2019 d'un accident du travail qui a entraîné l'amputation d'un doigt de la main gauche.

Le 7 mai 2020, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier aux fins d'entendre prononcer la requalification des contrats de mission en un contrat de travail à durée indéterminée, juger que la rupture de la relation contractuelle au 30 septembre 2019 est dépourvue de cause réelle et sérieuse et condamner in solidum les sociétés Technifer et Gima Interim à lui verser une indemnité de requalification, des rappels de salaire pour les périodes interstitielles et les indemnités de rupture.

Par jugement du 12 mars 2021, le conseil de prud'hommes a statué comme suit :

Requalifie les contrats de mission temporaires en un contrat à durée indéterminée,

Dit et juge que la rupture du contrat de travail intervenue le 30 septembre 2019 est dépourvue de cause réelle et sérieuse,

Condamne in solidum la société Technifer et la société Gima Interim à payer à M. [Z] les sommes suivantes :

- 3 397,46 euros à titre de rappel de salaire, outre 339,74 euros au titre des congés payés afférents,

- 852 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 3 719,34 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 371,93 euros au titre des congés payés afférents,

- 3 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif,

- 960 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Technifer à payer à M. [Z] la somme de 1 859,67 euros au titre de l'indemnité de requalification,

Déboute M. [Z] de ses autres demandes,

[...]

Dit que la capitalisation est de droit à compter de la demande judiciaire qui en est formée et dès lors qu'il s'agit d'intérêts dus au moins pour une année entière,

Déboute les sociétés Technifer et Gima Interim de l'ensemble de leurs demandes,

Condamne in solidum les sociétés Technifer et Gima Interim aux dépens.

Par déclaration d'appel du 14 avril 2021, la société Technifer a interjeté appel de cette décision.

' suivant ses conclusions en date du 7 décembre 2021, la société Technifer demande à la cour de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté la demande d'une indemnité pour l'irrégularité prétendue de la procédure de licenciement, mais de l'infirmer pour le surplus, et, statuant à nouveau, de :

Sur la demande de requalification en CDI, rejeter la demande d'indemnité exorbitante et injustifiée, précision faîte que le salaire de M. [Z] n'était que de 1 675 euros bruts par mois,

Sur la demande de rappel de salaire comme « période d'inactivité »

Juger que M. [Z] ne peut sérieusement se prétendre en période d'inactivité les week-end et en période de congés estivaux, ni qu'il peut demander des rappels à temps pleins,

Juger qu'il n'apporte aucune pièce objective et crédible qui démontrerait qu'il s'était tenu à sa disposition sur les périodes d'inactivité alors que la jurisprudence lui impose d'apporter cette preuve,

Rejeter en conséquence la demande injuste et infondée,

Sur les demandes relatives à la rupture de la relation, rejeter toutes demandes de M. [Z] comme non justifiées,

A titre subsidiaire,

Juger que la demande de dommages-intérêts ne saurait excéder 2 mois (2 924 euros) compte tenu de l'ancienneté réelle de M. [Z], inférieure à 2 ans, et la limiter comme suit :

- Préavis : 1 465 euros bruts (ancienneté inférieure à 2 ans), outre 146,50 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- Indemnité de licenciement : 852 Euros (janvier 2018 à septembre 2019)

Rejeter la demande d'irrégularité de la procédure comme irrecevable ou infondée car non cumulable avec des dommages et intérêts pour rupture sans cause,

Sur l'exécution provisoire, condamner M. [Z] à lui rembourser les sommes réglées au titre de l'exécution provisoire à hauteur de 8 680,47 euros,

Sur les frais irrépétibles, rejeter la demande de M. [Z] et lui allouer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et y condamner M. [Z] avec les entiers dépens.

' aux termes de ses conclusions remises au greffe le 4 avril 2023, la Société Gima Interim demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau de :

A titre principal, débouter M. [Z] de l'intégralité de ses demandes.

A titre subsidiaire, ramener le montant de ses demandes à de plus justes proportions.

En tout état de cause, condamner M. [Z] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens.

' aux termes de ses conclusions remises au greffe le 8 octobre 2021, M. [Z] demande à la cour de :

Débouter la société Technifer de l'ensemble de ses demandes.

Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Montpellier du 12 mars 2021 en ce qu'il a requalifié les contrats de mission temporaire en un contrat de travail à durée indéterminée et dit que la rupture du contrat intervenu le 30 septembre 2019 est dépourvue de cause réelle et sérieuse,

Infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes du 12 mars 2021 sur la fixation du salaire mensuel moyen brut, l'ancienneté et le montant des rappels de salaire et indemnités à lui allouées,

Statuant à nouveau,

Fixer le salaire mensuel moyen brut à la somme de 2 039,23 euros.

Juger que l'ancienneté de M. [Z] au sein de la société Technifer est de 5 années et 4 mois, soit du 5 juillet 2014 au 20 novembre 2019,

Condamner in solidum la société Technifer et la société Gima Interim à lui payer les sommes suivantes :

- 2 039,23 euros à titre d'indemnité spécifique de requalification,

- 4 320,74 euros à titre de rappel de salaire, ainsi que la somme de 432,07 euros au titre des congés payés afférents,

- 2 039,23 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

- 2 718,98 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 4 078,46 euros à titre d'indemnité de préavis,

- 407,85 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- 25 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif.

Condamner in solidum les sociétés Technifer et Gima Interim à lui payer la somme due au principal avec intérêts de droit à compter de la demande en justice et ce jusqu'au parfait paiement.

Dire et juger que les intérêts seront capitalisés par année entière conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du Code civil.

Condamner in solidum les sociétés Technifer et Gima Interim à lui verser la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code procédure civile et aux entiers dépens.

Par décision en date du 12 février 2024, le conseiller de la mise en état a clôturé l'instruction du dossier et fixé l'affaire à l'audience du 11 mars suivant.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux conclusions susvisées.

MOTIVATION

Le travail temporaire met en oeuvre une relation contractuelle triangulaire avec :

- un contrat de mise à disposition conclu entre l'entreprise utilisatrice et l'entreprise de travail temporaire,

- un contrat de mission conclu entre l'entreprise de travail temporaire et le salarié.

Le salarié a la faculté de solliciter la requalification de la relation contractuelle tant vis-à-vis de l'entreprise utilisatrice en application des dispositions de l'article L.1251-40 du code du travail que de la société de travail temporaire dans l'hypothèse soit d'une collusion avec l'entreprise utilisatrice, soit d'un manquement à ses obligations légales lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d'oeuvre est interdite n'ont pas été respectées.

La société Technifer conclut à la réformation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes. Elle soutient ensuite que le non-respect du délai de carence n'est pas opposable à l'entreprise utilisatrice, si bien qu'elle ne saurait assumer les conséquences d'une requalification de ce fait et elle revendique la réformation sur ce fondement. Elle fait valoir par ailleurs que le surcroît temporaire d'activité est justifié, et que si la requalification devait être encourue pour non-respect du délai de carence, seule la société de travail temporaire pourrait être condamnée à payer l'intégralité des condamnations liées à la rupture du contrat à durée indéterminée, raison pour laquelle elle demande l'infirmation du jugement.

La société Gima Interim conclut à l'infirmation du jugement entrepris, en objectant avoir respecté ses obligations et qu'aucune solidarité ni condamnation solidaire ne pourra être prononcée à son encontre dans l'hypothèse d'une condamnation de la société Technifer.

M. [Z] conclut à la confirmation du jugement sur la requalification sauf à majorer le quantum des indemnités allouées pour la rupture abusive en invoquant l'inopposabilité du barème institué par les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail issue de l'ordonnance de septembre 2017, et non les dispositions de l'article L. 1226-9 du même code.

Sur la requalification à l'égard de la société Technifer :

Le contrat précaire ne doit pas pourvoir durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

L'article L. 1251-40 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance du n°2017-1387 du 22 septembre 2017, dispose que lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L 1251-5 à L 1251-7 (cas de recours au travail temporaire), L. 1251-10 (interdiction du recours au travail temporaire), L. 1251-11 (fixation du terme et durée du contrat) , L. 1251-12-1 (durée maximale du contrat), L. 1251-30 (aménagement du terme de la mission) et L. 1251-35-1 (renouvellement du contrat) ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le premier jour de sa mission.

Selon l'article L 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif ne peut avoir pour effet ni pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.

Le salarié ayant la faculté de poursuivre l'action en requalification de la relation contractuelle à l'encontre de l'une ou l'autre des sociétés de travail temporaire ou utilisatrice, le choix opéré par l'intimé de ne rechercher la responsabilité que d'une seule des sociétés de travail temporaire, ne saurait limiter, vis-à-vis de l'entreprise utilisatrice l'analyse de sa réclamation qu'aux seuls contrats conclus avec Gima Interim.

En premier lieu, alors qu'en cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, il incombe à l'entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de travail, la société Technifer ne justifie par aucun élément le motif de chacun de ces contrats, à savoir un prétendu accroissement temporaire d'activité.

En second lieu, il est établi que :

- du 5 juillet 2014 au 30 septembre 2019, M. [Z] a signé 59 contrats au titre desquels il a été mis à disposition de la société Technifer au cours de 55 mois, dont les 51 derniers consécutifs,

- après une interruption de près de 8 mois, M. [Z] a de nouveau été mis à disposition de la société Technifer à compter du 26 juillet 2015, et ce de manière quasi ininterrompue jusqu'au 29 décembre 2017, hormis quelques jours de formation pour lesquels le salarié était employé par la société de travail temporaire, et ce par divers contrats de mission dont deux de longue durée, l'un du 1er avril au 21 octobre 2016 et le second du 22 octobre 2016 au 28 juillet 2017, l'ensemble de ces contrats étant conclus pour 'accroissement temporaire d'activité',

- du 2 janvier 2018 au 30 septembre 2019, M. [Z] a été exclusivement mis à disposition de la société Technifer, hormis deux jours de formation pour lesquels le salarié a été employé par la société de travail temporaire, ces contrats conclus pour 'accroissement temporaire d'activité', étant conclus, la plupart d'entre eux pour une période d'un mois,

- de manière remarquable, il ne s'est écoulé entre la fin de la relation contractuelle conclue entre le salarié et la société Pil Emploi, le 29 décembre 2017, et celle qui a suivi auprès de la société Gima Interim , le 2 janvier 2018, que le week-end des 30 et 31 décembre 2017 et le jour férié du 1er janvier 2018.

En l'état de l'ensemble de ces éléments et le seul changement d'intitulé des fonctions confiées au salarié, à savoir 'aide à la manutention' sous les contrats conclus avec Pil Emploi et 'manoeuvre' pour ceux conclus avec société Gima Interim ne permettant pas de considérer que le salarié aurait été employé à des fins distinctes, il y a lieu de juger que, sous couvert de ces différents contrats de mission, l'employeur a pourvu durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée sauf à préciser que cette requalification vis-à-vis de l'entreprise utilisatrice couvre l'ensemble de la période, soit du 5 juillet 2014 au 30 septembre 2019.

Sur l'indemnité de requalification :

Le conseil de prud'hommes a fait une juste application des dispositions légales en condamnant la seule société utilisatrice au paiement de la somme de 2 039,23 euros à titre d'indemnité de requalification. Le jugement sera réformé sur le montant.

Sur la requalification à l'égard de la société Gima :

Les dispositions de l'article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, n'excluent pas la possibilité pour le salarié d'agir contre l'entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d''uvre est interdite n'ont pas été respectées.

Selon les dispositions des articles L. 1251-36 et L. 1251-37 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, l'entreprise de travail temporaire ne peut recourir pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin à un contrat de mission avant l'expiration d'un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat de mission incluant, le cas échéant, son ou ses renouvellements. Les jours pris en compte sont les jours d'ouverture de l'entreprise ou de l'établissement utilisateur. Sans préjudice des dispositions de l'article L 1251-5, la convention ou l'accord de branche étendu de l'entreprise utilisatrice peut fixer les modalités de calcul de ce délai de carence.

En l'espèce, il n'est pas soutenu que l'accord de branche applicable à l'entreprise utilisatrice ait dérogé aux dispositions légales relatives aux délais de carence.

À l'examen de l'historique des contrats de mission conclus du 2 janvier 2018 au 30 septembre 2019, à raison pratiquement d'un contrat par mois, force est de relever que le non-respect du délai de carence prévu à l'article L. 1251-36-1 du code du travail est caractérisé.

L'entreprise de travail temporaire ayant conclu plusieurs contrats de mission successifs au motif d'un accroissement temporaire d'activité sans respect du délai de carence, la relation contractuelle existant entre le salarié et l'entreprise de travail temporaire doit par conséquent être requalifiée en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er février 2018, premier contrat ne respectant pas ce délai de carence.

Le non-respect du délai de carence caractérisant un manquement par l'entreprise de travail temporaire aux obligations qui lui sont propres dans l'établissement des contrats de mission, elle doit être condamnée in solidum avec l'entreprise utilisatrice à supporter les conséquences de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, dans les limites de l'ancienneté du salarié dans ses effectifs, et à l'exception de l'indemnité de requalification, dont l'entreprise utilisatrice est seule débitrice.

Sur la demande de rappel de salaire au titre des périodes interstitielles

M. [Z] sollicite le paiement de la somme de 4 320,74 euros outre les congés payés afférents portant sur la période de septembre 2017 à septembre 2019 non pas sur le fondement d'une requalification de contrat à temps partiel en temps complet, mais au titre des périodes interstitielles séparant 2 contrats de mission.

Compte tenu de la suspension de son contrat de travail consécutive à l'accident du travail dont il a été victime le 20 septembre 2020, le rappel de salaire formé pour ce dernier mois, partiellement travaillé, n'est pas fondée.

La société Gima n'étant tenue à la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée qu'à compter du 1er février 2018, elle ne saurait être tenue de ce chef relativement à la période précédant cette date.

En revanche, alors que depuis le mois de juillet 2016 le salarié travaillait exclusivement pour la société Technifer, que malgré le changement de société de travail temporaire advenu au 2 janvier 2018, aucune interruption de la relation contractuelle ne s'est produite vis-à-vis de la société utilisatrice, et qu'au cours de la période courant de septembre 2017 à août 2019, le salarié a été rémunéré pendant 17 mois au delà de la durée mensuelle légale de travail, travaillant à plusieurs reprises au-delà de 160 heures par mois et jusqu'à 202,50 heures en octobre 2018, M. [Z] justifie qu'il s'est tenu constamment à la disposition de la société Technifer et de la société de travail temporaire.

Le jugement sera donc confirmé sur le principe mais réformé sur le montant du rappel de salaire alloué. L'entreprise utilisatrice sera condamnée à verser la somme de 3 800,82 euros brut outre 380,08 euros au titre des congés payés afférents, l'obligation solidaire de la société Gima Intérim pour la période débutant le 1er février 2018 étant limitée à la somme de 2 877,54 euros.

Sur la rupture :

En rompant unilatéralement la relation contractuelle ainsi requalifiée à durée indéterminée sans avoir notifié au salarié une lettre de rupture motivée, alors que le salarié avait été victime d'un accident du travail et que son contrat de travail improprement qualifié de contrat de mission était suspendu, les sociétés Technifer et Gima Interim ont pris l'initiative de la rupture qui s'analyse, à tout le moins et dans les limites des demandes du salarié, en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande en paiement d'une indemnité pour non respect de la procédure de licenciement.

Au jour de la rupture, M. [Z] âgé de 28 ans percevait un salaire mensuel brut pour 35 heures hebdomadaires au taux horaire de 13,45 euros de 2 039,96 euros, qui n'est pas inférieur au salaire de référence calculé par le salarié sur les douze derniers mois s'établissant au même montant, de 2 039,23 euros qui sera donc retenu.

Vis-à-vis de la société utilisatrice, M. [Z] détenait une ancienneté de 5 ans et 2 mois.

Il est bien fondé à solliciter paiement des sommes suivantes :

- 2 718,98 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 4 078,46 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 407,85 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- En vertu de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, le salarié peut prétendre au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal de 3 mois de salaire brut et un montant maximal de 6 mois de salaire brut.

Les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail. Elles ne sont pas non plus contraires aux dispositions de l'article 4 de cette même Convention, qui prévoit qu'un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service, puisque précisément l'article L.1253-3 sanctionne l'absence de motif valable de licenciement.

En conséquence, il n'y a pas lieu d'écarter l'application de l'article L. 1235-3 du code du travail.

Compte tenu des éléments dont dispose la cour, et notamment de l'âge du salarié au moment du licenciement, et des perspectives professionnelles qui en découlent, le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être évalué à la somme de 12 235 euros bruts.

Compte tenu de l'ancienneté du salarié et de l'effectif de l'entreprise utilisatrice dont il n'est pas allégué ni justifié a fortiori qu'il serait inférieur à 11, il sera fait application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail.

A l'égard de la société Gima Interim, M. [Z] ne détenant au jour de la rupture, le 30 septembre 2019 qu'une ancienneté de 21 mois, la condamnation in solidum de l'entreprise de travail temporaire avec les obligations de la société utilisatrice sera prononcée dans les limites suivantes :

- 934,64 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 2 039,23 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 203,92 euros au titre des congés payés sur préavis,

- 4 078,46 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif.

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil prévoyant que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal, à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, les créances à caractère indemnitaire produisant intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- requalifié les contrats de mission temporaires en un contrat de travail à durée indéterminée,

- dit et jugé que la rupture du contrat de travail advenue le 30 septembre 2019 est dépourvue de cause réelle et sérieuse,

- condamné in solidum les sociétés Technifer et Gima Interim à verser à M. [Z] un rappel de salaire pour les périodes interstitielles, une indemnité de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis, outre des congés payés afférents, une indemnité pour licenciement abusif, et la somme de 960 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens,

- condamné la société Technifer, seule, une indemnité de requalification,

- débouté M. [Z] de sa demande en paiement d'une indemnité pour non respect de la procédure de licenciement,

- Dit que la capitalisation est de droit à compter de la demande judiciaire qui en est formée et dès lors qu'il s'agit d'intérêts dus au moins pour une année entière,

L'infirme sur les quanta du rappel de salaire et des indemnités allouées, ainsi que sur la portée de l'obligation solidaire de la société Gima Interim,

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée prend effet au 5 juillet 2014 à l'égard de la société Technifer et au 1er février 2018 à l'égard de la société Gima Interim,

Condamne la société Technifer à payer à M. [Z] la somme de 2 039,23 euros à titre d'indemnité de requalification,

Condamne la société Technifer à verser à M. [Z] les sommes suivantes :

- 3 800,82 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les périodes interstitielles, ainsi que la somme de 380,08 euros au titre des congés payés afférents,

- 2 718,98 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 4 078,46 euros bruts à titre d'indemnité de préavis, outre 407,85 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- 12 235 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement abusif.

Ordonne à la société Technifer, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, le remboursement par l'employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, et dit qu'une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes,

Condamne la société Gima Interim in solidum avec la société Technifer au paiement du rappel de salaire et de ces indemnités dans les limites suivantes :

- 2 877,54 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les périodes interstitielles, ainsi que la somme de 380,08 euros au titre des congés payés afférents,

- 934,64 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 2 039,23 euros bruts à titre d'indemnité de préavis, outre 203,92 euros au titre des congés payés sur préavis,

- 4 078,46 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement abusif.

Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s'agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Condamne in solidum les sociétés Technifer et Gima Interim à verser à M. [Z] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/02415
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;21.02415 ?
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